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Date : 20120315

Dossier : IMM‑5083‑11

Référence : 2012 CF 311

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 15 mars 2012

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

 

 

YANPING LU

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit du contrôle judiciaire d’une demande d’asile qui a été rejetée au motif que le demandeur est exclu de la protection en application de la section 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et de l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR). La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu subsidiairement que le demandeur ne serait pas exposé à la persécution s’il pratiquait la religion chrétienne dans la province chinoise du Fujian.

 

[2]               La décision de la CISR sur les deux questions repose sur sa conclusion que le demandeur était un résident du Chili et cet aspect de la décision est au cœur du présent contrôle judiciaire.

 

II.         CONTEXTE

 

[3]               Le demandeur est un citoyen chinois, il est marié et a deux filles. Son épouse et ses filles sont restées en Chine.

 

[4]               Le demandeur allègue avoir été initié au christianisme en mai 2006 et avoir commencé à le pratiquer au début de 2007.

 

[5]               Le premier incident est survenu en janvier 2008. Pendant qu’il était au travail, son épouse l’a informé que des membres du Bureau de la sécurité publique (BSP) à sa recherche s’étaient présentés à leur domicile, affirmant qu’il appartenait à une église clandestine. Il affirme s’être dès lors caché. Plus tard la même journée, le BSP a fait une descente à l’église du demandeur et a arrêté quatre de ses membres.

 

[6]               Lors du deuxième incident en février 2008, le BSP est venu au domicile du demandeur pour l’inculper de non‑respect de la législation relative à la religion. Il était cependant caché et l’est demeuré jusqu’à son départ de Chine.

 

[7]               Le demandeur dit s’être organisé avec un passeur pour s’enfuir au Canada. Il a déclaré avoir quitté la Chine le 14 mars 2008 et être allé à Hong Kong, en Malaisie, en Argentine et au Chili. Il a déclaré être arrivé au Chili le 16 mars 2008.

 

[8]               Selon le récit du demandeur, pour obtenir un visa canadien, le passeur a obtenu deux faux documents indiquant qu’il était résident permanent du Chili. Le certificat chilien de résidence permanente a été délivré le 31 décembre 2007 et la carte d’identité chilienne pour résidents étrangers, le 28 janvier 2008.

 

[9]               Le demandeur est finalement arrivé au Canada le 14 juillet 2008 et a déposé une demande d’asile invoquant son appartenance à une église clandestine en Chine. Il a affirmé qu’après son départ de la Chine, le BSP s’était rendu à son domicile à de nombreuses reprises, et que les fidèles de son église arrêtés antérieurement avaient été condamnés soit à des camps de travail ou à trois années de prison. Il prétend aussi qu’il a continué de pratiquer sa religion au Canada.

 

[10]           Avant la première journée d’audience à la CISR, l’ASFC a communiqué avec le consulat du Chili pour obtenir confirmation du statut du demandeur dans ce pays. Cette première demande a été refusée en raison des lois chiliennes sur la protection de la vie privée qui sont rigoureuses et exigeaient le consentement du demandeur. Le demandeur a donné son consentement lors de la première audience. Il a déclaré que les documents chiliens avaient été obtenus par le passeur et qu’il n’en connaissait pas très bien le contenu.

 

[11]           Le consulat chilien a informé le représentant du ministre, puis la CISR, que le demandeur était bien un résident permanent du Chili quand il est arrivé au Canada, mais qu’il avait perdu ce statut parce qu’il était demeuré hors du Chili pendant plus d’un an.

 

[12]           La décision de la CISR indique qu’on a laissé à l’avocat du demandeur du temps pour communiquer avec le consulat chilien et se renseigner davantage sur le statut de son client au Chili. L’avocat a indiqué à la CISR que ses demandes de renseignement sont restées sans réponse.

 

[13]           La CISR a tiré plusieurs conclusions de fait importantes quant au statut du demandeur au Chili :

·                    Il était un résident permanent au Chili depuis octobre 2007.

·                    Les lois chilienne et canadienne relativement à la perte de la résidence permanente sont similaires en ce sens que le droit à la résidence permanente n’est pas un droit absolu et qu’une absence du pays peut entraîner la perte de ce statut (au Canada la résidence permanente peut être révoquée en cas de séjour de plus de six mois à l’étranger).

·                    Suivant l’arrêt Zeng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 118, c’est de son propre gré que le demandeur a perdu son statut de résident permanent. La CISR a donc conclu qu’il était exclu en application de la section 1E de la Convention.

Article premier – Définition du terme « réfugié »

 

E.         Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

 

 

[14]           En se fondant sur les documents chiliens, lesquels ont été tenus pour véridiques, la CISR a conclu que le demandeur avait résidé au Chili au moins depuis octobre 2005 jusqu’à juillet 2008. Étant donné la période en cause, les allégations relatives à l’adhésion du demandeur au christianisme et aux tentatives du BSP de le trouver n’étaient pas crédibles ou dignes de foi.

 

[15]           La CISR a ensuite rejeté les documents de résidence chinois visant à établir qu’il était dans le Fujian pendant la période pertinente en raison a) du fait qu’ils avaient pu être obtenus pendant qu’il y était en visite à un moment donné entre 2005 et 2008, et b) du grand nombre de documents frauduleux en Chine.

