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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20120206


Dossier : IMM-4437-11

Référence : 2012 CF 157

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 février 2012

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

SHOU GUI LIN

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 8 juin 2011 (la décision), qui a rejeté la demande du demandeur visant à ce que lui soit reconnue la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi.

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen de la République populaire de Chine (la RPC) qui dit être chrétien. Il est originaire de la province du Fujian, et il dit qu’il y a fréquenté une maison-église clandestine avec ses parents. Il a également fréquenté des églises pentecôtistes au Canada et, le 15 février 2011, il a épousé une résidente permanente du Canada. Il a une fille, née au Canada, qui vit avec lui et son épouse à Toronto.

[3]               Le demandeur affirme que, le 7 octobre 2007, ses parents ont assisté à un service à leur église clandestine; le demandeur n’y était pas parce qu’il devait travailler. Plus tard ce soir-là, la mère d’un membre de l’église lui a téléphoné et lui a dit que sa mère et son père avaient été arrêtés lorsque le Bureau de la sécurité publique (le BSP) avait fait une descente à leur église. Le demandeur est allé au poste du BSP où ses parents étaient détenus pour tenter d’obtenir leur mise en liberté sous caution. Il savait que ses parents ne le dénonceraient pas, et il pensait donc qu’il ne courrait aucun danger. Alors que le demandeur était au poste, des agents du BSP l’ont placé en détention pendant trois jours, l’ont interrogé et l’ont accusé d’être un chrétien.

[4]               Le 11 octobre 2007, le demandeur a été libéré par le BSP qui lui a demandé de payer une caution de 100 000 yuans pour ses parents. Le demandeur a payé l’argent du cautionnement, mais lui et ses parents se sont vu ordonner de se présenter au BSP chaque semaine, les dimanches. Le demandeur a obéi à l’ordre de se présenter, et il dit qu’il était parfois interrogé lorsqu’il se présentait, et qu’il était parfois tenu de se présenter de nouveau durant la semaine. Le demandeur dit qu’il n’a pas pu décrocher d’emploi à cause de l’obligation de se présenter.

[5]               Après qu’ils eurent été libérés, le demandeur et ses parents ont continué à pratiquer le christianisme dans leur demeure, mais ils n’ont plus assisté à des services à leur église clandestine. Ensemble, ils ont décidé que le demandeur devrait quitter la RPC. Alors que des préparatifs étaient en cours en vue du départ du demandeur, celui-ci a cessé de se présenter au BSP. Des membres du BSP sont venus chez eux à sa recherche, mais les parents du demandeur ont dit qu’ils ne savaient pas où il se trouvait.

[6]               Le demandeur a engagé un passeur et a fui la RPC en janvier 2008. Il s’est d’abord rendu à Dubaï, puis en Israël. D’Israël, le demandeur est venu au Canada, où il est arrivé à Toronto le 22 janvier 2008. Il a demandé l’asile le 25 janvier 2008.

[7]               Le demandeur dit qu’à la fin de février 2008, il a appris que ses parents étaient entrés dans la clandestinité pour échapper au BSP. En mai 2008, il a appris qu’ils avaient été arrêtés à la frontière entre le Vietnam et la RPC. Le père du demandeur a été condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans et sa mère a été condamnée à une peine d’emprisonnement de trois ans et demi. Le demandeur dit que tous deux sont actuellement détenus à la prison de Baisha à Fu Zhou, en RPC.

[8]               Au soutien de sa demande d’asile, le demandeur a fourni à la SPR un reçu relatif aux frais de transport de ses parents depuis la frontière où ils avaient été arrêtés, daté du 21 mai 2008, un avis d’arrestation concernant ses parents, daté du 16 mai 2008, et deux cartes de visites de la prison de Baisha, toutes deux datées du 10 décembre 2008, indiquant des visites faites par la sœur du demandeur auprès de son père et sa mère. Le demandeur a également fourni à la SPR sa carte d’identité de résident (la CIR), son livret de famille (le hukou), un certificat attestant sa remise en liberté daté du 11 octobre 2007, et des certificats attestant la remise en liberté de ses parents, datés du 12 octobre 2007. Le demandeur a également produit une lettre du révérend David Ko, le pasteur de la Living Stone Assembly – une église chrétienne de Scarborough, en Ontario –, qui confirme que le demandeur a fréquenté régulièrement cette église. Enfin, le demandeur a fourni à la SPR un acte de baptême qui indiquait qu’il avait été baptisé le 27 octobre 2008.

