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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20120214

 

Dossier : IMM-5382-11

Référence : 2012 CF 210

Ottawa (Ontario), ce 14e jour de février 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny 

 

ENTRE :

 

Botoka RAMOKATE

 

 

 

Partie demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

Partie défenderesse

 

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (« LIPR ») à l’encontre d’une décision datée du 15 juillet 2011 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), selon laquelle la demanderesse n’a pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’estime que la décision du tribunal est raisonnable et que la demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être rejetée.

 

I.  Les faits

[3]               La demanderesse, Botoka Ramotake, est citoyenne du Botswana. Elle affirme avoir commencé à fréquenter un certain Thomas Dubani en juillet 2006. Lorsque ce dernier a perdu son emploi, en juin 2008, il serait devenu jaloux et aurait menacé de la tuer. La demanderesse aurait alors porté plainte auprès des autorités botswanaises, qui sont rapidement intervenues en exigeant de M. Dubani qu’il cesse de menacer la demanderesse. Grâce à cette intervention policière, M. Dubani a mis un terme à ses menaces.

 

[4]               En mars 2009, la demanderesse a définitivement mis fin à sa relation avec M. Dubani. Celui-ci aurait alors réitéré ses menaces de mort. La demanderesse s’est alors empressée de porter plainte à nouveau contre M. Dubani auprès des autorités, qui ont immédiatement procédé à son arrestation.

 

[5]               Craignant qu’il ne soit relâché et qu’il ne mette ses menaces à exécution, la demanderesse a laissé son enfant chez sa sœur et a décidé de fuir son pays pour venir se réfugier au Canada. Quelque temps après son arrivée ici, la demanderesse a appris de sa sœur que M. Dubani avait été libéré et avait proféré des menaces contre elle.

II.  La décision contestée

[6]               Le tribunal a noté que la demanderesse n’avait pas présenté de preuve claire et convaincante à l’effet que les autorités botswanaises ne pourraient pas la protéger à son retour. Au contraire, celles-ci ont démontré qu’elles voulaient et pouvaient la protéger contre M. Dubani, puisqu’elles sont intervenues à chaque fois que la demanderesse a porté plainte.

 

[7]               D’autre part, le tribunal a constaté que le gouvernement botswanais a mis en place, au cours des dernières années, plusieurs lois, institutions et mesures visant à protéger les femmes victimes de violence conjugale. Le tribunal a considéré toute la preuve documentaire et a reconnu que la situation n’était pas parfaite, compte tenu notamment du manque de ressources financières, de l’accès limité à l’aide juridique et du manque d’information sur les recours disponibles. Il en est cependant arrivé à la conclusion que cette preuve documentaire devait être évaluée à la lumière de la situation particulière de la demanderesse.

 

III.  Question en litige

[8]               La seule question en litige dans le présent dossier est celle de savoir si le tribunal a erré en concluant à l’existence d’une protection étatique adéquate au Botswana.

 

IV.  Analyse

[9]               La protection de l’État est une question mixte de faits et de droit qui relève de l’expertise du tribunal. À ce titre, elle est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Hinzman c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CAF 171 au para 38, 282 D.L.R. (4th) 413).

[10]           La jurisprudence établit clairement qu’un État est présumé être capable de protéger ses citoyens, à moins que ses institutions soient dans un tel état d’effondrement qu’elles ne puissent plus assurer l’ordre et la sécurité. D’autre part, la protection fournie par l’État doit être adéquate, mais n’a pas à être parfaite. Enfin, c’est au demandeur qu’incombe le fardeau de démontrer, par la prépondérance des probabilités, que l’État est incapable de le protéger (voir Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 à la page 725; Carrillo c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30, [2008] 4 R.C.F. 636; Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 au para 7, 99 D.L.R. (4th) 334; Sanchez c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 134 aux para 10-12, 165 A.C.W.S. (3d) 336; De Lourdes Gonzalez Duran c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 855 aux para 13 et 15).

 

[11]           Le tribunal a donné plusieurs motifs pour conclure que l’État botswanais était capable de protéger ses citoyennes aux prises avec la violence conjugale. Tout d’abord, le gouvernement a adopté en 2008 le « Domestic Violence Act », qui permet aux victimes de violence conjugale d’obtenir une protection immédiate contre leur agresseur. D’autre part, les policiers suivent maintenant un cours sur les droits de l’homme dans le cadre de leur formation au Collège de police. Il semble également que les policiers soient déterminés à arrêter et à porter des accusations de menaces de mort contre tout homme qui menace de porter atteinte à la vie de sa conjointe, tandis que les autorités appliquent les lois contre le viol. Enfin, la preuve démontre que les policiers entretiennent de bonnes relations avec les employés d’un refuge pour femmes battues.

 

[12]           Il est vrai que la preuve documentaire fait état de certaines failles dans la protection offerte aux femmes victimes de violence conjugale, comme l’a d’ailleurs reconnu le tribunal. La situation générale prévalant dans le pays doit cependant être évaluée à la lumière de l’expérience personnelle vécue par la demanderesse. Cette dernière a sans doute raison de prétendre que le tribunal devait évaluer la crainte de persécution de la demanderesse et la protection qu’elle pourrait recevoir des autorités de son pays de façon prospective. Ceci étant dit, elle se devait d’expliquer pourquoi le passé ne serait pas garant de l’avenir. Autrement dit, elle devait convaincre le tribunal que sa situation avait changé à un point tel qu’elle ne pourrait plus bénéficier dans le futur de la protection que lui ont accordée les forces policières dans le passé. Je suis d’accord avec mon collègue le juge Russell Zinn lorsqu’il écrivait, dans l’arrêt Sandoval  c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 868 au para 16, 168 A.C.W.S. (3d) 1050 :

     La Cour d’appel fédérale a affirmé dans l’arrêt Carrillo que le demandeur qui veut réfuter la présomption du caractère suffisant de la protection de l’État doit présenter une preuve « pertinente, digne de foi et convaincante » qui convainc le juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante. Dans les cas où, comme en l’espèce, la protection a été demandée et accordée, le demandeur aura le défi d’établir qu’il s’agissait d’une aberration, à moins qu’il y ait eu des changements importants dans sa situation personnelle ou dans celle de l’État. Dans la présente affaire, il n’y avait pas de preuve de ce genre.

 

 

 

[13]           La situation est la même dans la présente affaire. La demanderesse n’a pas expliqué pourquoi la protection à laquelle elle a eu droit dans le passé ne lui serait pas offerte lors d’un retour éventuel dans son pays. Tout au plus son avocate a-t-elle fait valoir que son persécuteur pourrait être encore plus déterminé suite à son arrestation et son incarcération. Il ne s’agit là, toutefois, que de pure spéculation. Il est au moins aussi plausible que les autorités, ayant réussi à la protéger dans le passé, pourront faire de même si elle fait appel à leur service. En fait, il se peut bien que le départ de la demanderesse ait pu entraver l’enquête des policiers et les amener à relâcher M. Dubani faute de preuve, tel que l’a relevé le tribunal.

 

[14]           Compte tenu de toutes ces circonstances, la demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle ne pourra bénéficier de la protection de l’État à son retour au Botswana. Pour ce motif, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5382-11

 

INTITULÉ :                                       Botoka RAMOKATE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 9 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Stéphanie Valois                            POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

 

Me Anne-Renée Touchette                  POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stéphanie Valois                                                           POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

 

 

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