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Date : 20120314

Dossier : IMM‑2817‑11

Référence : 2012 CF 306

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2012

En présence de monsieur le juge Scott

 

 

Entre :

 

FARHA FAROOK SHIRAZI

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

Motifs du jugement et jugement

 

I.          Introduction

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par Farha Farook Shirazi (Mme Shirazi) en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], sollicitant le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 14 avril 2011 par M. Pendleton, agente préposée aux cas à Citoyenneté et Immigration Canada (l’agente), laquelle a rejeté la demande de résidence permanente de Mme Shirazi comme membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

II.        Contexte

 

A.                Les faits

 

[3]               Mme Shirazi est une citoyenne de l’Inde, née à Surat, le 10 septembre 1975.

 

[4]               Mme Shirazi est mariée et a deux enfants. Elle est titulaire d’un baccalauréat en commerce et d’un diplôme en études informatiques du D.R.K. College of Commerce, en Inde, et d’un diplôme en commerce international de Mumbai.

 

[5]               Son curriculum vitæ révèle qu’elle a occupé plusieurs postes dans le domaine du secrétariat. D’octobre 1999 à septembre 2001, elle a travaillé comme secrétaire pour Al‑Rods est., à Sharjah, aux Émirats arabes unis. De novembre 2002 à février 2006, elle a travaillé comme secrétaire exécutive pour Avon Appliances à Mumbai. Mme Shirazi a ensuite travaillé pour Standard Carpets à Sharjah jusqu’en avril 2007. Elle travaille à la « Happy Home English School » à Sharjah depuis septembre 2008 jusqu’à maintenant (voir les paragraphes 7 à 15 de l’affidavit de Farha Farook Shirazi).

 

[6]               En juillet 2007, elle a présenté une demande à titre de membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral).

 

[7]               Le 9 octobre 2007, Mme Shirazi a reçu un accusé de réception de sa demande du Haut‑commissariat du Canada à Londres, en Angleterre.

 

[8]               Le 11 mars 2010, Mme Shirazi a été informée que cette demande était transmise au Centre de traitement des demandes pilote d’Ottawa.

 

[9]               L’agente a conclu que Mme Shirazi ne remplissait pas les exigences de la LIPR et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le Règlement]. Par conséquent, elle n’était pas admissible en tant que membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), plus particulièrement dans la catégorie des secrétaires.

 

B.                 La décision de l’agente

 

[10]           L’agente a examiné la demande de Mme Shirazi et a attribué les points comme suit :

 

Points d’appréciation attribués

Maximum

Âge

10

10

Études

22

25

Expérience

19

21

Emploi réservé

0

10

Compétences dans les langues officielles

14

24

Capacité d’adaptation

0

10

TOTAL

65

100

 

[11]           Afin d’être acceptée comme membre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), Mme Shirazi devait obtenir un minimum de 67 points. Cependant, comme l’indique la grille ci‑dessus, elle n’a obtenu que 65 points sur un maximum de 100 points.

 

[12]           En l’espèce, la partie de la décision en cause concerne la cote que l’agente a attribuée au critère « Expérience ».

 

[13]           Comme preuve de son expérience dans le domaine du secrétariat, Mme Shirazi a fourni plusieurs lettres d’anciens employeurs. Selon l’agente, parmi tous les documents présentés, seulement deux lettres contenaient le détail de ses fonctions (voir les pages 49 à 59 du dossier de la demanderesse). L’agente a évalué l’expérience professionnelle de Mme Shirazi à la lumière de ces deux lettres. L’agente a comparé les fonctions énumérées dans ces lettres à la description figurant dans la Classification nationale des professions [CNP] et a conclu que seulement une lettre (voir la lettre d’Avon Appliances, aux pages 49 à 57) montrait que Mme Shirazi avait exercé plusieurs des fonctions énumérées dans la CNP sous le code 1241 [CNP 1241]. L’agente écrit : [traduction] « cette lettre, qui provient d’Avon Appliances, concerne une période d’emploi de trois ans, mais de moins de quatre ans » (voir la page 2 du dossier du tribunal). 

 

[14]           Mme Shirazi a obtenu 19 points plutôt que 21 points au titre de l’expérience en raison de la durée pendant laquelle elle a occupé son poste à Avon. L’agente a calculé les points dans la catégorie expérience [traduction] « en fonction des dates d’emploi indiquées dans la lettre d’Avon Appliances. Les dates [d’emploi] sont du 5 novembre 2002 au 28 février 2006, pour un total de 39 mois d’emploi, ou trois (3) ans mais moins de quatre (4) ans. Conformément au paragraphe 80(1) du [Règlement], [l’agente a] attribué 19 points dans la catégorie expérience en fonction de cette évaluation » (voir le paragraphe 16 de l’affidavit de Meghan Pendleton, daté du 18 novembre 2011).