[9]               La SPR a tenu une audience relative à la demande du demandeur le 13 mai 2010, lors de laquelle la conseil du demandeur s’est plainte de la qualité de l’interprétariat. La SPR a accueilli la demande de la conseil qui souhaitait obtenir la vérification de la traduction et la tenue d’une audition de novo. L’audition de novo a eu lieu le 24 février 2011 devant un membre différent de la SPR. Le demandeur, sa conseil et un interprète étaient présents à cette audience, laquelle a duré plus de temps que prévu, et la SPR a ajourné l’audience jusqu’au 24 mai 2011. Une fois l’audience terminée, la SPR a pris l’affaire en délibéré, puis elle a rendu sa décision le 8 juin 2011. La SPR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, et elle lui a donné avis de la décision le 9 juin 2011.

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]           La SPR a statué que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger, parce qu’il ne risquait pas d’être persécuté dans la province du Fujian. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi une possibilité sérieuse de persécution ni une menace à sa vie ni un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé en RPC.

[11]           La SPR a examiné le récit du demandeur au sujet de son arrestation et de celle de ses parents, de leur détention, de leur remise en liberté sous caution et de leur obligation de se présenter. Elle a noté l’allégation du demandeur selon laquelle il n’avait pas réussi à décrocher un emploi parce que l’obligation de se présenter entrait en conflit avec sa disponibilité au travail.

            L’identité

[12]           La SPR a conclu que le demandeur avait établi son identité au moyen de copies certifiées conformes de son passeport et de sa CIR.

L’analyse

[13]           Dans son analyse, la SPR a mis l’accent sur la crédibilité des allégations de risque de préjudice en RPC formulées par le demandeur. Elle a reconnu que le demandeur avait pu éprouver à l’audience des difficultés reliées à des facteurs d’ordre culturel, à l’ambiance dans la salle d’audience et aux questions posées par la SPR, mais celle-ci a affirmé qu’elle avait tenu compte de toutes ces difficultés potentielles au moment de rendre sa décision.

[14]            La SPR a conclu que les éléments de preuve documentaire dont elle disposait n’étayaient pas le récit du demandeur. Bien que le demandeur eût une connaissance du christianisme et qu’il ait produit une lettre du révérend Ko, les documents qu’il avait présentés montraient seulement qu’il avait participé à des activités de l’église; ils ne montraient pas sa motivation, et la SPR y a donc accordé peu de poids.

[15]           La SPR a conclu que le témoignage du demandeur n’était pas étayé par des éléments de preuve documentaire relatifs à la province du Fujian, mais elle a également tiré la conclusion suivante :

[L]e tribunal estime qu’une église dans la province du Fujian aurait été découverte, que le demandeur […] aurait été détenu pendant trois jours et que ses parents auraient été condamnés à une peine d’emprisonnement de trois ans et de trois ans et demi respectivement.

 

[16]           La SPR a dit qu’elle s’était fiée aux documents dont elle disposait concernant la situation dans le pays. Après avoir noté que le demandeur était originaire de la province du Fujian, la SPR a conclu que la réponse à une demande d’information (RDI) de la CISR CHN100386.EF – Chine : information sur la situation des catholiques et le traitement que leur réservent les autorités notamment au Fujian et au Guangdong (2001 – 2005) établissait que les provinces du Fujian et du Guangdong avaient les politiques les plus libérales en matière de religion de toutes les provinces de la RPC. Elle a également conclu que, bien que des arrestations soient documentées dans des régions environnantes du Fujian, il n’y avait aucun élément de preuve documentaire au sujet d’arrestations récentes de chrétiens au Fujian. De plus, s’il y avait eu des arrestations de chrétiens au Fujian, la SPR a estimé qu’elles auraient été documentées. La SPR a noté que, dans la décision Nen Mei Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-5425-08, le juge Paul Crampton avait confirmé une conclusion similaire de la SPR.

[17]           S’appuyant sur un rapport du Département d’État des États-Unis intitulé 2009 International Religious Freedom Report (Rapport de 2009 sur la liberté de religion dans le monde), la SPR a également conclu que la situation dans la province du Fujian ne s’apparentait pas à la situation dans d’autres provinces où des chrétiens ordinaires étaient arrêtés. La SPR a également pris acte d’un rapport du Home Office du Royaume-Uni selon lequel les cercles de prières et d’étude de la Bible en famille ou entre amis proches n’étaient pas tenus de s’enregistrer auprès des autorités.

