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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20101217

Dossier : T-2024-10

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2010

En présence de monsieur le juge Crampton

 

ENTRE :

 

 

ADRIANA ZERAFA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

L’AGENCE CANADIENNE D’INSPECTION DES ALIMENTS, BRIAN DOYLE

 ET DOYLE AIR CARGO INC.

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            VU LA REQUÊTE présentée le 2 décembre 2010, au nom de la demanderesse, sollicitant une ordonnance portant prorogation de l’injonction provisoire accordée par une ordonnance du juge Bédard en date du 1er décembre 2010, et accordant certaines mesures de réparation connexes;

 

            CONSIDÉRANT l’ordonnance du juge Bédard, en date du 3 décembre 2010, portant prorogation de l’injonction provisoire jusqu’à l’audience tenue en ma présence le 13 décembre 2010;

 

            CONSIDÉRANT mon ordonnance prononcée de vive voix à l’issue de l’audience ci-dessus évoquée, prorogeant l’injonction provisoire en attendant que je me prononce sur la présente requête;

 

            CONSIDÉRANT la demande présentée par la demanderesse à l’audience ci-dessus évoquée, tendant à ce que sa demande de prorogation d’une ordonnance provisoire au titre de l'article 374 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), soit transformée en demande d’ordonnance interlocutoire, au titre de l'article 373 des Règles, interdisant le renvoi du Canada des deux chevaux ici en cause (les chevaux ) et accordant certaines mesures de réparation connexes;

 

            CONSIDÉRANT QUE la demanderesse a reconnu ne jamais avoir eu l’intention d’importer les chevaux uniquement en vue d’un séjour provisoire au Canada, et qu’elle a sciemment collaboré avec les défendeurs, Brian Doyle et Doyle Air Cargo Inc. (collectivement, Doyle), afin d’importer au Canada les chevaux en vertu d’un permis de « séjour provisoire », en espérant qu’ils pourraient se voir par la suite accorder un permis autorisant les chevaux à demeurer de manière permanente au Canada une fois les chevaux arrivés au Canada;

 

            CONSIDÉRANT QUE la démarche retenue par la demanderesse et Doyle était contraire aux dispositions de la Loi sur la santé des animaux, L.C. 1990, ch. 21 (la Loi), et que la demanderesse semble avoir en cela suivi les conseils de Doyle;

 

            CONSIDÉRANT QUE selon certains éléments versés au dossier, Doyle, qui ne peut en l’espèce se prévaloir, devant la Cour, d’une attitude irréprochable, a, par le passé, peut-être donné des conseils analogues qui ont donné lieu, de la part de la défenderesse l'Agence canadienne d’inspection des aliments (l'ACIA), à une décision, elle aussi analogue, lors d’une tentative précédente d’importer un cheval pour le compte d’une autre partie;

 

            CONSIDÉRANT QUE la défenderesse l’ACIA a confirmé que l’avis révisé de renvoi, en date du 7 décembre 2010, ne constitue pas une décision « nouvelle » au sens de la Loi;

 

            APRÈS lecture des observations écrites et audition des plaidoiries des parties;

 

CONSIDÉRANT les trois éléments du critère dégagé dans les arrêts RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, et Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), qui doivent être réunis avant qu’il puisse être sursis au renvoi des chevaux du Canada;

 

            AYANT conclu, pour les motifs exposés ci-dessous, que la situation en cause ne répond pas au critère ci-dessus évoqué;

 

            CONSIDÉRANT QUE la santé des chevaux semble s’être dégradée, peut-être très sensiblement là où ils se trouvent actuellement et qu’en attendant qu’ils soient renvoyés du Canada, leur bien-être pourrait très bien être atteint, en raison (i) des conditions dans lesquelles ils sont actuellement retenus en quarantaine; (ii) de la détérioration des rapports entre la demanderesse et Doyle;

            ET CONSIDÉRANT l’engagement qu’a pris la défenderesse l’ACIA, (i) de ne pas renvoyer les chevaux du Canada avant le 23 décembre 2010, comme cela est prévu; (ii) de ne pas procéder au renvoi des chevaux du Canada tant que le DHurley ou un autre vétérinaire de l’ACIA n’aura pas certifié que les chevaux sont en état d’être renvoyés; (iii) de donner à la demanderesse un préavis d’au moins sept jours avant de renvoyer les chevaux du Canada;

 

            LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande présentée par la demanderesse sollicitant un nouveau sursis au renvoi des chevaux du Canada est rejetée.