 

III.       Question en litige et norme de contrôle

 

A.        Question en litige

 

·                    L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Shirazi ne satisfaisait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du Règlement?

 

B.        Norme de contrôle

 

[15]           « [L]’appréciation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) relève de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire à l’égard duquel la Cour doit faire preuve d’une très grande retenue » (voir Ali c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1247, [2011] ACF no 1536, au paragraphe 26; Kniazeva c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 268). La question en litige est une question de fait ou une question mixte de fait et de droit. Elle est donc susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Gulati c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 451, [2010] ACF no 771, au paragraphe 19 [Gulati]).

 

[16]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la raisonnabilité, l’analyse du tribunal s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47 [Dunsmuir]).

 

IV.       Observations des parties

 

A.                Les observations de Mme Shirazi

 

[17]           Mme Shirazi soutient que la décision de l’agente est déraisonnable parce qu’elle a omis de prendre en compte la lettre d’emploi de la « Happy Home English School ». Elle fait également valoir qu’il n’est pas nécessaire qu’un requérant accomplisse toutes les fonctions énoncées dans la CNP 1241. Dans Sandhu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 759, au paragraphe 27, le juge Mandamin a écrit ce qui suit : « Le dernier employeur de la demanderesse a énuméré ses responsabilités. Cette liste comprenait deux fonctions qui qualifiaient la demanderesse à titre de secrétaire, au sens de la CNP 1241 : c’est‑à‑dire organiser des déplacements et former de nouveaux employés.

 

[18]           Mme Shirazi souligne qu’elle a occupé le poste de secrétaire d’école à la « Happy Home English School ». Elle allègue que les fonctions qu’elle accomplissait à l’école et qui sont énumérées dans sa lettre du 2 mai 2010 (voir la page 59 du dossier de la demanderesse) montrent qu’elle a effectivement accompli plusieurs des principales fonctions énoncées dans la CNP 1241. Elle fait valoir qu’une comparaison de la CNP 1241 avec la lettre d’emploi de l’école révèle que fonctions en question sont de toute évidence similaires.

 

[19]           L’agente n’a pas tenu compte de l’expérience acquise par Mme Shirazi à l’école en question parce qu’elle ne permettait pas de conclure qu’elle y avait accompli plusieurs des principales fonctions décrites dans la CNP. Mme Shirazi soutient que les fonctions principales énumérées dans la CNP 1241 peuvent être accomplies dans divers contextes.

 

B.        Les observations du défendeur

 

[20]           Le défendeur soutient que même si Mme Shirazi a exercé les principales fonctions de secrétaire selon l’énoncé principal de la CNP 1241, il n’en demeure pas moins que, en ce qui concerne un de ses anciens emplois, elle ne satisfaisait qu’à deux critères.

 

[21]           Le défendeur allègue que l’évaluation de l’expérience professionnelle d’un requérant est une question qui relève de l’agent des visas chargé d’étudier de la demande. La décision en cause est une décision discrétionnaire, et est raisonnable dans son ensemble. L’intervention de la Cour n’est donc pas justifiée.

 

[22]           Le défendeur renvoie à la décision du juge Jerome dans Hajariwala c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 79, au paragraphe 7, où il a statué comme suit : « Il incombe donc clairement au requérant de présenter toutes les données pertinentes pouvant être utiles à sa demande. » Puisque Mme Shirazi n’a pas fourni suffisamment de renseignements à l’appui de sa demande, l’agente n’était pas en mesure de conclure qu’elle avait exercé une partie appréciable des fonctions principales énumérées dans la CNP 1241 pendant qu’elle travaillait à la « Happy Home English School ». Par conséquent, la décision de l’agente est raisonnable.

 

V.        Analyse

 

·                    L’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Shirazi ne satisfaisait pas aux exigences prévues au paragraphe 75(2) du Règlement?

 

[23]           L’agente a rendu sa décision le 14 avril 2011. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction] [...] Vous avez fourni plusieurs lettres d’emploi, des lettres d’offres et des contrats. Deux (2) de ces documents contenaient des détails sur vos fonctions. J’ai évalué votre expérience professionnelle à la lumière de ces deux documents. J’ai comparé les fonctions énumérées dans ces lettres à la description énoncée dans la Classification nationale des professions (CNP), et j’ai conclu que l’une d’elles seulement établissait que vous aviez exercé plusieurs des principales fonctions. Cette lettre, qui provient d’Avon Appliances, couvre une période d’emploi de trois ans, mais de moins de quatre ans.

 

 

[24]           L’agente a conclu que la lettre concernant son emploi à la « Happy Home English School » ne permettait pas d’établir que Mme Shirazi avait accompli une part importante des fonctions principales énoncées dans la CNP 1241.

