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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120306


Dossier : T-1881-11

Référence : 2012 CF 292

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 6 mars 2012

En présence du protonotaire Roger R. Lafrenière

 

ENTRE :

 

GEORGE EDWARD BOULOS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le défendeur, le procureur général du Canada, sollicite une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire au motif que l’instance est prématurée et hors délai.

 

Les faits

 

[2]               Les faits pertinents pour les fins de la présente requête ne sont pas en litige. Ces faits sont exposés dans l’avis de requête, dans l’affidavit déposé par le demandeur, le 25 novembre 2011, à l’appui de sa demande sous-jacente, ainsi que dans l’affidavit d’Anne Law, en date du 25 mars 2011, que le défendeur a déposé relativement à la présente requête.

 

[3]               Le demandeur travaillait comme vérificateur de l’impôt sur le revenu et de la taxe d’accise au bureau des services fiscaux de l’Agence du revenu du Canada (ARC) à Burnaby-Fraser. En avril 2010, le demandeur a renvoyé à l’arbitrage six griefs devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP), en vertu de l’alinéa 209(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, ch.22 [LRTFP].

 

[4]               Par la voie de lettres datées du 10 mai et du 2 juin 2010, l’ARC a contesté la compétence de la CRTFP à instruire les six griefs. Le demandeur a répondu aux exceptions déclinatoires de compétence soulevées par l’ARC, dans des lettres datées du 27 mai et du 8 juin 2010.

 

[5]               Le 6 avril 2011, Mme Martine Paradis, une agente de gestion des cas de la CRTFP, a écrit aux parties pour leur faire part de directives émises par l’arbitre de grief chargé d’instruire les griefs. L’arbitre de grief était d’avis que les exceptions déclinatoires de compétence  soulevées par l’employeur et d’autres questions préliminaires ne pouvaient pas être tranchées dans le cadre d’une téléconférence préparatoire à l’audience. Par conséquent, il a émis diverses directives pour traiter des questions préalables à l’audience. La demande d’autorisation du demandeur en vue de modifier ses griefs en ajoutant l’octroi de dommages-intérêts exemplaires, ainsi que ses demandes de communication d’information, ont été rejetées. L’arbitre de grief a décrit de manière détaillée le déroulement de l’audience des griefs.

 

[6]               Le 11 avril 2011, le demandeur a soumis une lettre remettant en question les décisions de l’arbitre de grief. Il s’inquiétait du fait que la lettre de la CRTFP ne renvoyait pas à sa lettre du 8 juin 2010, et il a donc demandé le réexamen de la décision de rejeter ses demandes de communication d’information.

 

 

[7]               Dans une lettre datée du 27 août 2011, la CRTFP a avisé le demandeur qu’un nouvel arbitre de grief avait été chargé d’instruire ses griefs. La lettre précisait que le nouvel arbitre de grief avait analysé les dossiers des griefs et qu’il demandait au demandeur d’expliquer, d’ici le 7 septembre 2011, pourquoi ses griefs, à l’exception de celui alléguant un renvoi injustifié (nde dossier de la CRTFP 566-34-3617), étaient arbitrables. Le demandeur a répondu, le 21 août 2011, qu’il avait déjà exposé la plupart ou la totalité des questions en litige dans ses lettres du 22 avril 2010, du 27 mai 2010 et du 8 juin 2010.

 

[8]               Le 13 septembre 2011, l’arbitre de grief a demandé au demandeur de lui confirmer que l’employeur n’avait pris aucune mesure disciplinaire à son endroit relativement à trois griefs et de lui soumettre des arguments à l’appui du caractère arbitrable des deux autres griefs. Le demandeur ne s’est pas conformé à ces directives et a plutôt soumis une lettre, datée du 15 septembre 2011, demandant des précisions sur les directives et les intentions de l’arbitre de grief.

 

[9]               Le 19 septembre 2011, l’arbitre de grief a décidé de trancher les exceptions déclinatoires de compétence soulevées par l’ARC au moyen d’arguments écrits, à l’exception du grief alléguant un renvoi injustifié, et a fixé une échéance pour la présentation des arguments écrits par les parties.

