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Date : 20120321

Référence : 2012 CF 336

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

Dossier : IMM-4250-11

ENTRE :

 

 

NOUH HUSSEIN ABDALLA HAMAD et ABDALLA, AHMAD, ASIA,

et ABDERRAHMAN HAMAD,

représentés par leur tuteur à l’instance

NOUH HUSSEIN ABDALLA HAMAD

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

ET ENTRE :

Dossier : IMM-4251-11

 

MUNIRA SALEH MAHMOUD

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Hamad et ses enfants sont les demandeurs dans le dossier IMM-4250-11; son épouse et la mère des enfants, Mme Mahmoud, est la demanderesse dans le dossier IMM 4251 10. Les demandeurs veulent faire annuler les décisions par lesquelles l’agent des visas a refusé leurs demandes de visa qui devaient leur permettre de venir au Canada pour que M. Hamad puisse étudier, que ses jeunes enfants puissent aller à l’école et que Mme Mahmoud puisse demeurer à la maison ou travailler pendant leur séjour au Canada.

 

[2]               Les décisions rendues relativement à chaque demande étaient identiques et les présentes demandes ont été entendues ensemble. Par conséquent, des motifs communs seront rendus et une copie de ceux-ci sera versée dans chacun des dossiers de la Cour.

 

[3]               Les demandes sont accueillies et les décisions de l’agent des visas sont annulées pour les motifs exposés ci‑dessous.

 

Contexte

[4]               M. Hamad vit à Benghazi, en Libye, avec Mme Mahmoud et leurs quatre enfants tous âgés de moins de dix ans (ci-après appelés collectivement les demandeurs). Ils sont tous citoyens de la Libye. En juin 2011, M. Hamad s’est rendu à l’ambassade du Canada en Égypte pour présenter une demande en vue de poursuivre des études au Canada, au collège George Brown, dans un programme de gestion des affaires et gestion comptable. Après avoir été informé de la marche à suivre à l’ambassade, il a présenté des demandes distinctes pour son épouse et ses quatre enfants. 

 

[5]               M. Hamad a deux frères qui vivent en Libye. Son troisième frère est un citoyen canadien qui vit à Toronto. Celui‑ci a souscrit un affidavit à l’appui des demandes et déclaré qu’il s’engageait à soutenir et aider financièrement la famille de son frère durant son séjour au Canada. M. Hamad était déjà allé en Égypte et il a mentionné dans sa demande qu’il avait rendu visite à son frère au Canada en 1991, qu’il avait obtenu un visa pour y séjourner du 24 janvier au 23 juillet 1991 et qu’il avait quitté le Canada avant la date d’expiration du visa.

 

[6]               Les demandeurs n’ont aucune dette et possèdent une maison, un verger et un puits en Libye. M. Hamad a également un camion de transport et des intérêts dans un magasin de matériaux de construction. Il est chef des ressources humaines du corps enseignant à la faculté d’agriculture de l’université Garyounis, à Benghazi, et son épouse est enseignante. Ils ont tous les deux fait le nécessaire pour obtenir des congés autorisés pendant leur séjour au Canada.

 

[7]               Le 14 juin 2011, leurs demandes ont été rejetées parce que l’agent n’était pas convaincu qu’ils retourneraient en Libye après leur séjour. L’agent est parvenu à cette conclusion après avoir examiné leurs antécédents de voyages, l’objet du séjour, les liens familiaux en Égypte, en Libye et au Canada, les perspectives d’emploi en Libye et les raisons pouvant les inciter à y retourner.

