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Date: 20120213

Dossier : IMM-5522-11

Référence : 2012 CF 195

Montréal (Québec), le 13 février 2012

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

 

MA DE LOS ANGEL GARCIA GUEVARA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR), à l’encontre d’une décision datée du 6 juillet 2011 de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) refusant à la demanderesse l’asile au motif qu’elle n’est pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour est d’avis que cette demande doit être rejetée. Si le bien-fondé de la décision du tribunal relativement à la protection de l’État peut être remis en question, il n’en va pas de même de ses conclusions relatives à la possibilité d’un refuge interne.

 

Les faits

[3]               La demanderesse, Maria De Los Angel Garcia Guevara, est âgée de 40 ans et originaire de Ciudad Juarez au Mexique.

 

[4]               Elle a épousé Octavio Eduardo Gonzalez Perez à l’âge de 17 ans. Un enfant est né de cette union. Malheureusement, son mari s’est montré extrêmement violent pendant toutes les années du mariage. La demanderesse a été victime de violence physique, psychologique et sexuelle à plusieurs reprises, et elle a même fait l’objet d’une tentative de meurtre.

 

[5]               La demanderesse a finalement demandé et obtenu le divorce le 10 octobre 2003. Cela ne devait cependant pas mettre un terme aux problèmes qu’elle éprouvait avec son ex-mari, qui a continué de l’harceler.

 

[6]               Le 10 août et le 26 décembre 2004, elle a porté plainte contre son ex-mari auprès de la police. Ces plaintes sont cependant restées lettre morte, apparemment parce que le frère de son ex‑mari travaillait au poste de police où elle a porté plainte. Ses problèmes se sont néanmoins résorbés pendant un certain temps, du fait que son ex-mari a été interné pour cause de troubles mentaux.

 

[7]               Pendant cette période, la demanderesse a entamé une nouvelle relation avec un certain Carlos Rojo Chavez. En 2006, un enfant est né de cette relation.

 

[8]               En 2008, la vie de la demanderesse a de nouveau basculé lorsque son ex-mari a été libéré de l’hôpital. Elle a tenté de déménager, mais son ex-mari finissait toujours par la retrouver.

 

[9]               Finalement, l’un des frères de la demanderesse lui a fourni l’argent nécessaire pour fuir la ville de Ciudad Juarez. La demanderesse est arrivée au Canada le 12 avril 2009, et elle a demandé l’asile en raison de son appartenance à un groupe social, soit celui des femmes.

 

La décision contestée

[10]           Le tribunal n’a pas remis en question la crédibilité de la demanderesse et de son récit. Il a cependant rejeté sa demande d’asile, au motif qu’elle n’avait pas suffisamment fait d’efforts pour se prévaloir de la protection de l’État. Le tribunal s’est également dit d’avis qu’il existait une possibilité de refuge interne dans la ville de Mexico.

 

[11]           S’agissant de la protection de l’État, le tribunal a expliqué que la demanderesse s’était rendue au même poste de police pour déposer ses deux plaintes contre son ex-mari, sachant très bien la deuxième fois que sa plainte ne serait pas prise au sérieux. Selon le tribunal, la demanderesse aurait dû entreprendre d’autres démarches pour bénéficier de la protection de l’État, et n’avait donc pas épuisé tous ses recours.

 

[12]           Quant à la possibilité de refuge interne, le tribunal a estimé que la demanderesse aurait pu déménager dans la ville de Mexico. Il n’a pas retenu l’argument de la demanderesse à l’effet qu’elle n’a pas voulu s’y installer parce qu’elle n’y connaît personne, alors même qu’elle est venue réclamer la protection du Canada, un pays où la langue et la culture diffèrent de la sienne. Au surplus, le tribunal n’a pas cru la demanderesse lorsqu’elle affirme que ses frères, qui habitent la région de Ciudad Juarez, n’étaient pas en mesure de l’aider pour faire face aux menaces et agressions de son ex-mari.

 

Questions en litige

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

a.       Le tribunal a-t-il erré en concluant que la protection de l’État était adéquate?

b.      Le tribunal a-t-il commis une erreur en concluant à l’existence d’une possibilité de refuge interne?

 

Analyse

[14]           Les deux questions en litige sont des questions mixtes de fait et de droit qui relèvent de l’expertise du tribunal. Elles sont donc toutes deux assujetties à la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190; Huerta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, 167 ACWS (3d) 968).

 

a) Le tribunal a-t-il erré en concluant que la protection de l’État était adéquate?

[15]           La demanderesse a prétendu que le tribunal avait erré en lui imposant un fardeau excessif relativement au renversement de la présomption en faveur de l’existence d’une protection étatique adéquate. Elle soutient plus particulièrement qu’il est absurde de lui demander d’épuiser tous ses recours alors que la preuve documentaire décrit Ciudad Juarez comme la ville la plus meurtrière au monde, et où un nombre élevé de femmes ont été tuées au cours des récentes années. L’exigence d’épuiser tous les recours ne peut s’appliquer, plaide-t-elle, que dans des pays pleinement démocratiques et non dans une démocratie émergente.

