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Date : 20120207

Dossier : IMM‑2949‑11

Référence : 2012 CF 166

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 février 2012

En présence de M. le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ERLINA MARY WILLIAMS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire soumise en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) d’une décision en date du 19 avril 2011 (la décision) par laquelle un agent de l’immigration (l’agent) de Citoyenneté et Immigration (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne de la Grenade. Elle habite présentement au Canada avec son fils de huit ans, Omar, un citoyen canadien qui est né en août 2002 alors que sa mère était en visite au Canada. Bien qu’Omar soit un citoyen canadien, il suivra sa mère là où elle ira, à cause de son âge. La demanderesse a visité le Canada pour la première fois en mars 2001 et y est revenue en juillet 2002. À la suite de sa seconde visite, la demanderesse est retournée à la Grenade en 2003. Le 25 novembre 2004, la demanderesse est venue au Canada une troisième fois. Elle a présenté une demande d’asile fondée sur les actes de violence qu’elle subirait de la part de son mari, Phillip, si elle retournait à la Grenade.

 

[3]               Le 12 décembre 2005, la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision, mais sa demande a été rejetée le 3 avril 2006 parce que la demanderesse n’avait pas déposé de dossier de demande. Elle a alors demandé un examen des risques avant le renvoi le 9 mars 2007 et a fait l’objet d’une décision négative le 3 juillet 2007. Elle a présenté le 12 mars 2007 une demande de dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, laquelle demande est à l’origine de la décision à l’examen.

 

[4]               Au soutien de sa demande de dispense fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, la demanderesse invoquait principalement les difficultés auxquelles elle serait confrontée en raison des actes de violence qu’elle subirait de la part de Phillip et de l’incapacité de la Grenade de la protéger contre lui. Elle soutenait également que les violences en question auraient des répercussions négatives sur Omar. Elle indiquait par ailleurs qu’Omar avait un grave problème d’asthme et qu’il avait besoin de soins médicaux constants qu’elle n’aurait pas les moyens de payer à la Grenade parce que les médicaments coûtent cher et que les ressources dont elle dispose sont limitées. Elle affirmait également qu’Omar s’était constitué un réseau de soutien au Canada et qu’il subirait un préjudice si sa mère était renvoyée à la Grenade.

 

[5]               Le 1er août 2007, la demanderesse s’est conformée volontairement à la mesure de renvoi prise contre elle. Elle a acheté des billets d’avion pour la Grenade pour elle‑même et pour Omar. Le 17 juillet 2008 et le 18 décembre 2008, elle a présenté des observations complémentaires à CIC à l’appui de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Dans ses observations, elle attirait l’attention sur l’asthme dont souffrait Omar, sur les liens qui existaient entre son asthme et le climat de la Grenade et sur sa situation financière à la Grenade. Elle a également soumis le 23 avril 2010 d’autres observations à CIC dans lesquelles elle signalait la lettre dans laquelle sa sœur, Arlene Williams, faisait état de ses préoccupations au sujet de la situation d’Omar à la Grenade. La demanderesse a joint à ses observations une lettre du médecin d’Omar à la Grenade, le docteur W. W. Thomas, qui attestait l’état de santé d’Omar. Le 5 avril 2011, la demanderesse a présenté ses observations finales à CIC à l’appui de sa demande. Il y était question de ses préoccupations concernant l’asthme dont souffrait Omar et les effets du climat de la Grenade, de leurs conditions de vie et de la jurisprudence du Royaume‑Uni sur l’intérêt supérieur de l’enfant. Elle faisait observer que, parce qu’il vivait avec elle à la Grenade, Omar était privé de services dont d’autres Canadiens bénéficiaient au Canada.

 

[6]               L’agent a examiné les observations de la demanderesse et a rendu sa décision le 19 avril 2011. Il a avisé la demanderesse de sa décision par lettre le 20 avril 2011.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

 

[7]               En l’espèce, la décision consiste en la lettre du 20 avril 2011 de l’agent et en l’exposé circonstancié de la demande de résidence permanente daté du 19 avril 2011.

 

[8]               L’agent a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur les raisons d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse parce qu’il n’était pas convaincu qu’elle ou Omar serait confronté à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées si la demande n’était pas accueillie.

 

[9]               L’agent a commencé son analyse en examinant les antécédents de la demanderesse en matière d’immigration. Il a fait observer qu’elle avait visité le Canada à deux reprises avant que sa demande d’asile soit rejetée. Il a également examiné les arguments invoqués par la demanderesse à l’appui de sa demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, en l’occurrence le fait que sa situation financière était précaire à la Grenade, que l’état de santé d’Omar se détériorait quand ils vivaient à la Grenade et que l’intérêt supérieur d’Omar commandait qu’ils vivent au Canada. L’agent a fait observer que la demanderesse recevait présentement de l’aide de ses amis à la Grenade.

 

[10]           L’agent a ensuite examiné les autres éléments de preuve qui avaient été portés à sa connaissance. Il a relevé le fait que la demanderesse comptait huit années d’études et qu’elle faisait du bénévolat, et il a examiné ses antécédents professionnels. L’agent a conclu que, comme elle était sans travail et qu’elle était prestataire d’aide sociale lorsqu’elle vivait au Canada, la demanderesse n’avait pas atteint un degré d’établissement suffisant au Canada pour justifier de lui accorder la dispense qu’elle réclamait. Malgré le fait qu’Omar s’était fait des amis au Canada, l’agent a estimé que le fait de le renvoyer du Canada n’aurait pas sur lui des répercussions négatives au point d’équivaloir à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées.

