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Date : 20120402

Dossier : IMM‑4348‑11

Référence : 2012 CF 386

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2012

En présence de monsieur le juge O’Reilly

 

 

ENTRE :

 

ANWAR ISMAIL SHALTAF

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Vue d’ensemble

 

[1]               M. Anwar Ismail Shaltaf a quitté la Palestine et, en 2008, il a présenté une demande d’asile au Canada, qui était fondée sur sa crainte d’être persécuté par l’armée israélienne. Il soutient avoir été maltraité pendant plusieurs années à cause de son statut d’homme palestinien et que ces mauvais traitements, considérés de manière cumulative, constituent de la persécution.

 

[2]               Après avoir examiné sa demande d’asile, un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la conduite de M. Shaltaf n’était pas compatible avec une crainte subjective d’être persécuté et que les divers évènements qu’il avait relatés constituaient de la discrimination, non de la persécution. M. Shaltaf soutient que la Commission a commis une erreur en ne considérant pas tous les évènements qu’il avait relatés et en concluant que sa conduite n’était pas compatible avec une crainte subjective d’être persécuté en Palestine. M. Shaltaf prétend également que la Commission n’a pas considéré la preuve documentaire objective présentée à l’appui de sa revendication. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et d’ordonner qu’un autre tribunal de la Commission examine à nouveau sa revendication.

 

[3]               À mon avis, la Commission a examiné la question de savoir si, considérés cumulativement, les événements relatés par M. Shaltaf constituaient de la persécution. De plus, sa conclusion selon laquelle M. Shaltaf n’avait pas démontré que sa conduite était compatible avec une crainte subjective d’être persécuté était étayée par la preuve.

 

[4]               Cependant, je suis d’accord avec M. Shaltaf que, dans les circonstances, la Commission aurait dû considérer la preuve documentaire. Par conséquent, j’accueillerai en partie la demande de contrôle judiciaire.

 

[5]               Voici les questions en litige :

 

a.       La conclusion de la Commission selon laquelle les traitements subis par M. Shaltaf ne constituaient pas de la persécution est‑elle erronée?

 

b.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne considérant pas la preuve documentaire?

 

 

II.         Les faits

 

[6]               M. Shaltaf a grandi dans un camp de réfugiés en Cisjordanie près de Jérusalem. Le camp faisait l’objet d’attaques fréquentes de l’armée israélienne. À la suite de certaines de ces attaques, M. Shaltaf a été agressé et arrêté. En 1988, il est allé à l’université en Inde. Lors d’un retour en Palestine, il a été accusé d’être un membre du mouvement Al‑Fatah. On ne lui a pas permis de retourner en Inde pour poursuive ses études.

 

[7]               M. Shaltaf a commencé à travailler comme camionneur, mais son travail est devenu difficile parce que les déplacements étaient limités entre les villes. En 1996, alors qu’il voyageait dans son camion avec un cousin, il a été témoin d’une confrontation entre des Palestiniens et des soldats israéliens. Une balle a tué son cousin.

 

[8]               M. Shaltaf était souvent arrêté aux postes de contrôle. Il arrivait qu’on le batte ou qu’on le détienne pendant plusieurs heures. Une fois, il a été témoin d’une grosse explosion qui a causé des blessures à de nombreuses personnes. En 2002, des soldats israéliens sont entrés dans le camp de réfugiés et ont ordonné à tous les hommes entre 15 et 55 ans de se rassembler. Ils ont été détenus et interrogés. Plus tard la même année, des soldats ont tiré dans la direction de M. Shaltaf et d’autres personnes affairées à recueillir de l’eau de source.

 

[9]               En 2003, il a tenté de se rendre à La Mecque avec sa mère, mais l’armée israélienne interdisait aux hommes de moins de 35 ans de traverser la frontière. Toutefois, après quelques jours, on lui a permis de s’y rendre. À son retour, il a vendu son camion en raison des difficultés rencontrées lors de ses déplacements dans la région.

