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Date : 20120217


Dossier : IMM-3571-11

Référence : 2012 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON-RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 17 février 2012

En présence de Monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

NORMA ANGELICA YANEZ TECUAPETLA DAVID GARCIA HERNANDEZ

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Les demandeurs, Norma Angelica Yanez Tecuapetla et David Garcia Hernandez sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 2 mai 2011 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I.          Contexte

 

[3]               Les demandeurs sont citoyens du Mexique. Des passeports mexicains leur ont été délivrés le 14 juillet 2009 et ils sont arrivés au Canada en qualité de visiteurs le jour suivant.

 

[4]               Le 14 août 2009, ils ont présenté une demande d’asile fondée sur le fait qu’ils craignaient l’ancien petit ami de la demanderesse, Jose. Elle a déclaré que Jose l’avait agressée, physiquement et sexuellement, de façon périodique.

 

[5]               Lorsqu'elle a commencé à fréquenter le demandeur, Jose a vandalisé sa voiture de même que les murs de l’immeuble où elle habitait. Jose et ses amis ont aussi agressé physiquement le demandeur à plusieurs reprises. De plus, les parents de la demanderesse ont été agressés physiquement et volés. Jose a menacé les demandeurs et a déclaré qu'il s’attaquerait aux membres de la famille.

 

[6]               Une audience sur la demande d’asile a d'abord été fixée au 31 janvier 2011. Les demandeurs ont confirmé qu'ils [traduction] « voulaient et pouvaient participer à l'audience » ce jour-là.

 

[7]               Le 14 janvier 2011, Mme Patricia Ann Ritter, conseil des demandeurs, a demandé que l'audience sur la demande d’asile soit ajournée à cause de symptômes liés à la grossesse ressentis par la demanderesse. Cette demande a été rejetée vu l’insuffisance de la preuve médicale.

 

[8]               Par conséquent, les demandeurs ont participé à l’audience à la date initialement prévue par la Commission. À leur arrivée, les demandeurs ont été avisés par le président de l’audience que Mme Ritter avait informé la Commission qu’elle était malade et qu’elle ne pouvait participer à l'audience.

 

[9]               La Commission a accordé un ajournement et a fixé une nouvelle date d'audience au 27 avril 2011. Il a été établi que cette date serait péremptoire et que, par conséquent, l’audience se déroulerait même en l’absence de leur conseil. Les demandeurs seraient également tenus d’exposer les raisons pour lesquelles la Commission ne devrait pas prononcer le désistement.

 

[10]           La Commission a confirmé que Mme Ritter serait libre ce jour-là et a conseillé aux demandeurs de communiquer avec elle. Les demandeurs affirment fermement qu'ils ont réellement communiqué avec Mme Ritter pour fixer un rendez-vous, mais en vain. Le jour précédant celui où cette dernière devait les représenter, ils ont essayé d’obtenir du bureau d’avocats de Mme Ritter une assurance qu’elle serait présente à l’audience.

 

[11]           Lorsque les demandeurs se sont présentés à l'audience le 27 avril 2011, le commissaire leur a fait savoir que leur conseil avait téléphoné ce matin-là pour dire qu’elle avait un problème de santé et qu’elle allait envoyer des documents par télécopieur à la Commission le matin même. Cependant, le dossier certifié du tribunal ne contient ni document télécopié ni autre élément de preuve attestant l’existence d’une demande d’ajournement.

 

[12]           La Commission a présidé l’audience de justification, soulignant que le désistement serait prononcé ou qu’elle instruirait l’affaire à ce moment-là. Il a été établi que les demandeurs n'avaient pas fait suffisamment d’efforts pour rejoindre leur conseil mais, étant donné qu'ils s’étaient déclarés prêts à participer à l'audience, les demandeurs se sont représentés eux-mêmes. À la conclusion de l'audience, le commissaire a suggéré aux demandeurs de continuer à chercher à obtenir l’aide de leur conseil ou d’une autre personne.

 

[13]           La demande a été rejetée dans une décision rendue le 2 mai 2011.

 

II.        La décision faisant l’objet du contrôle

 

[14]           Dans sa décision, la Commission s’en tient principalement à la question de la protection accordée par l'État. Elle a conclu que les demandeurs n'avaient pas pris toutes les mesures raisonnables dans les circonstances pour chercher à obtenir l’aide de l'État au Mexique avant de se placer sous la protection du Canada. Par exemple, la demanderesse a déclaré qu'elle n'avait pas signalé à la police les agressions de Jose parce qu'elle avait l’impression qu'il changerait son comportement et que, de plus, elle le craignait.