 

[11]           L’agent a également examiné la situation financière de la demanderesse. Il a conclu qu’elle avait décidé de retourner à la Grenade même si rien ni personne ne l’attendait là‑bas. Il a accordé peu de poids à l’argument de la demanderesse concernant sa situation financière précaire; il a estimé qu’en raison des nombreux déplacements qu’elle avait effectués, de son choix d’acheter elle‑même ses billets d’avion pour la Grenade et de l’aide financière qu’elle recevait de ses amis et de sa famille, cet argument n’était pas fondé. L’agent a conclu que, bien que la demanderesse soit actuellement sans travail et qu’elle ait peu d’instruction, il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour penser que la demanderesse ne pourrait pas se trouver du travail ou bénéficier de l’aide de sa famille ou de ses amis à l’avenir.

 

[12]           L’agent a également conclu que la demanderesse ne courait pas le risque d’être maltraitée par Phillip étant donné qu’elle n’était pas allée vivre avec lui lorsqu’elle est retournée à la Grenade.

 

[13]           L’agent a finalement examiné l’intérêt supérieur d’Omar. Il a conclu qu’avec l’aide de sa famille, la demanderesse répondait aux besoins d’Omar. Il a également conclu que la lettre du docteur Thomas ne démontrait pas qu’Omar souffrait d’une maladie grave. Il a fait observer que l’asthme était une affection courante et a conclu qu’Omar se faisait soigner pour ce problème malgré les difficultés financières de la demanderesse. Il a estimé que la demanderesse exagérait la gravité de l’état d’Omar dans son propre intérêt et qu’elle était retournée à deux reprises à la Grenade sans accorder, semble‑t‑il, à l’état d’Omar l’attention qu’il méritait. Se fondant sur les affirmations de la demanderesse suivant lesquelles sa famille serait prête à payer son billet d’avion et celui d’Omar pour assurer leur retour au Canada, l’agent a conclu que la famille de la demanderesse serait prête à aider à payer les médicaments d’Omar. L’agent n’était pas convaincu que la demanderesse n’avait pas été en mesure de s’occuper des problèmes de santé d’Omar.

 

[14]           L’agent a conclu que les craintes que la demanderesse éprouvait au sujet de son fils avant de retourner à la Grenade ne s’étaient pas concrétisées : Omar n’avait pas rencontré l’homme qui avait commis des actes de violence envers sa mère et il n’avait pas été privé de soins médicaux ou d’études. L’agent a conclu que ni la demanderesse ni Omar ne subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées à la Grenade à un point qui justifierait de prendre une mesure spéciale en leur faveur pour des raisons d’ordre humanitaire. L’agent a par conséquent rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée par la demanderesse.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[15]           La demanderesse soulève les questions suivantes :

a)                  L’agent a‑t‑il commis une erreur en n’évaluant pas de façon appropriée l’intérêt supérieur d’Omar?

b)                  Les conclusions tirées par l’agent étaient‑elles déraisonnables?

c)                  L’agent a‑t‑il appliqué le bon critère pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant?

d)                  L’agent a‑t‑il motivé suffisamment sa décision?

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à la question qui lui est soumise est bien arrêtée par la jurisprudence, la juridiction de contrôle peut adopter cette norme. C’est seulement lorsque cette recherche est infructueuse que la juridiction de contrôle se livre à l’examen des quatre facteurs pertinents pour l’analyse relative à la norme de contrôle.

 

[17]           Dans l’arrêt Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, la Cour d’appel fédérale explique ce qui suit, au paragraphe 6 :

L’agent saisi d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire est chargé de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 

 

[18]           De plus, dans l’arrêt Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 12, la Cour d’appel fédérale a expliqué qu’une fois qu’il a bien défini l’intérêt supérieur de l’enfant, l’agent doit lui accorder le poids qu’à son avis il mérite dans les circonstances de l’espèce. L’intérêt supérieur de l’enfant est une question de fait qui, selon l’arrêt Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 53, est assujettie à la norme de contrôle de la décision raisonnable. La norme de contrôle qui s’applique à la première question est donc celle de la décision raisonnable.

 

[19]           Dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACS no 39, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’on procède au contrôle d’une décision relative à des raisons d’ordre humanitaire, « on devrait faire preuve d’une retenue considérable envers les décisions d’agents d’immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l’analyse, de son rôle d’exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi » (au paragraphe 62). Le juge Phelan a suivi ce raisonnement dans le jugement Thandal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, au paragraphe 7. La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est donc celle de la décision raisonnable.

 

[20]           Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, la Cour suprême du Canada a expliqué, au paragraphe 14, que l’insuffisance des motifs ne permet pas à elle seule de casser une décision. Suivant la Cour, « les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles ». La quatrième question en litige en l’espèce, celle de savoir si l’agent a motivé suffisamment sa décision, doit donc être examinée en corrélation avec celle du caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

 

[21]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de raisonnabilité, l’analyse porte sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que sur l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision est déraisonnable en ce qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[22]           Dans le jugement Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 739, le juge Michael Phelan déclare, au paragraphe 7, que c’est la norme de la décision correcte qui s’applique lorsqu’est en cause la question de savoir si le bon critère juridique a été appliqué (voir également les jugements Garcia c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 677, au paragraphe 7, et Markis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 428, au paragraphe 19). La norme de contrôle applicable à la troisième question est donc celle de la décision correcte. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’explique, dans l’arrêt Dunsmuir, ci‑dessus, au paragraphe 50 :

La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse au terme de laquelle elle décide si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur. En cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose. La cour de révision doit se demander dès le départ si la décision du tribunal administratif était la bonne.

