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Date : 20120316


Dossier : IMM-4818-11

Référence : 2012 CF  319

[traduction française révisée, non certifiée]

Ottawa (Ontario), le 16 mars 2012

En présence de madame la juge Gleason

 

 

ENTRE :

 

SANDEEP KAUR RAHAL

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

 

       MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission ou la SPR] a rejeté, le 20 juin 2011 [la décision], la demande d’asile présentée par la demanderesse en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               La demanderesse avance que la décision est déraisonnable parce que la Commission a commis sept erreurs distinctes, qui, surtout lorsqu’elles sont examinées collectivement, devraient entraîner l’annulation de la décision. Les erreurs susceptibles de révision que la demanderesse reproche à la Commission sont les suivantes. La Commission a :

1.         attaqué la crédibilité de la demanderesse parce que cette dernière avait utilisé de faux documents pour entrer au Canada;

2.         écarté la preuve documentaire avant de conclure que la demanderesse n’avait pas présenté des papiers d’identité acceptables;

3.         écarté des éléments de preuve importants — en l’occurrence un certificat médical — qui étayait la demande d’asile de la demanderesse;

4.         tenu compte de divergences minimes pour attaquer la crédibilité de la demanderesse;

5.         décidé qu’il n’existait aucun lien entre le préjudice redouté par la demanderesse et les motifs de protection prévus par la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés;

6.         rapporté incorrectement la preuve et, dès lors, tiré une conclusion erronée quant à la crédibilité en statuant que le père de la demanderesse n’aurait pas risqué sa vie ni sa sécurité ni celles de sa famille pour une question de prix s’il avait réellement eu l’intention de vendre ses terres;

7.         conclu à tort, sans tenir compte de la preuve, que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur [PRI] et avait fait des études suffisamment poussées pour quitter le Punjab et s’installer dans une autre région de l’Inde.

 

[3]               À l’exception de la cinquième erreur présumée, chacune des erreurs décrites par la demanderesse est fondée sur la prémisse que la Commission en est arrivée à une conclusion de fait déraisonnable ou a tiré une inférence déraisonnable des faits. Comme il est expliqué dans l’analyse qui suit, la cinquième erreur présumée n’a aucun rapport avec la présente demande, car la Commission ne s’est pas fondée sur la conclusion en cause pour rendre sa décision. 

 

[4]               Les erreurs de fait présumées suscitent les questions suivantes :

a.          Quelle est la norme de contrôle applicable?

b.         Dans quelles circonstances des conclusions tirées par la SPR seraient‑elles infirmées en raison de leur caractère déraisonnable?

c.          Quels principes s’appliquent à l’examen des conclusions tirées par la SPR relativement à la crédibilité?

d.         La conclusion tirée par la SPR relativement à l’identité était-elle raisonnable?

e.          Les conclusions tirées par la SPR relativement à la crédibilité étaient-elles raisonnables?

f.           La conclusion tirée par la SPR relativement à l’existence d’une PRI était-elle raisonnable?

Chacune de ces questions est examinée ci-dessous, après un examen du contexte factuel et des motifs de la décision de la SPR.

 

I.          LE CONTEXTE

[5]               En raison du grand nombre d’erreurs relevées par la demanderesse, qui nécessitent pour la plupart l’examen et la réévaluation par la Cour des éléments de preuve dont disposait la Commission, une analyse détaillée du contexte factuel dans lequel s’inscrit la présente demande s’impose.

 

[6]               La demanderesse provient de la région du Punjab en Inde. Le 17 décembre 2007, elle a tenté d’entrer au Canada avec des documents falsifiés relativement à un visa d’étudiant, mais a été interceptée par un agent d’immigration au point d’entrée. Les documents contenaient plusieurs divergences, dont le fait que la date de naissance et l’adresse de la demanderesse n’étaient pas les mêmes dans plusieurs des documents qu’elle avait présentés et que son passeport semblait avoir été trafiqué. L’agent au port d’entrée a interrogé la demanderesse au sujet de ces divergences et, après plusieurs questions, la demanderesse a finalement admis que les documents relatifs au visa étaient des faux. Elle a alors demandé l’asile.

 

[7]               Le 19 janvier 2008, la demanderesse a soumis un formulaire de renseignements personnels, conformément à l’article 5 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228 [le FRP initial]. Dans l’exposé circonstancié du FRP initial, la demanderesse alléguait que son père et elle avaient été gardés en détention par la police du Punjab à trois reprises en 2007, soit le 2 mai, du 15 au 17 octobre et à deux autres dates consécutives non précisées. Elle alléguait également qu’elle avait été agressée sexuellement par des policiers à la dernière de ces dates. Elle affirmait que les trois détentions étaient attribuables à une altercation entre son père et un voisin, qui voulait acheter les terres de son père à un prix dérisoire. Elle disait que ce voisin [traduction] « avait des liens avec des policiers hauts gradés et des politiciens ». Dans son FRP initial, la demanderesse a indiqué que ses parents étaient les seuls membres de sa famille et qu’elle ne connaissait pas leur adresse. (Le FRP demande d’énumérer tous les membres de la famille, y compris les frères et les sœurs et de préciser leur adresse). La demanderesse avait également indiqué qu’elle avait 12 années d’études, mais avait omis d’énumérer les établissements d’enseignement qu’elle avait fréquentés.

 

[8]               En signant le FRP initial, la demanderesse a attesté son authenticité, déclarant que les renseignements fournis étaient « véridiques, complets et exacts », et confirmé que sa déclaration avait « la même force et le même effet que si elle était faite sous serment. » Le jour de la signature du FRP initial, la demanderesse était représentée par un avocat (différent de celui qui l’a représentée en l’instance).

 

[9]               Le 4 octobre 2010, peu de temps avant la tenue de son audience devant la SPR, la demanderesse a rempli un nouveau FRP, dans lequel elle indiquait de nouvelles dates pour les périodes où elle avait été gardée en détention par la police du Punjab, soit du 2 au 4 septembre 2006, du 15 au 17 février 2007 et du 12 au 14 octobre 2007. Dans le FRP modifié, la demanderesse alléguait que l’agression sexuelle avait eu lieu durant la période de détention du 12 au 14 octobre 2007. Elle a également modifié le nombre d’années d’études qu’elle prétendait posséder, faisant passer ce nombre de 12 à 17, et indiqué qu’elle détenait un baccalauréat ès arts d’un collège de Dalla, dans le district de Ludhianna au Punjab, et une maîtrise ès arts d’un établissement d’enseignement de Jagraon, dans le district de Ludhianna également. Aucun de ces établissements n’est mentionné dans les documents que la demanderesse a présentés au point d’entrée au Canada.