 

[15]           La Commission n'a pas été convaincue que la police n’enquêterait pas sur les allégations des demandeurs relativement à Jose et à ses complices s'ils portaient plainte. En fait, la police a tenté de retrouver les personnes qui avaient agressé et volé les parents de la demanderesse et ce, immédiatement après qu’une plainte eut été portée (il faut cependant souligner que, selon la Commission, la participation de Jose à cet incident n’était qu’une supposition).

 

[16]           De plus, les réponses des demandeurs au sujet de l’efficacité de la protection de l'État n'ont pas été jugées convaincantes étant donné qu'elles étaient en grande partie non confirmées et incompatibles avec la preuve documentaire. Au cours de son examen détaillé des documents soumis en preuve, la Commission a reconnu, malgré certaines contradictions entre diverses sources, que la prépondérance de la preuve objective concernant la situation actuelle dans le pays donnait à penser que, même s'il ne le fait pas parfaitement, l’État mexicain protège adéquatement les victimes d’actes criminels.

 

III.       La question en litige

 

[17]           Voici la seule question en litige que soulève la présente demande :

 

La Commission a-t-elle violé les principes de justice naturelle ou d'équité procédurale en tenant l’audience relative à la demande d’asile présentée par les demandeurs en l'absence d’un conseil?

 

IV.       La norme de contrôle

 

[18]           En matière de justice naturelle et d'équité procédurale, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CarswellNat 434, par. 43).

 

V.        Analyse

 

[19]           Les demandeurs soutiennent que la Commission a violé les principes de la justice naturelle en les obligeant à participer à l’audience sans conseil, sous peine de risquer que le désistement de leur demande soit prononcé. Ils n’avaient aucun pouvoir sur l’état de santé de leur conseil. Ils prévoyaient que Mme Ritter serait sur place pour les représenter jusqu'à ce que la Commission les informe du contraire. Les demandeurs ont tenté de rejoindre Mme Ritter et il n’était pas raisonnable que la Commission exige de leur part qu'ils garantissent quasiment la présence de leur conseil. De plus, la Commission n'a aucunement tenu compte de l’injustice que créerait l’instruction de l’affaire à ce moment-là.

 

[20]           Par contre, le défendeur soutient que le déroulement de l'audience n’a entraîné aucune violation des principes de justice naturelle et ce, malgré l'absence de la conseil. Aucune demande d'ajournement n'a été clairement présentée et la Commission n'est pas tenue de prévoir de son propre chef un ajournement. De plus, les demandeurs n'ont pas réussi à préciser ce qui se serait produit si leur conseil avait pu les représenter.

 

[21]           La Commission avait bien l’intention de présider l'audience. Cette situation n’aurait pas dû surprendre les demandeurs étant donné que ces derniers avaient été informés et avaient déclaré comprendre, lors de l'ajournement précédent, que l'audience du 27 avril 2011 se déroulerait de toute façon, qu'ils soient représentés ou non.

 

[22]           Bien que les demandeurs soulignent avec insistance qu'ils ont fait des efforts pour communiquer avec Mme Ritter et qu'ils ont cherché à obtenir une assurance qu’elle serait présente à l’audience, la Commission a jugé que ces efforts n’étaient pas suffisants. Les demandeurs avaient été incapables d’obtenir un rendez-vous pour discuter de leur dossier avec Mme Ritter et ont reconnu devant le commissaire à l'audience qu'ils entretenaient certains doutes quant à la présence de leur conseil.

 

[23]           Il ne faut pas excuser le défaut de Mme Ritter de communiquer au préalable avec les demandeurs. Si elle savait d’avance qu'elle serait incapable de participer à l'audience, elle aurait dû en informer les demandeurs afin que ces derniers se fassent représenter par une autre personne.

 

[24]           Or, les demandeurs avaient été informés de l’ajournement péremptoire, soit qu’une audience aurait lieu de toute façon, même si les demandeurs n’étaient pas représentés. Conformément au paragraphe 58 (4) des Règles de la Section sur la protection des réfugiés, DORS/2002-228, si la Commission décide de ne pas prononcer le désistement, « elle commence ou poursuit l’affaire sans délai ». Il faut donc se demander si la décision qu’a prise la Commission de poursuivre l’affaire en l'absence d’un conseil soulève nécessairement des préoccupations en matière d’équité procédurale.

