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Date : 20120319


Dossier : IMM-5355-11

Référence : 2012 CF 313

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2012

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RENNIE

 

 

ENTRE :

 

JOHNSON MOLI TSHIBOLA KABONGO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision, en date du 21 juillet 2011, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a conclu qu’aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le demandeur était ni un réfugié au sens de la Convention (Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, [1969] R.T. Can. no 6) ni une personne à protéger. Pour les motifs exposés ci-dessous, il est fait droit à la demande.

 

 

Les faits

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République démocratique du Congo (RDC). Il affirme craindre d’être persécuté du fait de ses opinions politiques. Il explique que ses ennuis ont commencé lorsque l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) a commencé à recruter des jeunes pour son armée. En 1997, l’AFDL a tenté de recruter le frère du demandeur. Refusant de s’enrôler dans l’armée, son frère a été tué. C’est ce qui amena le demandeur à militer contre le recrutement de force. Il se réunissait avec d’autres jeunes appartenant à la même église, pour dénoncer le recrutement forcé.

 

[3]               Le demandeur affirme avoir, le 14 décembre 2008, organisé dans un bistro une réunion avec d’autres jeunes. Lorsque des soldats sont arrivés, le demandeur a dénoncé le recrutement forcé. Il est, 11 jours plus tard, arrêté et mis en prison. Il est libéré le 1er janvier 2009, et s’enfuit le même jour de la RDC (se rendant d’abord au Rwanda, puis en Afrique du Sud, au Brésil, en Argentine et au Mexique avant d’arriver au Canada). Il arrive au Canada le 26 avril 2009 et demande asile dès son arrivée.

 

[4]               Dans les motifs de sa décision du 15 juillet 2011, la Commission conclut au manque de crédibilité du demandeur. La Commission fait valoir qu’elle ne croyait pas que le demandeur se serait mis en péril, lui et 15 autres jeunes, en dénonçant le recrutement forcé, dans un lieu public, et en présence de soldats. La Commission a rappelé que, selon son témoignage, le demandeur avait avant cela craint de prendre la parole par peur d’être arrêté, ou tué comme l’avait été son frère.

 

[5]               La Commission a fait valoir que n’ayant pas jugé crédible le témoignage du demandeur, elle n’accordait aucun poids aux preuves documentaires, en l’occurrence une lettre émanant d’un prêtre qui affirmait que le demandeur était effectivement en danger, ainsi qu’un mandat d’arrestation visant le demandeur à qui l’on reprochait des insultes au gouvernement. Le demandeur a donc vu rejeter sa demande d’asile.

 

Norme de contrôle et question à trancher

[6]               La question en litige est de savoir si la décision de la Commission est raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

[7]               Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité du demandeur appellent la déférence et il est loisible à la Commission de conclure à l’invraisemblance d’un témoignage dans la mesure où elle se fonde en cela sur la raison et le bon sens : Shahamati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1994] ACF no 415 (CAF). Mais, la Cour doit intervenir lorsque la Commission conclut à l’invraisemblance d’un témoignage en se fondant sur des conclusions que l’on ne peut pas raisonnablement tirées des preuves qui ont été produites. En l’espèce, la décision défavorable de la Commission est fondée sur l’unique invraisemblance qu’elle a pu relever. Pareille conclusion est arbitraire et ne tient pas compte des éléments de preuve produits devant la Commission. La décision doit par conséquent être annulée.

 

[8]               La Commission a manifestement trouvé invraisemblable que le demandeur, jeune homme intelligent et instruit, conscient des risques auxquels il s’exposait en dénonçant le recrutement forcé, ait néanmoins décidé de prendre la parole en public, en présence de soldats, se mettant par là même en danger, lui et ses jeunes camarades. Cela ne permet aucunement de conclure à l’invraisemblance d’un tel comportement. La plupart des demandeurs d’asile qui invoquent la crainte d’être persécutés du fait de leurs opinions politiques ont dénoncé un régime brutal, tout en étant conscients des risques auxquels cela les exposait. L’authenticité d’une conviction politique ne se mesure pas en fonction de l’intelligence du demandeur, ou de ses études; pas plus qu’elle ne peut être appréciée au regard d’un vague critère de rationalité. L’histoire, y compris l’actualité récente montre bien que, envisagée d’un point de vue rationnel, l’opposition politique la plus courageuse peut paraître téméraire. Comme le juge James Hugessen l’a dit, dans le jugement Samani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 18 août 1998, IMM-4271-97, au paragraphe 4 : « L’argument voulant qu’une action soit invraisemblable simplement parce qu’elle peut se révéler dangereuse pour celui qui la commet par engagement politique, n’a jamais été particulièrement convaincante [sic]. »

 

[9]               À l’audience, la Commission a demandé au demandeur d’expliquer pourquoi il avait proféré des propos en ce sens, sachant qu’il se mettait en danger. Voici la réponse qu’a donnée le demandeur, telle qu’elle figure dans la transcription des débats de l’audience (dossier certifié du tribunal, au paragraphe 125) :

Je suis arrivé à poser cet acte parce que, bon, j’étais déjà à bout ou bien les idées s’agitaient en foule en-dedans de moi. Alors je suis arrivé pour contrecarrer cette action pour que l’on ne puisse pas procéder au recrutement des jeunes. Parce que je n’avais pas accepté de voir mourir ces jeunes pendant que j’étais en vie et que je pouvais le voir, assister à la mort de ces jeunes.

 

 

[10]           La Commission n’a pas tenu compte de l’explication donnée par le demandeur. Elle a seulement jugé invraisemblable qu’il se mette ainsi en danger, lui et d’autres jeunes. Or, comme le demandeur l’a expliqué, ils se trouvaient tous déjà en péril puisqu’ils risquaient d’être recrutés de force. C’est cela qui a amené le demandeur à s’exprimer.

 

[11]           La Commission n’a en outre tenu aucun compte du fait que le témoignage du demandeur était corroboré par un mandat d’arrestation lancé contre lui pour [traduction] « insultes au gouvernement »; la Commission a seulement dit qu’elle n’accordait aucun poids à ce document étant donné que le demandeur ne lui paraissait pas crédible. Or, en ce qui concerne la crédibilité du témoignage livré par le demandeur, le mandat en question était d’une grande pertinence. La Commission ne saurait mettre en doute la crédibilité d’un témoignage sans tenir compte des preuves corroborantes, puis écarter les éléments de preuve produits par le demandeur, en se fondant sur la conclusion à laquelle elle est parvenue quant à sa crédibilité.

 

[12]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie. L’affaire est renvoyée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour réexamen par un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés. Aucune question à certifier n’a été proposée et la Cour estime qu’aucune ne se pose.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5355-11

 

INTITULÉ :                                       JOHNSON MOLI TSHIBOLA KABONGO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 1er mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Crane

POUR LE DEMANDEUR

 

Kristina Dragaitis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane
Avocat
Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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