2.                  En attendant leur renvoi du Canada, et à condition que la demanderesse y consente, les chevaux seront, aux frais de cette dernière, transférés en un autre lieu de quarantaine acceptable tant à la demanderesse qu’à l’ACIA.

3.                  En attendant que les chevaux soient transférés à un autre lieu de quarantaine selon ce qui est prévu au paragraphe précédent ou, si la demanderesse ne consent pas à un tel transfert, en attendant que les chevaux soient renvoyés du Canada, Doyle :

i.                     pourvoira, de manière raisonnable, à l’entretien et à l’exercice des chevaux et veillera à leur sécurité;

ii.                   donnera à la demanderesse et jusqu’à deux autres personnes, un accès raisonnable aux chevaux entre 10 h et midi tous les jours, afin notamment de permettre à la demanderesse et éventuellement aux deux autres personnes, d’examiner les chevaux, d’assurer leur entretien et, de manière générale, de s’occuper d’eux comme il convient, selon eux, de le faire.

4.                  Les chevaux ne seront notamment pas déplacés du lieu où ils se trouvent actuellement, si ce n’est conformément aux termes de la présente ordonnance.

5.                  Doyle ne fera rien pour empêcher ou gêner en quoi que ce soit le transfert ou le renvoi des chevaux effectué en vertu des dispositions de la présente ordonnance.

6.                  L’ACIA et Doyle feront immédiatement parvenir à la demanderesse une copie de toute correspondance qu’ils pourraient s’échanger à l’égard des chevaux.

7.                  L’ACIA fera parvenir à la demanderesse, au moins sept jours avant de procéder au renvoi des chevaux du Canada, les informations concernant tout vol d’une compagnie aérienne ou autre moyen de transport retenu pour assurer le renvoi des chevaux, ainsi que les informations concernant le logement ou l’entretien des chevaux que l’ACIA aura pu organiser au point de destination, dans le cadre du renvoi.

 

MOTIFS

            La décision visée par la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire est l’Avis de renvoi du Canada, transmis le 22 novembre 2010 par l’ACIA (l’Avis). Faisant valoir que les chevaux avaient été importés contrairement aux dispositions de la Loi, l’ACIA ordonnait, par cet avis, que les chevaux soient renvoyés du Canada avant le 3 décembre 2010. Au lieu d’invoquer l’alinéa 18(1)a) de la Loi, l’Avis de renvoi se base sur l’alinéa 18(1)b) [La version anglaise de l’article 18(1) comporte trois alinéas (a), (b) et (c), ce qui n’est pas le cas de la version française.]

 

            Or, l’alinéa 18(1)a) autorise un inspecteur de l’ACIA à ordonner le renvoi du Canada d’un animal qui y a été importé, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que l’animal a été importé en violation des dispositions de la Loi. L’alinéa 18(1)b) autorise un ordre de renvoi analogue, mais seulement lorsque l’inspecteur a des motifs raisonnables de croire que l’animal « [est] contaminé[] par une maladie ou une substance toxique, ou [est] susceptible[] de l'être ».

 

            L’ACIA avait à l’évidence des motifs raisonnables de croire que les chevaux avaient été importés en violation des dispositions de la Loi, comme cela est prévu à l’alinéa 18(1)a) de la version anglaise. Ce fait n’est aucunement contesté par la demanderesse. La défenderesse ne s’est, cependant, pas fondée sur l’alinéa 18(1)a) et ne prétend pas que ce serait par erreur ou par inadvertance qu’elle aurait basé l’avis de renvoi sur l’alinéa 18(1)b) de la Loi.