[10]           La demanderesse a déposé plusieurs éléments de preuve auprès de la SPR, soit :

1.         une lettre d’une psychothérapeute canadienne, la Dre Heather Fawcett, dans laquelle cette dernière indique qu’elle traite la demanderesse depuis 2009 et que celle-ci souffre du syndrome de stress post‑traumatique;

            2.         une lettre d’[traduction] « observation médicale » émanant de la Dre Marie Beauregard, du CLSC (centre local de services communautaires) Côte‑des‑Neiges à Montréal, dans laquelle il est indiqué que le CLSC traite la demanderesse depuis novembre 2008 et que cette dernière souffre du syndrome de stress post‑traumatique et de dépression, ce qui peut influer sur sa mémoire et sa concentration;

            3.         une lettre de Laila Bari, la fondatrice et présidente de l’association Abused Women Assistance and Justice Worldwide [AWAJ], dans laquelle il est indiqué que la demanderesse a demandé l’aide d’AWAJ, le 1er novembre 2008, relativement à sa demande d’asile. La lettre reprend les motifs de la demande d’asile de la demanderesse et précise que cette dernière a été gardée en détention par la police du Punjab le 2 septembre 2006 ainsi que le 15 février et le 12 octobre 2007 et qu’elle aurait été agressée sexuellement à cette dernière date. Cette lettre a été rédigée uniquement sur la foi des renseignements qui ont été fournis par la demanderesse;

            4.         deux affidavits de fonctionnaires d’un village local en Inde, signés l’un et l’autre le 6 octobre 2010, et confirmant censément, d’une part, que la demanderesse et son père ont été arrêtés le 2 septembre 2006 ainsi que le 15 février et le 12 octobre 2007 et, d’autre part, que l’agression sexuelle a eu lieu durant la troisième période de détention. Les passages importants des deux affidavits sont identiques, à ce point qu’ils contiennent les mêmes polices de caractère différentes sur les première et deuxième pages. Aucun des documents n’indique de quelle manière le souscripteur a eu connaissance de ce qui est arrivé à la demanderesse et à son père. Ils reprennent simplement les prétentions de la demanderesse;

            5.         une lettre d’un avocat de l’Inde indiquant que le père de la demanderesse est venu le voir le 2 septembre 2006 et le 15 février 2007 pour se plaindre des mauvais traitements que lui‑même et sa fille avaient reçus de la part de la police du Punjab. La lettre précise qu’aucune action n’a été intentée contre la police en raison du temps qu’une telle mesure aurait pris et des risques de représailles de la part de la police;

            6.         un certificat médical daté du 18 octobre 2010 émanant de la Dre Sarbjit Kaur indiquant que la demanderesse avait été traitée deux fois à son hôpital au Punjab pour une névrose d’angoisse, soit le 4 septembre 2006 et le 17 février 2007;

            7.         un certificat médical émanant de la Dre Satnam Kaur, probablement daté du 16 octobre 2010 (la date est difficile à lire, mais le certificat porte une date en 2010), indiquant que l’appelante est arrivée à son hôpital au Punjab le 14 octobre 2008, avec de [traduction] « multiples blessures telles des ecchymoses et des éraflures » et qu’à l’examen la demanderesse présentait des signes physiques semblables à ceux découlant d’une agression sexuelle.

[11]           Outre les documents décrits ci-dessus, la SPR disposait d’une volumineuse documentation sur l’Inde, le Punjab, la probabilité d’agressions par des policiers du Punjab, la capacité de la police du Punjab de poursuivre des personnes ailleurs en Inde et la possibilité pour les gens — y compris les jeunes femmes — de quitter le Punjab et de trouver un refuge sûr ailleurs en Inde.

[12]           À la demande de la demanderesse, la Commission a demandé et examiné des copies du passeport, de la carte de rationnement et de l’acte de naissance que la demanderesse avait présentés au point d’entrée (tous ces documents avaient été confisqués par Citoyenneté et Immigration Canada parce qu’il pouvait s’agir de faux). La Commission a également obtenu et montré à la demanderesse une copie du dossier d’une demande de visa temporaire conservé par la mission canadienne à Chandigarh, d’où provenait le visa d’étudiant frauduleux. Le dossier contient une demande faite par une personne qui porte le nom que la demanderesse dit être le sien et des certificats d’études complètement différents de ceux mentionnés par la demanderesse dans ses deux FRP ou dans les documents frauduleux qu’elle a soumis à son arrivée au Canada.

[13]           La demanderesse a témoigné de vive voix à l’audience devant la Commission; elle a été longuement questionnée sur les divers points se rapportant à sa demande (y compris une bonne partie des erreurs qu’elle reproche à la SPR).

 

II.        LA DÉCISION DE LA SPR

[14]           Dans sa décision, la Commission expose les motifs pour lesquels elle rejette la demande d’asile de la demanderesse et conclut que les questions déterminantes sont la crédibilité et l’existence d’une PRI.

[15]           En ce qui concerne la crédibilité, la Commission a conclu que la demanderesse n’était pas crédible et qu’elle n’avait pas présenté des papiers d’identité acceptables. Elle a outre dit douter de la véracité de sa version des faits. À cet égard, la Commission a indiqué qu’elle s’était appuyée sur les faits suivants pour en arriver à sa décision :

1.         la demanderesse a soumis des documents falsifiés à son arrivée au Canada pour étayer sa prétention qu’elle entrait au Canada munie d’un visa d’étudiant;

2.         son passeport avait été trafiqué;

3.         dans son témoignage, la demanderesse a déclaré qu’elle ignorait que les documents qu’elle avait soumis étaient des faux et qu’elle ne s’était pas rendu compte que les documents falsifiés qu’elle avait signés comprenaient une demande de visa d’étudiant, ce que la Commission a refusé de croire;

4.                  la demanderesse a d’abord menti au sujet des documents frauduleux, à son arrivée au Canada; ce n’est qu’après avoir été interrogée par l’agent d’immigration au point d’entrée et s’être fait montrer les divergences contenues dans la documentation qu’elle a admis que les documents qu’elle avait présentés étaient des faux;

5.                  la demanderesse n’a nulle part indiqué (avant son témoignage devant la Commission) que le voisin qui souhaitait acheter les terres de son père était en fait un ancien agent de police. La Commission a jugé que ce fait était si important que le fait que la demanderesse n’en ait rien dit dans ses déclarations antérieures et dans ses FRP entachait sa crédibilité;

6.                  les FRP initial et modifié n’indiquaient pas que la demanderesse avait un frère. La demanderesse n’a avoué l’existence de son frère que dans son témoignage devant la Commission, alors qu’elle devait énumérer ses frères et sœurs dans le FRP;

7.                  la demanderesse a indiqué dans les deux versions de son FRP qu’elle ne connaissait pas l’adresse de ses parents, ce qui n’était pas le cas; elle a confirmé, durant son témoignage devant la Commission, qu’elle savait où ils demeuraient.

