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Date : 20120402


Dossier : IMM-6156-11

Référence : 2012 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

ENTRE :

 

SINNAIA SORUBARANI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], le contrôle judiciaire de la décision de l’agente d’exécution A. Wong (l’agente), de l’Agence des services frontaliers du Canada, datée du 31 août 2011, par laquelle elle a refusé de reporter l’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre elle.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

II.        Les faits

 

[3]               La demanderesse est Sri-lankaise.

 

[4]               Elle est arrivée au Canada le 20 juin 2000 et a immédiatement présenté une demande d'asile. Sa demande d’asile et sa demande de contrôle judiciaire déposée devant la Cour ont toutes deux été rejetées.

 

[5]               La demanderesse a ensuite déposé une demande visant à être incluse dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada [la demande DNRSRC]. Cette demande a été rejetée en octobre 2001 et le renvoi de la demanderesse vers les États-Unis a été fixé au 27 novembre 2001. Elle ne s’est pas présentée et un mandat d’arrêt a été délivré contre elle. Il est resté en vigueur jusqu’au 1er septembre 2004.

 

[6]               En janvier 2003, la demanderesse a présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi [la demande d’ERAR], qui a également été rejetée en avril 2008. Elle a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de rejet, demande qui a été accueillie en décembre 2008. Un sursis d’exécution de la mesure de renvoi lui a aussi été accordé en juin 2008.

 

[7]               En février 2009, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente en invoquant des considérations d'ordre humanitaire. Cette demande demeure pendante.

 

[8]               La demande d’ERAR de la demanderesse  a été rejetée et celle-ci a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de rejet, demande qui a été rejetée en août 2009. Elle a aussi déposé une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi qui devait être exécutée le 9 avril 2009. Sa requête a été rejetée, et la demanderesse a été renvoyée aux États-Unis. À son arrivée aux États-Unis, elle a déposé une demande d'asile, qui a été rejetée, son cas n’ayant pas été jugé crédible. L’admission aux États-Unis lui a donc été refusée et elle a dû revenir au Canada le 15 juin 2009.

 

[9]               La demanderesse s’est vu à nouveau signifier une date de renvoi et devait être expulsée le 17 septembre 2011. Elle a déposé une requête en sursis d’exécution, et le sursis lui a été accordé le 31 août 2011.

 

III.       Les dispositions applicables

 

[10]           L’article 48 de la LIPR prévoit ce qui suit :

Mesure de renvoi

 

Enforceable removal order

 

 (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d’effet dès lors qu’elle ne fait pas l’objet d’un sursis.

 

 

 (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

 

Conséquence

 

Effect

 

(2) L’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

 

 

IV.       La question en litige et la norme de contrôle

 

A.                 La question en litige

 

[11]           La demanderesse expose ainsi la question à trancher : L’agente d’immigration a-t-elle manqué à son obligation d’équité parce qu’elle n’a pas tenu compte de la preuve dans son intégralité avant de rejeter la requête de la demanderesse en report de la mesure de renvoi prononcée contre elle, et parce qu’elle a rendu une décision déraisonnable?

 

[12]           La demanderesse n’avance pas l’argument de l’équité procédurale. La Cour formule donc ainsi la question à trancher :

·                     L’agente a-t-elle commis une erreur parce qu’elle n’a pas reporté le renvoi de la demanderesse jusqu’à ce que soit rendue la décision portant sur sa demande fondée sur des considérations humanitaires?

 

B.                 La norme de contrôle

 

[13]           Il est de jurisprudence constante que « la décision d’un agent de renvoi concernant une demande de report appelle la norme de la raisonnabilité » (voir Ortiz c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CF 18, [2012] ACF n° 11, au paragraphe 39; Turay c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CF 1090, [2009] ACF n° 1369, au paragraphe 15).

 

[14]           En examinant la décision de l’agente selon la norme de la décision raisonnable, la Cour s’attachera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

 

V.        Les conclusions des parties

 

A.                 Les conclusions de la demanderesse

 

[15]           La demanderesse soutient qu’il existe des considérations humanitaires suffisantes et qu’une décision en ce sens est imminente parce que sa demande a été déposée 30 mois auparavant. Elle affirme que le délai moyen de traitement des dossiers faisant intervenir des considérations humanitaires est de 20 mois, d’après le site web de Citoyenneté et Immigration. Selon elle, l’agente n’a pas tenu compte de cet aspect et cela justifie l’intervention de la Cour.

