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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120316


Dossier : T-644-09

Référence : 2012 CF 318

[traduction française certifiée, non révisée]

Dossier : T-644-09

ENTRE :

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

SANOFI-AVENTIS

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

Dossier : T-933-09

ET ENTRE :

 

 

SANOFI-AVENTIS ET

BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

APOTEX INC.

APOTEX PHARMACHEM INC.

ET SIGNA SA de CV

 

 

défenderesses

 

            MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT SUR LES DÉPENS

LE JUGE BOIVIN

[1]               Les présents motifs du jugement sur les dépens ont trait à la question de l’adjudication des dépens dans la foulée du jugement et des motifs du jugement prononcés dans la cause Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis, 2011 CF 1486, [2011] ACF no 1813, le 6 décembre 2011. L’affaire concernait le médicament appelé bisulfate de clopidogrel, vendu au Canada sous la marque Plavix conformément au brevet canadien no 1,336,777 (le brevet 777) délivré à Sanofi‑Aventis (Sanofi) le 22 août 1995. Apotex Inc. (Apotex) a introduit une action en invalidation du brevet 777 (T‑644‑09) le 22 avril 2009; en réponse à cette action, Sanofi a déposé une action en contrefaçon (T‑933‑09) le 8 juin 2009 et réclamé des dommages‑intérêts de plusieurs centaines de millions de dollars. Dans son jugement et ses motifs du jugement du 6 décembre 2011, la Cour a conclu qu’Apotex s’était rendue coupable de contrefaçon relativement au brevet 777, mais que les revendications du brevet étaient invalides pour cause d’absence d’utilité — le brevet ne remplissait pas les conditions d’une prédiction valable — et pour cause d’évidence. En conséquence, l’action en invalidation d’Apotex a été accueillie et l’action en contrefaçon de Sanofi a été rejetée.

 

[2]               Incapables de s’entendre sur les dépens, les parties ont exposé leurs positions respectives dans des observations écrites présentées en janvier 2012. La Cour a examiné attentivement les observations initiales et les réponses des parties; les présents motifs portent sur les principaux chefs de dépens mis en relief par ces dernières.

 

[3]               Conformément au paragraphegraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens [et] de les répartir [...] ». À cet égard, le paragraphe 400(3) des Règles énumère certains facteurs qui peuvent être pris en compte :

 

PARTIE II

 

DÉPENS

 

Adjudication des dépens entre parties

 

Facteurs à prendre en compte

 

400. (3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

a) le résultat de l’instance;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

g) la charge de travail;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

 

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

(iii) la somme en litige;

 

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

PART II

 

COSTS

 

Awarding of Costs Between Parties

 

Factors in awarding costs

 

400. (3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

 

 

(a) the result of the proceeding;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

(d) the apportionment of liability;

 

(e) any written offer to settle;

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

(g) the amount of work;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299;

 

 

 

 

(n.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

 

 

 

(i) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law,

 

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

(iii) the amount in dispute in the proceeding; and

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

[4]               Dans le processus de taxation des dépens, la Cour tient compte du principe réitéré par la juge Layden‑Stevenson dans Johnson & Johnson Inc. c Boston Scientific Ltd., 2008 CF 817, au paragraphegraphe 3, [2008] ACF no 1022 [Johnson & Johnson], selon lequel « [l]es dépens ne doivent être ni punitifs ni extravagants. Il existe un principe fondamental selon lequel l’adjudication des dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe [...] ».

