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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date: 20120209


Dossier : IMM-4512-11

Référence : 2012 CF 188

Ottawa (Ontario), le 9 février 2012

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

 

JOSE OTONIEL VARGAS MONTOYA

MARLYN EMELINA CASTILLO SOLANO

CARLOS ENRIQUE VARGAS CASTILLO

JOSEPH STEPHEN VARGAS CASTILLO

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 (la Loi) d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié (le Tribunal) rendue le 16 juin 2011. Le Tribunal a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés, ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi et a donc rejeté leur demande d’asile.

I.                   Le contexte

A.     Le contexte factuel

[2]               José Otoniel Vargas Montoya (le demandeur), sa femme, Marlyn Emelina Castillo Solano (la demanderesse), ainsi que leurs fils Carlos Enrique Vargas Castillo et Joseph Stephen Vargas Castillo (ensemble, les demandeurs) sont des citoyens du Nicaragua. Le 16 décembre 2009, ils ont quitté le Nicaragua pour venir au Canada, formulant leur demande d’asile le 21 décembre 2009 en raison d’une crainte du gouvernement du Front sandiniste et des membres du Conseil du pouvoir du citoyen (CPC). Les demandeurs allèguent être persécutés par le gouvernement en raison de leur implication politique au sein du Parti libéral constitutionnel (PLC) et celle de leur famille.

 

[3]               Les frères de la demanderesse ont été impliqués au sein du PLC et la demanderesse aurait été une « aspirante », représentant le parti au bureau de scrutin lors des élections en 2006. Elle aurait assisté à des réunions et participé à des marches. Conséquemment, l’un de ses fils aurait été menacé par des jeunes sandinistes voulant l’intégrer dans leur parti; les demandeurs auraient commencé à recevoir des menaces de mort et ils auraient été agressés par des inconnus. Le jour des élections en 2006, ils allèguent même que des personnes scandaient des slogans devant leur maison. Depuis cette période, les demandeurs prétendent continuellement recevoir des menaces téléphoniques jusqu’à leur départ. Les demandeurs prétendent avoir déposé une plainte à la police suite à ces incidents, mais qu’aucune action n’aurait été prise.

 

[4]               De plus, le demandeur, étant un missionnaire pour l’Église catholique, il aurait été attaqué par un inconnu en 2008 en sortant de l’église et aurait reçu des coups de pierres au visage. Suite à cette première attaque, il allègue avoir déposé une plainte à la police et avoir reçu des soins médicaux. Un deuxième incident survient en 2009, encore une fois en quittant l’église. Le demandeur prétend avoir déposé une plainte aux autorités et au Centre nicaraguayen des droits humains (CNDH).

 

[5]               Leur demande d’asile basée sur cette crainte est entendue par le Tribunal le 7 juin 2011. Suite à cette audience, le Tribunal a rendu sa décision négative le 16 juin 2011.

 

B.     La décision contestée

[6]               Dans sa décision, le Tribunal précise que suite à une étude de la preuve, tant documentaire que testimoniale, les demandeurs n’ont pas été considérés comme crédibles et les documents déposés n’ont pas de valeur probante.

 

[7]               Ainsi, considérant que les demandeurs n’ont donc pas fait la preuve des éléments essentiels au soutien de leur demande d’asile et de leur crainte de persécution, le Tribunal rejette leur demande.

 

II.                 La question en litige

[8]               La seule véritable question que soulève cette affaire est :

Le Tribunal a-t-il erré dans son appréciation de la preuve et de la crédibilité des demandeurs, en basant ses conclusions sur des faits erronés, tirées de façon arbitraire ou sans tenir compte de l’ensemble de la preuve?

 

 

 

 

III.              Les dispositions législatives applicables

[9]               Les articles pertinents de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont les suivants:

Notions d’asile, de réfugié et de personne à protéger

 

 

 

Définition de « réfugié »

 

A qualité de réfugié au sens de la Convention – le réfugié – la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

Refugee Protection, Convention Refugees and Persons in Need of Protection

 

Convention refugee

 

A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

IV.              La norme de contrôle

[10]           La norme de contrôle applicable en l’espèce, s’agissant d’une pure question de l’appréciation de la preuve, est celle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; Aguebor c Canada (ministre de l’Emploi et de l’immigration) (CAF), (1993) ACF no 732, 42 ACWS (3d) 886 [Aguebor]). La Cour doit donc faire preuve de déférence (Dunsmuir, ci-dessus, au para 49). En conséquence, il incombe à la Cour de déterminer si les conclusions du Tribunal sont justifiées, transparentes et intelligibles, appartenant « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47). Il ne revient donc pas à la Cour de réévaluer la preuve qui était devant le Tribunal.

 

V.                Analyse

[11]           Devant la Cour, la procureure du défendeur a soutenu que la décision du Tribunal, considérée dans son ensemble, est raisonnable, car il a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison de leur manque de crédibilité quant aux éléments essentiels à la base de leur demande. Selon le défendeur, le Tribunal explique clairement en quoi il ne considère pas les demandeurs crédibles, notamment en raison de l’absence de documents corroboratifs ; l’ignorance de la demanderesse quant au PLC ; les contradictions dans les témoignages et les déclarations antérieures des demandeurs et le manque de spontanéité dans le témoignage de la demanderesse.