 

[16]           La demanderesse précise que sa demande fondée sur des considérations humanitaires a été envoyée au bureau de réduction de l’arriéré et qu’elle demeure pendante. Dans la décision Simoes c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF n° 936, au paragraphe 12, la Cour écrivait que « l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face ».

 

[17]           Elle affirme aussi que sa demande fondée sur des considérations humanitaires a de bonnes chances d’être acceptée puisqu’elle a des proches parents au Canada et qu’elle n’en a plus au Sri Lanka. Elle ne bénéficie d’aucun soutien moral ou matériel au Sri Lanka. En outre, son fils a produit un affidavit où il écrit que la demande fondée sur des considérations humanitaires repose sur sa volonté de venir en aide à la demanderesse en la parrainant.

 

[18]           La demanderesse affirme que l’agente ne s’est pas servie de son pouvoir discrétionnaire, n’a pas tenu compte de sa demande fondée sur des considérations humanitaires et ne l’a pas autorisée à rester au Canada.

 

B.                 Les conclusions du défendeur

 

[19]           Le défendeur rétorque que la décision de l’agente était raisonnable. Selon lui, le seul argument sérieux avancé par la demanderesse concerne sa demande pendante fondée sur des considérations humanitaires. L’agente a examiné cet argument et estimé qu’il ne justifiait pas un report du renvoi.

 

[20]           Il existe une abondante jurisprudence sur la question; selon le défendeur, une demande pendante n’est pas en soi une raison de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi (Kim c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 321; Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, au paragraphe 11; Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] ACF n° 1200 (CAF); El Ouardi c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42; Sivagnanansuntharam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 70; Tesoro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148; Owusu . Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38).

 

[21]           Le défendeur est en désaccord avec la demanderesse quand elle dit que sa demande fondée sur des considérations humanitaires a été déposée en temps opportun. La demanderesse a déposé une demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires plus de huit ans après être arrivée au Canada. Selon le défendeur, elle aurait dû régulariser sa situation il y a des années. Il n’est pas non plus établi qu’un arriéré a entraîné un retard dans le traitement de la demande fondée sur des considérations humanitaires, même si la demande a été envoyée au bureau de réduction de l’arriéré pour y être traitée.

 

[22]           Le défendeur ajoute que l’effet d’une séparation sur la famille d’un demandeur, et les contraintes financières que la séparation imposerait, sont des considérations qui n’entrent pas dans le champ restreint du pouvoir discrétionnaire d’un agent d’exécution (voir Tran c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 1240, au paragraphe 25). Les inconvénients causés à la famille, et la rupture de la vie familiale, sont les conséquences malheureuses d’une mesure de renvoi, mais ils n’ont pas d’effet déterminant (voir l’arrêt Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, au paragraphe 49).

 

[23]           Finalement, selon le défendeur, comme la demanderesse n’a pas fait valoir devant l’agente qu’elle risquait d’être rançonnée par les groupes paramilitaires au Sri Lanka, elle ne peut pas invoquer ce fait pour dire que la décision de l’agente n’est pas raisonnable (voir l’arrêt Owusu, au paragraphe 9; Lemiecha c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF n° 1333, au paragraphe 4).

 

VI.       Analyse

 

[24]           La Cour doit garder à l’esprit qu’un agent chargé des renvois n’a qu’un très mince pouvoir discrétionnaire (voir l’arrêt Baron, précité, au paragraphe 69). Le ministre a l’obligation, en vertu de l’article 48 de la LIPR, d’appliquer une mesure de renvoi exécutoire, et il a peu de liberté dans le choix de la date du renvoi. Une demande pendante fondée sur des considérations humanitaires ne justifiera pas un report du renvoi sauf dans les cas où il y a une menace à la sécurité personnelle (voir l’arrêt Baron, aux paragraphes 49 et 51).

 

[25]           Par ailleurs, lorsqu’il se demande si les circonstances permettent l’application de la mesure de renvoi, « l’agent chargé du renvoi peut tenir compte de divers facteurs comme la maladie, d’autres raisons à l’encontre du voyage et les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire qui ont été présentées en temps opportun et qui n’ont pas encore été réglées à cause de l’arriéré auquel le système fait face » (voir Baron, aux paragraphes 49, 67-68; Simoes, au paragraphe 12; et Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 3 CF 682).