 

                   I.                  Le barème des dépens

[5]               En règle générale, la partie qui obtient gain de cause — en l’occurrence Apotex — a droit à ses dépens. Selon l’article 407 des Règles, ces dépens sont généralement taxés selon l'échelon médian de la colonne III du tarif B, avec certains autres honoraires et débours. Cependant, selon de nombreux jugements découlant de causes concernant des brevets pharmaceutiques, les dépens doivent être taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, en raison de la complexité des questions soulevées dans ces causes (voir, par exemple, Sanofi‑Aventis Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 1138, au paragraphe 14, [2009] ACF no 1626 et Sanofi‑Aventis Canada Inc. c Novopharm Limitée, 2009 CF 1139, au paragraphe 13 [désignés collectivement comme les procédures en contrefaçon du ramipril]; Johnson & Johnson, au paragraphe 15; Adir c Apotex Inc., 2008 CF 1070, aux paragraphes 9‑11, [2008] ACF no 1343 [Adir]; Kirkbi AG c Ritvik Holdings Inc., 2002 CFPI 1109, au paragraphe 10, [2002] ACF no 1474 [Kirkbi AG]).

 

[6]               En l’espèce, Apotex prétend que Sanofi a perdu un procès dont les enjeux étaient élevés et que, conformément à la jurisprudence établie, ses dépens devraient également être taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B, compte tenu des sommes réclamées et des sommes recouvrées (alinéa 400(3)b) des Règles), d’une part, et de l’importance et de la complexité des questions en litige (alinéa 400(3)c) des Règles), d’autre part.

 

[7]               Sanofi affirme, dans sa réponse, que les dépens d’Apotex devraient être taxés conformément à la colonne III du tarif B et que seuls les dépens de neuf (9) jours de l’instruction devraient être taxés. Sanofi fait de plus valoir que les questions en litige n’étaient pas complexes (alinéa 400(3)c) des Règles), que la question a été soumise rapidement à la Cour et que l’instance n’a pas occasionné une lourde charge de travail (alinéa 400(3)g) des Règles).

 

[8]               La Cour affirme que l’instruction de l’instance a duré vingt-six (26) jours au total à Toronto et à Ottawa, en français et en anglais. Les interrogatoires préalables se sont pour leur part échelonnés sur vingt-trois (23) jours. À l’instruction, les parties ont produit plus de mille (1 000) documents et fait entendre vingt-trois (23) experts et témoins des faits, et un total de deux cent onze (211) pièces ont été cotées (observations d’Apotex Inc. et d’Apotex Pharmachem Inc. sur les dépens, au paragraphe 12). Dans ces circonstances, et compte tenu des sommes en cause et de la nature des questions soulevées dans la présente affaire, la Cour est d’avis que, au regard de la jurisprudence précitée, la complexité de la présente action justifie la taxation des dépens selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B.

 

                II.                  L’issue de l’action

[9]               Apotex affirme qu’elle a droit à la totalité de ses dépens (100 %), puisqu’elle a essentiellement obtenu gain de cause dans la présente affaire (alinéa 400(3)a) des Règles). En effet, même si elle n’a pas obtenu un jugement en sa faveur sur tous les points, Apotex soutient qu’elle a obtenu gain de cause sur les trois principales questions en litige relatives à la validité du brevet 777, soit celles de l’interprétation, de la prédiction valable et de l’évidence. Apotex prétend également que la partie qui a obtenu gain de cause ne devrait pas être sanctionnée, sauf s’il est établi qu’elle a fait un usage abusif de la procédure judiciaire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Pour finir, Apotex affirme que, contrairement à ce qu’avance Sanofi, il ne s’agissait pas d’une affaire où une partie a obtenu gain de cause sur de simples questions distinctes.

 

[10]           Pour sa part, Sanofi affirme que les dépens adjugés à Apotex doivent être réduits, puisque cette dernière n’a pas obtenu gain de cause sur plusieurs des questions en litige, notamment une partie de ses contestations de la validité et sur la question de la contrefaçon. Sanofi indique également qu’elle a obtenu gain de cause sur la quasi‑totalité des questions en litige et des questions de fait soumises à la Cour et que, de ce fait, Apotex ne devrait pas avoir droit à plus de la moitié (50 %) de ses dépens.

