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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120119

Dossier : T-127-11

Référence : 2012 CF 79

Ottawa (Ontario), le 19 janvier 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

EUGENIO REDA

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision datée du 29 décembre 2010 rendue par la directrice du Centre régional de Réception pour le Québec (la directrice) du Service correctionnel du Canada (SCC), ordonnant le placement du demandeur dans un pénitencier  à sécurité moyenne. La demande est également assortie d’une conclusion de la nature d’une demande de mandamus dans laquelle le demandeur demande à la Cour d’ordonner son transfert dans un établissement à sécurité minimale.

 

[2]               La demande conteste la décision qui lui impose un placement dans un pénitencier de sécurité moyenne (établissement de Cowansville), mais cette décision est intimement liée à la décision qui a été prise de lui attribuer une cote de sécurité moyenne. Ces deux décisions sont distinctes, mais elles ont été prises par la même personne, la même journée, et elles sont fondées sur une évaluation en vue d’une décision qui traitait à la fois de la cote de sécurité du demandeur et de son placement pénitentiaire. Aucune objection n’a été soulevée relativement au fait que la seule décision contestée avait trait au placement pénitentiaire du demandeur bien que les principaux arguments du demandeur ont trait à la décision relative à sa cote de sécurité. En l’absence de contestation et étant donné que les deux décisions sont intimement reliées, je traiterai des arguments relatifs aux deux décisions.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I. Contexte

[4]               Le demandeur a été déclaré coupable d’avoir participé à deux complots pour importation de cocaïne au bénéfice d’une organisation criminelle. À l’époque des événements ayant mené à sa condamnation, il travaillait à l’aéroport de Montréal comme superviseur d’opération pour une compagnie aérienne. Il a participé à l’opération d’importation de drogue à la demande d’un cousin qui travaillait pour la même compagnie. Son rôle dans l’opération consistait à surveiller les vols identifiés par son cousin pour déterminer s’ils étaient l’objet de surveillance policière. Il modifiait également l’horaire de travail de son cousin afin de faciliter la récupération de la drogue. Son implication a duré près d’un an.

 

[5]               Le demandeur a été arrêté le 22 novembre 2006 dans le cadre de l’opération « Colisée » destinée à combattre le crime organisé italien. Il a par la suite été remis en liberté et l’est demeuré jusqu’au prononcé de sa sentence le 2 septembre 2011. Il purge, depuis cette date, une peine d’incarcération de six ans et neuf mois.  

 

[6]               Comme tout nouveau détenu, le demandeur a fait l’objet d’une évaluation aux fins de déterminer sa cote de sécurité en vue de le diriger vers l’établissement qui correspond le mieux à ses besoins et qui assure le mieux la protection de la société.

 

[7]               Dans le cadre de ce processus, un agent du SCC a d’abord complété l’échelle de classement par niveau de sécurité qui a mené à un pointage correspondant à une classification de sécurité moyenne.

 

[8]               Le 3 décembre 2010, l’équipe de gestion de cas du demandeur a procédé à l’analyse de son dossier et, dans son évaluation en vue d’une décision, elle a recommandé qu’une cote de sécurité moyenne lui soit attribuée et qu’il soit placé à l’établissement de Cowansville.

 

[9]               L’équipe de gestion de cas a également complété le profil criminel du demandeur et préparé un plan correctionnel initial.

 

[10]           Le 29 décembre 2010, la directrice a entériné la recommandation de l’équipe de gestion de cas et attribué au demandeur une cote de sécurité moyenne. Elle a, à la même date, rendue une deuxième décision ordonnant son placement à l’établissement de Cowansville.

 

II. Questions en litige

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève la question relative au caractère raisonnable de la décision de la directrice d’ordonner le placement du demandeur à l’établissement de sécurité moyenne de Cowansville.

 

[12]           Toutefois, j’examinerai d’abord s’il est approprié que j’exerce ma discrétion judiciaire de disposer de la présente demande étant donné que le demandeur a saisi la Cour directement, sans se prévaloir au préalable du processus interne de plaintes et de griefs. Cette question n’avait pas été soulevée par le défendeur et elle a été abordée par les parties à l’audience après que j’eus émis une directive dans ce sens le 28 novembre 2011.

 

A. La Cour devrait-elle traiter la présente demande de contrôle judiciaire?

[13]           Il est établi depuis longtemps que la Cour peut exercer sa discrétion de ne pas entendre une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision s’il existait une autre voie de recours appropriée dont le demandeur aurait pu se prévaloir avant de saisir la Cour (Harelkin c Université de Régina, [1979] 2 RCS 561, 26 NR 364. Dans C.B. Powell Ltd. c Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 61, 200 NR 367, la Cour d’appel fédérale a bien énoncé la doctrine de l’épuisement des recours :

31        La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l'épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l'objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s'adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s'ensuit qu'à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n'est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n'ouvre aucun recours efficace qu'il est possible de soumettre l'affaire aux tribunaux. En d'autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n'a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

 