 

[26]           S’agissant de l’obligation qui est imposée par l’article 48, on devrait accorder une grande importance à l’existence d’autres solutions, tel le droit du demandeur de revenir au Canada. Les cas où les inconvénients causés à la famille constituent la seule épreuve peuvent être aisément résolus par la réadmission d’un demandeur au Canada (voir Baron, au paragraphe 51; Furtado c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2011 CF 963, aux paragraphes 30 à 33).

 

[27]           En l’espèce, la demanderesse fait valoir qu’une décision sera rendue très prochainement sur sa demande fondée sur des considérations humanitaires et que l’agente aurait dû reporter son renvoi compte tenu que ladite demande est en attente d’une décision depuis plus de 30 mois. L’agente s’exprimait ainsi dans sa décision : [TRADUCTION] « je n’ai pas la preuve qu’une décision sera rendue très prochainement sur la demande fondée sur des considérations humanitaires, au point qu’il devrait en résulter un report du renvoi » (voir la décision de l’agente, à la page 5 du dossier du tribunal).

 

[28]           Dans la décision Jonas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 273, [2010] ACF n° 317, la Cour écrivait ce qui suit, au paragraphe 21 :

[...] Il y a souvent lieu de considérer l’imminence d’une décision comme témoignant de la présentation d’une demande CH en temps opportun. En l’espèce, l’agent ne précise pas s’il considère que la demande CH a été présentée en temps opportun. Il convient toutefois de souligner que le demandeur a attendu presque cinq ans après le rejet de sa demande d’asile par la SPR pour soumettre sa demande. L’agent a conclu que la décision à l’égard de la demande CH n’était pas imminente, même si celle-ci avait été acheminée au bureau local de CIC. La conclusion de l’agent voulant que la demande CH pendante ne nécessite pas l’exercice de son pouvoir discrétionnaire était raisonnable.

 

[29]           Il était loisible à l’agente de tenir compte de l’imminence d’une décision concernant la demande fondée sur des considérations humanitaires. Cependant, elle n’était pas à même d’en tenir compte puisque la demanderesse n’en avait pas apporté la preuve. Certes, l’agente n’a pas tenté de savoir si la demanderesse avait ou non déposé en temps opportun sa demande fondée sur des considérations humanitaires, mais la Cour relève que la demanderesse a attendu près de huit ans après le rejet de sa demande DNRSRC, et six ans après le dépôt de sa demande d’ERAR.

 

[30]           En outre, l’agente a reconnu que la demanderesse risquait de connaître une situation difficile au Sri Lanka. Elle a estimé que les inconvénients de nature familiale, bien qu’inévitables, ne constituent pas une raison valide justifiant le report d’un renvoi. Cette conclusion est raisonnable.

 

[31]           « Les demandes CH ne sont pas censées faire obstacle aux mesures de renvoi valides. Lorsque l’ERAR révèle que le demandeur ne serait exposé à aucun risque s’il retournait dans son pays d’origine, on s’attend à ce que le demandeur présente ses demandes de résidence permanente ultérieures de son pays d’origine » (voir l’arrêt Baron, au paragraphe 87).

 

[32]           Vu les longs antécédents de la demanderesse en matière d’immigration, et compte tenu qu’elle n’a pas déposé en temps opportun sa demande fondée sur des considérations humanitaires, la décision de l’agente de ne pas reporter son renvoi du seul fait que ladite demande demeurait pendante est justifiable. Les difficultés familiales ne sont pas une raison valide de reporter un renvoi. Pour les motifs susmentionnés, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

VII.     Conclusion

 

[33]           L’agente était fondée à dire que la preuve n’attestait pas l’imminence d’une décision relative à la demande fondée sur des considérations humanitaires. Par ailleurs, la demanderesse n’avait pas déposé en temps opportun ladite demande, et donc un report de son renvoi au Sri Lanka n’était pas justifié. L’agente a validement conclu que les difficultés familiales, bien qu’inévitables, ne suffisaient pas en l’espèce à justifier le report du renvoi de la demanderesse. La décision de l’agente appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47).

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-6156-11

 

 

INTITULÉ :                                       SINNAIA SORUBARANI

                                                            c

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

                                                            ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 mars 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SCOTT

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 avril 2012

 

 

COMPARUTIONS:

 

Lani Gozlan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

 

Lani, Gozlan, avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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