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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20120319


Dossier : IMM-5038-11

Référence : 2012 CF 323

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

REINALDO SUAREZ ROSALES

NORIS DIONISIA HERNANDEZ HERNANDEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               Les demandeurs, des époux venant de Cuba, contestent la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) de rejeter leur demande d’asile, laquelle était fondée sur le fait qu’ils craignent d’être persécutés en raison de leurs opinions politiques.

II.         LE CONTEXTE

[2]               Selon l’exposé circonstancié des demandeurs, ils exploitaient des chambres d’hôtes dans une région touristique de Cuba. Ils avaient ainsi des rapports avec des touristes qui s’intéressaient à la vie quotidienne des Cubains.

 

[3]               La demanderesse principale, Mme Hernandez, est entrée au Canada au moyen d’un visa de résident temporaire (VRT) pour séjours multiples à deux occasions pour rendre visite à sa famille. C’est pendant ces séjours au Canada qu’elle a appris certains faits survenus à Cuba dont n’avaient pas parlé les médias cubains, notamment l’incarcération de certains dissidents.

 

[4]               Le prétendu séjour de deux invités – une Cubaine et un touriste italien – dans les chambres d’hôtes est un élément essentiel de la demande d’asile des demandeurs. L’Italien aurait participé aux conversations de Mme Hernandez avec ses voisins au sujet de ce qu’elle avait appris et de ce qu’elle avait lu au sujet de Cuba pendant qu’elle était au Canada. Il a posé des questions au sujet de la vie à Cuba, notamment en ce qui concerne l’utilisation des carnets de rationnement et l’interdiction faite aux habitants locaux d’utiliser certaines des plages situées dans la zone touristique.

 

[5]               Les demandeurs ont soutenu que, après la visite de la Cubaine et du touriste italien, des membres du service de sécurité de l’État les ont amenés pour les interroger, ont fouillé leur maison et ont confisqué leur matériel électronique. De plus, le permis les autorisant à exploiter les chambres d’hôtes a été révoqué.

 

[6]               Les demandeurs ont ensuite reçu régulièrement la visite du dirigeant du parti, ont été amenés pour être interrogés et ont été forcés de signer une lettre d’avertissement leur interdisant de parler de Cuba à quiconque, à défaut de quoi ils seraient passibles d’une peine d’emprisonnement de trois à cinq ans.

 

[7]               Les demandeurs ont conclu que la Cubaine qui accompagnait le touriste italien était une informatrice du service de sécurité de l’État. Ils ont aussi conclu qu’il serait préférable qu’ils quittent Cuba car ils étaient dorénavant considérés comme suspects.

 

[8]               La demanderesse principale détenait déjà un VRT et son mari a pu en obtenir un en février 2010. Ils avaient cependant besoin également de visas de sortie. Avant qu’ils obtiennent ces visas en mars 2010, des employés du service de sécurité de l’État leur ont dit qu’ils allaient devoir demeurer à l’étranger parce qu’ils ne seraient plus les bienvenus à Cuba. Les demandeurs pensent que les autorités leur ont délivré des visas de sortie afin de les exiler de Cuba.

 

[9]               En rejetant la demande d’asile, la Commission a rendu une décision défavorable aux demandeurs pour une question de crédibilité. Elle a conclu à une absence de preuve documentaire fiable et à une absence de témoignage cohérent sur la preuve documentaire. Le séjour de la Cubaine et du touriste italien dans les chambres d’hôtes – un fait essentiel – n’était pas corroboré par une preuve fiable.

 

[10]           La Commission s’est intéressée principalement aux reçus de location relatifs au séjour de la Cubaine et du touriste italien et a souligné l’incompatibilité totale des documents quant aux dates et aux montants. Il ne fait aucun doute que les explications sans cesse changeantes données par les demandeurs à cet égard ont amené la Commission à conclure que la preuve était fabriquée.

 

[11]           La Commission a aussi noté l’absence de preuve objective démontrant que les demandeurs étaient réputés être des « personnes ayant un profil politique » ou qu’ils exploitaient des chambres d’hôtes lorsque les faits essentiels de septembre 2009 sont survenus.

 

[12]           La Commission a rejeté la prétendue crainte des demandeurs d’être arrêtés à leur retour à Cuba. Selon elle, les autorités cubaines ne délivreraient pas un visa de sortie à des personnes « qui ne sont pas dignes de confiance sur le plan politique ».

 

[13]           Quant à la prétention des demandeurs selon laquelle, comme ils sont restés à l’extérieur de Cuba au-delà de la date d’expiration de leurs visas de sortie, ils ne seraient pas autorisés à retourner dans ce pays, la Commission a conclu qu’ils n’avaient même pas essayé d’en prolonger la durée de validité.

 

[14]           Enfin, les demandeurs ont prétendu, à l’audience devant la Commission et par la suite, qu’ils seraient sanctionnés pour ne pas avoir respecté leurs visas de sortie et pour être retournés à Cuba et que la loi cubaine concernant la « dangerosité » était de la nature de la persécution. Ces arguments ont été rejetés en raison du manque de preuve concernant le risque d’être puni pour avoir demandé l’asile au Canada ou pour avoir un profil politique étant donné que l’incident le plus important qu’ils invoquaient au soutien de leur demande d’asile n’était pas crédible.

