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Date : 20120313

Dossier : T‑1271‑11

Référence : 2012 CF 303

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mars 2012

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

 

 

ROSARIA DI DOMENICI

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) dans laquelle celui‑ci a rejeté la demande de pension de survivant présentée par la demanderesse. Le Tribunal a conclu qu’il n’existait pas de preuve médicale que le problème de pied plat de son défunt époux, Louis Peter Di Domenici, s’était aggravé pendant son service actif, du 1er juin 1943 au 29 novembre 1944.

 

[2]               La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

 

Contexte

[3]               M. Di Domenici est né en 1918 et il est décédé en 1989. Il s’est porté volontaire et a servi dans l’armée pendant la Deuxième Guerre mondiale de juin 1943 à novembre 1944. Les dossiers médicaux indiquent qu’au moment de son enrôlement, il avait un problème de pied plat aux deux pieds (problème de pied plat bilatéral).

 

[4]               Mme Di Domenici, son épouse survivante, a demandé une rente de survivant au titre de la pension d’invalidité. Le ministre des Anciens Combattants a conclu, dans une décision datée du 26 avril 2010, que M. Di Domenici avait droit à une pension en vertu des paragraphes 48(3) et 21(1) de la Loi sur les pensions, LRC 1985, c P‑6, en raison de son ulcère d’estomac, mais non en raison de son problème de pied plat. Cette décision défavorable se fonde sur les motifs suivants :

[traduction] Il ressort de l’examen des documents médicaux du service que le problème de pied plat bilatéral a été consigné à son dossier lors de son examen médical à l’enrôlement, en juin 1943. Suivant un examen plus approfondi du dossier, rien n’indique qu’il ait fait mention à quelque moment que ce soit que ses pieds plats le gênaient, y compris lors de sa libération en octobre 1944.

 

Bien que le problème de pied plat de votre mari ait été consigné au dossier lors de son enrôlement, nos dossiers n’indiquent pas qu’il a souffert d’autres problèmes de pied liés à cette condition pendant la durée de son service dans l’armée. Nous concluons donc avec regret que les problèmes de pieds plats (pieds droit et gauche) allégués ne sont pas attribuables à son service effectué sous le régime de la Loi de 1940 sur la mobilisation des ressources nationales, qu’ils ne se sont pas produits pendant celui‑ci ou qu’ils n’ont pas été aggravés par celui‑ci.

 

Par conséquent, le ministère ne peut octroyer une pension d’invalidité aux termes des paragraphes 48(3) et 21(1) de la Loi sur les pensions.

 

 

[5]               En janvier 2011, la demanderesse a demandé la révision de cette décision au comité de révision, lequel a confirmé la décision du ministre. Elle a interjeté appel de cette décision auprès du Tribunal qui, le 20 juin 2011, a rejeté la demande de prestation de retraite, ayant conclu qu’il n’existait pas de preuve médicale que le problème de pieds plats de son époux s’était aggravé pendant son service.

 

[6]               Le Tribunal a pris acte des notes prises lors d’un examen médical effectué avant l’enrôlement faisant état de [traduction] « douleurs dans les pieds quand il marche beaucoup », et relevé le diagnostic de pieds plats lors de l’enrôlement. Le Tribunal a aussi constaté qu’à la libération de l’ancien combattant, son rapport d’examen médical ne mentionnait pas l’affection alléguée, même s’il souffrait apparemment d’un ongle incarné au gros orteil de chaque pied.

 

[7]               Le Tribunal indique qu’il a apprécié la preuve, tiré toutes les inférences les plus raisonnables possible en faveur de la demanderesse et qu’il lui a accordé le bénéfice du doute.

 

[8]               Il incombe à la personne qui demande une pension d’invalidité de produire des éléments de preuve établissant le lien de causalité entre l’invalidité et l’aggravation, et le Tribunal a conclu qu’elle ne s’était pas acquittée de ce fardeau.

 

Question à trancher

[9]               La demanderesse indique dans son mémoire [traduction] qu’« il s’agit de décider dans la présente demande si le Tribunal a commis une erreur en ne tenant pas compte des éléments prouvant l’aggravation du problème de pieds plats de Louis et, dans la négative, s’il a omis d’expliquer adéquatement pourquoi il n’a pas accepté la preuve. »

 

Analyse

La norme de contrôle

[10]           La demanderesse admet que la décision du Tribunal et son évaluation de la preuve sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Toutefois, elle fait valoir que l’omission du Tribunal d’exposer les raisons pour lesquelles il n’a pas accepté un élément de preuve est une erreur de droit qui justifie l’intervention de la Cour selon la norme de la décision correcte (MacDonald c Canada (Procureur général), [1999] ACF no 346). Je suis d’accord avec le défendeur que l’affaire MacDonald se distingue de la présente affaire. Dans cette décision, le Tribunal avait omis d’indiquer les motifs pour lesquels il n’avait pas accepté les nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été présentés lors d’une demande de réexamen. La Cour a pris soin de préciser au paragraphe 22 qu’une norme de contrôle différente s’appliquait dans ce cas particulier. De plus, la Cour suprême a récemment affirmé au paragraphe 14 de l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, « que l’insuffisance des motifs permet à elle seule de casser une décision » et que « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». Un tel cas commande l’examen selon la norme de la décision raisonnable.