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

 

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) The Minister must, on request of a foreign national in Canada who is inadmissible

or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances

concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or

obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the

foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected

 

 

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La demanderesse

L’agent a ignoré des éléments de preuve

 

[24]           La demanderesse soutient que la décision est déraisonnable parce que l’agent n’a tenu aucun compte des éléments de preuve portés à sa connaissance suivant lesquels la gravité de l’asthme dont souffrait Omar était exacerbée par le climat de la Grenade. Elle souligne que l’agent a fait mention de l’asthme d’Omar à la page 3 de sa décision, sans toutefois tenir compte du fait que la demanderesse alléguait que le climat de la Grenade aggravait l’asthme d’Omar. La demanderesse se réfère à ses propres observations écrites du 5 avril 2011 dans lesquelles elle écrit :

[traduction]

Omar a été hospitalisé à diverses reprises en raison de graves crises d’asthme [...] Le fait de vivre à la Grenade augmente non seulement l’acuité des crises d’asthme d’Omar, mais met également sa vie en danger du fait qu’il n’a pas accès aux inhalateurs dont il a besoin.

 

 

[25]           La demanderesse se réfère également à la lettre du docteur Thomas qu’elle a soumise à l’agent et qui démontre qu’Omar était régulièrement hospitalisé en raison de son asthme.

 

[26]           Dans le cas qui nous occupe, l’agent avait l’obligation de tenir compte de l’ensemble de la preuve qui avait été portée à sa connaissance, y compris des facteurs que la demanderesse estimait importants. La demanderesse cite le Guide IP‑5 de Citoyenneté et Immigration intitulé Demandes présentées par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, dans lequel on trouve ce qui suit, à la page 69 :

L’agent doit considérer et soupeser la totalité des preuves et des renseignements pertinents, y compris ceux que le demandeur et l’agent estiment être importants. L’agent ne doit pas négliger une preuve, ni trop insister sur un facteur à l’exclusion de tous les autres, mais examiner la situation dans son ensemble.

 

 

[27]           La demanderesse affirme que, dans le jugement Curry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1350, le juge Douglas Campbell a affirmé, au paragraphe 10, qu’il n’était ni équitable ni légitime de la part d’un agent de rendre une décision contraire à celle qui devait être prise en application du Guide IP5 et de ne pas tenir compte de tous les facteurs portés à sa connaissance.

 

[28]           En l’espèce, l’agent a conclu que l’asthme dont souffrait Omar n’était pas sévère, mais il n’a pas comparé son état à la Grenade avec son état au Canada. Les arguments invoqués par la demanderesse au sujet de l’aggravation des symptômes d’Omar étaient suffisamment importants pour que l’agent ait l’obligation d’en tenir compte directement dans sa décision (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 9 et 10). Comme l’agent n’a pas examiné les arguments en question, sa décision est déraisonnable et elle doit être renvoyée pour réexamen.

 

Les conclusions tirées par l’agent étaient déraisonnables

 

[29]           La demanderesse qualifie également de déraisonnables les conclusions de l’agent suivant lesquelles la famille de la demanderesse aiderait cette dernière à payer les médicaments d’Omar, que la demanderesse exagère l’état d’Omar dans son propre intérêt et qu’Omar n’est pas atteint d’une maladie grave.

 

[30]           La demanderesse affirme que l’agent a conclu qu’elle exagérait l’état d’Omar parce qu’elle était retournée à la Grenade en dépit de l’état de santé d’Omar. Cette conclusion est déraisonnable parce qu’elle est retournée en Grenade non pas de son propre chef, mais parce que l’État canadien l’avait forcée à partir. La demanderesse soutient qu’il est contraire à l’ordre public d’opposer à l’auteur d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire la mesure de renvoi qui a été exécutée à son endroit. On inciterait sinon ceux qui attendent de connaître le sort de leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et qui font également l’objet d’une mesure de renvoi à tout faire en leur pouvoir pour éviter leur renvoi étant donné que ce dernier nuirait à leur demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. La demanderesse signale également que lorsqu’elle est retournée à la Grenade en 2003, Omar n’avait pas encore commencé à éprouver des symptômes d’asthme. De plus, elle ne pouvait prévoir l’effet que le climat de la Grenade aurait sur Omar lorsqu’ils y sont tous les deux retournés en 2007.

 

[31]           L’agent a également tiré une conclusion déraisonnable en estimant que l’asthme dont souffrait Omar n’était pas sévère et que l’asthme est une affection courante. La demanderesse affirme que l’agent a eu tort d’invoquer cette raison pour conclure que l’asthme d’Omar n’était pas sévère. Elle fait référence à des éléments de preuve établissant qu’Omar a été hospitalisé à plusieurs reprises et qu’il doit utiliser un inhalateur chaque jour pour contrôler ses symptômes. Les motifs de l’agent ne montrent pas que ce dernier a tenu compte de ces faits ni comment ceux‑ci ont influé sur sa décision. L’état de santé d’Omar était un aspect important de la demande, de sorte que l’agent aurait dû analyser en profondeur cette question. On ne sait pas non plus avec certitude quels critères l’agent a appliqués pour conclure que l’asthme dont souffrait Omar n’était pas sévère.

