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Date : 20120227


Dossier : T-343-11

Référence : 2012 CF 268

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 27 février 2012

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

PETER COLLINS

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission), le 20 janvier 2011. La Section d’appel a confirmé la décision de refuser une libération conditionnelle totale principalement parce que le demandeur serait expulsé au Royaume‑Uni (R.‑U.) où il ne serait soumis à aucune surveillance.

 

[2]               Pour les motifs suivants, la présente demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Le demandeur, Peter Collins, purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité pour un meurtre au premier degré à l’établissement de Bath. Sa date d’admissibilité à une libération conditionnelle totale était le 14 octobre 2008.

 

[4]               Le demandeur est un citoyen du R.‑U. S’il sort de prison après avoir obtenu une semi‑liberté, une libération conditionnelle totale ou une absence temporaire sans escorte, il sera renvoyé au R.‑U.

 

A.        Décision de la Commission

 

[5]               À la suite d’une audience tenue le 11 juin 2010, la Commission a pris la décision de refuser la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale au demandeur.

 

[6]               La Commission a reconnu que le comportement en établissement du demandeur n’avait pas été problématique depuis plusieurs années. Il avait participé au mouvement en faveur de la réduction des préjudices et au programme de sensibilisation au VIH/sida. Il avait également tiré profit de programmes qu’il avait suivis pendant son incarcération.

 

[7]               La Commission a tenu compte des efforts que le demandeur avait faits pour mettre en place un cadre de soutien au R.‑U., dont une lettre indiquant qu’il résiderait chez sa tante et serait soutenu par un cercle de soutien et de responsabilité dès son arrivée. Il y avait également des renseignements qui indiquaient que le groupe de soutien en Angleterre croyait qu’il pourrait faire l’objet d’une ordonnance pour délinquant violent ou d’un contrat de comportement acceptable.

 

[8]               La Commission a néanmoins conclu que ces arrangements, quoique bien intentionnés, ne garantissent pas une surveillance prévue par la loi. Il ne serait pas visé par une licence au R.‑U. et le Service national de probation avait indiqué l’année précédente qu’il ne fournirait aucune surveillance ni aucun soutien à son endroit.

 

[9]               La Commission a également dit être préoccupée par le fait que le demandeur présentait encore un risque modéré de récidive selon les évaluations. Elle a fait état d’une question sous‑jacente concernant ce que le psychiatre avait qualifié de tendance à argumenter ou à se rebeller contre l’autorité qui avait teinté ses rapports avec le personnel du Service correctionnel du Canada pendant de nombreuses années.

 

[10]           La Commission a conclu ce qui suit :

[traduction] La principale difficulté à laquelle vous êtes confronté réside dans votre statut d’expulsion, ainsi que dans l’évaluation de votre risque. Cependant, la Commission souligne que vous pouvez demander un transfèrement au Royaume‑Uni, ce que vous refusez de faire, et que son évaluation du risque que vous pourriez présenter, en l’absence de surveillance, n’en demeure pas moins une préoccupation légitime.

 

En résumé, si la Commission comprend que le risque que vous présentez selon les évaluations a probablement diminué par rapport à ce qu’il était avant, vous n’en continuez pas moins de présenter un risque modéré de récidive violente selon les évaluations. Le plan que vous avez proposé en cas de libération conditionnelle totale, et d’expulsion vers l’Angleterre, ne prévoit pas le degré de surveillance nécessaire pour écarter ce risque, et la Commission a donc conclu que vous présentez encore un risque inacceptable.

 

B.         Décision de la Section d’appel de la Commission

 

[11]           La Section d’appel a confirmé la décision de la Commission de refuser la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale. Elle a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement à l’obligation d’agir équitablement ou d’assurer une audition impartiale, car tous les renseignements pertinents, tant positifs que négatifs, avaient été soigneusement évalués.

 

[12]           La Section d’appel s’est dite convaincue que la Commission avait effectué une juste évaluation du risque en fonction des critères énoncés dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (LSCMLC), et tiré des décisions qui étaient « raisonnables et bien étayées ».