 

[16]           La Commission a également jugé que l’explication fournie par la demanderesse pour justifier le fait qu’elle n’avait pas modifié son FRP afin d’y apporter d’autres corrections n’était pas plausible; elle a soutenu que son interprète lui avait dit qu’elle ne pouvait pas apporter de changements. Pour finir, la Commission a jugé invraisemblable que le père de la demanderesse « [...] risque sa vie et sa sécurité ainsi que celles de sa famille pour une question de prix et qu’il vendrait la propriété s’il craignait réellement pour sa vie et sa sécurité et celles de sa famille. » Dans son témoignage devant la Commission, la demanderesse a présenté deux versions des faits, une indiquant que son père souhaitait vendre ses terres à un bien meilleur prix que celui que lui avait offert le voisin et une autre indiquant que son père ne voulait pas vendre ses terres.

 

[17]           La SPR a analysé, dans sa décision, une grande partie des éléments de preuve soumis par la demanderesse et conclu que ces éléments avaient peu de valeur probante, car les lettres de la Dre Beauregard, de Laila Bari et de l’avocat vivant en Inde, ainsi que les affidavits des fonctionnaires du village local étaient tous fondés sur des renseignements de seconde main. La Commission n’a toutefois pas abordé, dans son analyse, la question du certificat fourni par la Dre Satnam Kaur, non plus que celle de la carte de rationnement et de l’acte de naissance.

 

[18]           De même, la Commission n’a pas analysé l’incidence de la modification des dates auxquelles la demanderesse prétend avoir été gardée en détention et agressée sexuellement; la Commission a signalé, dans sa décision, que la demanderesse avait prétendu que ces incidents étaient survenus aux dates indiquées dans la FRP initiale (ces dates ne correspondent pas aux dates contenues dans les pièces justificatives déposées par la demanderesse ni aux dates que la demanderesse a mentionnées dans son témoignage devant la Commission). Dans son témoignage devant la Commission, la demanderesse a déclaré qu’elle avait été gardée en détention du 2 au 4 septembre 2006 ainsi que du 2 au 4 février et du 12 au 14 octobre 2007 et que l’agression sexuelle avait eu lieu durant la nuit du 12 octobre 2007. La demanderesse a toutefois modifié de nouveau ces dates par la suite; dans l’affidavit qu’elle a déposé au soutien de sa demande de contrôle judiciaire, elle allègue avoir été gardée en détention du 2 au 4 mai 2007, du 15 au 17 octobre 2007 et deux jours en novembre 2007 et que l’agression sexuelle a été commise durant la troisième période de détention. Bref, la Cour dispose de témoignages sous serment de la demanderesse qui sont contradictoires quant aux dates auxquelles elle aurait été gardée en détention par la police et agressée sexuellement.

 

[19]           En ce qui concerne l’existence d’une PRI, la SPR a conclu que la demanderesse prétendait avoir 17 ans d’études et avoir vécu dans le district de Jaragong, à Ludhiana, Punjab, Inde, et dans le district de Dala, à Ludhiana, Punjab, Inde, pour y poursuivre ses études postsecondaires. Relativement à la PRI, la SPR a également statué que la police du Punjab n’aurait pas été en mesure de trouver la demanderesse dans les villes de Mumbai, Delhi, Bangalore ou Chennai. Pour tirer cette conclusion, la Commission s’est appuyée sur plusieurs éléments de preuve documentaire ayant trait à la situation en Inde, dont le rapport d’information sur les pays d’origine produit par le Royaume‑Uni, et plusieurs autres documents que renfermait le volumineux dossier dont elle disposait.

 

[20]           À la lumière de ces éléments de preuve et du témoignage de la demanderesse quant aux études qu’elle avait faites, la SPR a conclu que la situation de la demanderesse répondait aux volets du critère qui s’applique pour déterminer l’existence d’une PRI. Plus particulièrement, la SPR a statué qu’il y avait plusieurs régions en Inde où la demanderesse n’aurait aucune raison de craindre d’être persécutée et qu’il n’aurait pas été objectivement déraisonnable ou trop dur de s’attendre à ce qu’elle se fût installée dans l’une de ces régions.

 

[21]           La SPR a également souligné que les raisons pour lesquelles la demanderesse prétend avoir été persécutée par la police du Punjab ont trait à un conflit à propos de la vente de terres et qu’elles n’ont rien à voir avec l’un ou l’autre des motifs prévus dans la définition de réfugié au sens de la Convention. Cela dit, la décision ne repose pas sur cette conclusion et les observations de la SPR sur ce point sont purement des remarques incidentes. Bref, cette prétendue erreur ne peut pas donner ouverture à une demande de contrôle judiciaire, et il n’est donc pas nécessaire de l’examiner en profondeur.

 

III.       L’ANALYSE

A.        Quelle est la norme de contrôle applicable?

[22]           La norme de contrôle qui s’applique aux prétendues conclusions erronées ayant trait à la crédibilité et à l’existence d’une PRI est celle de la raisonnabilité. Il est de jurisprudence constante que les conclusions d’un tribunal, dont la SPR, ayant trait à la crédibilité appellent la plus grande retenue (voir, par exemple, les arrêts Aguebor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF  no 732 (CAF) [arrêt Aguebor], au paragraphe 4; Singh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 169 NR 107, [1994] ACF no 86 [arrêt Singh], au paragraphe 3; et Cetinkaya c Canada (Ministre la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 8, [2012] ACF no 13, au paragraphe 17). Il est également de jurisprudence constante que la norme de contrôle qui s’applique aux conclusions de la SPR ayant trait à l’existence d’une PRI est celle de la raisonnabilité, puisqu’il s’agit d’une question de fait ou d’une question hybride de fait et de droit (voir, par exemple, les arrêts Kayumba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 138, [2010] ACF no 163, aux paragraphes12‑13, Khokhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 449, [2008] ACF no 571, au paragraphe 21; Agudelo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 465, [2009] ACF no 583, au paragraphe 17).

 

[23]           Avant d’analyser les présumées erreurs relevées par la demanderesse, il convient de décrire le critère que la Cour doit appliquer pour apprécier le caractère raisonnable des conclusions et inférences factuelles de la SPR.