 

[11]           Comme il a déjà été mentionné précédemment, la partie qui obtient gain de cause a généralement droit à ses dépens. Cependant, lorsque le succès d’une action est partagé ou limité à certaines des questions en litige, la Cour peut ordonner que le montant total des dépens qui ont été adjugés soit réduit (voir Johnson & Johnson; Adir; les procédures en contrefaçon du ramipril, précitées).

 

[12]           En l’espèce, la Cour souligne que les arguments d’Apotex sur les questions relatives à la qualité pour agir et à l’interprétation des revendications et certaines parties de ses arguments sur la validité du brevet — la portée excessive, le caractère suffisant, l’antériorité et le double brevet — n’ont pas été retenus par la Cour. Mais le point le plus important c’est que la Cour a également conclu qu’Apotex s’était rendue coupable de contrefaçon relativement au brevet 777, bien que ce point fût devenu sans objet après que la Cour eut conclu que le brevet était invalide. Par conséquent, compte tenu de l’analyse qui précède, la Cour est d’avis que les dépens adjugés à Apotex devraient être réduits de vingt pour cent (20 %).

 

             III.                  La conduite des parties

[13]           Sanofi défend la position que les dépens adjugés à Apotex devraient également être réduits, au vu de sa conduite durant l’instance et des facteurs décrits aux alinéas 400(3)i) et 400(3)j) des Règles. Sanofi soutient que la conduite et la stratégie d’Apotex ont eu pour effet de prolonger inutilement la durée de l’instance, d’accroître les coûts et de compliquer l’instance au complet. Sanofi insiste plus particulièrement sur le fait qu’Apotex a refusé d’admettre certains faits qui ont été prouvés par la suite et qu’elle n’a pas retiré plusieurs arguments que la Cour a jugés peu convaincants. Par conséquent, Sanofi soutient qu’ elle ne devrait pas être sanctionnée pour la conduite d’Apotex.

 

[14]           Apotex plaide pour sa part que la Cour n’a pas conclu qu’elle avait fait un usage abusif de la procédure et que rien ne justifie par conséquent que les dépens qui lui ont été adjugés soient réduits. Apotex attire également l’attention sur la conduite de Sanofi durant l’instance et affirme qu’un grand nombre de demandes d’aveux présentées par Sanofi comportait un vice de forme et qu’au demeurant Apotex a admis de nombreux faits. De même, Apotex précise qu’elle n’a pas prolongé inutilement la durée de l’instance, d’autant plus que son interrogatoire préalable lui a permis de préparer des rapports qui se sont révélés utiles pour la Cour. Apotex indique en plus que Sanofi n’a pas chiffré la quantité de temps et de ressources qu’elle accuse Apotex d’avoir gaspillés.

 

[15]           Après examen des arguments des parties, la Cour conclut qu’elle ne peut pas sanctionner l’une ou l’autre des parties pour leur conduite durant l’instance, laquelle fut typique des litiges sur les brevets qui sont le plus souvent complexes et ardus. Il y a eu des moments difficiles, certes, mais rien qui puisse être considéré comme un usage abusif de la procédure. Cela étant, la Cour ne voit aucune raison de réduire encore davantage les dépens adjugés à Apotex du fait d’un usage abusif de la procédure (voir Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2002 CFPI 439, au paragraphe 20, [2002] ACF no 566, [Monsanto]).

 

              IV.                  Les honoraires des avocats et les débours

[16]           Apotex réclame les honoraires et débours de deux (2) avocats principaux et d’un (1) avocat adjoint pour la préparation de l’instruction et la présence à celle-ci, ainsi que les honoraires et les débours raisonnables d’un (1)  avocat principal et d’un (1) avocat adjoint pour toutes les procédures préalables à l’instruction. Apotex prétend que les débours devraient comprendre les frais de déplacement et de logement et les autres dépenses connexes.