 

[13]           Plus précisément, on a estimé que la Commission avait judicieusement dit au demandeur que si une mise en liberté sous condition lui était accordée, une audience sur la libération sous caution tenue par les autorités de l’immigration serait nécessaire, et que si la libération sous caution lui était refusée, il serait expulsé en Angleterre et ne serait soumis à aucune surveillance obligatoire.

 

[14]           La Section d’appel a insisté sur le fait que la Commission s’appuie sur les critères décisionnels énoncés à l’article 102 de la LSCMLC pour évaluer le risque que pourrait présenter un délinquant s’il était mis en liberté conditionnelle, qu’il soit libéré au Canada ou passible d’expulsion. Selon l’alinéa 101a) de la LSCMLC, la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas, quel que soit l’endroit où le délinquant a l’intention de résider.

 

[15]           On a estimé que la Commission avait effectué une juste évaluation et pris en considération les aspects positifs du cas du demandeur. La Section d’appel a affirmé que « [la Commission] ne pouvait néanmoins faire abstraction du fait que malgré tout ce que vous avez accompli (p. ex. vous avez suivi des programmes/reçu du counseling, vous avez joué le rôle de conseiller auprès de pairs et effectué du travail touchant le VIH/sida, vous avez eu des permissions de sortir avec escorte (PSAE) et vous vous êtes conduit correctement), vous présentez encore un risque modéré de récidive violente selon les évaluations ».

 

[16]           La Commission pouvait également prendre en compte et évaluer le fait qu’à l’étranger il n’y aurait pas de surveillance obligatoire pour bien contrôler le risque présent chez le délinquant ou que la surveillance serait insuffisante. Pour tirer cette conclusion, la Section d’appel s’est fondée sur les décisions que la Cour a rendues dans Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, [2010] ACF no 595 et Pashkurlatov c Canada (Procureur général), 2008 CF 153, [2008] ACF no 192.

 

[17]           La Section d’appel a résumé ainsi sa décision concernant la conclusion que la Commission avait tirée au sujet de la libération conditionnelle du demandeur :

Les motifs écrits montrent clairement que la Commission a mis l’accent comme il convenait sur la question cruciale en jeu, c’est‑à‑dire déterminer si l’octroi d’une libération conditionnelle exposerait la société à un risque inacceptable selon les critères énoncés dans la LSCMLC. Essentiellement, le refus de la Commission de vous accorder la libération conditionnelle était fondé sur les facteurs suivants : l’infraction très grave et violente (le meurtre au premier degré d’un policier) pour laquelle vous purgez une peine d’emprisonnement à perpétuité, l’existence d’un risque modéré de récidive violente selon les évaluations et le fait que le plan proposé pour votre libération en Angleterre ne garantissait pas un degré de surveillance suffisant pour contrôler le risque.

 

[…]

 

Ses décisions de vous refuser la semi-liberté et la libération conditionnelle totale constituent la façon la moins restrictive possible de régler le cas tout en tenant compte de la nécessité de protéger la société.

 

II.         Dispositions pertinentes

 

[18]           Les articles 100 à 102 de la LSCMLC établissent l’objet et les principes qui guident la Commission dans les décisions en matière de libération conditionnelle en disant ceci :

Objet

 

100. La mise en liberté sous condition vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois.

 

Principes

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes qui suivent :

 

a) la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas;

 

b) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente disponible, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, les renseignements disponibles lors du procès ou de la détermination de la peine, ceux qui ont été obtenus des victimes et des délinquants, ainsi que les renseignements et évaluations fournis par les autorités correctionnelles;

 

c) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange de renseignements utiles au moment opportun avec les autres éléments du système de justice pénale d’une part, et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux délinquants et aux victimes qu’au public, d’autre part;

 

d) le règlement des cas doit, compte tenu de la protection de la société, être le moins restrictif possible;

 

e) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en oeuvre de ces directives;

 

f) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

Purpose of conditional release

 

100. The purpose of conditional release is to contribute to the maintenance of a just, peaceful and safe society by means of decisions on the timing and conditions of release that will best facilitate the rehabilitation of offenders and their reintegration into the community as law-abiding citizens.