 

B.        Dans quelles circonstances des conclusions de fait de la SPR seraient‑elles infirmées en raison de leur caractère déraisonnable?

[24]           Les juges Bastarache et Lebel, s’exprimant au nom de la majorité, ont souligné dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 46 [arrêt Dunsmuir], que « la raisonnabilité figure parmi les notions juridiques les plus usitées, elle est l’une des plus complexes ». Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique en quoi consiste la norme de la raisonnabilité dans le contexte du contrôle judiciaire, en indiquant que la cour de révision doit se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (au paragraphe 47) (non souligné dans l’original). La Cour suprême précise ensuite que l’examen de la justification est le plus important et que le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » (au paragraphe 47). Le processus d’examen ne s’arrête cependant pas là : la cour de révision doit également examiner si la décision du tribunal « [...] appart[ient] [...] aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (au paragraphe 47). Pour ce faire, la cour de révision doit accorder « une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (au paragraphe 48) [renvois omis].

 

[25]           Dans des jugements ultérieurs, la Cour suprême a étoffé ces observations, en fournissant des indications supplémentaires sur ce qui constitue — et ne constitue pas — une décision raisonnable. L’analyse qui suit porte essentiellement sur ce que disent ces jugements au sujet de l’application de la norme de la raisonnabilité dans le contexte de la contestation des conclusions de fait tirées par un tribunal.

 

[26]            Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 [arrêt Khosa], la Cour suprême a statué que l’exercice du pouvoir de contrôle judiciaire conféré par les articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 [LCF] est régi par les principes de la common law énoncés dans l’arrêt Dunsmuir et que l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF précise « la norme de contrôle de la raisonnabilité » qui doit s’appliquer à l’appréciation des conclusions de fait (au paragraphe 46). L’alinéa 18.1(4)d) de la LCF autorise évidemment la Cour à annuler la décision du tribunal si elle est convaincue que ce dernier « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

 

[27]           Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, aux paragraphes 30-31, 337 DLR (4th) 385, la Cour a souligné que la norme de la raisonnabilité exige une retenue plus grande que le contrôle par un tribunal d’appel pour ce qui est du traitement des conclusions de droit raisonnables, étant donné que les conclusions jugées erronées seront infirmées par le tribunal d’appel mais pas par la cour de révision. La Cour suprême a également déclaré que le tribunal d’appel et la cour de révision doivent appliquer le principe de déférence à l’examen des conclusions de fait. (Comme il est expliqué ci‑dessous, cependant, le degré de déférence qui s’applique aux conclusions de fait est moins élevé dans un appel qu’il ne l’est dans un contrôle judiciaire effectué selon la norme du caractère raisonnable).

 

[28]           Dans deux arrêts récents : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, 339 DLR (4th) 428 [arrêt Alberta Teachers] et Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, 340 DLR (4th) 17 [arrêt Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada s’est penchée sur la responsabilité qui incombe à la cour de révision lorsque cette dernière examine le dossier afin de décider si les conclusions tirées par le tribunal sont raisonnables. Dans les deux arrêts en question, la Cour suprême était appelée à se prononcer sur les conclusions de droit plutôt que sur les conclusions de fait tirées par le tribunal, mais il n’y a aucune raison, en principe, pour que le raisonnement de la Cour suprême ne s’applique pas à des conclusions de fait.

 

[29]           Dans l’arrêt Alberta Teachers, la Cour suprême était saisie d’un dossier dans lequel le tribunal n’avait pas exposé ses motifs mais rendu une décision implicite sur le point en litige. Dans ce jugement, le juge Rothstein, s’exprimant au nom de la majorité, a déclaré aux paragraphes 53‑54 :

Il convient [...] qu’[une cour de justice] porte une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » lorsque celleci porte sur une question qui n’a pas été soulevée devant le décideur.  Il est fort possible alors que le décideur administratif n’ait pas donné de motifs parce que la question n’avait pas été soulevée et qu’il ne la tenait pas pour litigieuse.  Lorsque la décision pourrait avoir une assise raisonnable, la cour de justice doit y déférer.

 

            Je ne laisse cependant pas entendre qu’une cour de justice n’a pas à tenir dûment compte des motifs du tribunal administratif lorsque ceuxci existent.  L’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas à la cour de justice le [traduction] « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » [...]  Elle ne doit pas non plus « être interprétée comme atténuant l’importance de motiver adéquatement une décision administrative » [...]  Au contraire, la déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité se manifeste optimalement lorsqu’une décision administrative est justifiée de façon intelligible et transparente et que la juridiction de révision contrôle la décision à partir des motifs qui l’étayent.  Il doit cependant exister au départ une obligation de motiver [...] [renvois omis].

 

 

[30]           Dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême a défini la question de manière un peu différente et repris de nouveau à son compte la notion selon laquelle la cour de révision doit accorder une attention respectueuse aux motifs donnés par le tribunal, d’une part, et à ceux qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision, d’autre part, en indiquant que la cour de révision « doit d’abord chercher à [...] compléter » les motifs donnés par le tribunal avant de « les contrecarrer » (au paragraphe 12) [renvois omis]. La juge Abella, s’exprimant au nom de la Cour suprême, a déclaré aux paragraphes 14‑16 :

            Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat [...]  Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles.  Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » […]

 

La cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de « respect [à l’égard] du processus décisionnel [de l’organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 48).  Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat. 

 

Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale [...]  En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[Non souligné dans l’original, renvois omis.]

 

 

[31]           Trois postulats s’appliquant à la présente demande se dégagent de ces décisions. Premièrement, l’exercice du pouvoir de contrôle judiciaire selon la norme de la raisonnabilité appelle généralement un degré élevé de retenue. Deuxièmement, la cour de révision doit tenir compte des motifs du tribunal, d’une part, et du dossier, d’autre part, pour apprécier le caractère raisonnable d’une décision. Pour finir, le critère qui s’applique pour juger du caractère raisonnable des conclusions de fait soumises à un contrôle judiciaire effectué sous le régime de la LCF est celui qui est défini à l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF.

 

[32]           Plusieurs décisions de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale ont défini le type d’erreurs qui peuvent donner ouverture à une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF. Les principes suivants se dégagent de la jurisprudence.

 

[33]           Selon l’alinéa 18.1(4)d), la décision doit répondre à trois critères pour que le recours demandé soit accordé; elle doit d’abord être entachée d’une erreur de droit véritable ou manifeste; elle doit ensuite avoir été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve; pour finir, la décision du tribunal doit être fondée sur une conclusion erronée (Rohm & Haas Canada Limited c Canada (Tribunal antidumping) (1978), 22 NR 175, [1978] ACF no 522, au paragraphe 5 [arrêt Rohm & Haas]; Buttar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1281, au paragraphe 12, [2006] ACF no 1607). Bref, les conclusions qui n’entraînent aucune conséquence ou qui équivalent à une remarque incidente ne peuvent pas donner ouverture à un contrôle judiciaire.