 

[17]           Sanofi estime qu’Apotex ne devrait pas avoir le droit de recouvrer des sommes pour les modifications qu’elle a apportées à ses actes de procédure, puisqu’un grand nombre de ces modifications ont été rejetées par la Cour. Sanofi plaide de plus qu’Apotex ne devrait pas avoir le droit de recouvrer les dépenses engagées pour la préparation des documents relatifs à des requêtes autres que ceux que la Cour lui a ordonné de produire. Sanofi affirme également que les dépenses engagées par Apotex pour la communication des documents et les interrogatoires préalables oraux ne devraient pas être prises en compte parce que les documents et les interrogatoires étaient trop longs et parfois même inutiles.

 

[18]           Même si les affaires de brevets pharmaceutiques ne soulèvent pas de questions de droit complexes, la Cour relève que celles-ci peuvent donner lieu à des procédures laborieuses. La Cour rappelle que, dans la présente affaire, l’action a été instruite moins de deux (2) ans après avoir été instituée. La Cour affirme également que, abstraction faite du rythme et du volume de travail, les parties ont toutes été représentées par de nombreux avocats pendant l’instruction. Dans les circonstances, vu la charge de travail (alinéa 400(3)g) des Règles), la Cour est disposée à autoriser Apotex à recouvrer les dépens de deux (2) avocats principaux et d’un (1) avocat adjoint pour la préparation de l’instruction et la présence à celle-ci, ainsi que pour la préparation et le dépôt des plaidoyers écrits et la présence à cette fin durant l’instruction (articles 13 à 15 du tarif B).

 

[19]           Pour ce qui est des questions préliminaires à l’instruction, Apotex est autorisée à recouvrer les honoraires et les débours raisonnables (y compris les frais de déplacement et de logement et les autres dépenses connexes) d’un (1) avocat principal et d’un (1) avocat adjoint pour toutes les procédures préalables à l’instruction (articles 1 à 12, 16 à 22 et 24 du tarif B), en ce qui concerne :

·              la préparation des actes de procédure;

 

·              la préparation des documents relatifs aux requêtes et la présence à l’instruction des requêtes (à l’exclusion de celles dont les dépens ont été expressément attribués ou adjugés à Sanofi);

 

·              la communication des documents et les interrogatoires préalables (y compris les périodes de déplacement raisonnables pour assister aux interrogatoires préalables qui se sont tenus à l’extérieur du lieu de résidence habituel des personnes qui y ont pris part);

 

·              la préparation des affidavits des experts qui ont comparu à l’instruction;

 

·              la préparation des témoins qui ont comparu à l’instruction;

 

·              la préparation des conférences préparatoires et la présence à celles‑ci.

 

 

                 V.                  Les honoraires des experts

[20]           En ce qui concerne les honoraires des experts, Apotex réclame les honoraires et les débours des experts qui ont comparu et témoigné pour son compte à l’instruction et des experts qui ont aidé les avocats à examiner et à comprendre les rapports d’autres experts et à préparer leur dossier en vue du contre‑interrogatoire des experts de la partie adverse et des interrogatoires préalables. Apotex précise également qu’elle a le droit de recouvrer les honoraires et débours des experts qui ont assisté à l’instruction afin d’entendre le témoignage d’un expert de la partie adverse sur des questions dont ils discutent dans leur propre rapport.

 

[21]           À l’inverse, Sanofi plaide qu’Apotex ne devrait être autorisée qu’à recouvrer les dépenses nécessaires et raisonnables qui ont été engagées pour la déposition des témoins experts à l’instruction, suivant l’alinéa 400(3)n.1) des Règles. À ce propos, Sanofi formule des réserves au sujet des débours réclamés par Apotex et avance essentiellement qu’Apotex cherche à recouvrer les dépenses relatives aux experts qui ont été jugés inhabiles à témoigner par le soussigné dans ses motifs de l’ordonnance et l’ordonnance rendus le 14 décembre 2010.