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that shall guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are

 

(a) that the protection of society be the paramount consideration in the determination of any case;

 

(b) that parole boards take into consideration all available information that is relevant to a case, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, any other information from the trial or the sentencing hearing, information and assessments provided by correctional authorities, and information obtained from victims and the offender;

 

 

(c) that parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with other components of the criminal justice system and through communication of their policies and programs to offenders, victims and the general public;

 

 

 

 

(d) that parole boards make the least restrictive determination consistent with the protection of society;

 

(e) that parole boards adopt and be guided by appropriate policies and that their members be provided with the training necessary to implement those policies; and

 

 

(f) that offenders be provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

 

 

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

 

 

[19]           L’article 128 traite du statut d’immigrant et de ses répercussions sur la libération conditionnelle :

Présomption

 

128. (1) Le délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte continue, tant qu’il a le droit d’être en liberté, de purger sa peine d’emprisonnement jusqu’à l’expiration légale de celle-ci.

 

[…]

 

Cas particulier

 

(3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 40 de la Loi sur l’extradition, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s’il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

 

 

Mesure de renvoi

 

(4) Malgré la présente loi ou la Loi sur les prisons et les maisons de correction, l’admissibilité à la libération conditionnelle totale de quiconque est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est préalable à l’admissibilité à la semi-liberté ou à l’absence temporaire sans escorte.

 

Continuation of sentence

 

128. (1) An offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence continues, while entitled to be at large, to serve the sentence until its expiration according to law.

 

 

 

[…]

 

Deeming

 

(3) Despite subsection (1), for the purposes of paragraph 50(b) of the Immigration and Refugee Protection Act and section 40 of the Extradition Act, the sentence of an offender who has been released on parole, statutory release or an unescorted temporary absence is deemed to be completed unless the parole or statutory release has been suspended, terminated or revoked or the unescorted temporary absence is suspended or cancelled or the offender has returned to Canada before the expiration of the sentence according to law.

 

 

Removal order

 

(4) Despite this Act or the Prisons and Reformatories Act, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is ineligible for day parole or an unescorted temporary absence until the offender is eligible for full parole.

 

 

[20]           L’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection du statut de réfugié, LC 2001, c 27, fait en sorte qu’il y a sursis de la mesure de renvoi prise à l’égard d’un étranger tant que celui‑ci n’a pas purgé la peine d’emprisonnement qui lui a été infligée au Canada.

 

III.       Question en litige

 

[21]           La seule question soulevée dans la présente demande est la suivante :

La Commission et la Section d’appel ont‑elles eu tort de conclure que le terme « société » figurant aux articles 100 à 102 de la LSCMLC était censé englober les sociétés à l’extérieur du Canada?

 

IV.       Norme de contrôle

 

[22]           La Commission et la Section d’appel ont une expertise reconnue en matière d’application de la LSCMLC (voir, par exemple, Sychuk c Canada (Procureur général), 2009 CF 105, [2009] ACF no 136, au paragraphe 45 et Bouchard c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2008 CF 248, [2008] ACF no 307, au paragraphe 37). La norme de la décision raisonnable a donc été appliquée aux questions de fait, aux questions mixtes de fait et de droit et aux questions d’interprétation législative découlant de ce contexte (voir la décision Scott, précitée, au paragraphe 32).

 

[23]           Dans l’examen du caractère raisonnable, la Cour ne doit intervenir que lorsque la décision n’est pas conforme aux principes de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité ou n’appartient pas aux issues possibles acceptables (voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

[24]           Accueillir la présente demande reviendrait à rejeter la décision du juge Paul Crampton dans l’affaire Scott, précitée, où il a déjà conclu que le terme « société » figurant dans la LSCMLC doit être interprété comme englobant n’importe quelle société à l’extérieur du Canada. Le demandeur ne m’a pas convaincu du bien‑fondé de l’adoption de cette approche.