 

[8]               La partie pertinente de la décision est brève et rédigée comme suit :

[traduction]
[…] lettre du représentant indiquant que la Libye « est un pays très instable. Le mode de vie normal de sa population a été bouleversé et il est impossible d’écarter le risque de préjudice. En venant au Canada pour y étudier pendant plusieurs années, M. Hamad s’assure que ses enfants sont l’abri du danger ». « Bien entendu, il est impossible de prédire comment le conflit en Libye se réglera […] ». « Si la situation au pays se détériore au lieu de s’améliorer au cours des prochaines années, M. Hamad prendra alors les moyens juridiques appropriés pour conserver son statut au Canada jusqu’au règlement du conflit […] ». Preuve des fonds : déclaration de son frère, lettre d’emploi, avis de cotisation montrant des fonds de 1 360 147 $ en 2011 – documents relatifs à l’entreprise de matériaux de construction et au véhicule, documents immobiliers. Je ne suis pas convaincu que les demandeurs satisfont aux exigences du visa de résident temporaire compte tenu de leurs antécédents de voyage (limités à l’Égypte seulement selon les passeports) – aucun document ne confirme d’autres voyages – de l’objet de la visite (la lettre du représentant indique que la décision de M. Hamad de faire ses études au Canada se fondait sur la situation instable en Libye), des liens familiaux en Égypte et en Libye et au Canada (pendant que la famille séjourne au Canada), des perspectives d’emploi limitées en Libye (même si le demandeur principal et son épouse affirment avoir des emplois, la situation actuelle en Libye est très instable et l’emploi dans le futur est incertain) et du fait qu’il y a peu de raisons susceptibles de les inciter à retourner en Libye (la lettre du représentant indique le demandeur principal et sa famille voudront rester au Canada tant que la situation en Libye restera instable). Les demandeurs n’ont pas de liens forts qui garantiraient leur retour dans leur pays à la fin de la période de séjour, comme le prévoit l’alinéa 179b) du Règlement.

Par conséquent, la demande est refusée.

 

 

Questions à trancher

[9]               Les demandeurs soulèvent dans leur mémoire les questions suivantes :

            [traduction]

1.         L’agent a‑t‑il commis une erreur de droit en appliquant l’article 179 et les dispositions connexes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, relativement à la double intention et tiré des conclusions déraisonnables?

2.         L’agent a‑t‑il manqué à son obligation d’agir équitablement envers les         demandeurs?

3.         L’agent a‑t‑il fait erreur en ne fournissant pas des motifs suffisants?

 

[10]           À mon avis, la véritable question à trancher dans la présente demande est de savoir si la décision de l’agent était raisonnable selon Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

Analyse

[11]           À mon avis, la décision de l’agent ne démontre pas la justification du processus décisionnel et n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits. Je résume dans les paragraphes qui suivent pourquoi je suis arrivé à cette conclusion.

 

[12]           Premièrement, l’agent n’a fait état que du voyage en Égypte de M. Hamad, mais il n’a pas du tout tenu compte de son voyage au Canada en 1991 et du fait qu’il est retourné en Libye avant la date d’expiration de son visa canadien.

 

[13]           Deuxièmement, la conclusion de l’agent selon laquelle les demandeurs n’avaient pas de liens forts en Libye est déraisonnable et non corroborée par le dossier. La preuve révèle que M. Hamad a un frère au Canada, mais que sa mère et ses deux frères et leurs familles vivent en Libye. Mme Mahmoud n’a pas de famille immédiate au Canada, mais ses parents, ses deux sœurs et ses deux frères et leurs familles vivent en Libye.

 

[14]           Troisièmement, la conclusion de l’agent selon laquelle les perspectives d’emploi seraient limitées dans le futur en Libye en raison de l’instabilité actuelle est hypothétique et constitue une conclusion déraisonnable non corroborée par le dossier. La preuve dont l’agent disposait démontrait que M. Hamad et son épouse travaillaient depuis des années et que M. Hamad était propriétaire d’entreprises, d’un camion de transport et d’un magasin de matériaux de construction dont il voulait confier la gestion à ses frères et à son associé pendant son séjour au Canada. 