 

[25]           Conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR, « [l]’agent peut […] délivrer [les visa et autres documents requis par règlement] sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi. »

 

[26]           Le paragraphe 12(2) de la LIPR régit les demandes présentées dans la catégorie « immigration économique ». Il vise à déterminer si un étranger possède la capacité à réussir son établissement économique au Canada.

 

[27]           De plus, le paragraphe 75(1) du Règlement prévoit ce qui suit : « Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada [...] ». Les paragraphes 75(2) et (3) du Règlement sont rédigés comme suit :

(2) Est un travailleur qualifié l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

(2) a foreign national is a skilled worker if

 

a) il a accumulé au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein au sens du paragraphe 80(7), ou l’équivalent s’il travaille à temps partiel de façon continue, au cours des dix années qui ont précédé la date de présentation de la demande de visa de résident permanent, dans au moins une des professions appartenant aux genre de compétence 0 Gestion ou niveaux de compétences A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions – exception faite des professions d’accès limité;

 

(a) within the 10 years preceding the date of their application for a permanent resident visa, they have at least one year of continuous full‑time employment experience, as described in subsection 80(7), or the equivalent in continuous part‑time employment in one or more occupations, other than a restricted occupation, that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix;

 

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des fonctions figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de cette classification;

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification; and

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de cette classification, notamment toutes les fonctions essentielles.

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties.

 

Exigences

 

Minimal requirements

 

(3) Si l’étranger ne satisfait pas aux exigences prévues au paragraphe (2), l’agent met fin à l’examen de la demande de visa de résident permanent et la refuse.

(3) If the foreign national fails to meet the requirements of subsection (2), the application for a permanent resident visa shall be refused and no further assessment is required.

 

 

[28]           Il ressort clairement de la lecture du paragraphe 75(3) du Règlement qu’un étranger doit satisfaire aux exigences prévues au paragraphe 75(2) afin d’être considéré comme un travailleur qualifié.

 

[29]           L’agente a conclu que Mme Shirazi ne répondait pas aux exigences de l’alinéa 75(2)c) du Règlement. Cependant, comme le juge Mosley l’a écrit dans Gulati, ci-dessus, au paragraphe 41 : « Il est impossible d’évaluer la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas exercé une partie appréciable des fonctions principales décrites dans la CNP [...], sans savoir quelles fonctions l’agente croyait qu’il n’avait pas exercées, et pourquoi. » L’examen des notes figurant dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [les notes du STIDI] n’apporte pas d’éclairage supplémentaire sur la question puisque les motifs de la décision de l’agente y sont repris sans que soient données des indications claires sur le raisonnement qui sous‑tend le rejet de la lettre provenant de la Happy Home English School soumise par Mme Shirazi.

 

[30]           L’affidavit de l’agente, daté du 18 novembre 2011, apporte certains éclaircissements et elle déclare ce qui suit : [traduction] « En comparant le détail des fonctions de la requérante, tel que présenté dans la lettre de la Happy Home English School et celles qui se rattachent au code de la CNP que la requérante a fourni pour ce poste (1241), je n’étais pas convaincue qu’elle avait accompli une partie appréciable des fonctions principales énoncées dans la description. J’étais convaincue que la requérante avait exercé certaines et non pas une partie appréciable des fonctions principales » (voir le paragraphe 14 de l’affidavit de Meghan Pendleton). Encore ici, l’affidavit ne fournit pas suffisamment de détails pour expliquer les raisons ayant amené l’agente à dire qu’elle n’était pas convaincue que Mme Shirazi avait accompli une partie appréciable des principales fonctions énoncées dans la CNP 1241.

 

[31]           La décision de l’agente est une décision discrétionnaire. Cependant, le caractère raisonnable d’une décision est fonction de sa transparence et de son intelligibilité.

 

[32]           Selon l’arrêt Dunsmuir, ci-dessus, « la transparence et l’intelligibilité d’une décision sont des éléments importants quant à sa raisonnabilité » (voir Gulati, au paragraphe 42). Leur absence rend la décision déraisonnable.

 

VI.       Conclusion

 

[33]           La décision de l’agente est déraisonnable, elle manquait de transparence et d’intelligibilité. La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au Centre de traitement des demandes pilote d’Ottawa pour nouvel examen par un autre agent.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée au Centre de traitement des demandes pilote d’Ottawa pour nouvel examen par un autre agent.

2.                  Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« André F.J. Scott »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


cour fédérale

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2817‑11

 

 

Intitulé :                                                   FARHA FAROOK SHIRAZI c
le MINISTRE de la citoyenneté
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 janvier 2012

 

Motifs du jugement

et jugement :                                          le juge SCOTT

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 14 mars 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Jean‑François Bertrand

 

Pour la demanderesse

 

Catherine Brisebois

 

Pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bertrand, Deslauriers

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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