 

            (i)         La question sérieuse à juger

 

            Le premier volet du critère tripartite applicable à la présente requête n’est pas très exigeant. Il suffit en effet que je sois persuadé que la demanderesse a fait état d’au moins une question sérieuse à juger, c’est-à-dire d’une question qui n’est « ni futile ni vexatoire » (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 55).

 

            La demanderesse fait valoir que la défenderesse n’a invoqué aucun motif raisonnable à l’appui de son argument que les chevaux « sont contaminés par une maladie ou une substance toxique, ou sont susceptibles de l'être », comme cela est prévu à la partie du paragraphe 18(1) de la Loi, qui constitue l’alinéa 18(1)b) de la version anglaise. Cette question concerne le caractère adéquat des motifs avancés par l’ACIA et intéresse l’équité procédurale.

 

            Il ne va pas nécessairement de soi que, dans le cadre de la décision prise par l’ACIA de renvoyer les chevaux, la demanderesse ait été en droit de bénéficier de l’équité procédurale. L’ACIA avance deux raisons pour soutenir que la demanderesse ne pouvait pas, en l’espèce, bénéficier de l’équité procédurale. Elle affirme en premier lieu que c’est Doyle, et non pas la demanderesse qui est l’importateur attitré des chevaux, c’est-à-dire celui qui a sollicité de l’ACIA le permis d’importation. En deuxième lieu, l’ACIA cite trois jugements, dans lesquels la Cour d'appel et la Cour fédérale ont conclu que le degré d’équité procédurale dont un demandeur peut bénéficier au titre des dispositions de la Loi est extrêmement limité (Kohl c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1995] A.C.F. no 1076, aux paragr. 18 à 20 (C.A.F.); Bédard c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1997] A.C.F. no 163, aux paragr. 14 et 15 (1re inst.); David Hunt Farms Ltd. c. Canada (Ministre de l’Agriculture), [1994] A.C.F. no 314, au paragr. 53 (1re inst., inf. pour d’autres motifs, [1994] 2 C.F. 625 (C.A.F.)).

 

            Je ne vois guère a priori pourquoi l’ACIA n’aurait pas été dans l’obligation de lui communiquer les motifs raisonnables qu’envisage l’alinéa 18(1)b) de la version anglaise de la Loi sur la santé des animaux, simplement parce que la demanderesse n’était pas l’importatrice attitrée. J’estime que la demanderesse soulève à cet égard une question sérieuse.

 

            Quant aux jugements invoqués à l’appui de sa thèse par l’ACIA, ils concernent l’alinéa 48(1)a) de la Loi, disposition qui autorise le ministre à prendre toute mesure de disposition à l’égard d’animaux qui sont simplement soupçonnés d’être contaminés par une maladie ou une substance toxique. Cela s’écarte sensiblement du sens de l’alinéa 18(1)b), aux termes duquel l’inspecteur ou l’agent d’exécution de l’ACIA doit avoir des motifs raisonnables de croire qu’un animal est ou est susceptible d’être contaminé par une maladie ou une substance toxique.

 

            Dans l’affaire Archer (f.a.s. Fairburn Farm) c. Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments), [2001] A.C.F. no 46, au paragr. 39 (1re inst.), le juge Pelletier, maintenant juge à la Cour d'appel fédérale, a décidé que les intéressés « avaient le droit de recevoir une copie des évaluations du risque sur lesquelles le représentant du ministre s’était fondé et d’avoir la possibilité d’y répondre avant que la décision soit prise » au titre de l’alinéa 18(1)b). Il y a peut-être lieu, cependant, d’opérer une distinction entre la présente affaire et la conclusion rendue dans le jugement cité, compte tenu des faits particuliers sur lesquels il se fondait. Dans le précédent invoqué, en effet, les demandeurs avaient notamment acquitté les frais d’une évaluation des risques effectuée par l’ACIA qui avait en l’occurrence conclu que l’importation au Canada par les demandeurs d’un troupeau de buffles d’Inde ne présentait aucun risque inacceptable. Sur réception de cette évaluation, les demandeurs avaient hypothéqué leur exploitation agricole pour faire face aux coûts d’acquisition des bêtes et de leur transport jusqu’au Canada. Malheureusement, quelques semaines après l’arrivée du troupeau au Canada, l’Agence apprit qu’une vache, au Danemark, était morte d’une encéphalopathie spongiforme bovine. Cela a donné lieu à une nouvelle évaluation du risque, entraînant une conclusion défavorable aux demandeurs. Se penchant sur la nature des droits dont les demandeurs pouvaient bénéficier en matière d’équité procédurale, le juge Pelletier a notamment relevé que la décision en cause devait avoir pour les intéressés des conséquences « catastrophiques ». Il n’en va pas de même pour la demanderesse en l’espèce.