 

[12]           Après révision de la preuve pertinente et après avoir entendu les représentations des parties, la Cour n’est pas satisfaite que la décision du Tribunal est raisonnable. 

 

[13]           Bien que l’appréciation de la crédibilité des demandeurs relève du Tribunal et que ce dernier est présumé avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour est d’avis que le Tribunal a déraisonnablement écarté deux (2) documents qui se situent au cœur du débat. Le Tribunal se devait de prendre en considération ces deux documents et de les intégrer dans l’analyse de sa décision pour les raisons qui suivent.

[14]           Le premier document est la pièce A-4, intitulé « 2010 Report on International Religious Freedom - Nicaragua » qui couvre la période du 1er juillet 2009 au 30 juin 2010.

 

[15]           La preuve au dossier indique que ce rapport a été envoyé pour dépôt au dossier le 6 juin 2011 (Dossier des demandeurs, p 161) et que le membre audiencier du Tribunal avait connaissance du document lors de l’audience du 7 juin (Dossier du Tribunal, p 356). Ce rapport mentionne que la liberté de religion est généralement respectée au Nicaragua, mais qu’il y a également de l’intolérance :

Restrictions on Religious Freedom

 

The government generally respected religious freedom in practice. There was no change in the status of respect for religious freedom by the government during the reporting period. The government showed intolerance toward those who commented on sociopolitical matters, including religious groups.

 

On April 23, 2010, the Catholic Episcopal Conference denounced the use of religious institutions for political purposes and demanded respect for the rule of law. Religious leaders also felt constrained when expressing negative commentary on government structures. […] 

 

There were no reports of any official action limiting the physical practice of religious worship and church attendance during the reporting period. However, FSLN activity, sometimes expressed in official government activities or carried out by government workers, disrupted church functions and the freedom to worship. CPCs organized protests to disrupt religious activities and harassed religious leaders when they encroached upon the government’s political agenda. Catholic authorities reported that the CPCs continued a systematic strategy of harassment whenever clergy publicly criticized the government. […]  (Dossier des demandeurs, pp 164-165)

(Je souligne)

 

[16]           Lors de l’audience devant le Tribunal, le membre audiencier a résumé que le demandeur était un missionnaire et qu’en prêchant on lui imputait une activité politique, c’est-à-dire d’inciter les gens à ne pas se joindre au front sandiniste. Le demandeur a répondu : « Exactement » (Voir Dossier du Tribunal, p 355). Le Tribunal se devait donc de faire référence à ce document qui touche la revendication du demandeur sur la base de la religion. Le Tribunal a omis de le faire. De plus, bien que les transcriptions démontrent que le Tribunal avait connaissance du document A-4, tel que mentionné ci-dessus, le document A-4 ne figure nullement au Dossier du Tribunal. Non seulement le Tribunal n’y fait pas référence dans sa décision, mais l’absence du document A-4 dans le Dossier du Tribunal peut laisser planer un doute quant à l’examen de cette preuve par le Tribunal.

 

[17]           Le deuxième document est la pièce P-8, c’est-à-dire la lettre envoyée par le CNDH. Bien que le Tribunal y fasse référence dans sa décision aux paragraphes 38-39, il l’écarte et ne lui donne aucune valeur probante. Or, un examen de ce document signé le 30 novembre 2009 indique qu’un individu représentant les intérêts du gouvernement et « qui par présomption a agressé monsieur Vargas Montoya ». La lettre indique aussi que les dirigeants de la police sont « en affinage » avec le gouvernement actuel. De plus, cette lettre est tapée sur papier-en-tête, signée et comporte le sceau de l’organisme pour la défense des droits de la personne. Sans pour autant conclure à son authenticité, à première vue, force est de constater que la pièce P-8 revêt certaines caractéristiques d’authenticité. Dans ces circonstances, bien que le Tribunal pouvait écarter cette preuve, il se devait d’expliquer en quoi cette lettre n’avait aucune valeur probante. En l’espèce, il était déraisonnable pour le Tribunal de s’appuyer uniquement sur ses conclusions pour écarter - sans autre explication - un document qui, à première vue, semble authentique, émane d’une organisation pour la défense des droits de la personne et dont le contenu corrobore en partie les prétentions des demandeurs. Le Tribunal se devait d’analyser dans sa décision l’authenticité de cette preuve qui contredit certaines de ses conclusions. Avec respect, l’analyse sommaire du Tribunal sur cette question et sa conclusion à l’effet que le CNDH n’aurait pas écrit cette lettre sont sans fondement et déraisonnables.

[18]           Pour toutes ces raisons, l’intervention de la Cour est justifiée. Il n’y a pas de question à certifier.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée pour un nouvel examen devant un Tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4512-11

 

INTITULÉ :                                       JOSE OTONIEL VARGAS MONTOYA et al

                                                            c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 janvier 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 9 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Le Brun

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Caroline Doyon

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Étude légale de Me Michel Le Brun

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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