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Cour fédérale

                                                                                                                                                           

Date : 20120329

Dossier : T-2185-10

Référence : 2012 CF 374

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 mars 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

AMIDU OLANIYI SALAMI

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Le demandeur, M. Amidu Olaniyi Salami, interjette appel de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté (le juge) a rejeté sa demande de citoyenneté au motif qu’il n’avait pas résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours des quatre (4) années qui ont précédé la date de la demande.

II.         Contexte

[2]               Les faits sont simples. Le demandeur, un citoyen du Nigeria, a obtenu le statut de résident permanent le 23 janvier 2006. Il a présenté une demande de citoyenneté le 25 août 2009, moins de quatre ans après avoir obtenu le statut de résident permanent. La période pertinente aux fins de la résidence s’étend du 23 janvier 2006 au 25 août 2009.

 

[3]               Le demandeur a travaillé de mars 2006 à octobre 2006 pour une même entreprise et de décembre 2006 jusqu’à au moins la fin de la période pertinente pour une autre entreprise.

 

[4]               Le deuxième employeur était une société de consultation en technologie qui offre à des institutions financières en Afrique et en Europe des programmes de formation et des services de consultation concernant des applications bancaires.

 

[5]               Au cours de l’emploi du demandeur au sein de cette entreprise, il a voyagé en Haïti, au Ghana, en Afrique du Sud, au Kenya et au Nigeria pour réaliser des projets pour le compte de la société.

 

[6]               Dans sa demande de citoyenneté, le demandeur a déclaré 492 jours d’absence du Canada au cours de la période pertinente, dont tous, à l’exception de 20 jours, étaient attribuables à l’exercice de ses fonctions. De son propre aveu, il lui manquait 278 jours de résidence pour respecter l’exigence de 1 095 jours. Ce déficit de jours ne tient pas compte des onze tampons non déclarés sur son passeport qui, comme l’a fait remarquer le juge, augmentaient encore davantage la période d’absence du demandeur au regard de la résidence. (Il y a manifestement une erreur typographique dans le jugement, qui indique 492 jours déclarés, alors que, dans les faits, les jours déclarés s’élevaient à 817. Cette erreur n’a cependant aucune incidence.)

 

[7]               Le juge a conclu que même sans prendre en compte les onze tampons non déclarés, il manquait 278 jours au demandeur pour respecter l’exigence de 1 095 jours. Le juge a également conclu qu’il n’existait pas de raison impérieuse de réduire l’exigence minimale prévue par la Loi ou d’y renoncer.

 

[8]               Dans le cadre du présent appel, le demandeur a fait valoir les points suivants : a) il y a eu manquement à la justice naturelle, le juge ayant fait des commentaires racistes; b) la conclusion relative à la résidence est erronée.

 

III.       ANALYSE

[9]               La norme de contrôle applicable est bien établie en l’espèce par la jurisprudence. En présence d’une question de droit, la norme de contrôle est celle de la décision correcte (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 85, au paragraphe 8), tout comme à l’égard d’une allégation de manquement à la justice naturelle ou de crainte raisonnable de partialité (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43). En ce qui concerne la question de savoir si le demandeur a respecté les exigences quant à la résidence, il s’agit d’une question mixte de droit et de fait à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable (Pourzand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395, aux paragraphes 19 et 20).

 

A.        Justice naturelle

[10]           Il faut tout d’abord examiner cette allégation, car elle mine l’ensemble du processus entourant le jugement contesté. Le demandeur a soutenu que le juge avait fait des commentaires sur son origine ethnique et son héritage culturel. Il cite deux incidents précis :

-           le juge a demandé combien de [traduction] « Canadiens blancs » travaillaient pour le second employeur du demandeur;

-           le juge a déclaré ce qui suit : [traduction] « Vous ne pouvez pas apporter au Canada toutes les absurdités [those nonsense, dans la version anglaise] que vous faites dans votre pays. »

 

[11]           Le demandeur décrit ces faits dans un affidavit. Il n’a pas été contre-interrogé sur cet affidavit et aucune contre‑preuve n’a été produite. Plus important encore, il n’y a pas de transcription de l’audience.

 

[12]           Il n’existe aucun fondement sur lequel la Cour pourrait s’appuyer pour conclure que ces paroles n’ont pas été prononcées, bien que la syntaxe de la deuxième citation [those nonsense, dans la version anglaise] soit étrange.

 

[13]           Cependant, même en admettant que ces paroles aient été prononcées, il n’y a pas de contexte qui permettrait de les situer. Les mots employés sont regrettables, mais en l’absence de contexte, la Cour n’a aucun moyen de savoir si une personne raisonnable, objective et bien informée aurait une crainte raisonnable de partialité. La preuve est trop ténue pour trancher cette question, et toute conclusion à cet égard aurait une incidence grave pour le juge.

 

[14]           Par conséquent, je ne peux apprécier le bien-fondé de l’allégation et je dois rejeter l’argument relatif à la crainte raisonnable de partialité. Il convient de souligner que je ne rejette pas l’argument au motif que la partialité aurait dû être soulevée lors de l’audience ou plus tard.

 

B.         Erreur de droit

[15]           À mon avis, dans le jugement faisant l’objet du présent contrôle, on a omis d’aborder la question préliminaire de savoir si le demandeur avait établi la résidence avant d’examiner le nombre de jours de résidence.