 

            J’estime cependant que la demanderesse soulève une question sérieuse quant à savoir si elle n’avait cependant pas droit à un certain degré d’équité procédurale dans le cadre de la décision de renvoyer les chevaux du Canada, et si c’est effectivement le cas, si ses droits à cet égard ont été respectés. Si elle était en droit de se voir exposer, à l’appui de la décision de l’ACIA, des motifs adéquats, ces motifs auraient dû (i) faire état des facteurs pris en compte dans le cadre du processus de décision; (ii) permettre à la demanderesse d’exercer son droit de solliciter le contrôle judiciaire de la décision; (iii) me permettre de procéder à un examen valable de la décision (Ragupathy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragr. 14). Autrement dit, les motifs de la décision auraient dû expliquer, de manière adéquate, « ce qui » a été décidé au juste et « pourquoi » cette décision a été rendue (Law Society of Upper Canada c. Neinstein, 2010 ONCA 193, au paragr. 61; Clifford c. Ontario Municipal Employees Retirement System, 2009 ONCA 670, au paragr. 40). Les éléments produits en preuve par les parties soulèvent à tout le moins une question sérieuse quant à savoir (i) si l’ACIA a jamais, avant de verser au dossier de la présente procédure divers affidavits, expliqué à Doyle ou à la demanderesse, « pourquoi » elle avait fondé sa décision sur l’alinéa 18(1)b), et (ii) si ces motifs me permettent effectivement de procéder à un examen valable de la décision de l’ACIA. Il ne fait aucun doute que la demanderesse a été, à de multiples reprises, informée du fait que les chevaux avaient été importés en contravention de la Loi, aux termes de l’alinéa 18(1)a). Mais, comme je l'ai dit, ce n’est pas cette disposition qui est invoquée par l’ACIA.

 

            (ii)        Le préjudice irréparable

 

            Le terme irréparable a trait à « la nature du préjudice et non à son étendue. C’est un préjudice qui ne peut pas être quantifié du point de vue monétaire ou un préjudice auquel il ne peut être remédié […] » (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 64).

 

            Le préjudice irréparable le plus immédiatement apparent, susceptible de se manifester si la décision de renvoyer les chevaux est confirmée, est la souffrance qu’éprouveront les chevaux. En fait, ils semblent déjà souffrir. Invoquant la décision du juge Zinn dans l’affaire Zoocheck Canada Inc. c. Canada (Agence Parcs Canada), 2008 CF 540, au paragr. 49, l’ACIA affirme que la demanderesse doit pouvoir faire état d’un préjudice qui la frapperait elle, et non pas les chevaux. La demanderesse n’a cité aucune décision permettant d’opérer une distinction d'avec le jugement Zoocheck, ou allant à son encontre. La courtoisie judiciaire m’oblige, par conséquent, à retenir sur ce point la décision du juge Zinn.

