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Date: 20120208


Dossier : IMM-4644-11

Référence : 2012 CF 175

Ottawa, Ontario, le 8 février 2012

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

 

LUIS ANGEL LOPEZ BASURTO

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le demandeur, le jeune Angel Lopez Basurto, est venu au Canada avec sa mère et son demi-frère afin de se prévaloir de sa protection contre Louis Lopez Sanchez, son père, le deuxième mari de sa mère, et le beau-père de son demi-frère. Il paraît qu’il les a tous battus. Ayant déjà déposé une demande d’asile au Canada en 1995 sans succès, ni la mère d’Angel, Diana Basurto Valencia, ni son demi-frère, Erick Ramirez Basurto, peuvent revendiquer une seconde fois le statut de réfugié au Canada. Il n’importe pas que les motifs à l’appui de leur première demande soient différents de ceux allégués cette fois-ci. Toutefois, il importe de garder à l’esprit qu’ils peuvent, néanmoins, présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). 

 

[2]               Angel n’avait que dix ans lorsqu’il a témoigné devant la Section de la protection des réfugiés (SPR), de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada, d’événements qui ont eu lieu quelques années auparavant. Le membre audiencier de la SPR a rejeté sa demande d’asile au motif que ni sa mère ni son demi-frère, ayant témoigné en son nom, étaient crédibles. Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la question est de savoir si cette décision est raisonnable. Je suis d’avis qu’elle ne l’est pas.

 

[3]               Il est tout à fait raisonnable de conclure au manque de crédibilité de la mère d’Angel. En effet, elle a menti effrontément, et a soumis plusieurs documents falsifiés. Des demandes de renseignements auprès des autorités mexicaines ont établi hors de tout doute que ces pièces sont de faux documents.

 

[4]               Le demi-frère d’Angel, Erick, a également été jugé non crédible en raison de certaines contradictions entre son témoignage et ceux de sa mère et d’Angel quant aux moments exacts auxquels les coups dont Angel a été victime ont eu lieu, et à l’endroit où ces coups ont fait contact avec le corps de l’enfant. Cette conclusion est très douteuse étant donné qu’Angel a témoigné qu’il avait été frappé par son père à plusieurs reprises, et qu’il n’y a rien pour justifier une présomption selon laquelle son demi-frère avait été présent durant chacun de ces épisodes.

 

[5]               Même si la mère d’Angel et son demi-frère ont menti pour renforcer leurs propres demandes d’ERAR en disant qu’eux aussi avaient été battus, il ne s’en suit pas nécessairement qu’Angel a également menti. Son témoignage était simple et direct, non seulement par rapport aux événements principaux allégués, mais aussi par rapport aux éléments périphériques à sa demande d’asile tels que le moment où son père allait le chercher de son école primaire au Mexique, les cours qu’il suivait à l’école, son rendement scolaire, et autres.

 

[6]               En réalité, le membre audiencier a trouvé qu’Angel a menti parce que les deux autres ont menti. L’inférence qui en ressort est celle qui veut qu’Angel a été préparé par sa mère pour donner un faux témoignage.

 

[7]               À mon avis, une telle inférence ne peut être tirée des faits établis. La conclusion du membre audiencier est purement conjecturale et théorique. Dans l’arrêt Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c Satiacum, 99 NR 171, [1989] ACF No 505 (QL), le juge MacGuigan explique aux paragraphes 34 et 35 :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l'arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.):

 

[TRADUCTION] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n'a aucune valeur en droit puisqu'il s'agit d'une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J'estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

 

Dans R. v. Fuller (1971), 1 N.R. 112, à la p. 114, le juge Hall a conclu, au nom de la Cour d'appel du Manitoba, que [TRADUCTION] "[l]e tribunal des faits ne peut faire appel à des conclusions toutes théoriques et conjecturales." La Cour suprême a ensuite confirmé ces motifs à l'unanimité: [1975] 2 R.C.S. 121, à la p. 123, 1 N.R. 110, à la p. 112.

 

[8]               Tel que le bon Livre le dit, « [u]n fils ne portera pas la faute de son père, ni un père la faute de son fils : au juste sera imputée sa justice et au méchant sa méchanceté. » (La Bible de Jérusalem, Montréal, Médiaspaul, 1998, Ézéchiel 18:20).

 

[9]               Dans les circonstances, je suis d’avis que la décision du membre audiencier est déraisonnable. Ayant trouvé le demandeur et les témoins non crédibles, elle n’a malheureusement pas considéré la disponibilité de la protection étatique et la possibilité d’un refuge interne. Lors du réexamen, le membre audiencier devra tenir compte de ces éléments.

 

[10]           Tel que convenu par les deux parties lors de l’audience, il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS SUSMENTIONNÉS;

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire, à l’encontre de la décision d’un membre audiencier de la SPR, de la CISR, rendue le 21 juin 2011, dans le dossier MA9-02262, selon laquelle elle a statué que le demandeur n’est pas un réfugié au sens de la Convention, soit accueillie.

2.                  Ladite décision du 21 juin 2011 soit cassée et l’affaire retournée pour fins de réexamen devant un différent membre audiencier de la SPR, de la CISR. La nouvelle décision devra tenir compte de la disponibilité de la protection étatique ainsi que la possibilité d’un refuge interne au Mexique.

3.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4644-11

 

INTITULÉ :                                       LOPEZ BASURTO c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER FÉVRIER 2012

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 8 FÉVRIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Angelica Pantiru

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Sherry Rafai

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Angelica Pantiru

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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