 

[10]           En 2005, des soldats israéliens sont entrés chez lui. Plus tard la même année, il a obtenu un visa pour se rendre aux États‑Unis à des fins touristiques et d’affaires. Il est retourné en Palestine peu après afin d’obtenir un visa pour son fils.

 

[11]           En 2006, alors qu’il était en Palestine, au volant d’un véhicule près de Bethléem, M. Shaltaf a été arrêté à un poste de contrôle. À la pointe du fusil, on lui a ordonné de japper comme un chien après toutes les voitures qui passaient; cela a duré une heure. Il a décidé de quitter la Palestine et de se rendre aux États‑Unis, dans le but ultime de demander l’asile au Canada. Il est arrivé au Canada à l’automne 2008.

 

III.       La décision de la Commission

 

[12]           La Commission a relevé que M. Shaltaf avait indiqué que c’était parce qu’l était « soumis à une interdiction de quitter le pays » qu’il avait subi des mauvais traitements en 2006. Cependant, il n’avait pas fait état de cette allégation dans son exposé des faits initial et dans son exposé modifié. La Commission a tiré de cette omission une inférence défavorable quant à la crédibilité de M. Shaltaf. La Commission a en outre noté qu’il avait été en fait permis à plusieurs occasions à M. Shaltaf de quitter la Palestine. Rien ne démontrait non plus que c’était pour cette raison qu’il avait parfois été détenu à la frontière.

 

[13]           La Commission a également relevé que M. Shaltaf avait vécu en toute sécurité aux États‑Unis pendant plus de deux ans, de 2006 à 2008, année où il est retourné en Palestine. La Commission a jugé que son retour n’était pas compatible avec sa prétention selon laquelle il subirait des préjudices sérieux s’il retournait en Palestine. De plus, M. Shaltaf aurait pu présenter une demande d’asile aux États‑Unis, mais il ne l’a pas fait. Il a déclaré être allé aux États‑Unis à des fins touristiques et d’affaires. Là encore, la Commission a estimé que la demande d’asile de M. Shaltaf n’était étayée par aucune preuve crédible établissant qu’il craignait avec raison d’être persécuté.

 

[14]           Quant à la preuve cumulative de persécution, la Commission a soupesé les facteurs positifs et négatifs. M. Shaltaf a reçu une éducation en Palestine et a obtenu un emploi dans ce pays. Il y avait une résidence. Il avait aussi connu des difficultés, mais il n’avait pas été personnellement pris pour cible.

 

[15]           Tenant compte de l’effet cumulatif de la preuve, la Commission a conclu que, bien que M. Shaltaf ait fait l’objet de discrimination, il n’avait pas été persécuté. De plus, s’il avait réellement estimé avoir fait l’objet de persécution, il ne serait pas rentré en Palestine après s’être rendu aux États‑Unis. Le seul incident ayant eu lieu après son retour en Palestine était celui où on lui avait ordonné de japper, et, bien qu’humiliant, cet incident ne constituait pas de la persécution.

 

IV.       Question en litige no 1 : la conclusion de la Commission selon laquelle les traitements subis par M. Shaltaf ne constituaient pas de la persécution est‑elle erronée?

 

[16]           M. Shaltaf soutient que la Commission n’a pas considéré la question de savoir si, considérés dans leur ensemble, les divers problèmes qu’il avait connus en Palestine constituaient de la persécution. Il affirme également que la Commission aurait dû prendre en compte la preuve documentaire selon laquelle les Palestiniens de sexe masculin faisaient de manière répétée l’objet de mauvais traitements.

 

[17]           En fait, la Commission a bien traité de la question de l’effet cumulatif des traitements subis par M. Shaltaf en Palestine. Elle a examiné ses allégations les plus sérieuses concernant les mauvais traitements qu’il aurait subis, mais elle a jugé que la conduite de M. Shaltaf, à savoir le fait qu’il soit revenu en Palestine en 2005, montrait qu’il ne considérait pas les traitements qu’il avait subis jusqu’à cette date comme de la persécution. Par la suite, l’incident le plus sérieux a été celui où il a été contraint à japper comme un chien, mais cet incident, quoiqu’humiliant, ne constituait pas non plus de la persécution.