 

            La demanderesse, cavalière professionnelle, est une professeure d’équitation certifiée qui a pris part, en France, à des concours nationaux de dressage. À l’audience, qui s’est tenue au début de la semaine, elle a affirmé que le renvoi du Canada de ses chevaux lui causerait deux types de préjudice irréparable. Elle soutient, en premier lieu, que cela lui occasionnera des souffrances émotionnelles, car entre elle et les chevaux, un lien affectif s’est créé. L’ACIA a répliqué que la demanderesse pourrait toujours demander l’autorisation d’importer à nouveau les chevaux conformément au protocole applicable à leur admission permanente. L’ACIA a en outre précisé que la demanderesse n’était devenue propriétaire des chevaux que quelques mois plus tôt. La demanderesse a fait en deuxième lieu valoir qu’elle constitue, avec les chevaux, une équipe athlétique inséparable et que si les chevaux sont renvoyés du Canada, elle subira un préjudice, en tant que membre de cette équipe. Elle affirme également être venue s’installer au Canada avec ses chevaux dans le cadre d’un plan de carrière précis.

 

            L’ACIA affirme que l’injonction provisoire qui lui défend, depuis le 1er décembre 2010 de procéder au renvoi des chevaux, l’empêche d’assurer sa mission, qui est d’éviter qu’un préjudice irréparable soit porté à l’intérêt public. Elle affirme que l’intérêt public subira un préjudice irréparable si la Cour accorde à la demanderesse le sursis qu’elle sollicite. En ce qui concerne l’étude de ce préjudice, cependant, […] il est plus approprié de le faire à la troisième étape de l’analyse », ce que je vais examiner ci-dessous (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 62).

 

            Ne perdant pas de vue l’idée que, dans l'examen de ce volet du critère tripartite concernant l’octroi d’un sursis à la décision de renvoi, l’accent doit être mis sur la nature, et non pas sur l’étendue, du préjudice irréparable, j’estime que la demanderesse est parvenue à démontrer qu’elle subirait effectivement un tel préjudice si les chevaux étaient renvoyés du Canada.

 

            (iii)       La prépondérance des inconvénients

 

            Ce volet du critère conditionnant un sursis à la décision de renvoi consiste « à déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction » (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 67). D’autres facteurs doivent en outre être examinés dans l’appréciation de la « prépondérance des inconvénients » (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 68).

 

            Lorsqu’un organisme public affirme que l’intérêt public risque de subir un préjudice si l’organisme en question se voit empêcher d’exercer les pouvoirs qu’il tient de la loi, « le tribunal devrait, dans la plupart des cas, supposer que l’interdiction de l’action causera un préjudice irréparable à l’intérêt public », à partir du moment où il est démontré que « l’organisme a le devoir de favoriser ou de protéger l’intérêt public » et que l’action que l’on veut faire interdire a été entreprise au titre des responsabilités incombant à l’organisme en question (RJR-MacDonald, précité, au paragr. 76). À cet égard, « en règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l’interdiction demandée entraînerait un préjudice réel » (RJR-MacDonald, précité, au par. 77). (Non souligné dans l’original.)

 

            Selon la demanderesse, la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur étant donné qu’elle subirait, du fait du renvoi des chevaux un préjudice irréparable alors que le maintien du statu quo ne crée aucun risque pour le public canadien. Elle relève, à cet égard (i) que les chevaux sont actuellement isolés dans une écurie de l’établissement de quarantaine de Doyle et ne peuvent, par conséquent, pas être en contact avec d’autres animaux; (ii) qu’elle a respecté les procédures et protocoles de médecine vétérinaire qui, selon l’ACIA, doivent être appliqués aux chevaux que l’on souhaite voir admettre au Canada en permanence; (iii) qu’elle a fourni à l’ACIA la documentation nécessaire confirmant que les chevaux ont subi avec succès en France, conformément à l’ensemble des protocoles canadiens, les épreuves de dépistage de la métrite contagieuse des équidés; (iv) que ces chevaux n’ont jamais été des étalons reproducteurs et qu’il y a, par conséquent, peu de risques qu’ils aient effectivement attrapé la métrite contagieuse des équidés; (v) qu’elle a proposé que, conformément, encore une fois, à l’ensemble des protocoles canadiens, les chevaux soient soumis à de nouveaux tests; (vi) qu’elle a également proposé de faire castrer le plus jeune des deux chevaux, éliminant ainsi, pour le cheval en question, tout risque de métrite contagieuse des équidés sans qu’il soit nécessaire de lui faire passer d’autres tests.