 

[25]           Examinant la jurisprudence pertinente dans Mervilus c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1206, [2004] ACF no 1460, aux par. 17 à 24, le juge Sean Harrington a conclu que, dans le cadre d’une instance administrative, « [l]e droit à l’avocat n’est pas absolu; ce qui l’est par contre, c'est le droit à une audience équitable ». Par conséquent, l’instruction d’une affaire en l'absence d’un conseil ne constitue pas en soi une violation des principes de justice naturelle. La question cruciale qui se pose est donc de savoir si cette absence prive d’une façon ou d’une autre la personne visée du droit à une audience équitable.

 

[26]           Appliquant ces principes dans Austria c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 423, [2006] ACF no 597, par exemple, la juge Danièle Tremblay-Lamer, a reconnu ce qui suit : « ... D]ans certaines circonstances, l'absence d'avocat peut donner lieu à une telle inéquité (sic) au cours de l'audience qu'il est justifié que la Cour intervienne. » Cependant, elle n'était pas convaincue que c'était le cas dans cette affaire étant donné que le demandeur avait indiqué sans l’ombre d’un doute qu'il était prêt à participer à l’audience et que la Commission avait pris les mesures requises afin de garantir qu'il participe de façon utile à l’instance et que l’audience se déroule équitablement.

 

[27]           En l’espèce, les demandeurs n'ont pas précisé de quelle façon le déroulement de l'audience en l'absence du conseil était injuste. Il ne semble pas que les demandeurs se soient préparés avec leur conseil après l'audience ajournée du 31 janvier 2011. Aucun élément de la transcription ne donne à penser qu’ils n’avaient pas accès à des documents essentiels ou que les demandeurs ont été incapables de présenter leurs arguments. En fait, la Commission semble avoir fait preuve d’ouverture à l'égard des droits des demandeurs en leur suggérant, à la fin de l'audience, de continuer à chercher à obtenir un soutien.

 

[28]           Contrairement à la situation décrite dans Mervilus, ci-dessus, les demandeurs laissent entendre que l’instruction d’une affaire en l’absence d’un conseil justifie à elle seule une intervention de la Cour parce qu’il y a violation des principes de justice naturelle. Or, ce n'est pas nécessairement le cas, car tout repose sur l’équité de l'audience dans son ensemble.

 

[29]           Comme le souligne aussi le défendeur, les demandeurs n'ont pas réussi à faire le lien entre l'absence de conseil et le bien-fondé de leurs prétentions. Ils n'ont pas attiré l'attention de la Cour sur une erreur dans la décision, comme des renseignements qui n’auraient pas été présentés et pris en compte, qui confirmerait le fait qu'il faut renvoyer l’affaire à la Commission.

 

[30]           La jurisprudence invoquée par les demandeurs n’est pas très utile étant donné qu’elle porte surtout sur les facteurs à prendre en compte dans le cadre d’une demande d'ajournement (voir par exemple Siloch c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 ACF no 10, 151 NR 76; Chen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1994 ACF no 369, 25 IMM LR (2d) 200; Cleopartier c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1527, 2004 ACF no 1834; Antypov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1589, 2004 ACF no 1931).

 

[31]           Comme le souligne le défendeur, la demande d’ajournement invoquée n’a pas été formulée clairement ou son existence n’a pas été démontrée (en ce qui concerne cette condition préalable, voir Hundal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 884, 2003 ACF no 1131, par. 17). Le dossier certifié du tribunal évoque la possibilité d’un autre message par télécopieur en provenance de la conseil, mais il n’est pas établi si cet envoi par télécopieur a été réellement effectué et la nature de son contenu demeure floue. De plus, la Commission n'est pas tenue de conseiller de son propre chef aux demandeurs de chercher à obtenir un ajournement (voir Concepcion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 410, [2007] ACF no 563, par. 2 et 3; Nguyen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1001, 2005 ACF no 1244, par. 17).

 

[32]           En l’absence d’éléments démontrant que l’audience des demandeurs a été injuste, la décision de la Commission de poursuivre l’affaire en l'absence d’un conseil n'entraîne pas une nette violation des principes de justice naturelle ou de l'équité procédurale.

 

VI.       Conclusion

 

[33]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE

La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

D. G. Near

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3571-11

 

Intitulé :                                      NORMA ANGELICA YANEZ TECUAPETLA ET autre. c. MCI

 

 

 

Lieu de l’audience :              TORONTO

 

DATE de l’audience :             Le 25 janvier 2012

 

Motifs du jugement

et jugement par :                   Le juge NEAR

 

DATE des motifs :                     Le 17 février 2012

 

 

 

Comparutions :

 

Jack Martin

 

pour les demandeurs

Kareena R. Wilding

 

Pour le DÉFENDEUR

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Catherine Bruce

Cabinet de Catherine Bruce

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le DÉFENDEUR

 

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