 

[32]           La demanderesse conteste également la conclusion de l’agent suivant laquelle elle sera en mesure de payer les médicaments d’Omar si elle en fait une priorité, comme son état semble le mériter. L’agent a fondé cette conclusion en partie sur les éléments de preuve établissant que les membres de la famille de la demanderesse au Canada seraient disposés à aider cette dernière à payer les frais de transport pour ramener Omar au Canada si la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire de la demanderesse était accueillie. L’agent a estimé que ces éléments de preuve démontraient que les membres de la famille de la demanderesse seraient disposés à contribuer au paiement des médicaments d’Omar si la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire était rejetée. La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable de la part de l’agent d’établir un parallèle entre la volonté des membres de sa famille de contribuer au paiement du vol de retour d’Omar au Canada et leur volonté et leur capacité de continuer à l’aider à acheter des médicaments à Omar. La demanderesse signale que les membres de sa famille qui vivent au Canada ont eux‑mêmes des enfants et qu’ils ne seront peut‑être pas en mesure de continuer à l’aider à payer les médicaments d’Omar.

 

L’agent n’a pas appliqué le bon critère pour apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant

 

[33]           La demanderesse soutient également que, dans le cadre de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, l’agent n’a pas appliqué le bon critère lors de son analyse relative à l’intérêt supérieur d’Omar. Elle cite le jugement Shchegolevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 527, dans lequel le juge Robert Barnes écrit ce qui suit, au paragraphe 12 :

Il est clair que l’agente a commis une erreur en exigeant que M. Shchegolevich démontre que les effets préjudiciables de son renvoi sur son épouse et son beau‑fils seraient inhabituels et injustifiés ou excessifs. La norme ne s’applique qu’aux difficultés éprouvées par un demandeur qui doit présenter une demande à partir de l’étranger; elle ne s’applique pas à l’appréciation de l’intérêt supérieur d’un enfant touché par le renvoi d’un parent.

 

 

[34]           Il est de jurisprudence constante que l’agent chargé d’examiner une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire doit analyser la question de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par sa décision séparément de celle des difficultés. L’agent doit de plus être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant (Baker, ci‑dessus, et Kolosovs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165). Dans le cas qui nous occupe, l’agent a, à tort à ce stade, considéré les difficultés auxquelles Omar serait exposé si sa mère ne se voyait pas accorder la résidence permanente (Mangru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 779, au paragraphe 24).

 

[35]           Comme dans l’affaire Mangru, « [l]’application par [l’agent] de l’exigence des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives transpire dans son analyse de l’intérêt supérieur [de l’enfant] et aboutit ainsi à une conclusion inappropriée » (Mangru, au paragraphe 27). La demanderesse affirme que, lorsqu’il affirme qu’il n’est pas [traduction] « convaincu qu’un renvoi de l’enfant [du Canada] à un âge aussi tendre aura des répercussions négatives sur lui au point où il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées », l’agent n’applique pas le bon critère pour évaluer l’intérêt supérieur d’Omar.

 

[36]           La demanderesse se fonde sur les décisions Kolosovs, Baker et Shchegolevich, ci‑dessus, sur l’arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, sur la décision Arulraj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 529, et sur l’arrêt Hawthorne, ci‑dessus, pour affirmer que l’agent chargé d’apprécier l’intérêt supérieur de l’enfant touché par la décision relative aux raisons d’ordre humanitaire doit :

a.                   déterminer ce en quoi réside l’intérêt supérieur de l’enfant;

b.                  évaluer dans quelle mesure cet intérêt est compromis par toutes les décisions envisagées;

c.                   déterminer l’importance que l’intérêt supérieur de l’enfant a en ce qui concerne l’évaluation des facteurs d’ordre humanitaire.

 

[37]           La demanderesse affirme également que l’enfant n’a pas à atteindre un seuil minimal de souffrance pour que l’agent soit justifié de rendre une décision favorable. En l’espèce, l’agent devait se demander si l’intérêt supérieur d’Omar commandait qu’on lui permette de venir au Canada avec sa mère ou si l’on devait plutôt le forcer à demeurer avec elle à la Grenade; l’agent n’avait pas à décider si Omar souffrait à la Grenade ou s’il souffrirait moins au Canada. L’agent n’a pas examiné la bonne question.

 

[38]           La demanderesse reconnaît que l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché n’est pas nécessairement déterminant. Elle signale toutefois que, dans l’arrêt Baker, ci‑dessus, la juge Claire L’Heureux‑Dubé déclare, au paragraphe 75 :

[...] quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

 

[39]           L’agent a commis l’erreur précise indiquée par la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker, de sorte que sa décision doit être renvoyée pour être réexaminée.

