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Date : 20120328


Dossier : IMM-4293-11

Référence : 2012 CF 360

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 mars 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

RANJIT SINGH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision d’un agent des visas (l’agent), au Haut-commissariat du Canada à New Delhi, en Inde, de refuser la demande de permis de travail temporaire qu’il avait présentée en tant que travailleur qualifié. La décision a été rendue le 18 mai 2011. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 


Faits

 

[2]               Le demandeur voudrait travailler à temps plein comme aide de cuisine à l’hôtel North, à Goose Bay, au Labrador. Il a présenté une lettre de son employeur potentiel ainsi qu’un avis favorable relatif au marché du travail. Il a aussi produit :

a.       une lettre de soutien de son ancien employeur, dans l’armée indienne, indiquant qu’il avait une connaissance suffisante de l’anglais pour travailler comme aide de cuisine;

b.      une lettre de soutien de son employeur actuel confirmant qu’il comprenait suffisamment l’anglais pour accomplir ses tâches d’aide de cuisine au Canada; et

c.       une lettre de soutien de son employeur éventuel au Canada indiquant qu’il avait personnellement parlé au demandeur et avait trouvé suffisantes ses aptitudes linguistiques.

 

[3]               Le demandeur notait aussi les faits suivants concernant ses liens avec l’Inde :

a.       il n’a pas de proches parents au Canada;

b.      son épouse, ses deux enfants, ses parents et ses frères et sœurs résident tous en Inde;

c.       son épouse et lui ont en Inde un patrimoine combiné de 55 718 $CAN;

d.      il recevra la moitié de la succession de son père au décès de celui-ci, pour un total d’environ 53 000 $CAN;

e.       son employeur actuel avait écrit une lettre confirmant qu’il lui serait possible de retourner à son poste quand il reviendrait du Canada.

 

[4]               L’agent a rejeté la demande de permis de travail temporaire, pour deux motifs principaux :

a.       il a estimé que les aptitudes linguistiques du demandeur étaient déficientes; et

b.      il a estimé que le demandeur n’aurait aucune raison de vouloir retourner en Inde étant donné l’écart des rémunérations entre l’Inde et le Canada.

 

[5]               Les notes complètes apparaissant dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) sont ici reproduites :

[TRADUCTION]

HOMME MARIÉ, ÉPOUSE ET DEUX ENFANTS EN INDE, N’A JAMAIS VOYAGÉ AUPARAVANT;