[18]           La SPR a conclu que le risque auquel le demandeur serait exposé était faible et qu’il pourrait pratiquer sa religion dans n’importe quelle église dans la province du Fujian. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’il soit persécuté s’il pratiquait le christianisme. La SPR a pris acte de ma décision dans Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1274, où j’avais statué qu’il était raisonnable que la SPR conclue que des incidents de persécution seraient documentés. La SPR a également examiné une décision du Refugee Review Tribunal (Tribunal d’appel des réfugiés) de l’Australie, que le demandeur avait présentée, mais elle a estimé que les faits de cette affaire étaient différents et que les documents dont la SPR disposait n’étaient pas les mêmes que ceux dont avait disposé le tribunal australien.

Les documents du demandeur

[19]           La SPR a également examiné les documents que le demandeur avait présentés, mais elle a conclu que l’avis d’arrestation, les cartes de visite, les certificats de remise en liberté et les reçus de cautionnement n’étayaient pas le récit du demandeur. La SPR a estimé que ces documents ne renforçaient pas la vraisemblance de la descente dans sa maison-église ni la détention et les peines d’emprisonnement de ses parents.

[20]           La SPR a adopté le passage suivant de la RDI CHN103134.EF – Chine : information sur la fabrication, l’acquisition, la distribution et l’utilisation de documents frauduleux, y compris les passeports, les hukous, les cartes d’identité de résident et les assignations; la situation dans les provinces du Guangdong et du Fujian en particulier (2005 – mai 2009) comme motifs pour rejeter les documents du demandeur :

Dans une communication écrite datée du 12 juin 2009, un professeur de droit de la faculté de droit de l’université George Washington, qui est un spécialiste du système juridique chinois, a affirmé [traduction] « [qu’]à peu près tous les documents peuvent être contrefaits en Chine, et un grand nombre le sont ». Selon un document d’information publié en 2007 par l’Economist Intelligence Unit (EIU), un agent consulaire des États-Unis (É.-U.) travaillant dans le sud de la Chine a déclaré que les faux passeports chinois étaient rares, mais que le fait que la contrefaçon des autres types de documents était [traduction] « généralisée » rendait la vérification de ces documents difficile (sept. 2007, 18). À son avis, [traduction] « aucun document [personnel] en Chine n’est sûr », et le marché des faux documents connaît une croissance rapide (EUI sept. 2007, 18). Il a aussi ajouté que tout document était présumé frauduleux jusqu’à preuve du contraire, et que leur vérification constituait [traduction] « un processus laborieux et long » (ibid.). Dans un article paru en 2009 dans le Vancouver Sun, on peut lire qu’il est possible [traduction] « [d’]acheter tous les documents que vous voulez » en Chine (19 mars 2009).

Selon un article publié en 2005 dans le site Internet Jane’s Intelligence Review, les groupes criminels de la Chine et de l’Asie du Sud [traduction] « jouent un rôle clé » dans la migration clandestine, un marché où la contrefaçon de documents est [traduction] « essentielle » (1er févr. 2005). Selon cet article, les migrants en provenance de la Chine se rendent en Thaïlande comme touristes en utilisant des passeports authentiques et obtiennent de faux documents à Bangkok (ibid.). Il y est ajouté que les migrants illégaux en provenance de la Chine utilisent de préférence des passeports singapouriens ou japonais falsifiés, car les détenteurs de tels passeports n’ont pas besoin de visa pour entrer aux É.-U. et dans les pays de l’Union européenne (ibid.). D’après un rapport publié en 2007 par l’Institut national de justice (National Institute of Justice - NIJ) des É.-U., les Chinois qui entrent clandestinement à Taïwan utilisent de fausses pièces d’identité afin d’obtenir un passeport taïwanais, leur permettant de se rendre aux É.-U. (janv. 2007, 26). L’Agence France-Presse signale qu’un réseau d’immigration a été démantelé en Espagne et que plus de 50 chinois ont été arrêtés, car ils étaient soupçonnés d’avoir aidé des chinois à entrer illégalement au pays et de leur avoir fourni de faux documents (30 mars 2009)

[21]           La SPR a conclu que, compte tenu de tous les éléments de preuve dont elle disposait, de ses conclusions cumulatives et de ses inférences défavorables, le demandeur n’avait pas établi le bien‑fondé de sa demande.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[22]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent dans la présente instance :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

[...]