 

            Comme je l'ai dit ci-dessus, selon l’ACIA, le fait d’accorder à la demanderesse le sursis qu’elle sollicite entraînerait pour l’intérêt public un préjudice irréparable. Elle fait valoir, autrement dit, que si les chevaux sont effectivement atteints de métrite contagieuse des équidés, la maladie risque de s’étendre au Canada à d’autres chevaux, et leur maintien au Canada risque de compromettre la situation internationale du Canada en tant que pays exempt de métrite contagieuse des équidés. L’ACIA fait valoir qu’un tel retournement de situation nuirait notablement au commerce des chevaux, en particulier entre le Canada et les États-Unis, et porterait préjudice aux personnes qui se livrent à ce commerce.

 

            À l’appui de ses arguments, l’ACIA a produit l’affidavit de John Devendish, microbiologiste à l’ACIA, et titulaire d’un doctorat en microbiologie et immunologie vétérinaires. Dans son affidavit, M. Devendish fait notamment valoir que (i) l’écouvillonnage effectué pour prélever, sur des chevaux, des matières pathologiques afin de déceler l’éventuelle présence de la bactérie responsable doit être effectué par un personnel vétérinaire agréé par l’ACIA ou employé par elle; (ii) depuis 2006, on n’a relevé aucun cas de métrite contagieuse des équidés parmi les chevaux importés mis en quarantaine au Canada; (iii) si l’on devait s’apercevoir que le Canada n’est pas en fait exempt de métrite contagieuse des équidés, les répercussions économiques sur le pays seraient extrêmement graves; (iv) les États-Unis ont pris des mesures très sévères pour écarter tout risque de métrite contagieuse des équidés chez eux; (v) si des cas de cette maladie étaient relevés au Canada, cela nuirait beaucoup à nos exportations de chevaux vers les États-Unis.

 

            L’ACIA a en outre versé au dossier l’affidavit de la Dr Samira Belaissaoui, spécialiste à l’ACIA des importations vétérinaires. Dans son affidavit, la DBelaissaoui explique notamment que (i) la métrite contagieuse des équidés est une maladie sexuellement transmissible très contagieuse dont des cas ont été constatés parmi la race chevaline de nombreux pays d’Europe, y compris en Europe continentale; (ii) cette maladie est essentiellement transmise par voie vénérienne, de l’étalon à la jument, ou de la jument à l’étalon, mais peut également être transmise par des instruments ou des équipements vétérinaires ou encore par les mains de personnes ayant été en contact avec la bactérie; (iii) les pays où l’on sait ou soupçonne qu’ont été relevés des cas de cette maladie comprennent notamment la France; (iv) il existe des cas prouvés d’étalons dont les tests de dépistage administrés dans leur pays d’origine avant l’exportation ont donné des résultats négatifs pour la métrite contagieuse des équidés, alors que les tests administrés dans le pays d’importation ont permis de relever des signes de cette maladie; (v) pour cette raison, les résultats négatifs obtenus dans le pays d’origine ne permettent pas d’assurer qu’un étalon n’est effectivement pas atteint de métrite contagieuse des équidés; (vi) si cette maladie se propageait au Canada, les répercussions que cela aurait sur le plan de l’efficacité reproductrice des chevaux entraîneraient des pertes sensibles pour ce secteur, (vii) les prélèvements effectués en France ne proviennent pas des sites anatomiques qui auraient, selon l’ACIA, dû être examinés si la demanderesse avait demandé que ses chevaux soient admis au Canada en permanence; (viii) la fosse du gland des chevaux n’a notamment fait l’objet d’aucun prélèvement; (ix) le certificat d’exportation délivré en France n’établit pas que le bouillon de culture a été, comme il aurait dû l’être, soumis à une période d’incubation de 14 jours.