 

[22]           Compte tenu de la jurisprudence établie sur la question des honoraires des experts, la Cour conclut qu’Apotex ne peut recouvrer que les honoraires et les débours des experts qui ont comparu et témoigné à l’instruction. Il s’ensuit qu’aucune somme ne sera adjugée pour les experts qui n’ont pas comparu à l’instruction. Cela dit, Apotex peut également recouvrer les honoraires et les débours des experts qui ont témoigné à l’instruction et qui ont aidé les avocats à examiner et à comprendre les rapports d’autres experts, ainsi qu’à préparer leur dossier en vue du contre-interrogatoire des experts de la partie adverse et des interrogatoires préalables.

 

              VI.                  L’offre de règlement

[23]           Apotex attire l’attention, dans ses observations, sur une offre écrite de règlement qui a été faite à Sanofi le 1er avril 2011 — dix-sept (17) jours avant le début de l’instruction — et que cette dernière n’a pas acceptée. Apotex est d’avis que les modalités de cette offre permettent de doubler ses dépens suivant l’article 420 et l’alinéa 400(3)e) des Règles.

 

[24]           L’article 420 des Règles des Cours fédérales est ainsi rédigé :

OFFRES DE RÈGLEMENT

 

Conséquences de la non‑acceptation de l’offre du demandeur

 

420. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le demandeur fait au défendeur une offre écrite de règlement, et que le jugement qu’il obtient est aussi avantageux ou plus avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie‑partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite, au double de ces dépens mais non au double des débours.

 

Conséquences de la non‑acceptation de l’offre du défendeur

 

(2) Sauf ordonnance contraire de la Cour et sous réserve du paragraphe (3), si le défendeur fait au demandeur une offre écrite de règlement, les dépens sont alloués de la façon suivante :

a) si le demandeur obtient un jugement moins avantageux que les conditions de l’offre, il a droit aux dépens partie‑partie jusqu’à la date de signification de l’offre et le défendeur a droit, par la suite et jusqu’à la date du jugement au double de ces dépens mais non au double des débours;

 

 

b) si le demandeur n’a pas gain de cause lors du jugement, le défendeur a droit aux dépens partie‑partie jusqu’à la date de signification de l’offre et, par la suite et jusqu’à la date du jugement, au double de ces dépens mais non au double des débours.

 

Conditions

 

(3) Les paragraphes (1) et (2) ne s’appliquent qu’à l’offre de règlement qui répond aux conditions suivantes :

 

a) elle est faite au moins 14 jours avant le début de l’audience ou de l’instruction;

 

b) elle n’est pas révoquée et n’expire pas avant le début de l’audience ou de l’instruction.

OFFER TO SETTLE

 

Consequences of failure to accept plaintiff’s offer

 

 

420. (1) Unless otherwise ordered by the Court and subject to subsection (3), where a plaintiff makes a written offer to settle and obtains a judgment as favourable or more favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff is entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and costs calculated at double that rate, but not double disbursements, after that date.

 

Consequences of failure to accept defendant’s offer

 

 

(2) Unless otherwise ordered by the Court and subject to subsection (3), where a defendant makes a written offer to settle,

 

 

(a) if the plaintiff obtains a judgment less favourable than the terms of the offer to settle, the plaintiff is entitled to party-and-party costs to the date of service of the offer and the defendant shall be entitled to costs calculated at double that rate, but not double disbursements, from that date to the date of judgment; or

 

(b) if the plaintiff fails to obtain judgment, the defendant is entitled to party-and-party costs to the date of the service of the offer and to costs calculated at double that rate, but not double disbursements, from that date to the date of judgment.

 

 

Conditions

 

(3) Subsections (1) and (2) do not apply unless the offer to settle

 

 

(a) is made at least 14 days before the commencement of the hearing or trial; and

 

(b) is not withdrawn and does not expire before the commencement of the hearing or trial.

 

[25]           Sanofi affirme, quant à elle, que l’offre de règlement faite par Apotex ne constituait pas une offre véritable de règlement, principalement parce qu’elle ne comportait pas l’élément de compromis ou d’incitation à l’accepter. Sanofi attire plus particulièrement l’attention sur le fait que l’incitation à accepter l’offre de règlement en cause était exclusivement subordonnée à la date du prononcé du jugement plutôt qu’à l’issue proprement dite de la cause. À cet égard, Sanofi soutient que cette offre hypothétique de règlement ne peut pas être considérée comme une offre claire et sans équivoque ni constituer un compromis ou une incitation à accepter l’offre.