 

Le défendeur

            Les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire sont des mesures exceptionnelles et discrétionnaires

 

[40]           Le défendeur attire l’attention de la Cour sur le principe que les dispenses fondées sur des raisons d’ordre humanitaire ne visent pas à écarter toutes les difficultés qu’entraînent les exigences de la Loi. L’article 25 de la Loi vise plutôt à éliminer uniquement les difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées. En raison du caractère exceptionnel de la mesure prévue à l’article 25, le demandeur doit satisfaire à un critère très rigoureux pour obtenir une dispense en vertu de cet article (Irimie c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1906, au paragraphe 12). Les demandeurs doivent également faire la preuve de tous les éléments positifs de leurs demandes (Owusu, ci‑dessus).

 

L’agent a tenu suffisamment compte de l’intérêt supérieur d’Omar

 

[41]           Dans l’arrêt Hawthorne, ci‑dessus, la Cour d’appel fédérale a jugé, au paragraphe 6, que l’agent saisi d’une demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire est chargé de pondérer le degré de difficulté auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent. En l’espèce, l’agent a examiné les préoccupations exprimées au sujet du fait qu’Omar se retrouvera en présence de Phillip, se verrait refuser l’accès aux études et ne pourrait recevoir les soins médicaux dont il a besoin. Malgré les craintes exprimées par la demanderesse au sujet de ces risques, l’agent a conclu de façon raisonnable que ces risques ne s’étaient pas concrétisés à la Grenade.

 

[42]           L’agent a également analysé de façon adéquate les questions entourant l’état de santé d’Omar. Bien que le climat de la Grenade aggrave l’état d’Omar et que ses médicaments coûtent cher, l’agent a conclu qu’Omar recevait des soins pour son asthme à la Grenade. Cette conclusion était raisonnable. De plus, la demanderesse n’a pas soumis d’éléments de preuve objectifs pour démontrer que les médicaments d’Omar étaient chers ou qu’il était atteint d’une maladie grave.

 

[43]           L’agent a affirmé que son renvoi à la Grenade ne causerait pas à Omar des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Bien qu’on puisse en déduire que l’agent n’a pas appliqué le bon critère, le défendeur fait observer que le juge Russel Zinn a statué, dans Segura c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 894, que l’agent qui parle de difficultés « inhabituelles », « injustifiées » ou « excessives » ne commet pas nécessairement une erreur susceptible de contrôle. Ce n’est pas l’emploi de mots particuliers qui est déterminant, « mais plutôt la question de savoir si l’on peut dire en lisant la décision dans son ensemble que l’agent a appliqué le bon critère et procédé à une analyse appropriée » (au paragraphe 29).

 

[44]           En l’espèce, il ressort de sa décision que l’agent a examiné l’état de santé d’Omar. L’agent a, au vu de l’ensemble des éléments de preuve dont il disposait, conclu de façon raisonnable que la situation de la demanderesse ne justifiait pas l’octroi de la résidence permanente pour des raisons d’ordre humanitaire. Bien qu’Omar aurait plus facilement accès aux médicaments dont il a besoin ainsi qu’à une meilleure instruction au Canada, ces facteurs à eux seuls ne rendaient pas pour autant la décision de l’agent déraisonnable. En fait, compte tenu de ses arguments, la demanderesse invite la Cour à procéder à une nouvelle évaluation des facteurs déjà examinés par l’agent, ce qu’il n’est pas loisible à la Cour de faire lorsqu’elle statue sur une demande de contrôle judiciaire.

 

Réplique de la demanderesse

 

[45]           Le défendeur soutient que l’agent a examiné les arguments formulés par la demanderesse au sujet des répercussions du climat de la Grenade sur l’état de santé d’Omar, mais en fait, selon la demanderesse, l’agent s’est contenté de mentionner ses préoccupations sans les analyser. Son défaut d’examiner les arguments en question constitue une erreur justifiant l’infirmation de sa décision.

 

[46]           La demanderesse affirme également que la déclaration de l’agent que l’asthme est une affection commune n’était pas pertinente dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La question de savoir si l’asthme est une affection commune ou non n’a rien à voir avec celle de savoir quel est l’effet du climat de la Grenade sur l’asthme dont souffre Omar, ce point étant un élément essentiel de la demande. L’agent a fait ses déclarations sans tenir compte de la gravité de l’état d’Omar et des effets du climat de la Grenade sur son état. Il s’agit là encore d’une erreur justifiant l’infirmation de sa décision.

 

[47]           Selon le défendeur, les dispenses fondées sur des raisons d’ordre humanitaire sont des mesures exceptionnelles et discrétionnaires. La demanderesse est du même avis et affirme que, pour exercer ce pouvoir discrétionnaire, les agents doivent accorder une attention toute particulière à l’intérêt supérieur des enfants touchés par leurs décisions (Legault, ci‑dessus, au paragraphe 11). En l’espèce, l’agent n’a pas accordé suffisamment d’attention à l’intérêt supérieur d’Omar.

 

[48]           Ainsi que le défendeur l’a fait observer, les dispenses accordées pour des raisons d’ordre humanitaire sont censées remédier à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées. La demanderesse affirme que c’est effectivement la situation dans laquelle elle se trouve étant donné que l’application de la loi entraînera dans son cas des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées. Bien qu’il soit vrai que le fait de quitter son emploi ou sa famille au Canada ne constitue pas nécessairement une difficulté inhabituelle et injustifiée ou disproportionnée, il n’en demeure pas moins que l’application de ce raisonnement ferait subir un préjudice à Omar. La demanderesse cite l’arrêt ZH (Tanzania) (FC) c Secretary of State for the Home Department, [2011] UKSC 4, un arrêt dans lequel la Cour suprême du Royaume‑Uni a permis à une mère de demeurer au Royaume‑Uni au motif que l’intérêt supérieur de ses enfants militait en faveur de cette mesure, malgré [traduction] « les antécédents consternants [de la mère] en matière d’immigration ». La demanderesse affirme que la même décision devrait être rendue dans son cas.