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries;

 

[…]

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[23]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

a)      La conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité était-elle raisonnable?

b)                  La conclusion de la SPR quant au risque auquel le demandeur serait exposé était-elle raisonnable?

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[24]           La Cour suprême du Canada, dans Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a décidé qu’il n’était pas nécessaire d’effectuer une analyse relative à la norme de contrôle dans chaque instance. Plutôt, lorsque la norme de contrôle applicable à une question précise présentée à la cour est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la norme de contrôle applicable.

[25]           Dans l’arrêt Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 732 (CAF), la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable à une conclusion quant à la crédibilité était la décision raisonnable. En outre, dans la décision Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 929, le juge Michael Kelen a statué, au paragraphe 17, que la norme de contrôle applicable à une décision concernant la crédibilité était la décision raisonnable. Le juge Richard Mosley a formulé une conclusion similaire dans la décision Mejia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 851, au paragraphe 7. La norme de contrôle applicable à la première question en litige est la décision raisonnable.

[26]           Dans la décision Sarmis c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 110, au paragraphe 11, le juge Michel Beaudry a statué que la norme de contrôle applicable à l’appréciation de la persécution était la décision manifestement déraisonnable. Par ailleurs, dans la décision Butt c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 28, le juge Yvon Pinard a statué, aux paragraphes 6 et 7, que la norme de contrôle applicable à l’appréciation, par la SPR, de la question de savoir si un demandeur satisfaisait aux exigences de l’article 96 de la Loi était la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable à la deuxième question en litige est la décision raisonnable.

[27]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse porte sur l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Citoyenneté et Immigration c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision était déraisonnable au sens où elle n’appartenait pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES ARGUMENTS

Le demandeur

                        La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était déraisonnable

 

[28]           Le demandeur affirme que, lorsque la SPR a conclu qu’il n’était pas crédible, elle a fondé sa conclusion uniquement sur le Cartable national de documentation (le CND) dont elle disposait. Le demandeur affirme que la SPR n’a pas tenu compte de son témoignage selon lequel il est chrétien, ni des documents qu’il avait présentés pour démontrer qu’il est chrétien. La SPR a omis de tirer une conclusion quant à savoir si le demandeur est chrétien ou non, ce qui rend la décision déraisonnable. Le demandeur souligne l’affirmation suivante de la SPR :

[L]e tribunal estime qu’une église dans la province du Fujian aurait été découverte, que le demandeur d’asile aurait été détenu pendant trois jours et que ses parents auraient été condamnés à une peine d’emprisonnement de trois ans et de trois ans et demi respectivement.

 

[29]           Même si cette affirmation se voulait une inférence défavorable, la question n’est pas claire quant à savoir ce que la SPR a conclu au sujet de sa foi chrétienne, ni sur quoi elle a fondé cette conclusion dans l’hypothèse où elle en a tiré une.

[30]           La SPR a également refusé de tenir effectivement compte des documents que le demandeur avait produits au soutien de ses allégations d’arrestation, de détention et de mise en liberté sous caution. Le CND comportait, certes, des éléments de preuve tendant à démontrer la disponibilité de documents frauduleux en RPC, mais cela ne veut pas dire que tous les documents provenant de la RPC sont frauduleux. À tout le moins, la SPR était tenue d’examiner la possibilité que les documents que le demandeur avait produits soient authentiques, ce qu’elle a omis de faire. Lorsqu’elle s’est appuyée uniquement sur le CND pour apprécier la crédibilité du récit et du christianisme du demandeur, la SPR a agi déraisonnablement.

La conclusion de la SPR quant au risque était déraisonnable

[31]           Le demandeur soutient également que la conclusion de la SPR quant au risque auquel il serait exposé à son retour en RPC, bien que fondée sur des renseignements contenus dans le CND, ne tenait pas compte de documents pertinents sur la situation dans le pays que le demandeur avait présentés. Il souligne une lettre de 2009 de Bob Fu, président de l’Association d’aide à la Chine (l’Association). Cette lettre énonce notamment :

[TRADUCTION]

Il est naïf et incorrect de présumer que les maisons-églises parviennent à fonctionner sans aucun risque ni problème dans les provinces du Guangdong et du Fujian. Mes sources et mon expérience me disent le contraire.

[32]           La SPR avait l’obligation de tenir compte des documents présentés par le demandeur qui allaient à l’encontre de ses conclusions.