 

[34]           Les trois conditions établies par l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF constituent un critère plus exigeant que la norme de contrôle à laquelle sont assujetties, en appel, les erreurs de fait ou les conclusions de fait erronées. La norme appliquée par les tribunaux d’appel est celle de l’« erreur manifeste ou dominante ». Selon la définition qui en a été donnée, cela signifie que la décision ne sera examinée que si l’erreur est tout à fait évidente ou manifeste (Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, aux paragraphes 5‑6, [2002] 2 RCS 235). Par contre, pour l’application de l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF, la conclusion erronée doit être manifeste, mais elle doit aussi avoir servi de fondement à la décision du tribunal et avoir été tirée de façon arbitraire ou abusive ou sans tenir compte des éléments dont le tribunal disposait.

 

[35]           Une grande partie de la jurisprudence porte (souvent de façon implicite) sur la question de savoir si une conclusion a été tirée de façon « abusive » ou « arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments » dont dispose le tribunal. Compte tenu de la malléabilité de la norme de la raisonnabilité et de la nécessité d’analyser le contexte dans chaque cas, il est impossible de classer avec certitude chaque type de conclusion erronée qui pourrait être tirée de façon « abusive » ou « arbitraire » ou « sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] dispose ». Cela dit, un certain nombre de principes généraux se dégagent de la jurisprudence établie.

 

[36]           Dans l’arrêt de principe Rohm & Haas, portant sur l’interprétation de l’alinéa 18(1)d) de la LCF, le juge en chef Jacket a attribué le sens suivant au mot « abusif » : « avoir statué sciemment à l’opposé de la preuve » (au paragraphe 6). Au vu de cette définition, relativement peu de conclusions pourront être jugées abusives.

 

[37]           La définition du mot « arbitraire » est un peu moins contraignante. Dans l’arrêt Khakh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 116 FTR 310, [1996] ACF no 980, au paragraphe 6, le juge Campbell indique, en renvoyant à la définition figurant dans le dictionnaire, que le mot « arbitraire » signifie qui dépend du caprice, qui est soumis au libre arbitre ou à la fantaisie et entraîne des changements d’intérêt et d’attitude, et qui n’est pas guidé par un jugement, une intention ou un objectif continu. Dans l’arrêt Matando c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 416, au paragraphe 1, [2005] ACF no 509, le juge Harrington va plus ou moins dans le même sens en indiquant que le terme « arbitraire » désigne quelque chose « qui est irrégulier au point de sembler ne pas être conforme au droit ». Le principe qui se dégage de nombreuses décisions est que les conclusions qui sont fondées sur des hypothèses sont arbitraires. Dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum (1989), 99 NR 171, [1989] ACF no 505 (CAF), au paragraphe 33, le juge MacGuigan, s’exprimant au nom de la Cour, a formulé les observations suivantes sur les hypothèses :

            La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. [renvoi omis] :

 

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante […]

 

 

[38]           Pour finir, en ce qui concerne la troisième condition établie par l’alinéa 18.1(4)d), la jurisprudence reconnaît qu’une conclusion qui n’est soutenue par aucun élément de preuve sera annulée parce que cette conclusion a été tirée par le tribunal sans tenir compte des éléments dont il disposait (voir, par exemple, l’arrêt Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c Healy, 2003 CAF 380, au paragraphe 25, [2003] ACF no 1517). Au‑delà de cela, il est difficile d’établir une ligne de démarcation nette. L’arrêt Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, [1998] ACF no 1425) [arrêt Cepeda‑Gutierrez], fréquemment cité, contient une analyse utile du genre de conclusions erronées qui pourraient répondre à la norme d’une décision rendue « sans tenir compte des éléments » dont le tribunal disposait, ce qui est fort différent d’une conclusion non étayée par la preuve. Dans cette décision, le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), a écrit, aux paragraphes 14 à 17 :

[…] pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle‑ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu’elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont [elle disposait] » […]

 

  La Cour peut inférer que l'organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l'organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l'égard de l'interprétation qu'un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d'un organisme en l'absence de conclusions expresses et d'une analyse de la preuve qui indique comment l'organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]         Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal [renvois omis] [...], et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve [...]. Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut‑être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l'organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l'ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l'organisme a analysé l'ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]         Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » [...] Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[Non souligné dans l’original, renvois omis.]

 

 

 

[39]           La présente affaire ne constitue pas un précédent à l’appui de la thèse élémentaire de la demanderesse, selon laquelle le simple fait qu’un élément de preuve important n’est pas mentionné dans la décision du tribunal entraînera nécessairement l’annulation de cette décision. En fait, la décision Cepeda‑Gutierrez, dans la mesure où elle contient un tant soit peu des déclarations catégoriques, dit exactement le contraire et établit le principe que le tribunal n’est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve; ce n’est que lorsque l’élément de preuve non mentionné est important et contredit la conclusion du tribunal que la cour de révision peut décider que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait.

 

[40]           La jurisprudence citée ci‑dessus établit clairement que les demandeurs qui cherchent à faire annuler des décisions en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF ne sont pas au bout de leur peine, vu la gamme restreinte de critères permettant de qualifier une conclusion de fait de déraisonnable.

 

C.        Quels principes s’appliquent à l’examen des conclusions tirées par la SPR relativement à la crédibilité?

[41]           Une multitude de décisions traitent de l’examen des conclusions relatives à la crédibilité tirées par les divers tribunaux de l’immigration. Les principes généraux qui se dégagent de ces décisions et qui s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire sont résumés ci‑après.

 

[42]           Premièrement — et il s’agit probablement du point le plus important — il faut reconnaître, avant même de se pencher sur une conclusion relative à la crédibilité, que le rôle de la Cour est très limité, étant donné que le tribunal a eu l’occasion d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et de relever toutes les nuances et contradictions factuelles contenues dans la preuve. Ajoutons à cela que, dans bien des cas, le tribunal possède une expertise reconnue dans le domaine qui fait défaut à la cour de révision. Le tribunal est donc bien mieux placé pour tirer des conclusions quant à la crédibilité, et notamment pour juger de la plausibilité de la preuve. En outre, le principe de l’administration efficace de la justice, sur lequel repose la notion de déférence, fait en sorte que l’examen de ce genre de questions doit demeurer l’exception plutôt que la règle. Dans l’arrêt Aguebor, il est écrit, au paragraphe 4 :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire [...]