 

[26]           Sanofi plaide en outre que les exigences de l’article 420 des Règles ne sont pas satisfaites en l’espèce, puisque le jugement définitif prononcé le 6 décembre 2011 est moins avantageux pour Apotex que ne l’est l’offre de règlement. Aux termes de l’offre de règlement, Sanofi aurait perdu le droit de contraindre Apotex à respecter le brevet 777 le 1er septembre 2011 et le droit d’exclusivité sur le marché le 1er janvier 2012. Or, dans la présente affaire, Sanofi a perdu le droit de faire respecter le brevet le 6 décembre 2011. Sanofi attire également l’attention sur le fait que, en date du 12 janvier 2012, aucun produit générique n’avait été inscrit au formulaire. Par conséquent, Sanofi affirme que, dans les circonstances, Apotex ne devrait pas avoir droit au double de ses dépens.

 

[27]           L’offre de règlement d’Apotex prévoit plus particulièrement (i) l’aveu de la part d’Apotex qu’elle s’est rendue coupable de contrefaçon relativement au brevet 777; (ii) une injonction interdisant la contrefaçon du brevet 777 jusqu’au 31 décembre 2011 inclusivement; (iii) le rejet des autres réclamations des parties; (iv) l’octroi par Sanofi d’une licence non exclusive à Apotex pour fabriquer, utiliser, importer (et pour avoir fabriqué, utilisé et importé) des produits contenant du clopidogrel, à compter du 1er septembre 2011, et pour vendre de tels produits, à compter du 1er janvier 2012; et (v) une déclaration d’assentiment par Sanofi à la délivrance de l’avis de conformité d’Apotex en date du 1er septembre 2011, aux fins de l’inscription des produits sur les formulaires provinciaux, et prenant effet au plus tôt le 1er janvier 2012.

 

[28]           Avant de se prononcer sur l’applicabilité de l’article 420 des Règles, la Cour doit d’abord décider si l’offre d’Apotex constitue une offre de règlement.

 

[29]           Dans les procédures en contrefaçon du ramipril, précitée, la juge Snider a souligné que l’article 420 des Règles a des conséquences importantes sur les dépens lorsqu’une offre écrite de règlement est faite et que le jugement est prononcé en faveur de la partie qui a fait cette offre. Comme il fallait s’y attendre, le principe qui se dégage de la jurisprudence est que les dépens ne peuvent être doublés que si l’offre de règlement répond à certaines exigences. Ces exigences ont été décrites en détail par la juge Tremblay‑Lamer dans l’arrêt M.K. Plastics Corp. c Plasticair inc., 2007 CF 1029, au paragraphe 39, [2007] ACF no 1348, comme il suit :

 

[39] Pour que la règle du doublement des dépens s’applique, l’offre doit être claire et sans équivoque, c’est-à-dire qu’elle ne doit laisser à la partie adverse que l’alternative de l’accepter ou de la refuser (Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals, 2001 CAF 137, [2001] ACF no 727 (QL), au paragraphegraphe 10). L’offre doit également comporter un élément de compromis (ou d’incitation à l’accepter) (Association olympique canadienne c. Olymel, Société en commandite, [2000] ACF no 1725 (QL), au paragraphegraphe 10). En outre, elle doit être présentée en temps utile de sorte qu’elle soit toujours avantageuse pour la partie adverse si celleci l’accepte (Sanmammas Compania Maritima S.A. c. Netuno (Le), Action in rem contre le navire « Netuno », [1995] ACF no 1442 (QL), aux paragraphesgraphes 30 et 31). Finalement, si elle est acceptée, l’offre doit mettre fin au litige entre les parties (TRW, précité, à la page 456).