 

III.       ANALYSE

[15]           La norme de contrôle qui s’applique à une décision de la Commission fondée sur la crédibilité et la vraisemblance est généralement la raisonnabilité (voir Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55). Le poids à accorder à la preuve ainsi que l’interprétation et l’appréciation de celle‑ci sont également assujettis à la norme de la raisonnabilité (voir N.O.O c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1045).

 

[16]           Contrairement aux parties, je ne pense pas que ce soit la norme de la raisonnabilité qui s’applique au regard de la nature persécutrice de la loi cubaine. La question de savoir si les lois cubaines relatives au départ qui permettent des poursuites et des peines d’emprisonnement sont de la nature de la « persécution » au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) ou d’une « peine cruelle et inusitée » au sens de l’article 97 de la LIPR concerne une loi d’application générale et exige que l’on tienne compte du droit national et du droit international. C’est donc la norme de la décision correcte qui devrait s’appliquer à la conclusion de la Commission.

 

[17]           En ce qui concerne la conclusion de la Commission relative à la crédibilité, il est bien établi en droit que non seulement cette conclusion est assujettie à la norme de la raisonnabilité, mais aussi qu’il faut faire montre d’une grande retenue à l’égard de la Commission, laquelle est le juge des faits (Khan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1330, au paragraphe 30).

 

[18]           Il ne fait aucun doute que les explications constamment changeantes des demandeurs ont eu une incidence sur la conclusion de la Commission. Cette dernière est mieux placée qu’une cour de révision car elle peut observer les témoins, en particulier lorsque ceux‑ci sont confrontés à des incohérences difficiles.

 

[19]           Les doutes concernant la crédibilité influent sur l’appréciation de la preuve documentaire ou de l’absence de celle‑ci. La nécessité que la preuve soit corroborée est encore plus importante lorsque la crédibilité est en cause. La Cour doit examiner la conclusion dans son ensemble et en tenant compte du contexte dans lequel elle a été tirée, mais sans procéder à une analyse microscopique.

 

[20]           En l’espèce, la décision de la Commission concernant la crédibilité est raisonnable : la Commission pouvait tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue. Les demandeurs ont produit des documents qui contenaient des erreurs et des incohérences et la Commission a conclu, comme elle avait le droit de le faire, que leurs explications n’étaient pas valables.

 

[21]           Les erreurs et les incohérences compromettaient le fondement même de la demande d’asile des demandeurs. Ces erreurs et incohérences et les explications hésitantes des demandeurs avaient trait précisément à la question de savoir si ces derniers exploitaient des chambres d’hôtes aux moments pertinents, une question qui sous‑tendait l’histoire de la Cubaine et du touriste italien.

 

[22]           Quant à la question de savoir si une poursuite pour violation d’un permis de sortie est de la nature de la persécution, les demandeurs sont confrontés à au moins deux difficultés : ils sont responsables de la violation et les lois cubaines sur le départ n’ont pas été jugées comme étant de la nature de la persécution.

 

[23]           Dans Valentin c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (C.A.F.), [1991] 3 CF 390, la Cour d’appel fédérale a statué qu’un demandeur ne peut créer lui‑même une cause pour demander l’asile. Ce principe a été suivi dans Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 833, où la demanderesse avait dépassé la durée de séjour permise par son visa de sortie cubain, relativement aux articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[24]           En l’espèce, la Commission a signalé le défaut des demandeurs de demander une prolongation de leurs visas de sortie, même s’il est normal de pouvoir prolonger la durée de validité d’un tel visa de 11 mois supplémentaires et peut‑être même davantage.

 

[25]           Dans Galvez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1690, la Cour a maintenu la conclusion de la Commission selon laquelle les lois cubaines relatives au départ ne sont pas persécutrices. En l’espèce, la preuve n’indique pas que le droit serait appliqué aux demandeurs de manière à les persécuter.

 

[26]           En conséquence, la Commission a eu raison de conclure que les lois relatives au départ n’étaient pas persécutrices et que les demandeurs ne pouvaient pas créer eux‑mêmes une cause pour demander l’asile. La conclusion de la Commission selon laquelle elle ne disposait d’aucune preuve démontrant que les lois seraient appliquées de manière à persécuter les demandeurs est raisonnable.

 

IV.       CONCLUSION

[27]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. L’affaire ne soulève aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                       IMM-5038-11

 

INTITULÉ :                                                      REINALDO SUAREZ ROSALES

                                                                           NORIS DIONISIA HERNANDEZ HERNANDEZ c.

                                                                           LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                           ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                              Le 22 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                     Le 19 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Pamila Bhardwaj

 

                       POUR LES DEMANDEURS

 

Jane Stewart

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Pamila Bhardwaj

Avocate

Toronto (Ontario)

 

                        POUR LES DEMANDEURS

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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