 

[25]           L’affaire Scott, précitée, concernait également un citoyen du R.‑U. qui purgeait une peine d’emprisonnement à perpétuité au Canada. Sa libération conditionnelle avait également été refusée parce qu’il continuait de présenter un risque et ne ferait pas l’objet d’un suivi suffisant à son retour dans son pays d’origine. Dans le cadre du contrôle judiciaire, le demandeur a contesté en vain l’interprétation selon laquelle la portée du terme « société » figurant dans la LSCMLC dépassait les frontières du Canada.

 

[26]           Le juge Crampton a mentionné, au paragraphe 43, que le fait que le législateur ait choisi d’introduire le mot « société » dans divers articles de la LSCMLC, tout en employant les mots « société canadienne » dans d’autres, indiquait une intention de ne pas limiter au Canada la portée du mot « société » employé dans la LSCMLC. À l’appui de cette interprétation, il a fait état des obligations internationales du Canada, au paragraphe 44 :

[44]      Ne pas tenir compte de l’intérêt d’un pays étranger pour décider s’il y a lieu d’y expulser un délinquant que l’on croit poser un risque grave de récidive en matière de meurtre ou d’autre crime grave et dans quelles circonstances cette récidive aurait lieu, déboucherait sur une forme extrême de politique internationale basée sur l’égoïsme. Une telle politique serait incompatible avec l’intérêt des nations à promouvoir des relations harmonieuses entre elles, voire à respecter les obligations d’ordre moral qu’elles ont les unes envers les autres.

 

[27]           En conséquence, le juge Crampton a conclu, aux paragraphes 46‑50, que la Commission doit « se demander si le plan de libération du délinquant à l’étranger a pour effet d’atténuer suffisamment le risque qu’il représente pour la société étrangère et de justifier le renvoi du délinquant dans cette société ». Le fait qu’un délinquant « ne sera pas soumis à un suivi ou à une surveillance permanente et efficace de la part d’un État ou d’un autre organisme » constitue une information pertinente disponible.

 

[28]           Ce raisonnement se fondait également sur des décisions antérieures. Dans la décision Pashkurlatov, précitée, aux paragraphes 9‑10, la Cour a souligné que « [la Commission] doit être diligente lorsqu’elle met des personnes en liberté avant l’expiration de leur peine ou avant leur libération d’office » et qu’« [i]l semble absurde qu’un détenu étranger puisse obtenir sa libération conditionnelle sans qu’il soit tenu compte de la surveillance ultérieure suivant son renvoi, alors qu’un détenu canadien ferait l’objet de surveillance au pays ». Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément essentiel de sa décision finale et d’une question qui restait à être tranchée dans les décisions à venir, le juge Frederick Gibson, dans Ng c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 781, [2003] ACF no 1018, aux paragraphes 21‑26, a laissé entendre que le terme « société » figurant dans la LSCMLC pouvait englober la « société au sens large », par opposition à la conception plus étroite de « société canadienne ».

 

[29]           Le demandeur demande à la Cour de réexaminer ce raisonnement en se fondant principalement sur l’affaire Capra c Canada (Procureur général), 2008 CF 1212, [2008] ACF no 519, où un défendeur prétendait qu’il y avait eu violation de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte) relativement au paragraphe 128(4) de la LSCMLC. Il affirme que l’interprétation adoptée dans Capra établit clairement une distinction entre la société canadienne et les sociétés non‑canadiennes et reconnaît la possibilité d’un traitement différent des délinquants étrangers.

 

[30]           Cependant, je suis porté à souscrire à la position du défendeur selon laquelle cette interprétation de la décision Capra est incorrecte et de peu d’utilité pour le demandeur. Dans Capra, la Cour n’a conclu à aucune violation de la Charte et, même s’il y avait eu une telle violation, le paragraphe 128(4) de la LSCMLC a été considéré comme une limite raisonnable prescrite par une règle de droit dont la justification pouvait se démontrer au sens de l’article premier. La Cour a expressément reconnu, au paragraphe 42, que « [l]’objet fondamental du régime que créent les paragraphes 128(3) à (7) de la LSCMLC est de veiller à ce qu’on tienne compte des circonstances d’un renvoi imminent dans la façon dont un délinquant purge la peine qui lui est infligée ».