[33]           Le demandeur affirme également que la SPR a omis de tenir compte d’éléments de preuve contenus dans le CND qui traitaient précisément du risque dans la province du Fujian. La RDI CHN103500.EF – Chine : information sur la situation des protestants et sur le traitement qui leur est réservé par les autorités, en particulier au Fujian et au Guangdong (2005 – mai 2010) cite une lettre envoyée à la Direction des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui énonce :

[s]i l’on considère précisément le Fujian et le Guangdong, il est totalement incorrect de conclure que la liberté de culte est respectée dans ces provinces […]. [L]es persécutions sont sporadiques et ne sont pas entièrement prévisibles, mais elles se produisent encore. Même les menaces de répression par le gouvernement constituent un moyen de persécution. À tout moment, les maisons-églises du Fujian et du Guangdong, comme toutes les autres en Chine, sont exposées au risque terrifiant d’être fermées, ou de voir leurs membres subir des sanctions. Il est certain que la liberté de culte n’est pas respectée dans ces provinces, étant donné qu’elle ne l’est pas dans le reste du pays.

[34]           Le demandeur cite également la décision Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 65, où le juge Michel Shore a ainsi statué :

La destruction de maisons-églises au Fujian est en soi la preuve que les autorités chinoises de la province ne permettent pas aux chrétiens de pratiquer leur religion librement. La liberté de religion comprend le droit des personnes d’exercer publiquement leur culte, individuellement ou collectivement, pourvu que la façon choisie pour le faire n’interfère pas avec les droits fondamentaux d’autrui. En détruisant des maisons-églises, le gouvernement chinois porte atteinte à ce droit et inflige une persécution religieuse.

 

[35]           La SPR a commis une erreur lorsqu’elle s’est appuyée sur l’absence de preuve relativement aux arrestations au Fujian sans regarder l’ensemble du tableau qui lui était présenté. Le demandeur invoque la décision Liu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 135, où le juge James O’Reilly a ainsi statué, au paragraphe 13 :

Vu la nature équivoque de la preuve documentaire, il était important que la Commission mentionne et apprécie tant la preuve à l’appui de la demande de Mme Liu que la preuve contradictoire. Compte tenu de l’ensemble des conclusions tirées par la Commission, je dois conclure que sa décision était déraisonnable.

[36]           Les éléments de preuve documentaire que le demandeur a présentés tendaient à indiquer l’existence d’un risque de persécution à l’avenir, de sorte qu’il était déraisonnable que la SPR en conclue autrement en s’appuyant uniquement sur le CND.

Le défendeur

                        La conclusion de la SPR quant à la crédibilité était raisonnable

 

[37]           Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR selon laquelle le récit du demandeur n’était pas crédible était étayée par la prépondérance des éléments de preuve dont elle disposait. Le défendeur affirme également que les éléments de preuve que le demandeur a présentés n’étaient pas suffisants pour établir un risque de persécution ou de préjudice dans la province du Fujian.

[38]           Dans la décision Zaree c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 889, le juge Luc Martineau a affirmé ce qui suit, au paragraphe 6 :

Il va sans dire que l’évaluation de la crédibilité du demandeur d’asile est au cœur de l’expertise du tribunal et que la Cour doit traiter ce genre de détermination avec une grande déférence (Zheng c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 673 au para 1).

 

[39]           Le défendeur s’appuie sur la décision Zaree pour affirmer que la Cour devrait faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR concernant la crédibilité.

Il n’y a pas de possibilité sérieuse de persécution

[40]           Lorsqu’elle a conclu que le risque auquel le demandeur serait exposé dans la province du Fujian serait faible, la SPR a préféré certains éléments de preuve à d’autres. Or, les décisions Awolaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1240, Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1013, et Zhou c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 1087, établissent toutes que la SPR est bien fondée à préférer des éléments de preuve fiables et indépendants au témoignage d’un demandeur. En l’espèce, la SPR a tiré cinq conclusions fondées sur la preuve documentaire indépendante qui démontrait le risque auquel le demandeur serait exposé dans la province du Fujian :

a)                  Aucune arrestation de chrétiens au Fujian n’était rapportée;

b)                  La situation au Fujian ne s’apparente pas à la situation dans d’autres provinces;

c)                  Le Fujian et le Guangdong ont la politique la plus libérale en matière de religion, y compris à l’égard du christianisme;

d)                  La plupart des églises non enregistrées en RPC ne mènent plus leurs activités dans la clandestinité;

e)                  50 à 70 millions de chrétiens pratiquent leur religion en RPC sans être inquiétés.