 

[16]           Dans Goudimenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 447, la juge Layden‑Stevenson (avant sa nomination à la Cour d’appel fédérale) a décrit l’analyse en deux étapes prévu à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté :

13 Le problème que pose le raisonnement de l’appelant est qu’il ne tient pas compte de la question préliminaire, soit l’établissement de sa résidence au Canada. Si le critère préliminaire n’est pas respecté, les absences du Canada ne sont pas pertinentes. Canada (Secrétaire d’État) c. Yu (1995), 31 Imm. L.R. (2d) 248 (C.F. 1re inst.); Affaires intéressant Papadorgiorgakis, précitée, Affaire intéressant Koo, précitée; Affaire intéressant Choi, [1997] F.C.J. No 740 (1re inst.). Autrement dit, à l’égard des exigences de résidence de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, l’enquête se déroule en deux étapes. À la première étape, il faut décider au préalable si la résidence au Canada a été établie et à quel moment. Si la résidence n’a pas été établie, l’enquête s’arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape de l’enquête consiste à décider si le demandeur en cause a été résident pendant le nombre total de jours de résidence requis. C’est à l’égard de la deuxième étape de l’enquête, et particulièrement à l’égard de la question de savoir si les périodes d’absence peuvent être considérées comme des périodes de résidence, qu’il y a divergence d’opinion au sein de la Cour fédérale.

 

[17]           Dans Wong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 731, j’ai fait le même commentaire dans le contexte d’une affaire où le dossier soulevait les questions de savoir si la résidence avait été établie et à quel moment, et si elle avait été perdue :

19 La première erreur se rapporte à l’omission du juge de la citoyenneté de tirer une conclusion quant à savoir si le demandeur avait établi sa résidence avant la période de référence. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Xiong, 2004 CF  129, j’ai conclu que le juge de la citoyenneté doit d’abord examiner, lorsque le dossier permet de le faire, si le demandeur a établi sa résidence dans la période qui a précédé la période de référence de quatre ans et, si la réponse est positive, il doit se demander si le demandeur a maintenu sa résidence pendant la durée requise au cours de la période de référence.

 

20 Il y avait suffisamment d’éléments au dossier pour soulever la question de la résidence antérieure, mais le juge de la citoyenneté ne s’est pas livré à cette analyse. À cet égard, le juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes en ce qui concerne les documents sur cette question ou qu’il n’y a pas certaines incohérences au dossier. Cependant, je suis d’avis que le juge de la citoyenneté avait l’obligation d’examiner si le demandeur avait établi sa résidence, plus particulièrement compte tenu du fait que le demandeur et sa famille avaient passé 12 ans au Canada, s’ils étaient propriétaires d’une résidence, que des membres de la famille étaient devenus des citoyens canadiens et que le demandeur, qui avait voyagé du Canada vers d’autres destinations, comme Hong Kong, était toujours revenu au Canada.

 

[18]           Plus récemment, le juge Mosley a confirmé l’analyse en deux étapes dans Hao c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46 :

24 La décision concernant la résidence prise par les juges de la citoyenneté suppose une analyse en deux étapes. Il faut d’abord se demander si la résidence au Canada a été établie; si ce n’est pas le cas, l’analyse s’arrête là. Si ce critère est respecté, la deuxième étape consiste à décider si la résidence du demandeur en question satisfait ou non au nombre total de jours requis par la loi. Les juges de la citoyenneté ont encore la faculté de choisir entre les deux courants jurisprudentiels énoncés respectivement dans Pourghasemi et Papadogiorgakis/Koo pour prendre cette décision, pourvu qu’ils appliquent raisonnablement l’interprétation de la loi qu’ils privilégient aux faits de la demande dont ils sont saisis.

 

[19]           En l’espèce, le juge n’a pas tout d’abord examiné la question de savoir si le demandeur avait établi sa résidence au Canada et à quel moment. Vu les faits de la présente affaire, cette question se pose en raison de la présence du demandeur au Canada du 23 janvier 2006 jusqu’à au moins décembre 2006, moment où il a commencé à travailler et à voyager pour son deuxième employeur.

 

[20]           Comme le juge Zinn l’a souligné dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Guettouche, 2011 CF 574, avant d’examiner la question de savoir si le demandeur continuait de résider au pays malgré des absences fréquentes, il faut se prononcer sur celle de savoir si la résidence au Canada a tout d’abord été établie.

13 Ce qui est le plus troublant est la première question soulevée par le ministre soit, est‑ce que la juge de citoyenneté a erré en ne concluant pas que Mme Guettouche avait initialement établi sa résidence au Canada avant de se lancer dans une évaluation des facteurs tirés de la décision Koo afin de déterminer si cette période de résidence s’était poursuivie, nonobstant ses absences du Canada. Cette question est particulièrement importante, puisque le dossier présenté à la juge indique que, en dépit du fait que Mme Guettouche soit entrée au Canada le 29 août 2000, elle a quitté le pays avec son mari cinq mois plus tard, le 3 février 2001, et elle a été continuellement absente du Canada depuis cette date jusqu’au 10 janvier 2003, ce qui était dans la période pertinente pour établir le critère de résidence aux fins de la citoyenneté.

 

IV.       CONCLUSION

[21]           Pour ces motifs, le présent appel est accueilli et l’affaire est renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli et l’affaire doit être renvoyée à un autre juge de la citoyenneté pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-2185-10

 

Intitulé :                                       AMIDU OLANIYI SALAMI

 

                                                            et

 

                                                            Le ministre de la citoyenneté

                                                            et de l’immigration

 

 

Lieu de L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 février 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                              le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 mars 2012

 

 

Comparutions :

 

Richard A. Odeleye

 

Pour le demandeur

 

David Cranton

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Babalola, Odeleye

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

 

 

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