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Date : 20120330

Dossier : IMM‑4964‑11

Référence : 2012 CF 377

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

JIAO JIAN LIU

 

 

 

demandeur

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission ou la SPR], datée du 15 juin 2011 [la décision], par laquelle la Commission a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR].

 

[2]               Le demandeur est de la province du Guangxi de la République populaire de Chine. Il revendique l’asile, parce qu’il prétend craindre d’être persécuté à titre de membre d’une église chrétienne clandestine. Plus précisément, le demandeur soutient qu’il faisait de guet pour son église lorsque le Bureau de sécurité publique (BSP) y a fait une descente. Le demandeur affirme s’être enfui et caché, et que le BSP est venu chez lui avec un mandat d’arrêt. Le demandeur prétend en outre avoir été peu après informé de l’arrestation d’un autre membre de son église, ce qui l’a décidé à s’enfuir au Canada pour y solliciter l’asile.

 

[3]               La SPR a rejeté la revendication du demandeur et a statué que les questions déterminantes avaient trait au défaut du demandeur d’établir son identité et à son manque général de crédibilité. Pour parvenir à cette dernière conclusion, la Commission s’est appuyée, en partie, sur le fait qu’il n’est nulle part mentionné dans toute la volumineuse documentation sur les droits de la personne en Chine que les chrétiens font l’objet de persécutions dans la province du Guangxi.

 

[4]               La conclusion de la SPR relative à l’identité reposait principalement sur la constatation que la photographie d’une personne autre que le demandeur figurait sur la carte d’identité de résident [carte d’identité] qu’il a présentée. Le demandeur a comparu en personne devant la SPR. La Commission disposait de la photographie du demandeur qui avait été prise à son arrivée au Canada. La Commission a écrit ce qui suit en ce qui a trait aux différences entre l’apparence du demandeur lors de l’audience et son apparence sur la photographie figurant sur la carte d’identité :

À l’examen de la photo de la CIR, le tribunal remarque que le sujet ne ressemble pas à la personne devant lui. Il observe également que le demandeur d’asile a fait prendre sa photo à l’âge de 35 ans, en octobre 2009, lors du dépôt de la demande d’asile, et que cette photo constitue une partie de la pièce R/A 2 soumise à l’examen du tribunal. La photo de la CIR a été prise en juin 2007, alors que le demandeur d’asile avait 33 ans. Le demandeur d’asile a maintenant 37 ans. Le tribunal fait remarquer que, bien qu’il se soit écoulé deux ans, l’apparence du demandeur d’asile sur la photo de réfugié qui a été prise en 2009 est identique à son apparence à l’audience. La personne qui comparaît devant le tribunal est clairement la même qui a demandé l’asile en 2009. Cependant, en comparant la photo prise en 2009 à la photo de la CIR, le tribunal remarque une différence flagrante. Bien que seulement deux années se soient écoulées entre les deux photographies, le demandeur d’asile semble beaucoup plus âgé sur sa photo de réfugié. Le tribunal a comparé la photo de la CIR à l’apparence du demandeur d’asile pendant l’audience. Il fait remarquer que la ligne de naissance des cheveux du demandeur d’asile était très différente à celle du sujet de la photo de la CIR. Sur la photo de la CIR, les cheveux prennent naissance plus haut sur le front. La personne sur la photo de la CIR semble avoir les oreilles plus éloignées du visage que celles du demandeur d’asile tel qu’il s’est présenté devant le tribunal. En outre, le haut des oreilles du demandeur d’asile dépasse la hauteur de ses yeux, alors que sur la photo de la CIR le haut des oreilles se situe en dessous du niveau des yeux. Les narines du demandeur d’asile sont plus grandes que celles de la personne sur la photo de la CIR. La forme des lèvres du demandeur d’asile est plus allongée que sur la photo de la CIR. Bien qu’il y ait des similitudes entre les deux comme on pourrait en trouver chez des personnes ayant un lien de parenté, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile n’est pas la même personne que celle qui figure sur la photo de la CIR.

 

 

[5]               Le demandeur soutient que la SPR a commis trois erreurs susceptibles de contrôle :

            a.         La conclusion de la SPR sur l’identité était déraisonnable.

            b.         La conclusion générale de la SPR sur le manque de crédibilité du demandeur était déraisonnable, parce qu’elle reposait principalement sur le fait qu’il était invraisemblable que le BSP présente un mandat d’arrêt. Le demandeur soutient que des éléments de preuve dans le dossier indiquaient que les procédures du BSP n’étaient pas uniformes et, donc, que le jugement de la Commission sur l’invraisemblance était donc déraisonnable.

            c.         Il était déraisonnable de la part de la SPR de fonder sa décision, sur le manque d’éléments de preuve documentaires selon lesquels les chrétiens faisaient l’objet de persécutions dans la province du Guangxi, car la preuve documentaire démontrait que la censure sévissait partout en Chine.