 

L’intérêt supérieur de l’enfant

 

[49]           Bien que l’arrêt Hawthorne, ci‑dessus, nous enseigne qu’il n’y a pas de manière préétablie de tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant touché par une décision fondée sur des raisons d’ordre humanitaire, il n’en demeure pas moins que l’agent qui écarte sans les examiner les préoccupations exprimées quant au sort de l’enfant commet une erreur. En l’espèce, l’agent a rejeté sommairement les arguments invoqués au sujet de l’état de santé d’Omar sans examiner la gravité de l’état de ce dernier ni examiner en quoi le climat de la Grenade avait une incidence sur son état. L’agent a également ignoré les arguments de la demanderesse et n’a tiré aucune conclusion au sujet de la question de savoir si le changement de milieu avait compromis la santé et le bien‑être d’Omar.

 

[50]           Ainsi que le défendeur l’a fait observer, la décision Segura, ci‑dessus, nous enseigne que le fait de parler des difficultés pour expliquer les répercussions d’une décision sur un enfant ne constitue pas en soi une erreur susceptible de contrôle. Toutefois, en l’espèce, l’agent a, dans son analyse de la situation d’Omar, expressément examiné la question de savoir si le fait de rejeter la demande fondée sur les raisons d’ordre humanitaire causerait à Omar des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées sans examiner en quoi consistait son intérêt supérieur. De plus, il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Segura étant donné que, dans le cas qui nous occupe, Omar se heurte, en raison de son asthme, à des difficultés auxquelles les enfants qui sont renvoyés du Canada en compagnie de leurs parents ne sont pas habituellement exposés. Le rejet sommaire de la question de l’état de santé d’Omar par l’agent démontre que l’analyse qu’il a faite de l’intérêt supérieur d’Omar était viciée tant sur le plan de la forme que du fond. Bien qu’il ait mentionné l’impact du climat de la Grenade sur l’asthme d’Omar, l’agent n’a pas soupesé ce facteur comme il était tenu de le faire.

 

[51]           La demanderesse affirme également que sa demande de contrôle judiciaire n’équivaut pas à une invitation faite à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation des éléments de preuve qui ont déjà été examinés. Elle affirme plutôt que l’agent a ignoré ses arguments et qu’il n’a pas appliqué le bon critère pour analyser l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché par sa décision, ajoutant que l’agent a ainsi commis des erreurs justifiant l’infirmation de sa décision. La demanderesse fait observer que, dans l’arrêt Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, la Cour d’appel fédérale a cité l’arrêt Legault, ci-dessus, et a déclaré, au paragraphe 24 :

Il n’appartient pas aux tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par l’agent chargé de se prononcer sur les raisons d’ordre humanitaire. En revanche, l’intérêt supérieur des enfants est un facteur que l’agent doit examiner « avec beaucoup d’attention » et qu’il doit soupeser avec les autres facteurs applicables. Le simple fait de dire qu’on a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas suffisant.

 

 

Mémoire complémentaire de la demanderesse

 

[52]           La demanderesse s’inscrit en faux contre l’argument du défendeur suivant lequel la décision était raisonnable parce qu’Omar a accès aux études et à des soins médicaux à la Grenade. Elle affirme que le défendeur n’a pas tenu compte du fait qu’Omar aurait moins besoin de soins médicaux s’il quittait le climat de la Grenade en venant vivre au Canada. Elle affirme également que l’argument du défendeur suivant lequel l’agent a tenu compte de l’état de santé d’Omar est inexact; l’agent n’a pas tenu compte de l’effet du climat de la Grenade sur l’état de santé d’Omar. L’agent s’est contenté de mentionner les arguments de la demanderesse sans les examiner.

 

[53]           La demanderesse est également en désaccord avec l’argument du défendeur voulant que l’agent ait tenu suffisamment compte de l’intérêt supérieur d’Omar. Elle affirme que l’agent a rejeté sommairement ces arguments en répondant que l’affection dont Omar est atteint est courante sans examiner l’effet du climat de la Grenade sur son état de santé. L’agent n’a pas non plus tenu compte des incidences des difficultés financières de la demanderesse sur la situation d’Omar.

 

ANALYSE

 

[54]           La demanderesse a formulé plusieurs réserves au sujet de la décision, mais c’est en raison d’un problème fondamental qu’elle comporte que la décision doit être renvoyée pour réexamen. Lorsqu’on lit la décision dans son ensemble, on a le sentiment que l’agent n’était pas réellement conscient de ce que requiert l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ou des principes juridiques à appliquer. Le défendeur affirme qu’il s’agit simplement d’une question de forme et non de fond et que je ne devrais pas me laisser ébranler par les erreurs de formulation de l’agent. Je ne suis pas de cet avis.