 

[41]           À l’audience, le demandeur a eu l’occasion de faire valoir son point de vue au sujet des éléments de preuve documentaire contradictoires, mais il a seulement réitéré sa position selon laquelle ce qu’il avait dit lui être arrivé était bel et bien arrivé. Les éléments de preuve précisaient où il y avait de la persécution en RPC, de sorte qu’il était raisonnable que la SPR conclue que les arrestations ou la persécution au Fujian seraient documentées. La Cour a approuvé ce point de vue dans plusieurs décisions (voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 941, Wang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 636, et Yang, précitée).

[42]           Bien que l’affirmation de la SPR au paragraphe 8 prête à confusion, cette confusion découle seulement d’une erreur typographique. Lorsque la décision est lue comme un tout, les motifs de la SPR sont clairs et raisonnables.

La SPR n’a pas fait abstraction d’éléments de preuve

[43]           Bien que le demandeur ait affirmé que la SPR avait fait abstraction de la lettre de M. Fu, la SPR a clairement fait allusion à cette lettre dans sa décision. Comme la SPR l’a dit au paragraphe 15 de la décision, « selon des rapports et des lettres de l’[A]ssociation […], les cas de persécution et de répression religieuse qui se sont produits dans chaque province de la Chine, y compris les provinces du Guangdong et du Fujian n’ont pas tous été documentés ». La SPR a expliqué en quoi les éléments de preuve de l’Association ne contredisaient pas ses conclusions quant au risque. En outre, cette lettre ne réfutait pas directement sa conclusion, de sorte que la SPR n’était pas tenue d’en traiter expressément. Le défendeur invoque la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-3500-11 (inédite), où le juge Robert Barnes a affirmé, à la page 3 :

[TRADUCTION]

La Commission n’a pas dit que les catholiques romains ne couraient aucun risque de persécution religieuse dans la province du Fujian. Elle a simplement observé qu’il n’y avait aucune preuve d’arrestations ou d’incidents de persécution récents dans cette partie précise de la Chine. La preuve relative à la situation dans le pays que Mme Zhang a invoquée ne contredit pas cette conclusion. La lettre de l’Association d’aide à la Chine, datée du 21 février 2009, et la Réponse à une demande d’information de la Commission de juillet 2010 ne disaient rien au sujet d’arrestations ou d’autres formes de persécution dans cette partie de la Chine, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de mentionner ces documents : voir Yang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1274, aux paragraphes 39 et 40.

[44]           Le défendeur invoque également la décision Florea c Canada (Ministre de L’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598, au soutien de sa prétention selon laquelle la SPR est présumée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve dont elle disposait. Le défendeur affirme que cette présomption s’applique à la RDI CHN103500.E, dont le demandeur dit que la SPR a fait fi. Le défendeur fait également remarquer que le passage de ce document que le demandeur a souligné dans son argumentation émane du directeur de l’Association et ne fait que réitérer les renseignements exposés dans la lettre de l’Association que la SPR a expressément mentionnée et rejetée dans la décision.

[45]           Bien que le demandeur invoque la décision Liang, précitée, pour démontrer que les chrétiens dans la province du Fujian sont exposés au risque d’être persécutés, le défendeur cite la décision He c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1199, où le juge David Near a statué, au paragraphe 14 :

Le défendeur affirme que la demanderesse a tort de se fonder sur le jugement Liang, précité. Dans des décisions subséquentes dans lesquelles la Cour a examiné le jugement Liang, il a été souligné que chaque cas est un cas d’espèce et que l’issue de chaque cas dépend de l’appréciation qu’en fait la Commission (voir, par exemple, le jugement Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 941, 2011 CarswellNat 2977, au paragraphe 47; Yang, précité). Le jugement Yang ne saurait être considéré comme un précédent qui s’applique de façon générale à tous les demandeurs chinois qui affirment être persécutés pour des raisons d’ordre religieux lorsque le litige porte sur la question de savoir si l’on a accordé suffisamment de poids à des renseignements précis portant sur des églises clandestines.

[46]           Les faits de la présente affaire sont différents de ceux de l’affaire Liang, de sorte qu’il était raisonnable que la SPR conclue que le risque auquel le demandeur serait exposé serait faible. La SPR s’est concentrée raisonnablement sur la preuve documentaire qui démontrait le risque auquel les chrétiens faisaient face dans la province du Fujian.