 

[31]           S’il a été question d’une distinction, elle concernait les ressortissants étrangers visés par une mesure d’expulsion, une préoccupation qui a été considérée comme une conséquence nécessaire d’un régime d’expulsion valide. Au paragraphe 102 de la décision Capra, précitée, le juge James Russell a affirmé ce qui suit :

[102]    La mesure de renvoi fait partie d’un régime d’expulsion constitutionnellement valide qui n’est pas contraire à la Charte. Cette différence de traitement constitutionnellement valide du demandeur doit être prise en compte au moment de la détermination de la peine. Le paragraphe 128(4) est la tentative faite par le législateur pour rajuster les mesures de détermination de la peine que requiert la distinction constitutionnelle valide qui est faite entre le demandeur, en tant que ressortissant étranger visé par une mesure de renvoi, et les délinquants canadiens et étrangers qui ne sont pas visés par une telle mesure. Le changement apporté à la forme de la peine est à la fois une réponse à un régime d’expulsion valide, et une conséquence de ce régime. C’est la raison pour laquelle, je crois, le défendeur considère qu’il s’agit d’un élément de ce régime d’expulsion. Comme je l’ai déjà souligné, c’est là une position à laquelle je ne puis souscrire à cause de mon opinion au sujet de la jurisprudence sur ce qui est considéré comme un régime d’expulsion au sens de l’article 6 de la Charte. Cependant, je crois qu’il est exact de dire que la différence de traitement qui est intégrée au paragraphe 128(4) de la LSCMLC est une conséquence nécessaire d’un régime d’expulsion valide. Une fois qu’une mesure de renvoi entre en jeu il est difficile de voir comment les délinquants étrangers pourraient être traités de la même façon que leurs équivalents canadiens. […]

 

[32]           Il a ajouté, au paragraphe 108, que « [s]elon moi, l’effet est négligeable car le délinquant n’a pas le droit d’avoir accès à la société canadienne ».

 

[33]           Dans la décision Scott, précitée, au paragraphe 48, le juge Crampton a expressément rejeté l’idée que la décision Capra, précitée, puisse avoir des répercussions et a estimé que les conclusions tirées étayaient généralement son point de vue. Il a dit ceci :

[48]      M. Scott soutient que sa position est étayée par le fait que le juge Russell a utilisé l’expression « société canadienne » dans Capra, précité. Cette affaire concernait toutefois un délinquant qui avait obtenu le statut de réfugié et qui, par conséquent, ne devait pas être renvoyé du Canada à moins que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ne rende un avis indiquant qu’il constituait un danger pour le public au Canada. Cette affaire portait principalement sur la question de savoir si le paragraphe 128(4) de la LSCMLC était contraire à la Charte parce qu’il avait un effet discriminatoire sur le délinquant en raison de sa citoyenneté. C’est pourquoi la question de savoir si le terme « société », tel qu’il figure dans la LSCMLC, vise la « société canadienne » ou la « société au sens large » n’a pas été abordée directement. Dans ce contexte, les références qu’a faites le juge Russell à la protection de la société canadienne étaient tout à fait appropriées et ne semblent avoir eu pour but d’appuyer de quelque façon que ce soit l’argument avancé par M. Scott. En fait, la conclusion du juge Russell selon laquelle « [l]’objet fondamental du régime que créent les paragraphes 128(3) à (7) de la LSCMLC est de veiller à ce qu’on tienne compte des circonstances d’un renvoi imminent dans la façon dont un délinquant purge la peine qui lui est infligée » est tout à fait compatible avec mon opinion selon laquelle le législateur avait l’intention d’accorder à la Commission le pouvoir de prendre en compte les éléments du plan de libération du délinquant à l’étranger pour décider s’il y avait lieu d’accorder la libération conditionnelle totale au délinquant (Capra, précité, aux paragraphes 42 et 72).