 

[55]           Il ressort à l’évidence de sa décision que l’agent n’a pas appliqué le bon critère pour évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant. Il tient les propos suivants qui constituent le fondement de son analyse :

[traduction]

Son enfant, un citoyen canadien âgé de quatre ans, a commencé à fréquenter la prématernelle et à se faire de nouveaux amis. Je ne suis toutefois pas convaincu que le fait de le retirer de ce milieu à un âge aussi tendre aurait des conséquences négatives sur l’enfant au point où il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées. [Non souligné dans l’original.]

 

[...]

 

Compte tenu de l’ensemble des arguments et du contexte de la présente affaire, je ne suis pas convaincu que l’intéressée et son fils subissent des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées à la Grenade au point où je devrais donner une suite favorable à la présente demande. [Non souligné dans l’original.]

 

 

[56]           Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que l’agent a commis, dans la présente affaire, les erreurs dont il est justement question dans la jurisprudence de notre Cour que j’ai déjà citées dans l’arrêt Hawthorne de la Cour d’appel fédérale. Au lieu d’être réceptif, attentif et sensible à la situation d’Omar et d’examiner la situation du point de vue de ce dernier, comme la jurisprudence l’exige, l’agent a plutôt conclu : [traduction] « [j]e suis convaincu que son intérêt supérieur est respecté ». L’agent a également déclaré : [traduction] « [j]e ne suis pas convaincu que [...] son fils [subirait] des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées » et « [j]e ne suis [...] pas convaincu que le fait de le retirer de ce milieu [...] aurait des conséquences négatives sur l’enfant au point où il subirait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées ». L’agent n’a peut‑être pas commis d’erreur en parlant de difficultés, mais il est franchi un pas de plus en considérant que l’intérêt supérieur d’Omar devait être examiné au regard du critère des difficultés.

 

[57]           Je souscris à la façon dont la demanderesse expose le problème et résume la jurisprudence applicable et je les fais miens dans les présents motifs. Je vais exposer le processus et les principes applicables en détail en vue de guider l’agent qui sera appelé à réexaminer la présente affaire. À cet égard, je vais essentiellement reproduire et adopter l’excellent résumé des règles de droit applicables formulé par l’avocat de la demanderesse.

 

[58]           Il est de jurisprudence constante que l’agent doit être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’il ne doit pas « minimiser » l’intérêt supérieur de l’enfant susceptible d’être touché par sa décision.

 

[59]           Notre Cour a également bien précisé que l’obligation d’être « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant est distincte de l’analyse de la norme des difficultés « inhabituelles et injustifiées ou démesurées ». Ainsi que le juge Robert Barnes l’a déclaré dans le jugement Shchegolevich c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 527, au paragraphe 12 :

Il est clair que l’agente a commis une erreur en exigeant que M. Shchegolevich démontre que les effets préjudiciables de son renvoi sur son épouse et son beau‑fils seraient inhabituels et injustifiés ou excessifs. La norme ne s’applique qu’aux difficultés éprouvées par un demandeur qui doit présenter une demande à partir de l’étranger; elle ne s’applique pas à l’appréciation de l’intérêt supérieur d’un enfant touché par le renvoi d’un parent.

 

 

[60]           Dans le même ordre d’idées, notre Cour a déclaré ce qui suit dans la décision Arulraj, ci‑dessus, au paragraphe 14 :

[...] Les mots semblables que l’on trouve dans les Directives IP5, à savoir « inhabituelles », « injustifiées » ou « excessives », sont utilisés à propos de l’intérêt pour un demandeur de rester au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, plutôt que de devoir solliciter le droit d’établissement depuis l’étranger. Il est fautif d’intégrer de telles normes dans la décision portant sur l’existence de considérations humanitaires, du moins dans la partie de cette décision qui concerne l’intérêt des enfants. Cette précision est faite dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] 2 C.F. 555, 2002 CAF 475 (C.A.F.), au paragraphe 9, où le juge Robert Décary écrivait que « le concept de “difficultés injustifiées” n’est pas approprié lorsqu’il s’agit d’évaluer les difficultés auxquelles s’exposent les enfants innocents. Les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés ».

 

 

[61]           Dans la décision récente Mangru, ci‑dessus, notre Cour a réaffirmé qu’on aurait tort d’intégrer le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants. Se référant à la décision Arulraj, ci‑dessus, le juge O’Keefe a expliqué que c’était une erreur de droit que d’intégrer le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives dans l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants.

 

[62]           Dans la décision Mangru, la Cour a conclu que, non seulement l’agente n’avait  pas décrit correctement le critère servant à l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants, mais qu’elle avait également minimisé les conséquences de la décision forçant les enfants à quitter le Canada pour accompagner leurs parents en Guyana. L’agente n’avait donc pas tenu compte, dans son analyse, de l’incidence de la décision sur l’intérêt supérieur des enfants, de sorte que son analyse était incorrecte tant sur la forme que sur le fond. La Cour a conclu que « [l]’application par l’agente de l’exigence des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives transpire dans son analyse de l’intérêt supérieur des enfants et aboutit ainsi à une conclusion inappropriée [...] » (au paragraphe 27.) On peut en dire autant de l’analyse à laquelle l’agent s’est livré en l’espèce.