 

 

[30]           C’est la partie qui demande l’application de l’article 420 des Règles — en l’occurrence Apotex —, qui doit prouver que le jugement est aussi avantageux ou plus avantageux que les modalités de l’offre de règlement.

 

[31]           À première vue, l’offre de règlement faite par Apotex semble être claire et sans équivoque. Cette offre a par ailleurs été présentée en temps utile, et elle aurait mis fin au litige entre les parties si elle avait été acceptée. De même, l’offre de règlement d’Apotex était légèrement plus avantageuse que ne l’était le résultat de l’instance (perte du droit le 6 décembre 2011 plutôt que le 1er janvier 2012).

 

[32]           Cependant, un examen plus attentif de l’offre de règlement révèle qu’aucune mesure incitative n’a été offerte à Sanofi pour accepter cette offre. En fait, même si Apotex admet dans son offre de règlement s’être rendue coupable de contrefaçon relativement au brevet 777, elle n’offre pas de compromis en contrepartie; les avantages de l’offre sont à sens unique, car ils sont tous conférés à Apotex; Sanofi n’aurait rien reçu (ou presque) en contrepartie si elle avait accepté cette offre de règlement (Baker Petrolite Corp. c Canwell Enviro‑Industries Ltd., 2002 CAF 482, au paragraphe 4 b), [2002] ACF no 1710, [Baker Petrolite]; ITV Technologies, Inc. c WIC Television Ltd., 2005 CF 744, aux paragraphes 7‑11, [2005] ACF no 934, [ITV Technologies]). Pour être acceptable, l’offre de règlement d’Apotex aurait dû comprendre plus que le simple aveu qu’elle s’était rendue coupable de contrefaçon relativement au brevet. Fait important à noter, l’offre de règlement ne contenait rien en guise de dédommagement ni même quelque mention du préjudice causé par la contrefaçon du brevet qui aurait pu inciter Sanofi à accepter cette offre et à mettre un terme au litige.

 

[33]           L’absence d’élément de « compromis » est un aspect qui ne peut pas être écarté. Dans l’arrêt Association olympique canadienne c Olymel, Société en commandite, [2000] ACF no 1725, aux paragraphes 10-13, 195 F.T.R. 216, une décision qui portait sur des marques de commerce, le juge Lemieux a formulé les observations suivantes, qui s’appliquent particulièrement en l’espèce : 

 

[10] À tout le moins pour la présente adjudication des dépens, qui ne se présente pas dans le cadre d'une action, mais dans le contexte de l'appel d'une décision par laquelle le registraire des marques de commerce a permis à Olymel d'enregistrer deux marques de commerce, j'estime que l'élément de compromis (ou d'incitation à accepter l'offre) constitue un élément essentiel de toute offre de règlement. D'autres considérations peuvent entrer en ligne de compte lors de l'examen d'une offre de règlement portant sur des dommages‑intérêts liquidés ou non liquidés dans une action.

 

[11] Ainsi que le juge Morden l'a souligné dans l'arrêt Data General, précité, l'offre de règlement a pour objet d'inciter les parties à mettre fin au litige en concluant une entente, ce qui est plus rapide et moins coûteux qu'un jugement rendu par le tribunal à l'issue du procès. Il a ajouté que l'incitation à transiger constitue un mécanisme qui permet au demandeur de faire une offre sérieuse au sujet de son estimation de la valeur de la demande, obligeant ainsi le défendeur à procéder dès le début à un examen attentif du fond de l'affaire.

 

[12] Ainsi que l'avocat de l'AOC l'a soutenu, l'offre d'Olymel ne contenait aucun élément de compromis, malgré le fait qu'Olymel l'ait faite après avoir déposé son mémoire des faits et du droit qui, à mon sens, n'était pas persuasif et convaincant au point de ne plus justifier la poursuite de l'appel de l'AOC. Dans ces conditions, Olymel demandait effectivement à l'AOC de se désister d'un appel défendable. L'offre d'Olymel ne favorisait pas, selon moi, les objectifs des dispositions des Règles relatives aux offres de règlement.