 

Les documents relatifs aux arrestations n’étaient pas crédibles

[47]           Le défendeur note que la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de l’appréciation que la SPR a faite des éléments de preuve dont elle disposait. Cette retenue s’impose notamment à l’égard des conclusions concernant la crédibilité de documents. Lorsqu’elle examine des documents, il est acceptable que la SPR s’appuie sur sa connaissance de la disponibilité de documents frauduleux pour apprécier la crédibilité. Comme le juge Near l’a affirmé dans la décision Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 183, au paragraphe 21 :

[…] Bien qu’il n’y ait pas de présomption de fraude si aucune autre preuve relatif à l’authenticité d’un document n’est produite, la Commission a le droit de se fonder sur sa connaissance de la possibilité de se procurer des faux documents dans une région donnée pour mettre en doute la valeur probante des documents en question (voir Gasparyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1103; 2003 CF 863, au paragraphe 7). Il incombe au demandeur d’étayer sa revendication du statut de réfugié et de fournir la documentation nécessaire (voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 911, 2001 CFPI 590, au paragraphe 21; Gasparyan, précitée, au paragraphe 9). Par conséquent, la Cour fera preuve de retenue à l’égard de cette partie de la décision de la Commission, et la considérera raisonnable.

 

[48]           En l’espèce, la SPR a fondé sur les trois faits suivants sa conclusion selon laquelle les documents que le demandeur avait présentés pour prouver son récit étaient frauduleux :

a)                  N’importe quel document peut être contrefait en RPC;

b)                  Les documents de la RPC ne sont pas fiables et sont présumés être frauduleux;

c)                  N’importe quel document peut être acheté en RPC.

 

[49]           Ces faits constituaient un fondement raisonnable à la conclusion de la SPR selon laquelle les documents du demandeur étaient frauduleux, de sorte que les conclusions de la SPR ne devraient pas être modifiées.

 

La preuve d’un risque personnel est insuffisante

[50]           Le seul élément de preuve dont disposait la SPR qui démontrait le risque de persécution auquel le demandeur serait exposé dans la province du Fujian était un certificat de détention de la ville de Fu Zhou qui disait que la cause contre lui avait été rejetée. À l’audience, le demandeur a affirmé que cela signifiait qu’il était libre de partir, mais qu’il devait tout de même se présenter au BSP chaque semaine. Lorsque la SPR a demandé au demandeur comment il avait su que le BSP le recherchait encore, le demandeur a affirmé que sa sœur le lui avait dit, mais il a été incapable de produire un document ou une sommation prévoyant son arrestation. Les éléments de preuve qu’il a présentés pour démontrer le risque auquel il serait exposé dans la province du Fujian étaient insuffisants, de sorte que la conclusion de la SPR selon laquelle il n’y avait pas de possibilité sérieuse que le demandeur soit persécuté était raisonnable.

ANALYSE

[51]           La décision comporte plusieurs affirmations extrêmement intrigantes. Je trouve les paragraphes 8 et 22 difficiles à comprendre. Même si je devais admettre la position du défendeur selon laquelle le paragraphe 8 ne comporte rien de plus que des erreurs typographiques qui exigent que les mots [TRADUCTION] « ne […] pas » soient insérés trois fois, je ne comprends toujours pas pourquoi les documents mentionnés au paragraphe 22 « ne renforcent pas la vraisemblance de la descente, la détention subséquente et la condamnation de ses parents » si ce n’est parce qu’ils sont rejetés au motif que des documents frauduleux sont faciles à obtenir en Chine. À l’instar du demandeur, je crains que la décision, lorsqu’elle est lue comme un tout, ne semble fondée entièrement sur la pochette d’information de la SPR elle-même et que les éléments de preuve que le demandeur a présentés n’aient jamais vraiment été appréciés comme tels sur le fond.

[52]           J’estime que le traitement que la SPR a réservé à la preuve documentaire produite par le demandeur au soutien de son récit était déraisonnable.

[53]           Les allégations du demandeur selon lesquelles il avait été détenu, interrogé puis forcé de payer un cautionnement et de se présenter aux autorités étaient au cœur de sa demande. Au soutien de ces allégations, il a produit plusieurs documents, mais la SPR les a rejetés d’emblée, parce qu’une des RDI dont elle disposait indiquait qu’il était facile de se procurer des documents frauduleux en RPC. Le simple fait que des documents frauduleux soient faciles à obtenir en RPC n’implique pas nécessairement, à lui seul, que les documents du demandeur étaient frauduleux. Comme le juge Konrad von Finckenstein l’a dit dans la décision Cheema c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2004 CF 224, au paragraphe 7 :

Les documents produits par le demandeur peuvent fort bien être des faux. Toutefois, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents dans un pays n’est pas en soi suffisante pour justifier le rejet de documents étrangers au motif qu’il s’agit de faux. Comme l’a souligné le défendeur, la preuve d’une pratique répandue de fabrication de faux documents démontre uniquement que le demandeur pouvait se procurer des faux documents.