 

[15]           Quatrièmement, l’affirmation de l’agent selon laquelle [traduction] « le demandeur principal et sa famille voudront rester au Canada tant que la situation en Libye restera instable » est incompatible avec les déclarations faites dans la demande. En fait, l’avocate des demandeurs a mentionné dans sa lettre que les demandeurs, même s’ils s’attendaient à une amélioration de la situation, prendraient tous les mesures légales pour demeurer au Canada si la situation en Libye se détériorait, mais qu’ils ne resteraient pas au Canada sans statut. Le passage en question est rédigé comme suit :

[traduction]

Selon lui, il y a tout lieu de croire que la situation dans son pays va se stabiliser, car elle ne peut rester telle qu’elle est en ce moment. Il veut y retourner après ses études et contribuer au développement du pays. Si jamais la situation se détériore au lieu de s’améliorer au cours des prochaines années, M. Hamad  prendrait alors les mesures légales appropriées pour conserver son statut au Canada jusqu’au règlement du conflit. Soyez assuré qu’il n’a aucune intention, avec une femme et quatre enfants, de tenter de rester au Canada sans statut.

 

Il importe également de souligner que le visa a été demandé pour une période de trois ans se terminant en 2014. L’agent a rendu sa décision au moment où les citoyens de la Libye tentaient, avec le soutien de la communauté internationale, de chasser du pouvoir Mouammar Kadhafi. Le danger de l’hypothèse avancée par l’agent quant à la situation du pays trois ans plus tard se vérifie par le fait que, depuis ce temps, Mouammar Kadhafi a été chassé du pouvoir et tué et que, bien que l’administration actuelle éprouve certaines difficultés, la stabilité en Libye s’est considérablement améliorée.

 

[16]           Cinquièmement, l’agent laisse indûment entendre que la visite au Canada a pour seul objet d’échapper à la situation d’instabilité qui règne en Libye. Il écrit : [traduction] « sa décision de faire ses études au Canada découlait de la situation instable en Libye ». Cette affirmation ne reflète pas de façon exacte les renseignements contenus dans le dossier qui ont été décrits avec plus de justesse par l’avocate, à savoir que la situation instable en Libye avait une incidence sur le choix du moment de faire des études au Canada, et non sur l’authenticité de la motivation à les faire. Il ne fait guère de doute que tous considèrent le Canada comme un endroit sûr pour les enfants, mais cela ne veut pas dire que les études ne sont pas envisagées de bonne foi, particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la demande comporte une description de ce qu’elles représentent pour M. Hamad.

[traduction]

M. Hamad a la possibilité d’améliorer sa maîtrise de l’anglais et ses compétences professionnelles, qu’il pourra mettre à profit en Libye lorsque sa famille et lui y retourneront, et, par la même occasion, il peut mettre sa famille à l’abri du danger et de l’incertitude au cours des trois prochaines années. On peut s’attendre à ce que les enfants acquièrent une parfaite maîtrise de l’anglais, ce qui constituera un avantage pour eux plus tard dans leur vie.

 

[17]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 

[18]           Les demandes de visa indiquent que M. Hamad, qui peut parler anglais, avait prévu suivre un programme d’anglais intensif à partir de la fin d’août jusqu’à la fin de l’année avant d’entreprendre en janvier le programme de gestion et de comptabilité au Collège George Brown, à Toronto. Compte tenu de ces dates, j’estime qu’il est approprié d’ordonner que les demandes soient examinées et qu’une nouvelle décision soit rendue dans un délai de 90 jours. Il faut éviter de lui faire perdre une deuxième année en raison d’une décision tardive.


 

JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la décision de l’agent des visas de refuser les demandes de visa des demandeurs soit annulée, que les affaires soient renvoyées à un autre agent des visas pour qu’il rende, au plus tard dans les 90 jours de la date du présent jugement, une décision conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                                  IMM-4250-11

INTITULÉ :                                                  NOUH HUSSEIN ABDALKLA HAMAD ET AL. c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

DOSSIER :                                                    IMM-4251-11

INTITULÉ :                                                  MUNIRA SALEH MAHMOUD c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 1er mars 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 21 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Barbara Jackman

 

POUR LES DEMANDEURS

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jackman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEU

 

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