 

[13] Dans des situations analogues, faute d'élément de compromis, une offre de règlement pourrait devenir un mécanisme très facile permettant au défendeur d'obtenir le double des dépens, ce qui, de toute évidence, ne saurait être ce que visent les Règles.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[34]           La Cour affirme en outre que l’article 420 des Règles doit être appliqué de façon méthodique en tenant compte des faits particuliers de l’espèce. Pour être plus précis, même si la Cour souligne que l’article 420 des Règles peut inciter les parties à mettre fin au litige, et permettre ainsi aux parties et à la Cour d’économiser de rares ressources et de gagner un temps précieux, il faut se garder d’appliquer cette disposition de façon machinale, en raison du risque réel de causer un préjudice à la partie qui n’a pas reçu de véritable incitation à mettre un terme au litige. C’est pourquoi chaque offre de règlement doit être examinée au cas par cas afin d’éviter qu’il y ait des abus à cet égard. En l’espèce, la Cour est d’avis que l’offre de règlement d’Apotex ne comporte pas le facteur pertinent, soit l’élément de compromis ou d’incitation à accepter l’offre. Pour ces motifs, l’offre ne déclenche pas l’application de l’article 420 des Règles, et cette disposition n’est donc pas applicable dans les circonstances.

 

           VII.                  Résumé

[35]           Aux termes du pouvoir discrétionnaire conféré à la Cour en matière d’adjudication des dépens, et après examen des facteurs pertinents, Apotex aura droit à ses dépens selon les modalités suivantes :

·              les dépens adjugés seront taxés selon l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B;

 

·              Apotex peut recouvrer les honoraires d’un (1) avocat principal et d’un (1) avocat adjoint pour toutes les procédures préalables à l’instruction, y compris les débours raisonnables au titre des déplacements et du logement et les dépenses connexes, tel qu’il est indiqué au paragraphegraphe 19 des présents motifs;

 

·              Apotex peut recouvrer les honoraires de deux (2) avocats principaux et d’un (1) avocat adjoint pour la préparation de l’instruction et la présence à celle‑ci;

 

·              Apotex peut recouvrer les honoraires et débours des experts qui ont comparu et témoigné à l’instruction;

 

·              Apotex peut recouvrer les honoraires et débours liés aux experts qui ont témoigné à l’instance et qui ont aidé les avocats à examiner et à comprendre les rapports d’autres experts, ainsi qu’à préparer leur dossier en vue du contre‑interrogatoire des experts de la partie adverse et des interrogatoires préalables.

 

 

[36]           La Cour conclut également que les dépens adjugés à Apotex seront réduits de vingt pour cent (20 %). Apotex a donc droit à quatre-vingts pour cent (80 %) de ses dépens, lesquels seront taxés par l’officier taxateur conformément aux présents motifs du jugement. Pour finir, les dépens attribués à Sanofi dans les ordonnances rendues avant l’instruction seront défalqués.

 

POST‑SCRIPTUM

[1]               Les présents motifs du jugement sur les dépens sont une version non expurgée des motifs confidentiels qui ont été prononcés le 16 mars 2012, conformément à la directive de la Cour portant la même date.

 

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 16 mars 2012

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-644-09

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Apotex Inc. c Sanofi‑Aventis

                                                           

 

DOSSIER :                                                    T-933-09

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :                        Sanofi-Aventis et Bristol‑Myers Squibb Sanofi

                                                                        Pharmaceuticals Holdings Partnership

                                                                        c Apotex Inc., Apotex Pharmachem Inc.

                                                                        et Signa Sa de CV

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES (SUR LES DÉPENS)

 

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT SUR LES DÉPENS :       LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                                   Le 16 mars 2012

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Harry B. Radomski

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Anthony G. Creber

Cristin A. Wagner

Marc Richard

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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