 

            Il semblerait, en ce qui concerne ce dernier point, que le rapport du laboratoire français où ont été analysés les prélèvements effectués sur les chevaux indique bien que les bouillons de culture ont effectivement été soumis à une période d’incubation de 14 jours. En ce qui concerne l’analyse des prélèvements effectués dans la fosse du gland, la demanderesse a pu fournir la correspondance que lui a fait parvenir le laboratoire, précisant que la fosse urétrale dont des prélèvements ont été analysés en France, est la même partie de l’anatomie que la fosse du gland. Or, l’ACIA maintient que ce n’est pas le cas.

 

            Compte tenu de ce qui précède, j’estime que la demanderesse n’est pas parvenue à démontrer que la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur. Pour l’ensemble des raisons exposées ci‑dessus, le renvoi des chevaux du Canada lui occasionnera un certain préjudice irréparable. Cela dit, ce préjudice sera limité si elle observe le protocole applicable à l’importation permanente de chevaux.

 

            Si la demanderesse a souhaité éviter l’application du protocole, c’est que celui-ci exigeait que ses chevaux « saillissent » deux juments. La demanderesse [traduction] « craignait qu’en imposant à ses chevaux de saillir des juments, on entraînerait chez eux des effets physiques et comportementaux défavorables qui nuiraient à leurs qualités de chevaux de performance, cela étant particulièrement vrai de Carl Der Dritte, qui a 18 ans. »

 

            La demanderesse reconnaît que si les chevaux demeurent au Canada, et qu’est appliqué le protocole prévu pour l’importation permanente au Canada de chevaux, il faudra peut-être attendre des mois avant que les chevaux soient en mesure de « saillir » une jument.

 

            J’estime que les inconvénients et le préjudice éventuels qu’imposeront à la demanderesse le renvoi du Canada de ses chevaux et l'application ultérieure du protocole prévu pour leur importation permanente sont moindres que le préjudice que le public canadien pourrait subir si les chevaux demeuraient au Canada. Je reconnais qu’il semble peu probable que les chevaux en question soient porteurs de métrite contagieuse des équidés, et qu’ils transmettent cette maladie à d’autres chevaux au Canada, étant donné notamment qu’ils sont actuellement logés seuls dans une écurie où ils n’ont pas accès à d’autres chevaux. Cela dit, ainsi que l’a expliqué la Dr Belaissaoui, il ne suffit pas, pour éviter que se propage la métrite contagieuse des équidés, de tenir les chevaux atteints à l’écart des autres chevaux. De solides preuves démontrent en outre que la propagation de cette maladie au Canada nuirait à la réputation internationale du Canada en tant que pays exempt de cette maladie, ce qui entraînerait pour le Canada de graves conséquences. Même si l’on tient compte des arguments de la demanderesse quant aux inconvénients, voire des souffrances que vont éprouver les chevaux s’ils sont renvoyés du Canada, la prépondérance des inconvénients penche tout de même en faveur de l’ACIA.

 

            La conclusion à laquelle je suis arrivé sur ce volet du critère tripartite est renforcée par les circonstances qui sont à l’origine de la présente requête. Comme le reconnaît la demanderesse dans son affidavit en date du 9 décembre 2010, elle était tout à fait consciente, bien avant que les chevaux soient importés au Canada, des inquiétudes que la métrite contagieuse des équidés inspirait à l’ACIA. Cependant, comme elle semble l’avoir expliqué au DHurley, le vétérinaire qui a signé l’Avis, elle a tout de même importé les chevaux sans adhérer au protocole applicable à l’importation permanente de chevaux, espérant qu’il lui serait possible d’obtenir une dérogation. Je reconnais qu’en cela elle s’en est peut-être remise aux conseils de Doyle dans le cadre de cette stratégie à « deux étapes ». Elle savait néanmoins très bien qu’elle n’adhérait pas en cela au protocole applicable.

 

Cela étant, la demanderesse ne réunit pas les conditions du critère permettant d’obtenir qu’il soit sursis au renvoi du Canada de ses chevaux.

 

                                                                                                « Paul S. Crampton »

 

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme,

Jacques Deschênes, LL.B.

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