 

[11]           Pour les motifs susmentionnés, la norme applicable aux décisions du Tribunal est la norme de la raisonnabilité, ainsi que l’a récemment confirmé la Cour : Carnegie c. Canada (Procureur général), 2012 CF 93.

 

La preuve contestée

[12]           L’avocat de la demanderesse a reconnu avec franchise à l’audience que le désaccord des parties portait surtout sur un document précis – une inscription au dossier de sélection du personnel de M. Di Domenici datée du 2 décembre 1943, selon laquelle : [traduction] « Le classement ayant été abaissé à P3, L2 retiré du C.A.C. (RECO) pour réaffectation au service général du C.S.R.C. (non militaire), LOC ». La demanderesse soutient que cette mention prouve que le problème de pied plat de son mari s’est aggravé et que le Tribunal n’a pas tenu compte de cette preuve, ou que, s’il en a tenu compte, il a omis d’expliquer adéquatement la raison pour laquelle il n’a pas accepté qu’elle établissait que l’état de son mari avait empiré.

 

[13]           L’inscription fait état du pointage PULHEMS de M. Di Domenici, système de mesure de la santé physique et mentale employé par les forces armées. Les soldats étaient classés suivant une cote numérique comprenant les éléments suivants : P = physique, U = membres supérieurs, L = membres inférieurs, H = ouïe, E = vue, M = fonctions mentales, S = stabilité.

 

[14]           Selon l’interprétation que fait la demanderesse de la mention du 2 décembre 1943, deux des cotes de son mari ont été abaissées : P (physique) et L (membres inférieurs). Il est admis que le classement L2 était [traduction] « dû aux pieds plats ».

 

[15]           La demanderesse affirme ce qui suit dans son mémoire : 

[traduction] Il n’y a pas trace du pointage PULHEMS initial de Louis dans ses documents d’enrôlement … Son certificat de libération indique que son pointage PULHEMS lors de son enrôlement était L‑2. Mais ceci contredit [la] mention du 2 décembre 1943 selon laquelle sa cote PULHEMS a été abaissée, vraisemblablement de L‑1 à L‑2. »

 

 

[16]           Selon l’interprétation que fait la demanderesse de la mention du 2 décembre 1943 la virgule joue le rôle de la conjonction « et », de sorte qu’il faut l’interpréter comme disant que : [traduction] « Le classement ayant été abaissé à P3 [et] L2 [Louis] retiré […] ». J’admets que s’il n’y avait aucune preuve que M. Di Domenici avait reçu la cote L antérieurement à cette inscription, cette interprétation serait possible. De plus, étant favorable à l’ancien combattant, elle serait reconnue comme étant la bonne interprétation, conformément à l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), LC 1995, c 18, lequel prévoit que le Tribunal, « à l’égard du demandeur ou de l’appelant […] tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien‑fondé de la demande. »

 

[17]           Or, il existe des éléments de preuve montrant qu’une cote L a été attribuée à M. Di Domenici antérieurement à la mention de 1943. Ainsi que l’admet la demanderesse, le certificat de libération indique qu’à son enrôlement, son époux avait été classé L2 et ce, en raison de ses pieds plats. Elle soutient qu’il doit s’agir d’une erreur. Je ne peux être d’accord. En premier lieu, le document est un rapport officiel des forces armées et par conséquent est un dossier admissible pour établir la véracité de son contenu, à titre d’écriture passée dans un livre tenu par un organisme ou ministère du gouvernement du Canada, conformément au paragraphe 26(1) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C‑5. Ensuite, rien ne permet d’établir que M. Di Domenici n’avait pas reçu la cote L2 au moment de son enrôlement. De fait, étant donné ses pieds plats, il n’est pas vraisemblable qu’il ait dans un premier temps reçu la cote L1 ou qu’elle lui ait été accordée à juste titre, car la cote « 1 » équivaut à la mention « Excellent ». Le bon sens à lui seul donne à penser que du fait de ses pieds plats, la meilleure cote que M. Di Domenici aurait pu obtenir lors de son enrôlement était L2.

 

[18]           Je ne peux donc conclure que le Tribunal n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents ou qu’il a omis d’expliquer pourquoi il a rejeté les éléments de preuves sur lesquels s’appuie la demanderesse. À mon avis, la mention fait simplement état du fait que la cote P de M. Di Domenici a été abaissée (en raison semble‑t‑il de ses troubles gastriques) et qu’en raison de cette baisse combinée au fait qu’il a reçu la cote L2 à cause de ses pieds plats, il a été réaffecté au service général du Corps de santé royal canadien.   

 

[19]           Me Davis a représenté gratuitement la demanderesse. Le professionnalisme et le sérieux avec lesquels il s’est acquitté de cette tâche méritent d’être soulignés. Il en est de même du fait que le défendeur ait accepté que quelle que soit l’issue de la cause, chaque partie paierait ses frais.

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1271‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   ROSARIA DI DOMENICI c
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 28 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 13 mars 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Emrys Davis

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Sharon McGovern

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Bennett Jones LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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