 

[10]           Dans une lettre, datée du 21 septembre 2011, le demandeur a contesté la décision de l’arbitre de grief de trancher les questions de compétence au moyen d’arguments écrits, au motif qu’il serait privé de l’application du principe de l’équité procédurale. Dans sa lettre, il conclut ce qui suit :

 

                        [traduction]

 

Relativement à la décision de l’arbitre de grief de trancher les questions de compétence au moyen d’arguments écrits, sans d’abord demander l’avis des parties, je m’élève contre cette décision et cette façon de faire, parce que je sais que, pour démontrer à tout le moins que mes griefs ont trait à une mesure disciplinaire, élément que j’ai le fardeau de prouver, j’ai résolument besoin d’une preuve qui peut seulement être offerte par des témoignages de vive voix. Autrement, je serais privé de l’application du principe de l’équité procédurale. Par ailleurs, il ne m’apparaît pas logique de fractionner et de disperser les éléments distincts de la compétence devant être étayés pour que l’alinéa 209(1)b) de la LRTFP puisse s’appliquer à mes griefs qui sont inextricablement liés et pour permettre leur renvoi à l’arbitrage, en dupliquant les efforts, tout particulièrement en tenant compte du fait que mes ressources sont très limitées, que je me représente moi-même et que je dois également démontrer l’existence d’une mesure disciplinaire dans le cadre de mon licenciement, parce que l’employeur conteste également de la même manière la compétence de la Commission à instruire ce grief. Je sais également que la Commission cherche à éviter une telle inefficacité et duplication des procédures dans des situations semblables, et j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi l’arbitre a choisi de s’écarter de cette pratique normale, ce que même l’arbitre antérieur, dont je me suis senti obligé de demander la récusation, a su éviter.

 

 

[11]           Le 4 octobre 2011, l’arbitre de grief a demandé qu’on informe le demandeur que la décision relative aux arguments écrits demeurait et qu’il s’attendait à ce que le demandeur participe pleinement à ce processus. Le jour suivant, le demandeur a contesté de nouveau la décision de l’arbitre de grief et a réitéré son inquiétude face au manque d’équité procédurale.

 

[12]           Le 7 octobre 2011, l’arbitre de grief a confirmé que les directives sur les arguments écrits seraient maintenues. Le demandeur a présenté une autre lettre, le 8 octobre 2011, pour demander à l’arbitre de grief de confirmer « [traduction] ce qui semble être l’issue inévitable ». Dans une lettre, en date du 12 octobre 2011, la CRTFP a informé le demandeur que l’arbitre de grief ne pouvait pas présumer de l’issue de l’affaire avant d’avoir examiné l’ensemble des arguments.

 

[13]           Le demandeur n’a pas déposé d’arguments écrits, comme le demandait l’arbitre de grief. Il a plutôt soumis la présente demande de contrôle judiciaire, afin de contester les décisions de l’arbitre de grief rejetant ses objections à l’égard de la procédure fondée sur les arguments écrits pour trancher les exceptions déclinatoires de compétence soulevées par l’ARC. La procédure a été introduite par erreur devant la Cour d’appel fédérale et a ensuite été renvoyée à la Cour fédérale, par ordonnance du juge David Stratas rendue le 17 novembre 2011.

 

[14]           En toute déférence pour la Cour, la CRTFP a suspendu les griefs du demandeur en attendant l’issue de la présente demande.

 

Analyse

 

[15]           Dans David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA) [David Bull Laboratories], la Cour d’appel fédérale a conclu que le moyen direct et approprié par lequel la partie intimée devrait contester un avis de requête introductive d’instance qu’elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l’audition de la requête même. Cette décision prend appui sur le fait que les procédures de contrôle judiciaire visent à assurer un traitement expéditif, et les requêtes en radiation son susceptibles d’en retarder l’issue de manière injustifiée et inutile.

 

[16]           Cependant, la Cour d’appel fédérale a également reconnu dans l’arrêt David Bull Laboratories, au paragraphe 15, que certaines exceptions peuvent s’appliquer à la règle générale :

Nous n’affirmons pas que la Cour n’a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d’autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête.

 

 

[17]           Les procédures qui sont prématurées appartiennent à la catégorie limitée des cas exceptionnels. La Cour d’appel fédérale et la Cour ont toujours refusé de s’attribuer la compétence et ont constamment rejeté les demandes de contrôle judiciaire de décisions des tribunaux lorsque les recours devant ces tribunaux n’ont pas été épuisés.