 

(voir également l’arrêt Singh, au paragraphe 3, et l’arrêt He c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 49 ACWS (3d) 562, [1994] ACF no 1107, au paragraphe 2).

 

[43]           Deuxièmement, les contradictions relevées dans la preuve, particulièrement dans le témoignage du demandeur d’asile, donneront généralement raison à la SPR de conclure que le demandeur manque de crédibilité, et, si cette conclusion est jugée raisonnable, la Cour refusera d’intervenir pour annuler la décision rejetant la totalité de la demande d’asile (voir, par exemple, les arrêts Rajaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 135 NR 300, [1991] ACF no 1271 (C.A.F.); Mohacsi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 4 CF 771, [2003] ACF  no 586, aux paragraphes 18-19 [arrêt Mohacsi]). Cela dit, les contradictions qui sous-tendent une conclusion négative quant à la crédibilité doivent être réelles et non pas illusoires. Ainsi, le tribunal ne peut pas monter en épingle des contradictions purement banales ou dérisoires pour rejeter une demande (voir, par exemple, les arrêts Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168, [1989] ACF no 444, au paragraphe 9; Mohacsi, au para 20; Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (2000) 190 FTR 225, [2000] ACF no 568, aux paragraphes 20‑24).

 

[44]           Troisièmement, même si le témoignage sous serment d’un demandeur est présumé être avéré en l’absence de contradiction, la SPR peut être fondée à rejeter ce témoignage si elle le juge invraisemblable. Cette conclusion d’invraisemblance doit cependant être tirée de façon cohérente et en tenant compte des différences culturelles. Elle doit également être énoncée de façon explicite, et les raisons pour lesquelles le tribunal a tiré cette conclusion doivent être exposées dans les motifs de décision (voir, par exemple, les arrêts Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] ACF no 162, au paragraphe 12 [arrêt Lubana]; Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, [2004] ACF no 1149, au paragraphe 15).

 

[45]           Quatrièmement, la SPR peut tenir compte, à bon droit, du comportement du témoin, y compris ses hésitations, le manque de précision de ses propos, le fait qu’il modifie ou étoffe sa version des faits. Ce genre de points peut être suffisant pour étayer une conclusion quant à la crédibilité, mais il est préférable qu’il y ait des faits objectifs additionnels pour justifier la conclusion (voir, par exemple, les arrêts Faryna c Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, [1951] B.C.J. no 152; Hassan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1136, au paragraphe 12).

 

[46]           Pour finir, lorsqu’une décision repose sur la crédibilité, la SPR doit exposer les motifs de sa conclusion, vu l’importance des questions qui sont en jeu dans une demande d’asile. Une conclusion générale, imprécise, floue et non motivée quant à la crédibilité pourrait être infirmée par la cour de révision (voir, par exemple, l’arrêt Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de Immigration) (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199, [1991] ACF no 228 (CAF)).

 

D.        La conclusion relative à l’identité était-elle raisonnable?

[47]           Afin d’analyser le caractère raisonnable des conclusions tirées par la Commission en l’espèce, la première question qu’il faut logiquement se poser est celle de savoir si la conclusion relative à l’identité est raisonnable. Selon l’article 106 de la LIPR, la SPR « [...] prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison [...] ». Il est de jurisprudence constante que si le demandeur ne présente pas des papiers d’identité acceptables, la Commission n’est pas obligée de statuer sur le bien‑fondé de la présumée demande d’asile et peut la rejeter d’emblée (Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1138, aux paragraphes 7 et 9, [2005] ACF no 1403). Bref, si la Cour conclut que la conclusion de la SPR concernant l’identité du demandeur est raisonnable, il ne lui est pas nécessaire d’examiner les autres arguments avancés dans la demande de contrôle judiciaire.

 

[48]           La question de l’identité est au cœur même de l’expertise de la SPR, et s’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la Commission c’est bien ici. Je suis d’avis que, pour autant qu’il y ait des éléments de preuve pour appuyer les conclusions de la Commission quant à l’identité, que la SPR en donne les raisons (qui ne sont pas manifestement spécieuses) et qu’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier, la conclusion de la SPR quant à l’identité appelle un degré élevé de retenue et sera considérée comme une décision raisonnable. Autrement dit, si ces facteurs s’appliquent, il est impossible de dire que la conclusion a été rendue de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

 

[49]           Lorsque ce critère est appliqué à la conclusion relative à l’identité tirée par la Commission en l’espèce, il est manifeste que cette conclusion est raisonnable.

 

[50]           Dans la décision, la SPR a tenu compte de plusieurs faits connexes pour tirer sa conclusion au sujet de l’identité. C’est donc une erreur que de monter certains de ces faits en épingle — comme l’a fait la demanderesse — pour tenter de convaincre la Cour que les présumées erreurs justifient la modification de la décision. La règle qui s’applique est beaucoup plus globale : la Cour doit examiner tous les arguments portant sur le point en question à la lumière du dossier afin de décider si la conclusion de la Commission est raisonnable. Les principaux éléments dont la Commission a tenu compte pour tirer sa conclusion au sujet de l’identité sont analysés ci-dessous.

 

[51]           D’abord et avant tout, la Commission a conclu que le passeport de la demanderesse avait été trafiqué. C’est sur cette conclusion de fait que repose essentiellement la conclusion de la SPR relative à l’identité, et elle est tout à fait raisonnable. La SPR disposait d’une copie du passeport et elle a conclu que le document avait été trafiqué, pour les mêmes raisons que celles données par l’agent du point d’entrée, soit que les coins du passeport avaient été taillés à la main et que le numéro qui était écrit sur le document était mal formé. Le seul élément contraire étayant l’authenticité du passeport provenait du témoignage de la demanderesse. La Commission a écarté cet élément après avoir pris connaissance de la preuve documentaire et elle a eu tout à fait raison de le faire, vu le jugement qu’elle avait porté sur le document et le caractère manifestement intéressé de la déclaration de la demanderesse, qui ne repose sur aucun fait, selon laquelle le passeport n’avait pas été trafiqué.

 

[52]           Le passeport est en outre la seule pièce d’identité avec photo que la demanderesse a présentée (à part la photo sur le visa d’étudiant, présenté à l’arrivée au Canada, qui a été reconnu comme frauduleux et qui ne pouvait manifestement pas établir l’identité). L’acte de naissance et la carte de rationnement soumis par la demanderesse ne contenaient pas de photo.