 

[63]           Lorsqu’il analyse l’intérêt supérieur d’un enfant, l’agent doit d’abord déterminer en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant, en deuxième lieu, jusqu’à quel point l’intérêt de l’enfant est compromis par une décision éventuelle par rapport à une autre et, enfin, à la lumière de l’analyse susmentionnée, le poids que ce facteur joue lorsqu’il s’agit de trouver un équilibre entre les facteurs positifs et les facteurs négatifs dont il a été tenu compte lors de l’examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire.

 

[64]           Il n’existe pas de norme minimale en matière de besoins fondamentaux qui satisferait au critère de l’intérêt supérieur. De plus, il n’existe pas de critère minimal en matière de difficultés suivant lequel à un certain point dans l’échelle des difficultés et seulement à ce point pourrait‑on considérer que l’intérêt supérieur de l’enfant est « compromis » au point de justifier une décision favorable. La question n’est pas celle de savoir si l’enfant « souffre assez » pour que l’on considère que son « intérêt supérieur » ne sera pas « respecté ». À cette étape initiale de l’analyse, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : « en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant? »

 

[65]           Par exemple, l’agent ne devrait pas mettre fin à son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant après avoir conclu que ce dernier ne souffre ni de mauvais traitement ni de malnutrition ou, comme dans la présente décision, qu’on ne lui a pas carrément refusé l’accès à des soins médicaux. Pour qu’on puisse conclure qu’il a été « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant, il faut que l’agent ait tenu compte de la situation de l’enfant en se plaçant du point de vue de l’enfant pour ensuite déterminer ce en quoi consiste l’intérêt supérieur de ce dernier.

 

[66]           Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt Hawthorne, et comme notre Cour l’a signalé également dans les décisions Arulraj et Shchegolevich, les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à quelque difficulté que ce soit. Par conséquent, l’application d’un critère relatif aux difficultés injustifiées ou inhabituelles ou une conception de l’analyse de l’intérêt supérieur qui reposerait sur une norme minimale en matière de « besoins fondamentaux » comme celle que l’agent a appliquée en l’espèce ne permet pas de répondre de façon satisfaisante – d’une manière qu’on peut qualifier de « réceptive, attentive et sensible » – à la question de savoir en quoi consiste l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[67]           L’intérêt supérieur de l’enfant n’est certainement pas le facteur déterminant dans le cas d’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et il ne constitue qu’un des facteurs dont il faut tenir compte. Cependant, le fait d’exiger que certains des intérêts de l’enfant n’aient pas été « respectés » ou que l’enfant « souffre assez » pour que ce facteur milite en faveur de l’octroi d’une dispense, voire qu’il joue un rôle déterminant dans la décision, a également pour effet de contredire le principe bien établi suivant lequel l’agent doit être particulièrement réceptif, attentif et sensible aux conséquences que la décision aura en se plaçant du point de vue de l’enfant. De plus, une telle façon de procéder irait vraisemblablement à l’encontre de la directive formulée par la Cour suprême du Canada, selon laquelle cet élément est un facteur crucial à considérer lors de l’examen des demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, qui ne doit pas être minimisé.

 

[68]           Dans l’arrêt Baker, ci‑dessus, la Cour suprême du Canada a jugé que, pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 25(1) de la Loi respecte la norme de la décision raisonnable, le décideur doit considérer l’intérêt supérieur de l’enfant comme un facteur important, lui accorder un poids considérable et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. La juge L’Heureux‑Dubé écrit ce qui suit, au paragraphe 75 :

[...] pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

[Caractères gras ajoutés.]

 

 

[69]           Au paragraphe 73 de l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a déclaré :

Les facteurs susmentionnés montrent que les droits, les intérêts, et les besoins des enfants, et l’attention particulière à prêter à l’enfance sont des valeurs importantes à considérer pour interpréter de façon raisonnable les raisons d’ordre humanitaire qui guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Je conclus qu’étant donné que les motifs de la décision n’indiquent pas qu’elle a été rendue d’une manière réceptive, attentive ou sensible à l’intérêt des enfants de Mme Baker, ni que leur intérêt ait été considéré comme un facteur décisionnel important, elle constituait un exercice déraisonnable du pouvoir conféré par la loi et doit donc être infirmée.

 

 

[70]           Dans l’arrêt Kolosovs, ci‑dessus, la Cour fédérale explique ce qu’il faut entendre par obligation d’être être réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant :

Ce n’est qu’après que l’agent des visas s’est fait une bonne idée des conséquences concrètes d’une décision défavorable en matière de motifs d’ordre humanitaire sur l’intérêt supérieur de l’enfant qu’il pourra faire une analyse sensible de cet intérêt. Pour montrer qu’il est sensible à l’intérêt de l’enfant, l’agent doit pouvoir exposer clairement les épreuves qui résulteront pour l’enfant d’une décision défavorable, puis dire ensuite si, compte tenu également des autres facteurs, les épreuves en question justifient une dispense pour motifs d’ordre humanitaire. 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[71]           La décision est par conséquent renvoyée à un nouvel agent pour qu’il l’examine conformément aux principes exposés ci‑dessus.

 

[72]           Les avocats s’entendent pour dire qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.


 

JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  ACCUEILLE la demande, ANNULE la décision et RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit examinée par un autre agent;

2.                  DÉCLARE qu’il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2949‑11

 

 

INTITULÉ :                                                   ERLINA MARY WILLIAMS

 

                                                                        ‑ et ‑

 

                                                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 10 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 7 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine Sadoway

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Geraldine Sadoway

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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