 

 

[54]           Le raisonnement de la SPR impliquerait que même des documents authentiques ne seraient pas acceptables. Le fait que des documents non authentiques soient disponibles ne dispense pas la SPR de l’obligation de déterminer si des documents précis présentés par un demandeur sont authentiques ou non. Le défendeur soutient que le motif des « faux documents » ne fait qu’étayer la conclusion antérieure de la SPR selon laquelle les éléments de preuve du demandeur ne sont pas acceptables, parce qu’ils ne sont pas étayés par les éléments de preuve objective mentionnés par la SPR. À mon avis, cela voudrait dire que la SPR aurait exclu des éléments de preuve au seul motif qu’ils contredisaient sa propre pochette d’information, et non parce qu’ils comportaient quelque vice inhérent.

[55]           Je crains que la SPR ne semble pas avoir accordé la moindre attention aux documents présentés par le demandeur. La SPR doit analyser tous les éléments de preuve dont elle dispose et peser les pour et les contre (voir la décision Liu, précitée, au paragraphe 13). Il se peut bien qu’il soit facile de se procurer des documents frauduleux en RPC. Cependant, il ne s’ensuit pas que tous les documents qui proviennent de la RPC sont nécessairement frauduleux. La SPR était tenue d’examiner et de soupeser les documents précis qui lui avaient été présentés plutôt que de les rejeter tout simplement d’entrée de jeu.

[56]           Le caractère déraisonnable du traitement que la SPR a réservé à la preuve documentaire présentée par le demandeur devient évident lorsque l’on considère deux conclusions distinctes que la SPR a tirées au sujet des documents du demandeur. Au paragraphe 4 de la décision, la SPR :

estime que le [demandeur] est citoyen de la RPC. Sa citoyenneté a été établie au moyen de copies certifiées conformes de son passeport et de sa carte d’identité de résident.

 

 

[57]           Plus loin dans la décision, la SPR conclut que les documents que le demandeur a présentés pour prouver ses allégations d’arrestation et de détention sont frauduleux et n’étayent pas son récit, parce que les documents de la RPC sont présumés être frauduleux, n’importe quel document peut être contrefait en RPC et la vérification de documents est difficile. Il manque à la décision toute analyse expliquant en quoi les deux ensembles de documents sont différents.

[58]           Le passeport et la CIR du demandeur provenaient de la même RPC que les documents qu’il a présentés pour prouver son récit. Il se peut bien que la SPR ait eu de bonnes raisons d’admettre les pièces d’identité tout en rejetant les autres documents, mais la décision n’indique pas clairement quelles étaient ces raisons. De plus, il n’y a rien au dossier dont la Cour puisse se servir pour compléter les motifs de la SPR (voir Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 15). Le demandeur et la Cour en sont donc réduits à spéculer quant à savoir comment la SPR en est arrivée à sa décision quant à l’authenticité des documents du demandeur, ce qui rend cette décision fragile et exige qu’elle soit renvoyée pour nouvel examen.

[59]           Le récit que le demandeur a fait de son arrestation et de sa détention était très important au regard de sa demande d’asile. Si ce récit est crédible, cela jette un doute sur l’analyse de la SPR selon laquelle il n’y a aucune preuve d’arrestation et de persécution de chrétiens au Fujian qui puisse étayer une décision favorable en vertu de l’article 96. Subsidiairement, cela pourrait démontrer l’existence d’un risque de préjudice à l’avenir au titre de l’article 97.

[60]           Cette question est tellement centrale qu’il n’est pas nécessaire de traiter des autres questions soulevées. La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et la décision sera renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SPR.

[61]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un tribunal différemment constitué de la SPR.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4437-11

 

INTITULÉ :                                       SHOU GUI LIN

                                                            -   et   -

 

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 10 janvier 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              M. LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 février 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lindsey Weppler                                                                                  DEMANDEUR

Mandataire de Jacqueline Lewis

 

Lucan Gregory                                                                                     DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Blanshay & Lewis                                                                                 DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                             DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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