 

[53]           La demanderesse avance que le fait que la SPR n’ait pas fait mention de l’acte de naissance ni de la carte de rationnement dans sa décision permet nécessairement de conclure que la décision de la Commission est déraisonnable et qu’elle est susceptible d’être infirmée par la Cour. Je ne suis pas d’accord. Dans la présente affaire, aucun des documents n’était à ce point « important » pour que la décision soit annulée en vertu de l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF en raison du fait que la Commission ne les a pas expressément mentionnés dans ses motifs. Aucun des deux documents ne contenait de photo; par conséquent, ni l’un ni l’autre ne pouvait établir l’identité de la demanderesse. Au demeurant, les autres éléments de preuve dont disposait la Commission indiquaient clairement que la demanderesse n’avait pas établi son identité. Par conséquent, le fait que la carte de rationnement et l’acte de naissance n’aient pas été mentionnés dans la décision ne permet pas de dire que la conclusion de la Commission relative à l’identité est déraisonnable. Bref, il est impossible de conclure que la conclusion relative à l’identité est abusive ou arbitraire ou qu’elle a été tirée sans tenir compte des éléments de preuve, simplement parce que la SPR n’a pas renvoyé à la carte de rationnement et à l’acte de naissance. La Commission disposait d’un nombre suffisant d’éléments de preuve pour étayer sa conclusion relative à l’identité, et une grande partie de ces éléments ont été analysés dans sa décision.

 

[54]           Par exemple, le fait que la demanderesse n’ait pas indiqué l’adresse de ses parents dans les deux versions du FRP ni mentionné qu’elle avait un frère décrédibilise la preuve relative à son identité et entache sa crédibilité générale. Contrairement à ce que soutient la demanderesse, ces questions ne sont pas dérisoires ni banales; elles sont importantes, surtout dans un cas comme celui‑ci, où la demanderesse savait qu’elle devait établir son identité. Le fait de ne pas indiquer les coordonnées connues de témoins susceptibles de corroborer l’identité est un facteur important, car cette information est demandée dans le FRP et le demandeur doit faire une déclaration attestant l’exactitude des renseignements donnés dans ce formulaire et ayant la même force et le même effet que si elle était faite sous serment.

 

[55]           De plus, les différentes versions données par la demanderesse dans les FRP initial et modifié (lesquels ont été remplis à l’époque où la demanderesse était représentée par son ancien avocat) au sujet de ses études décrédibilisent davantage la preuve relative à son identité. Il va de soi qu’une personne devrait savoir quelles études elle a faites. La formation scolaire, tout comme les coordonnées des membres de la famille, sont des faits importants qui peuvent servir à corroborer l’identité.

 

[56]           En ce qui concerne la formation scolaire, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur susceptible de révision en concluant que le faux visa d’étudiant qu’elle a soumis entachait sa crédibilité; elle renvoie à cet égard à l’arrêt Fajardo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 21 Imm L.R. (2d) 113, [1993] ACF no 915 (CAF) [arrêt Fajardo] et à l’arrêt Lubana, dans lequel le juge Martineau a affirmé au paragraphe 11 :

[…] le fait qu'un revendicateur voyage avec de faux documents, détruit ses documents de voyage ou ment à leur sujet à son arrivée sur les instructions d'un agent est accessoire et a une valeur très limitée aux fins de l'évaluation de la crédibilité en général : [renvois omis]

 

[57]           Je ne souscris pas à l’argument de la demanderesse selon lequel la Commission a commis une erreur de ce genre. J’estime que la demanderesse a mal interprété la décision de la SPR sur ce point : la Commission n’a pas tenu compte uniquement du fait que la demanderesse avait présenté de faux documents pour conclure qu’elle n’était généralement pas crédible. La Commission s’est plutôt servie de ce fait pour expliquer qu’elle ne pouvait pas s’appuyer sur les papiers d’identité présentés à l’arrivée. Eu égard à la crédibilité, la SPR a plutôt retenu le fait que la demanderesse a continué de tergiverser lorsque l’agent l’a confrontée au point d’entrée et qu’elle a demandé l’asile seulement après avoir été coincée par l’agent.

 

[58]           Pour ces motifs, j’estime que la conclusion tirée par la SPR relativement à l’identité de la demanderesse est raisonnable et qu’elle doit être confirmée. Bien que cette conclusion soit suffisante pour rejeter la présente demande, les autres motifs de révision évoqués par la demanderesse sont analysés brièvement ci‑dessous.

 

E.         La conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité était-elle raisonnable?

[59]           Outre les arguments examinés ci-dessus, la demanderesse avance que la conclusion tirée par la Commission relativement à la crédibilité est déraisonnable pour les trois autres raisons suivantes :

a.              le certificat médical signé par la Dre Sarbjit Kaur est un élément de preuve si essentiel que le fait qu’il ne soit pas mentionné par la Commission permet de conclure que la décision est déraisonnable;

b.             la conclusion d’invraisemblance concernant la façon dont le père de la demanderesse aurait agi ne repose sur aucun fait, si bien que la conclusion relative à la crédibilité est déraisonnable;

c.              la Commission n’aurait pas dû accorder d’importance au fait que la demanderesse n’avait pas indiqué que le voisin était un policier avant son témoignage devant la SPR.

 

[60]           Aucun de ces points ne justifie l’intervention de la Cour. J’estime que la Cour ne doit pas intervenir pour infirmer des conclusions relatives à la crédibilité et à l’identité si la décision de la Commission s’appuie sur des éléments de preuve, si les motifs invoqués par la SPR pour justifier ses conclusions (qui ne sont pas manifestement spécieuses) ne sont pas des généralisations et s’il n’y a pas d’incohérence patente entre la décision de la Commission et la force probante de la preuve au dossier. Il importe peu que les motifs de la SPR ne soient pas parfaits ou même que la Cour soit en accord avec la conclusion, ou encore avec chaque étape du processus d’analyse de la crédibilité suivi par la SPR. La jurisprudence établit que l’appréciation de la crédibilité se situe au cœur même des attributions que le législateur a conférées à la SPR.

 

[61]           Dans la présente affaire, la SPR disposait d’une preuve suffisante pour conclure de façon raisonnable que la demanderesse n’était pas crédible et c’est ce qu’elle a conclu. Outre les faits relatifs à l’identité qui ont été examinés ci-dessus, plusieurs observations ont été présentées par la Commission.