 

[18]           Je ne décèle aucune erreur dans le traitement de la preuve par la Commission. Quoique la Commission soit tenue de considérer la question de savoir si des actes de discrimination isolés constituent cumulativement de la persécution, le fait que M. Shaltaf soit retourné en Palestine donne à penser qu’il n’éprouvait pas une crainte subjective de persécution jusqu’en 2005. Rien, même dans la preuve documentaire, ne permettait de conclure qu’il avait par la suite été victime de persécution.

 

VI.       Question en litige no 2 : la Commission a‑t‑elle commis une erreur en ne considérant pas la preuve documentaire?

 

[19]           La Commission n’a fait référence à aucune preuve documentaire. Cette preuve n’était pas particulièrement pertinente en ce qui concerne la question de la persécution, car la Commission avait conclu à l’absence de crainte subjective. La preuve documentaire n’aurait pas davantage étayé sa demande d’asile en vertu de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR] (voir les références législatives à l’annexe).

 

[20]           Cependant, cette preuve aurait été pertinente en ce qui concerne la demande d’asile présentée par M. Shaltaf en vertu de l’article 97. La Commission n’a pas procédé à une analyse fondée sur l’article 97. Elle a estimé que, puisqu’il ne pouvait pas s’acquitter de la charge de preuve qui lui incombait en vertu de l’article 96, M. Shaltaf ne pouvait pas s’acquitter de la charge plus lourde qui lui incombait en vertu de l’article 97.

 

[21]           Quoiqu’il arrive souvent qu’il soit inutile de procéder à une analyse fondée sur l’article 97 lorsque la demande d’asile du revendicateur fondée sur l’article 96 est rejetée (par exemple, lorsqu’il est estimé que le revendicateur n’est pas crédible), tel n’était pas le cas en l’espèce. Le rejet de la demande fondée sur l’article 96 de M. Shaltaf était, dans une grande mesure, dû à son manque de crainte subjective. Cette conclusion ne permettait pas de trancher l’argument fondé sur l’article 97 étant donné que son examen se fondait sur un critère objectif. Par conséquent, la preuve documentaire objective aurait pu être favorable à la demande d’asile de M. Shaltaf en vertu de l’article 97. La Commission aurait dû procéder à l’analyse de cette preuve ainsi qu’à celle du témoignage de M. Shaltaf, pour déterminer s’il était satisfait à la norme de preuve applicable sous le régime de l’article 97.

 

VI.       Conclusion et dispositif

 

[22]           La décision de la Commission relativement à la prétention de persécution de M. Shaltaf visant à justifier sa demande en vertu de l’article 96 de la LIPR était intelligible et transparente et constituait une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, elle n’était pas déraisonnable. Cependant, dans les circonstances de l’espèce, la Commission aurait dû considérer la question de savoir si la preuve documentaire étayait la revendication présentée par M. Shaltaf en vertu de l’article 97. J’accueillerai, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire relativement à l’article 97. Les parties n’ont ni l’une ni l’autre proposé une question de portée générale à certifier et aucune n’est formulée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie en partie;

2.                  L’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour qu’il considère la revendication de M. Shaltaf en vertu de la LIPR.

3.                  Aucune question de portée générale n’est soulevée.

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


Annexe

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

 

Définition de « réfugié »

  96. A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Personne à protéger

  97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes – sauf celles infligées au mépris des normes internationales – et inhérents à celles‑ci ou occasionnés par elles,

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

  (2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

 

Convention refugee

  96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well‑founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

  97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

  (2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4348‑11

 

INTITULÉ :                                                   ANWAR ISMAIL SHALTAF

                                                                        c

                                                                        MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 ET JUGEMENT :                                         LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 2 avril 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Nina Chandy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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