SELON L’AVIS RELATIF AU MARCHÉ DU TRAVAIL, LE CANDIDAT TRAVAILLERA AU CANADA COMME CUISINIER À TERRE-NEUVE, POUR 10,25 $ L’HEURE À RAISON DE 40 HEURES PAR SEMAINE; VOIR NOTES ANTÉRIEURES POUR ANTÉCÉDENTS DE TRAVAIL. LE CANDIDAT GAGNE 3 500 ROUPIES INDIENNES PAR MOIS (77 $CAN) ET IL GAGNERAIT PLUS DE 21 000 $ AU CANADA. VU LA GRANDE DISPARITÉ ENTRE LA RÉMUNÉRATION FUTURE DU CANDIDAT AU CANADA ET SA RÉMUNÉRATION EN INDE, ET VU LES MEILLEURES CONDITIONS DE TRAVAIL AU CANADA, IL SEMBLE QUE LE CANDIDAT NE SERAIT GUÈRE INCITÉ FINANCIÈREMENT À RETOURNER EN INDE S’IL EST ADMIS AU CANADA. IL A DÉCLARÉ QU’IL HÉRITERA D’UNE TERRE ANCESTRALE. IL A UNE ASSURANCE-VIE, DES BIJOUX ET DES LIQUIDITÉS SE CHIFFRANT À 985 000 ROUPIES INDIENNES (ENVIRON 21 800 $CAN). EXIGENCES LINGUISTIQUES : ANGLAIS ÉCRIT ET PARLÉ. IL N’EST PAS PROUVÉ QUE LE CANDIDAT PEUT PARLER OU ÉCRIRE L’ANGLAIS. DANS SA COMMUNICATION DATÉE DU 6 MAI 2011, SON CONSEIL AFFIRME QUE L’EMPLOYEUR ÉVENTUEL A PARLÉ AU CANDIDAT ET A TROUVÉ SUFFISANTE SA CONNAISSANCE DE L’ANGLAIS PARLÉ ET ÉCRIT. C’EST AU CANDIDAT QU’IL APPARTIENT DE PROUVER QU’IL A LES APTITUDES QU’IL PRÉTEND AVOIR. IL EST ÉVIDENT QU’UN MINIMUM D’APTITUDES LINGUISTIQUES EST UNE CONDITION INDISPENSABLE POUR TRAVAILLER AU CANADA. LE TRAVAIL LUI-MÊME PEUT NE PAS EXIGER DU CANDIDAT QU’IL AIT DES APTITUDES LINGUISTIQUES, MAIS VIVRE AU CANADA REQUIERT DE TELLES APTITUDES. DES APTITUDES LINGUISTIQUES MOYENNES QUI SONT DÉMONTRÉES NON SEULEMENT PERMETTRONT AU CANDIDAT DE MIEUX COMPRENDRE SES TÂCHES EN LUI PERMETTANT DE COMMUNIQUER AVEC L’EMPLOYEUR OU LES COLLÈGUES DE TRAVAIL, MAIS ENCORE DE TELLES APTITUDES LUI APPORTERONT UNE PROTECTION. IL SERA EN MESURE DE MIEUX COMMUNIQUER AVEC LES AUTORITÉS ET DE MIEUX COMPRENDRE LES QUESTIONS DE SÉCURITÉ SUR LE LIEU DE TRAVAIL (PROCÉDURES DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL, CONSIGNES À SUIVRE EN CAS D’URGENCE, ETC.). COMME IL EST NÉCESSAIRE POUR UN TRAVAILLEUR DE COMPRENDRE NOTAMMENT SES DROITS, IL LUI FAUT DAVANTAGE QU’UNE COMPRÉHENSION DE BASE. SANS DES APTITUDES LINGUISTIQUES, LE CANDIDAT POURRAIT ÊTRE DAVANTAGE EXPOSÉ AUX ABUS DE L’EMPLOYEUR OU AUTRES PERSONNES. EU ÉGARD AUX DOCUMENTS SOUMIS, JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE CANDIDAT NE DEMEURERAIT PAS OU NE TRAVAILLERAIT PAS ILLÉGALEMENT AU CANADA POUR SUBVENIR AUX BESOINS DE SA FAMILLE EN INDE. JE NE SUIS PAS CONVAINCU QUE LE CANDIDAT A PROUVÉ QU’IL SE CONFORMERA À L’ALINÉA 200(1)B) DU RIPR. DEMANDE REFUSÉE.

 

 

[6]               La lettre de décision envoyée au demandeur indiquait les motifs suivants à l’appui du refus :

a.       le demandeur n’était pas en mesure de prouver qu’il répondait suffisamment aux exigences de son emploi éventuel; et

b.      le demandeur n’avait pas convaincu le décideur qu’il quitterait le Canada à la fin de la période indiquée dans son visa (compte tenu de ses antécédents en matière de voyages, de son avoir personnel et de sa situation financière).

Points litigieux et norme de contrôle

 

[7]               L’argument principal du demandeur est que la conclusion selon laquelle il ne quitterait pas le Canada à la fin de la période de séjour proposée était déraisonnable, et que l’agent a commis une importante erreur de fait en rejetant sa demande au motif qu’il n’avait pas apporté la preuve montrant qu’il pouvait parler ou écrire l’anglais.

 

[8]               Les décisions des agents des visas appellent une retenue considérable et pour cette raison elles sont revues d’après la norme de la décision raisonnable : Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 751, 208 FTR 99 (1re inst), au paragraphe 26; Benammar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 1176, 112 ACWS (3d) 137 (1re inst), au paragraphe 27; Reznitski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 93, au paragraphe 11.