 

[62]           Deux de ces observations sont essentiellement des conclusions d’invraisemblance. La Commission a écarté l’explication donnée par la demanderesse pour justifier le fait qu’elle n’avait pas modifié son FRP et tiré une conclusion d’invraisemblance générale relativement à la demande de la demanderesse. Dans le premier cas, l’explication fournie par la demanderesse (selon laquelle l’interprète lui avait dit qu’elle ne pouvait pas apporter d’autres modifications au FRP) n’est pas plausible à première vue et, qui plus est, c’est la SPR qui est la mieux placée pour tirer une conclusion quant à la vraisemblance de la raison donnée par la demanderesse, puisqu’elle sait comment les interprètes se comportent de façon générale et qu’elle a eu la possibilité de voir la demanderesse en action comme témoin. La demanderesse soutient que la conclusion d’invraisemblance générale est abusive parce que la Commission ne disposait d’aucune preuve indiquant que son père souhaitait vendre ses terres. Cet argument ne tient pas. Comme il a été souligné ci‑dessus, la demanderesse a déclaré, durant son témoignage devant la SPR, que son père souhaitait vendre ses terres, mais à un prix plus élevé que celui qu’offrait le voisin. Il est donc faux de dire que la conclusion d’invraisemblance générale tirée par la Commission est abusive parce qu’elle ne repose sur aucun fait.

 

[63]           La Commission a également déclaré que le fait que la demanderesse n’ait pas indiqué sur ses FRP que le voisin était un ancien policier entachait sa crédibilité. La demanderesse soutient que cette conclusion est déraisonnable, car l’ancien emploi du voisin n’est pas inéluctable au point que le fait de ne pas l’avoir mentionné dans le FRP doive inciter à conclure que la demanderesse a inventé son récit de toutes pièces. Je souscris d’une manière générale à l’affirmation selon laquelle un témoin par ailleurs sincère peut oublier de donner dans le FRP un renseignement comme le fait que le voisin était un policier à la retraite, mais cela n’a rien à voir avec la raisonnabilité générale des conclusions de la Commission. Comme la SPR a donné de nombreux autres motifs raisonnables pour justifier ses conclusions relatives à la crédibilité, cette question particulière importe peu pour statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[64]           La demanderesse affirme également que la Commission a rendu une décision déraisonnable en ne tenant pas compte du certificat médical de la Dre Sarbjit Kaur, car le document était à ce point important qu’il devait être mentionné. Je ne suis pas d’accord ici non plus. Comme il a été indiqué ci-dessus, l’indispensable analyse des conséquences qu’entraîne l’omission de mentionner un élément de preuve est purement contextuelle et vise à déterminer si cette omission est à ce point importante que la Cour doit nécessairement statuer que la conclusion relative à la crédibilité a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont disposait le tribunal. J’estime que le certificat médical n’est pas de cet acabit parce qu’il y avait beaucoup d’autres éléments de preuve qui étayaient la conclusion tirée par la Commission relativement à la crédibilité. Au demeurant, le certificat ne permet pas de déterminer si les événements se sont réellement produits.

 

[65]           Outre les nombreux points déjà analysés qui justifient amplement la conclusion de la Commission, les diverses versions des faits fournies par la demanderesse ont certainement procuré à la SPR de bonnes raisons de ne pas croire la demanderesse. Les dates différentes indiquées dans sur le premier et le deuxième FRP sont éloquentes à cet égard. Il est en effet incroyable qu’une personne ne puisse se rappeler quand s’est produit un événement de l’importance d’une agression sexuelle, d’autant plus que, en l’espèce, les faits ont été relatés pour la première fois quelques semaines après la présumée agression. La Commission n’a pas mentionné ce fait dans sa décision; du reste, elle a elle‑même déclaré que les événements s’étaient produits à la première des dates indiquées dans le FRP initial de la demanderesse. Le fait que la SPR n’ait pas mentionné la bonne date pour cet élément de preuve n’est certainement pas souhaitable, mais cette erreur ne met nullement en péril le caractère raisonnable des conclusions tirées par la Commission relativement à la crédibilité, puisque l’élément de preuve vient fortement appuyer la conclusion que la demanderesse ne disait pas la vérité.

 

[66]           À l’inverse, bien que le certificat médical soit recevable selon les règles de la preuve régissant la SPR, il constitue une preuve par ouï-dire, puisqu’il a été rédigé des années après le fait et présenté avec un lot de documents contenant des affidavits qui semblent avoir été copiés les uns sur les autres. Le certificat se situe donc à des années‑lumière du genre de document qui, selon les observations formulées par le juge Evans dans l’arrêt Cepeda‑Gutierrez, peut donner lieu à une conclusion que le tribunal n’a pas tenu compte des éléments dont il disposait pour rendre sa décision.

 

[67]           Bref, la conclusion tirée par la SPR relativement à la crédibilité est raisonnable. Il s’ensuit que la Commission n’a pas commis les erreurs 1, 2, 3, 4 et 6 que lui reproche la demanderesse.

 

E.         La conclusion tirée par la SPR relativement à l’existence d’une PRI

[68]           Pour finir, la demanderesse affirme que la conclusion tirée par la SPR relativement à l’existence d’une PRI est déraisonnable parce que la Commission n’a pas renvoyé à l’une des phrases figurant dans l’un des documents compris dans la volumineuse preuve documentaire, soit le rapport d’information sur les pays d’origine produit par le Royayme‑Uni. La phrase en question disait qu’il [traduction] « peut être difficile pour les femmes seules de trouver un logement sûr en Inde ». Or, il se trouve que le dossier renfermait plusieurs éléments de preuve qui indiquaient exactement le contraire et auxquels la Commission a fait allusion dans ses motifs. Le fait que la phrase relevée par la demanderesse ne soit pas mentionnée dans la décision ne permet aucunement de conclure que la décision de la SPR est déraisonnable. D’abord et avant tout, ce n’est pas un élément de preuve important au point que la Commission était tenue de le mentionner. Deuxièmement, la phrase ne contredit même pas la conclusion de la Commission; elle ne fait plutôt qu’indiquer qu’une femme seule pourrait avoir de la difficulté à trouver un logement ailleurs en Inde. Au vu de la profusion d’éléments de preuve contraires dont disposait la SPR, la conclusion concernant l’existence d’une PRI était certainement raisonnable.

 

V.        CONCLUSION

[69]           À la lumière de ce qui précède, la Cour n’a aucune raison de modifier la décision de la SPR, puisque la Commission n’a pas commis d’erreur susceptible de révision. En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

 

[70]           Aucune question n’a été soumise pour être certifiée en vertu de l’article 74 de la LIPR, et le présent dossier n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire visant la décision de la SPR est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Mary J.L. Gleason »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4818-11

 

INTITULÉ :                                       SANDEEP KAUR RAHAL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE GLEASON

 

DATE :                                               Le 16 mars 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Orman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Tessa Kroeker

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Orman

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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