 

[34]           On peut dire la même chose dans le cas du demandeur. Les conclusions antérieures tirées dans Capra, précité, ne justifient pas un réexamen de l’ensemble du raisonnement adopté dans Scott. Lorsqu’on se penche sur la mise en liberté d’un délinquant étranger, le terme « société » employé aux articles 100 à 102 s’entend nécessairement de n’importe quelle société à l’extérieur du Canada pouvant subir des effets ou ne pas assurer une surveillance suffisante.

 

[35]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, cette interprétation du terme « société » est compatible avec la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21, qui exige qu’on « [l]’interprète de […] manière […] équitable et […] large ». Elle est également conforme aux principes d’interprétation des lois selon lesquels [traduction] « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (voir, par exemple, la référence faite dans Bell ExpressVu Limited Partnership c Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 RCS 559, au paragraphe 26). Comme le souligne le défendeur, le terme « société », dans son sens ordinaire, ne se limite pas au Canada et se distingue du terme « société canadienne » employé dans d’autres dispositions législatives. Dans Scott et Capra, précités, on s’entend pour dire que l’intention du législateur était de prendre en compte les préoccupations des pays étrangers.

 

[36]           Bien que le demandeur ne présente pas une demande fondée sur la Charte, il affirme également que l’interprétation du terme « société » adoptée par la Cour, puis par la Section d’appel de la Commission, est discriminatoire envers les délinquants étrangers en ce qu’elle fait en sorte qu’il est plus difficile pour eux d’obtenir une libération conditionnelle. L’alinéa 101b) de la LSCMLC n’en dit pas moins clairement que la Commission doit « tenir compte de toute l’information pertinente disponible ». Le risque que présente le délinquant et l’efficacité du plan de libération sont évalués sur le fond. Lorsqu’un délinquant étranger est visé par une mesure d’expulsion, son effet doit être pris en compte dans cette évaluation.

 

[37]           Ne pas le faire reviendrait à ne pas tenir compte du fait que des délinquants comme le demandeur seraient renvoyés dans leur pays d’origine où ils ne seraient pas soumis à une surveillance obligatoire ou à d’autres conditions, ce qui non seulement constituerait un avantage injuste pour le délinquant, mais présenterait aussi un risque permanent pour l’État qui le reçoit.

 

[38]           Pour ces motifs, je ne suis pas disposé à écarter la décision rendue dans Scott, précité, selon laquelle le terme « société » figurant aux articles 100 à 102 de la LSCMLC englobe les sociétés à l’extérieur du Canada. La Section d’appel a eu raison de citer cette affaire en rendant sa décision concernant le demandeur. Il présente encore un risque modéré de récidive violente, et ne serait pas, s’il était expulsé vers le R.‑U., malgré son plan détaillé, soumis à une surveillance obligatoire. Compte tenu de l’ensemble des facteurs pertinents, il appartenait aux issues possibles acceptables de conclure que l’octroi d’une libération conditionnelle exposerait la « société » à un risque inacceptable, même si la société en question était le R.‑U.

 

VI.       Conclusion

 

[39]           La Commission et la Section d’appel se sont raisonnablement fondées sur la jurisprudence de la Cour en considérant que le terme « société » ne se limitait pas au Canada pour décider que, puisque le demandeur serait expulsé vers le R.‑U. sans être soumis à une surveillance obligatoire et qu’il présentait encore un risque, la libération conditionnelle devait être refusée. Le critère déterminant demeure la protection de la société. Je ne vois aucune raison de m’écarter de la conclusion tirée dans Scott, précité, et d’imposer une interprétation plus étroite de ce terme.

 

[40]           La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Diane Provencher, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-343-11

 

INTITULÉ :                                       COLLINS c. PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 18 JANVIER 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 FÉVRIER 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brian A. Callender

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Nostbakken

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brian A. Callender

Avocat

Kingston (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Peter Nostbakken

Ministère de la Justice

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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