 

Analyse

[9]               Deux précédents permettent de structurer l’analyse de la décision contestée : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, et Chhetri c Canada, 2011 CF 872.

 

[10]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, la Cour suprême du Canada explicitait l’approche à adopter dans le contrôle judiciaire du raisonnement à l’origine d’une décision. Elle soulignait que les motifs d’une décision n’ont pas à faire état de tous les motifs, arguments ou autres détails et que « le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement […] qui a mené à sa conclusion finale ». La juridiction de contrôle doit simplement être en mesure de comprendre pourquoi la décision a été rendue. Les motifs « doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ».

 

[11]           Les points soulevés par la présente affaire sont semblables à ceux dont j’étais saisi dans Chhetri. Dans ce précédent, j’écrivais ce qui suit, au paragraphe 9 :

Le paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) et la section 3 de la partie 11 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) (le Règlement) ont pour effet combiné d’exiger que les agents des visas soient convaincus que les intéressés ne sont pas interdits de territoire et qu’ils quitteront le Canada au moment où leur visa expirera. On oublie souvent qu’il doit être « établi » que l’étranger quittera le pays à la fin de son visa. L’effet combiné de la LIPR et du Règlement ne donne pas grand latitude aux agents pour accorder le bénéfice du doute aux demandeurs; il existe plutôt une obligation positive selon laquelle il doit être établi, avant la délivrance du visa, que l’étranger quittera le pays.

 

 

[12]           Pareillement, le demandeur doit établir qu’il remplit les exigences du poste pour lequel il voudrait venir au Canada. En l’espèce, le demandeur n’a pas rempli son obligation de prouver qu’il répond aux exigences linguistiques de la description d’emploi. Des documents faisaient état de ses aptitudes linguistiques, notamment une lettre de son supérieur, un commandant de l’armée indienne, et une autre de son employeur à l’hôtel où il travaillait, mais ces lettres ne confirmaient pas son aptitude à parler ou écrire l’anglais; elles confirmaient simplement son aptitude à comprendre l’anglais.

 

[13]           Les motifs de l’agent n’indiquent pas explicitement que les lettres sont déficientes en raison du fait qu’elles ne disent rien des aptitudes du demandeur à écrire ou à parler l’anglais. Cependant, il serait contraire aux directives données par la Cour suprême dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union d’exiger qu’une telle indication apparaisse dans les motifs de la décision de l’agent. L’agent a pris en considération les lettres, mais il a conclu que la capacité du demandeur à s’exprimer en anglais ne justifiait pas l’attribution du permis de travail. Au vu du dossier, il était raisonnablement loisible à l’agent de tirer cette conclusion, et la demande doit donc être rejetée.

 

[14]           J’arrive à cette conclusion même si je me range à l’avis du demandeur selon lequel l’agent a commis une erreur en se fondant uniquement sur la disparité des rémunérations entre l’Inde et le Canada, pour conclure ensuite que le demandeur n’était pas un travailleur temporaire authentique. Comme je l’écrivais dans la décision Chhetri, l’écart des rémunérations ne peut être la seule raison de refuser la délivrance d’un visa de travail temporaire. C’est un volet nécessaire de la décision, mais ce n’est pas l’unique aspect de l’analyse.

 

[15]           En l’espèce, bien que la lettre de refus laisse aussi apparaître un doute à propos des antécédents du demandeur en matière de voyages, ce doute n’est nulle part exprimé dans les notes du SMGC. L’unique point mentionné dans l’analyse portant sur la question de savoir si le demandeur était un travailleur temporaire authentique concernait le relatif avantage économique dont bénéficierait le demandeur en travaillant au Canada. Cependant, comme l’agent a estimé avec raison que le demandeur ne remplissait pas les exigences linguistiques nécessaires, cette conclusion ne change pas l’issue de la demande de visa.

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[17]           Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune ne se pose ici.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée, et aucune ne se pose ici.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4293-11

 

 

INTITULÉ :                                      RANJIT SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 18 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                            LE JUGE RENNIE

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                     Le 28 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Orman

POUR LE DEMANDEUR

 

Teresa Ramnarine

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Orman
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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