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Date : 20120221

Dossier : IMM‑4197‑11

Référence : 2012 CF 237

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2012

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

ARLINE TINDALE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse sollicite une ordonnance annulant la décision en date du 16 mai 2011 par laquelle l’agente de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) chargée d’examiner les risques avant le renvoi (ERAR) a rejeté sa demande d’ERAR visant l’obtention d’une protection en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Les faits

[2]               La demanderesse est originaire de la Jamaïque. Son premier mari la maltraitait. Elle l’a fui en venant au Canada en compagnie de son plus jeune fils, laissant derrière elle plusieurs autres enfants. Elle n’a plus de contact avec ses autres enfants et affirme qu’il n’y a plus personne qui l’attend en Jamaïque, même si sa mère et sept de ses frères et sœurs y vivent toujours. Elle dit craindre de retourner en Jamaïque, où elle affirme qu’elle serait exposée à un risque plus élevé d’être agressée sexuellement.

 

[3]               La demanderesse est au Canada depuis une vingtaine d’années (depuis 1990) sans statut juridique. Les démarches qu’elle a entreprises pour régulariser sa situation sont relatées au paragraphe 3 de la décision Tindale c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 236 (IMM‑4194‑11) qui a été rendue en même temps que la présente décision.

 

Question en litige

[4]               La question en litige dans la présente affaire est de savoir si la décision de l’agente d’ERAR de rejeter la demande d’ERAR présentée par la demanderesse est raisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190.

 

Analyse

[5]               Il n’appartient pas à la Cour de substituer ses conclusions et sa décision à celles de l’agente d’ERAR : le rôle de notre Cour consiste plutôt à réviser la décision rendue par l’agente d’ERAR pour s’assurer qu’elle est conforme à la loi selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. La Cour ne doit pas déborder le cadre de sa compétence et elle ne peut modifier les décisions des tribunaux administratifs dès lors qu’elles sont raisonnables, et ce, même si elle serait arrivée à une décision différente si elle avait exercé son propre pouvoir d’appréciation (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732).

 

[6]               Il est de jurisprudence constante qu’il n’est pas loisible à celui qui présente une demande d’ERAR de plaider de nouveau la demande d’asile dont il a été débouté. Ainsi que le juge Richard G. Mosley l’explique dans la décision Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385 :

Il faut se rappeler que le rôle de l’agent d’ERAR n’est pas de revoir les conclusions de fait et les conclusions relatives à la crédibilité qui ont été tirées par la Commission, mais bien d’examiner la situation actuelle. Lorsqu’il évalue les « nouvelles informations », ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment […] Lorsque des renseignements [traduction] « récents » (c.‑à‑d. des renseignements postérieurs à la décision initiale) font simplement écho à des renseignements produits antérieurement, il est peu probable que l’on conclut que la situation dans le pays a changé. La question est de savoir s’il y a de nouveaux renseignements « essentiels » […]

 

 

[7]               La Cour d’appel fédérale a confirmé la décision du juge Mosley dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, et a déclaré, au paragraphe 12 :

La demande d’ERAR présentée par un demandeur d’asile débouté ne constitue pas un appel ni un réexamen de la décision de la SPR de rejeter une demande d’asile. Néanmoins, une demande d’ERAR peut nécessiter l’examen de quelques‑uns ou de la totalité des mêmes points de fait ou de droit qu’une demande d’asile. Dans de tels cas, il y a un risque évident de multiplication inutile, voire abusive, des recours. La LIPR atténue ce risque en limitant les preuves qui peuvent être présentées à l’agent d’ERAR. Cette limite se trouve à l’alinéa 113a) de la LIPR […]

 

[8]               Il incombait à la demanderesse de présenter de nouveaux éléments de preuve à l’appui de sa demande d’ERAR. Pour pouvoir être considérés comme nouveaux dans ce contexte, les éléments de preuve devaient être survenus depuis la décision rendue au sujet de la demande d’asile ou encore constituer des éléments de preuve qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable dans les circonstances de s’attendre à ce qu’ils aient été présentés au moment du rejet.

 

[9]               L’agente d’ERAR n’avait pas à examiner des éléments de preuve qui avaient déjà été présentés à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission); elle devait tenir uniquement compte des éléments de preuve présentés conformément à l’alinéa 113a) de la LIPR. Comme les éléments de preuve en question ne satisfaisaient pas aux critères énoncés dans Raza, l’agente d’ERAR n’a pas commis d’erreur susceptible de révision.

 

[10]           En ce qui concerne le second moyen invoqué par la demanderesse, son avocat affirme que l’agente d’ERAR a commis une erreur en écartant les préoccupations formulées par la demanderesse au motif qu’il s’agissait de « généralisations » et que ces éléments de preuve n’étaient pas pertinents dans le cas précis de la demanderesse.

 

[11]           Dans ce contexte, la Cour conclut que la décision de l’agente d’ERAR ne résiste pas à un examen minutieux selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. Dans les motifs donnés, on ne trouve aucun mode d’analyse qui pouvait raisonnablement amener la décideure à conclure comme elle l’a fait au vu de la preuve ou, en d’autres termes, on ne peut affirmer qu’après une analyse assez poussée, les motifs et la preuve étayent la décision (Barreau du Nouveau‑Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 RCS 247, au paragraphe 55). Il y a quatre conclusions qui portent sur des éléments essentiels et pour lesquelles la preuve versée au dossier n’appuie pas la décision de l’agente d’ERAR.

 

[12]           L’agente d’ERAR se fonde sur un rapport national publié en 2010 par le Département d’État des États‑Unis (le rapport). Après avoir cité de larges extraits du rapport, l’agente conclut que la protection offerte par l’État aux femmes est suffisante. Or, le rapport n’appuie apparemment pas cette conclusion.

 

[13]           Deuxièmement, l’agente d’ERAR signale l’existence d’une loi réprimant le viol et fait observer que, suivant ses recherches, [traduction] « il ne semble pas que la police ignore » la violence dont sont victimes les femmes. Là encore, on ne sait pas avec certitude, à la lumière du rapport, comment l’agente est parvenue à cette conclusion. Une lecture exhaustive et objective du rapport mène plutôt à la conclusion inverse.

 

[14]           Troisièmement, l’agente d’ERAR fait essentiellement reposer sa décision sur le fait que le viol est illégal en Jamaïque et que le gouvernement et la police [traduction] « n’ignorent pas » la violence. Il est bien établi en droit que l’existence d’une loi ne veut pas nécessairement dire qu’il y a protection suffisante de la part de l’État. L’existence d’une telle loi est un facteur pertinent quant à la protection mais ne constitue pas une réponse complète.

 

[15]           Enfin, l’agente d’ERAR se fonde sur ses « recherches » pour justifier sa conclusion au sujet du caractère adéquat de la protection de l’État. Elle ne cite aucune des recherches en question, se contentant de faire référence à des [traduction] « articles de journaux » et [traduction] « d’autres documents ». Le seul élément de preuve qu’elle mentionne expressément, le rapport du Département d’État, n’appuie pas la conclusion à laquelle elle est parvenue.

 

[16]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

[17]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la présente affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit jugée de nouveau par un autre agent de Citoyenneté et Immigration Canada. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et la Cour estime que la présente affaire n’en soulève aucune.

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4197‑11

 

INTITULÉ :                                                   ARLINE TINDALE c.
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 20 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RENNIE

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 21 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Osborne G. Barnwell

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Osborne G. Barnwell

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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