 

[16]           Cet argument ne peut être retenu. Il convient à ce chapitre de rappeler les principes applicables en matière de protection étatique. Tout d’abord, il existe une présomption à l’effet que l’État est capable de protéger ses citoyens, à moins que l’on se trouve dans une situation d’effondrement de l’appareil étatique (Canada (Ministre de l’emploi et de l’immigration) c Villafranca (1992), 150 NR 232, 37 ACWS (3d) 1259). Cette présomption peut cependant être écartée par le biais d’une preuve claire et convaincante (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 (disponible sur CanLII)). De ce fait, il incombe au demandeur d’asile de présenter une preuve et de convaincre le tribunal de l’insuffisance de la protection de son État d’origine afin de justifier le recours à la protection internationale. Le demandeur doit s’acquitter de ce fardeau suivant la norme de la prépondérance des probabilités (Carrillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94 au para 30, [2008] 4 RCF 636 [Carrillo]). Dans l’arrêt Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 362 NR 1, la Cour d’appel fédérale écrivait (au para 57) :

(…) le demandeur d’asile provenant d’un pays démocratique devra s’acquitter d’un lourd fardeau pour démontrer qu’il n’était pas tenu d’épuiser tous les recours dont il pouvait disposer dans son pays avant de demander l’asile.

 

[17]           Ces propos n’ont pas pour but de modifier de quelque façon que ce soit la norme de preuve applicable en la matière. En effet, la Cour d’appel fédérale a précisé dans l’arrêt Carillo, précité (au para 26) :

(…) Je pense que notre collègue, comme le juge La Forest dans l’arrêt Ward, voulait parler de la qualité de la preuve qu’il faut produire pour convaincre le juge des faits de l’insuffisance de la protection de l’État. Autrement dit, il est plus difficile de réfuter la présomption dans certains cas que dans d’autres. Mais cela ne modifie en rien la norme de preuve.

 

[18]           En l’espèce, la demanderesse suggère l’existence d’une norme de preuve variable en fonction du degré de démocratie qui existe dans le pays du demandeur d’asile : une norme de preuve plus sévère dans les cas où le demandeur d’asile provient d’un pays où la démocratie est établie de longue date et une norme de preuve moins rigoureuse pour les pays dont les institutions démocratiques sont encore fragiles. La demanderesse se méprend sur la norme de preuve applicable en matière de protection de l’État. Dans tous les cas, la norme de preuve est celle de la prépondérance des probabilités. Par conséquent, je ne peux souscrire à la thèse voulant que le tribunal aurait erré quant à la norme de preuve applicable.

 

[19]           Compte tenu de cette norme, était-il raisonnable d’exiger de la demanderesse qu’elle fasse davantage pour obtenir la protection de l’État mexicain? Il est vrai, comme le souligne le tribunal, que le fait de déposer deux plaintes au même poste de police, alors même que le frère de son conjoint y travaillait et que la première plainte était restée lettre morte, ne témoigne peut-être pas d’un très grand effort pour obtenir la protection des autorités. Sans doute la demanderesse aurait-elle pu à tout le moins s’adresser à un autre poste de police, voire même à un autre palier étatique. En revanche, il appert d’une preuve documentaire abondante que la ville de Ciudad Juarez est extrêmement violente, à un point tel qu’il est peut-être illusoire de s’attendre à quelque protection que ce soit. Or, le tribunal a semblé faire complètement abstraction de cet état de fait et n’en discute d’aucune façon dans ses motifs. Pour ce motif, je suis donc prêt à considérer que ce premier volet de la décision ne rencontre pas la norme de la décision raisonnable.

 

[20]           Par contre, j’estime que le tribunal pouvait considérer la possibilité d’un refuge interne à Mexico pour la demanderesse. Il est bien établi qu’il revient au revendicateur du statut de réfugié d’établir qu’il ne peut trouver refuge dans son pays d’origine. Aux fins de cette analyse, il importe d’appliquer le test en deux étapes développé par la Cour d’appel dans l’arrêt Rasaratnam c Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706. La demanderesse avait donc le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle risquait d’être persécutée partout au Mexique et qu’il était objectivement déraisonnable pour elle de se prévaloir d’un refuge intérieur.

 

[21]           Dans le cas présent, le tribunal a constaté que la demanderesse avait toujours vécu dans la même ville et qu’il ne serait pas déraisonnable pour elle de se relocaliser dans une grande ville comme Mexico. D’autre part, le tribunal a constaté que rien ne permettait de croire qu’elle ne pourrait pas s’y établir; il est vrai qu’elle n’y a pas de famille, mais elle n’en a pas davantage au Canada. À ce chapitre, il convient de réitérer l’importance de présenter une preuve concrète démontrant qu’il serait déraisonnable de chercher refuge dans son propre pays :

Selon nous, la décision du juge Linden, pour la Cour d’appel, indique qu’il faille placer la barre très haute lorsqu’il s’agit de déterminer ce qui est déraisonnable. Il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. De plus, il faut une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions.

 

Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15.

 

[22]           La demanderesse traite abondamment de sa crainte subjective d’être retracée par son ex-mari, mais ne fournit pas de preuves à l’effet que celui-ci pourrait effectivement la localiser dans une autre ville que Ciudad Juarez. Or, en l’absence d’une preuve réelle et solide de l’existence d’un risque sérieux de persécution l’empêchant de s’installer ailleurs au Mexique, le tribunal a eu raison de considérer que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau et n’a pas démontré l’inexistence d’une possibilité de refuge intérieur.

 

[23]           Compte tenu des motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5522-11

 

INTITULÉ :                                       MA DE LOS ANGEL GARCIA GUEVARA

                                                            et  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 8 février 2012

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE de MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 février 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Catherine Brisebois

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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