 

[6]               Au cours de sa plaidoirie, l’avocat du demandeur a concédé que, si je devais conclure à la raisonnabilité de la conclusion de la Commission sur l’identité, il ne serait pas nécessaire de traiter des autres erreurs alléguées parce que le raisonnement de la SPR sur les trois points contestés était interrelié et parce que la jurisprudence reconnaît que le défaut du demandeur d’établir son identité devant la SPR constitue un motif pour lequel la Commission peut rejeter la demande d’asile dans son intégralité. L’avocat a raison à cet égard. L’article 106 de la LIPR prévoit que la SPR « […] prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison […] ». Il est de jurisprudence constante que, lorsque le demandeur ou la demanderesse n’établit pas son identité, la Commission n’est pas tenue de considérer le bien‑fondé de la supposée revendication du réfugié et peut rejeter la revendication sur‑le‑champ (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, aux paragraphes 7 et 9, [2005] ACF no 1403).

 

[7]               Pour les motifs exposés ci‑dessous, je juge raisonnable la conclusion de la SPR sur l’identité et, en conséquence, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

 

[8]               Il est bien établi que la norme de contrôle applicable aux conclusions de la SPR sur l’identité est celle de la raisonnabilité (voir, par exemple, Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732 (CAF), au paragraphe 4; Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 169 107 NR ACF no 486, au paragraphe 3; et Cetinkaya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, [2012] ACF no 13, au paragraphe 17; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319, aux paragraphes 22 et 48).

 

[9]               Le demandeur fait valoir que deux points rendent déraisonnable la conclusion de la SPR sur l’identité. Premièrement, le demandeur soutient que, puisque la SPR estimait qu’il y avait des similitudes entre la carte d’identité et la photographie du demandeur prise au moment de son entrée au Canada, elle aurait dû embaucher un expert pour qu’il lui donne un avis sur l’identité au lieu de déterminer elle‑même que le demandeur n’était pas l’individu sur la carte en question. Deuxièmement, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de ne pas tenir compte des autres photographies dans le dossier. À cet égard, le demandeur a déposé une copie de ce qui, prétend‑il, était son relevé de préexamen et de réévaluation ainsi qu’une carte délivrée par l’État (qui contenait une photographie floue et était censé attester des titres de compétence du demandeur comme chef). Il a également présenté une photographie de gens qui, prétend‑il, étaient ses parents avec un très jeune garçon, mais aucun nom n’y était inscrit.

 

[10]           Le premier point soulevé par le demandeur peut être tranché rapidement, car la jurisprudence établit que la SPR a le pouvoir de statuer qu’un individu est – ou n’est pas – la personne photographiée sur une pièce d’identité présentée par un demandeur et qu’elle n’est pas tenue de recourir au témoignage d’un expert pour se prononcer à cet égard (voir, par exemple, Kazadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 292, au paragraphe 12, [2005] ACF no 349; Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1119, au paragraphe 22; Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, au paragraphe 9; Akindele c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] ACF no 68, 2002 FCT 37, au paragraphe 5; Hossain c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 160, 102 ACWS (3d) 1133, aux paragraphes 4 et 5; Tshimanga c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 891, au paragraphe 22; et Tcheremnykh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1310, aux paragraphes 9 et 10). Par conséquent, il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de statuer comme elle l’a fait, sans s’appuyer sur le témoignage d’un expert, sur l’identité du demandeur.

 

[11]           Quant au deuxième argument du demandeur, il était tout à fait raisonnable de la part de la Commission de ne pas considérer les autres photographies dans le dossier. En ce qui concerne, tout d’abord, le relevé de préexamen et de réévaluation, la photographie figurant sur la copie du document qui a été présentée à la SPR était tellement floue qu’elle ne pouvait servir à tirer quelque conclusion que ce soit. Plus important, toutefois, ce qui était en cause dans la demande d’asile du demandeur, quant à son identité, était la question de savoir s’il se trouvait dans la province du Guangxi en 2009, année au cours de laquelle la persécution par le BSP aurait eu lieu. Le relevé de préexamen et de réévaluation n’était d’aucune utilité en ce qui concerne cette importante question, puisqu’il avait été délivré en 2007. De même, la photographie de famille n’était d’aucune utilité pour établir l’identité du demandeur, car aucun nom n’y était inscrit – il est possible que la photographie soit celle du demandeur, mais il ne s’ensuit pas qu’il est celui qu’il prétend être. 

 

[12]           La conclusion de la SPR sur l’identité était par conséquent tout à fait raisonnable. D’ailleurs, cela ne fait pas de doute si l’on regarde les photographies du demandeur prises par Citoyenneté et Immigration Canada lors de son arrivée au pays et celle qui figure sur sa carte d’identité. Un simple coup d’œil permet de constater qu’il ne s’agit pas de la même personne.

 

[13]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

[14]           Aucune question à certifier en vertu de l’article 74 de la LIPR n’a été présentée et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SPR est rejetée.

2.         Aucune question de portée générale n’est certifiée.

3.         Il n’y a aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4964‑11

 

INTITULÉ :                                                   JIAO JIAN LIU c
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LA JUGE GLEASON

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 30 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Suranjana Bhattacharyya

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane, avocat

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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