 

[16]           Adoptant la thèse selon laquelle le demandeur se trouvait au Chili plutôt qu’en Chine au moment où il a adhéré à sa religion, la CISR a conclu qu’il avait pratiqué sa religion à Toronto afin de renforcer sa demande d’asile. La CISR a estimé que le fait qu’il ne sache pas réciter le Notre Père et le Credo des apôtres permettait de douter qu’il était un véritable adepte de la foi chrétienne.

 

[17]           La CISR a en outre relevé qu’il n’y avait pas eu d’actes de persécutions contre les chrétiens dans le Fujian, jugeant que cet élément entachait la demande d’asile fondée sur un motif de persécution religieuse.

 

[18]           En résumé, la CISR a conclu que le récit du demandeur comportait trop d’incohérences pour pouvoir conclure à la crédibilité de sa demande.

 

III.       ANALYSE

 

[19]           Tel que cela a été indiqué, la question fondamentale est l’authenticité des documents de résidence chiliens. Si ces documents étaient effectivement frauduleux, le récit du demandeur revêt un degré de cohérence justifiant qu’une personne raisonnable conclue que sa crainte d’être persécuté du fait de sa religion est subjectivement et objectivement fondée. Si en revanche, ces documents sont véridiques, son récit s’écroule, car il n’est pas compatible avec la chronologie des événements.

 

[20]           Quant à la norme de contrôle applicable, la Cour d’appel fédérale a conclu dans Zeng, ci‑dessus,  que dans les cas où la question porte sur le critère relatif à l’exclusion, la norme applicable est celle de la décision correcte (au paragraphe 11). À l’inverse, la question de savoir si les faits donnent lieu à l’exclusion en application de la section 1E est une question mixte de droit et de fait assujettie à la norme de la raisonnabilité, comme c’est le cas quand la question porte uniquement sur les faits (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, aux paragraphes 51 et 53; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 46).

 

[21]           L’exclusion que prévoit la section 1E vise à empêcher que les personnes qui n’en ont pas besoin bénéficient du droit d’asile. Le critère relatif à l’exclusion fondée sur la section 1E est exposé au paragraphe 28 de Zeng, ci-dessus :

Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l’audience, le demandeur a‑t‑il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s’il l’a perdu, ou s’il pouvait obtenir ce statut et qu’il ne l’a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n’est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d’origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

 

 

[22]           Le demandeur ne conteste pas le critère relatif à l’exclusion, mais simplement la conclusion de la CISR selon laquelle les faits de l’espèce donnent lieu à l’exclusion. Cette conclusion appelle toutefois la retenue et sera maintenue si elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des éléments de preuve dont la CISR disposait.

 

[23]           Le défendeur a présenté une preuve prima facie selon laquelle l’exclusion s’applique au demandeur. Les documents chiliens et la confirmation par le consulat que le demandeur possédait le statut de résident permanent suffisent pour constituer une preuve prima facie.

 

[24]           Comme le défendeur a présenté une preuve prima facie quant à l’exclusion, il appartenait au demandeur de la réfuter. Tel est le régime juridique applicable aux parties.

 

[25]           Les seuls éléments de preuve produits en vue de réfuter la preuve relative au statut du demandeur au Chili sont les documents de résidence chinois. Ces éléments de preuve se contredisent manifestement; les deux ne peuvent être authentiques.

 

[26]           Lorsque la CISR laisse entendre que les documents de résidence chinois pourraient avoir été obtenus quand le demandeur est retourné en Chine, elle n’a fait que commenter la vraisemblance de ces documents. Il n’existe pas de preuve de ce retour. Il faut interpréter ces commentaires comme une tentative d’expliquer l’origine de ces documents; il en est de même en ce qui concerne la preuve relative au nombre élevé de documents frauduleux en Chine.

 

[27]           Il était raisonnable que la CISR conclue que les documents chiliens étaient authentiques, et à partir de cette conclusion, qu’elle conclue que le récit du demandeur n’était pas crédible, car il ne correspondait pas aux faits sous‑jacents à leur existence.

 

[28]           Il appartenait au demandeur de prouver son absence du Chili pendant les périodes pertinentes ainsi que le caractère frauduleux des documents chiliens. Dans ces circonstances, il ne suffisait pas d’affirmer simplement que ceux‑ci étaient frauduleux.

 

[29]           La conclusion de la CISR que le demandeur n’a pas été persécuté en raison de ses croyances religieuses est liée à la conclusion selon laquelle il se trouvait au Chili pendant les périodes pertinentes. Bien que la preuve relative à sa connaissance des grands principes de la foi chrétienne soi équivoque (il connaissait notamment les concepts de Trinité et de péché originel, mais il ne savait pas réciter les principales prières), il était loisible à la CISR de conclure à l’insuffisance des éléments de preuve qu’il a présentés.

 

IV.       CONCLUSION

 

[30]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5083‑11

 

INTITULÉ :                                                   YANPING LU

 

                                                                        et

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA citoyenneté
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 21 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE PHELAN

 

DATE :                                                           Le 15 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Hart A. Kaminker

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon S. Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Hart A. Kaminker

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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