 

[18]           Dans l’arrêt Direction de l’Aéroport international du Grand Moncton c Alliance de la Fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, la Cour d’appel fédérale a conclu que le contrôle judiciaire de décisions interlocutoires ne devrait être entrepris que dans des circonstances exceptionnelles. L’imposition d’une limite à l’accès d’une partie à la Cour pour contester une décision interlocutoire est fondée sur la préoccupation que le litige devienne inutile compte tenu de la décision finale du tribunal.

 

[19]           De plus, dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c. CB Powell Limited, 2010 CAF 61, la Cour d’appel fédérale a confirmé que les parties doivent épuiser leurs droits et leurs recours administratifs avant de s’adresser aux tribunaux judiciaires. Le juge David Stratas, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suite au paragraphe 31 :

 

La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

 

 

[20]           Le demandeur entend contester la décision de l’arbitre de grief de se prononcer sur la compétence de l’ARC par la voie d’arguments écrits. Cependant, aucune décision n’a encore été rendue sur le fond des objections de l’employeur. Dans les circonstances, je suis d’accord avec le défendeur sur le fait que la présente instance est prématurée.

 

[21]           La demande de contrôle judiciaire repose sur des hypothèses du demandeur qui craint que l’arbitre de grief fera abstraction de ses arguments et que l’issue de ses griefs est déterminée à l’avance et est inévitable. Il n’en demeure pas moins que l’arbitre de grief est maître de sa procédure. L’article 227 de la LRTFP autorise expressément un arbitre de grief à trancher toute affaire dont il est saisi sans tenir d’audience.

 

[22]           Le demandeur ne conteste pas que l’arbitre de grief dispose de trois options après avoir examiné les arguments écrits déposés par les parties. Premièrement, il pourrait accueillir les objections de l’employeur et rejeter certains ou l’ensemble des cinq griefs au motif qu’il n’a pas la compétence nécessaire pour les instruire. Deuxièmement, il pourrait rejeter les objections de l’employeur et statuer qu’il est compétent pour entendre les griefs. Troisièmement, il pourrait conclure qu’il est impossible, en se fondant sur les arguments écrits des parties, de rendre une décision sans tenir une audience.

 

[23]           Quel que soit le scénario s’appliquant, une demande de contrôle judiciaire peut devenir inutile compte tenu de la décision de l’arbitre de grief sur la foi du dossier dont il dispose. Étant essentiellement d’accord avec les prétentions écrites déposées pour le compte du défendeur, que j’adopte et fais miennes, je conclus que la décision contestée dans l’avis de requête est de nature interlocutoire plutôt qu’une question de compétence et qu’aucune circonstance spéciale n’a été établie qui justifierait l’intervention de la Cour à se stade. Le demandeur devrait simplement attendre que l’arbitre de grief rende une décision et déterminer ensuite s’il est justifié de demander un contrôle judiciaire.

 

[24]           Dans sa lettre du 21 septembre 2011, le demandeur se plaint du fait que le dépôt d’arguments écrits dicté par l’arbitre de grief causerait un fractionnement, un manque d’efficacité et un dédoublement des procédures. Ironiquement, en soumettant la présente demande, le demandeur a reproduit l’effet pervers même qu’il cherchait à éviter.

 

[25]           Je conclus qu’il n’existe en l’espèce aucune circonstance spéciale qui justifierait une intervention précoce de la Cour. Par conséquent la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[26]           Compte tenu de la conclusion qui précède, il n’est pas nécessaire de se pencher sur l’argument subsidiaire du défendeur, à savoir que l’instance devrait être rejetée parce qu’elle est hors délai. Quant aux dépens de la requête, je ne vois aucune raison de déroger à la règle générale selon laquelle les dépens devraient suivre l’issue de la cause.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

2.                  Le demandeur devra payer au défendeur les dépens pour la requête, dont le montant est fixé à 750 $, incluant les débours et les taxes.

 

 

« Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1881-11

 

INTITULÉ :                                       GEORGE EDWARD BOULOS c

                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 FÉVRIER  2012

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE PROTONOTAIRE LAFRENIÈRE

 

 

DATE :                                               LE 6 MARS 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

GEORGE EDWARD BOULOS

 

LE DEMANDEUR

 

ANNE-MARIE DUQUETTE

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GEORGE EDWARD BOULOS

BURNABY (C.-B.)

 

LE DEMANDEUR

 

MYLES J. KIRVAN

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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