32        On évite ainsi le fractionnement du processus administratif et le morcellement du processus judiciaire, on élimine les coûts élevés et les délais importants entraînés par une intervention prématurée des tribunaux et on évite le gaspillage que cause un contrôle judiciaire interlocutoire alors que l'auteur de la demande de contrôle judiciaire est de toute façon susceptible d'obtenir gain de cause au terme du processus administratif (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 38, Aéroport international du Grand Moncton. c. Alliance de la fonction publique du Canada, 2008 CAF 68, paragraphe 1; Ontario College of Art c. Ontario (Human Rights Commission) (1992), 99 D.L.R. (4th) 738 (Cour div. Ont.). De plus, ce n'est qu'à la fin du processus administratif que la cour de révision aura en mains toutes les conclusions du décideur administratif. Or, ces conclusions se caractérisent souvent par le recours à des connaissances spécialisées, par des décisions de principe légitimes et par une précieuse expérience en matière réglementaire (voir, par ex. Consolidated Maybrun, précité, paragraphe 43, Delmas c. Vancouver Stock Exchange (1994), 119 D.L.R. (4th) 136 (C.S. C.-B.) conf. par (1995), 130 D.L.R. (4th) 461 (C.A.C.-B.), et Jafine c. College of Veterinarians (Ontario) (1991), 5 O.R. (3d) 439 (Div. gén.)). Enfin, cette façon de voir s'accorde avec le concept du respect des tribunaux judiciaires envers les décideurs administratifs qui, au même titre que les juges, doivent s'acquitter de certaines responsabilités décisionnelles (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, paragraphe 48).

 

 

[14]           En l’espèce, le défendeur a soutenu, après que j’eus soulevé cette question préliminaire, que je devrais refuser de trancher la demande de contrôle judiciaire au motif que le demandeur ne s’était pas prévalu de la procédure interne de règlement des griefs des détenus qui constituait une voie de recours appropriée. Il a appuyé sa décision sur les affaires suivantes : St-Amand c Canada (Procureur général) (2000), 147 CCC (3d) 48, (disponible sur CanLII) (QC CA); Bordage c Cloutier (2000), 204 FTR 133, 104 ACWS (3d) 869 (CF 1re inst) et Marleau c Canada (Procureur général), 2011 CF 1149 (disponible sur CanLII).

 

[15]           Le demandeur a, pour sa part, soutenu qu’il pouvait déposer une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la directrice sans avoir à déposer un grief et à suivre le processus interne de règlement des griefs. Il appui sa proposition sur l’article 81 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620 [le Règlement] et sur l’arrêt May c Établissement Ferndale, 2005 CSC 82, [2005] 3 RCS 809 [May]. Il soutient que la Cour suprême a reconnu dans cette affaire que l’article 81 du Règlement donnait à un détenu qui conteste une décision touchant à sa liberté résiduelle, le choix de déposer un grief ou de contester la décision en cause directement devant la cour. Il soutient également que la Cour suprême a déterminé que la procédure interne de règlement des griefs n’était pas une autre voie de recours appropriée. Le demandeur a ajouté que ses commentaires en réponse à la recommandation en vue d’une décision préparée par l’équipe de gestion doit être considérée comme une plainte et qu’il n’avait pas l’obligation d’aller plus loin en déposant un grief.

 

[16]           Il convient d’examiner la procédure de règlement des griefs accessible aux détenus. L’article 90 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20 [la Loi] prévoit l’établissement, par règlement, d’une procédure de griefs sur des questions relevant du commissaire. L’article précise qu’il doit s’agir d’une « procédure de règlement juste et expéditif des griefs ». L’article 91 de la Loi prévoit que tous les délinquants doivent avoir libre accès à la procédure de griefs sans craindre de subir des représailles.

 

[17]           La procédure de règlement des griefs est prévue aux articles 74 à 82 du Règlement. Il s’agit d’un processus administratif qui comprend quatre paliers. Le délinquant qui est insatisfait d’une décision ou d’une action d’un employé du SCC à son endroit, doit d'abord présenter une plainte au supérieur de cet employé. Lorsque le supérieur de l’employé en cause refuse d’examiner la plainte ou si la décision du supérieur ne satisfait pas le délinquant, il peut alors présenter un grief. La procédure de règlement des griefs comprend ensuite trois paliers, la décision du commissaire du SCC ou de son représentant constituant le dernier palier.

 

[18]           La procédure de règlement des griefs est également encadrée par la Directive du commissaire 081 [la Directive]. L’article 31 de la Directive prescrit le classement des plaintes et griefs en fonction de leur niveau de priorité. Les griefs prioritaires sont traités, à chaque étape de la procédure, suivant des délais plus courts. L’article 32 de la Directive prévoit que les plaintes et les griefs qui ont une incidence considérable sur les droits et libertés d’un délinquant sont classés comme étant prioritaires. 

 

[19]           L’article 30 de la Directive annonce la possibilité pour le délinquant qui n’est pas satisfait de la décision rendue au terme de la procédure de faire une demande de contrôle judiciaire devant la présente Cour :

30. Le plaignant qui n’est pas satisfait de la décision finale rendue dans le cadre du processus de règlement des plaintes et griefs peut faire une demande de révision judiciaire de cette décision à la Cour fédérale dans les délais prescrits au paragraphe 18.1 (2) de la Loi sur les Cours fédérales.

 

 

[20]           L’article 81 du Règlement, sur lequel le demandeur appuie sa prétention, se lit comme suit :

81. (1) Lorsque le délinquant décide de prendre un recours judiciaire concernant la plainte ou son grief, en plus de présenter une plainte ou un grief selon la procédure prévue dans le présent règlement, l’examen de la plainte ou du grief conformément au présent règlement est suspendu jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue dans le recours judiciaire ou que le détenu d’en désiste.

 

[21]           La Directive définit le « recours judiciaire » comme suit :

18. Recours judiciaire : procédure engagée devant une cour de justice ou un tribunal administratif (comme la Commission canadienne des droits de la personne) ou plainte déposée devant un organisme de surveillance comme le Commissariat à la protection de la vie privée, le Commissariat à l’accès à l’information ou le Commissariat aux langues officielles; n’inclut pas les plaintes déposées devant l’enquêteur correctionnel.

 

 

[22]           L’article 78 de la Directive informe par ailleurs les plaignants de la possibilité que certains tribunaux ou organismes exigent que le plaignant épuise d’abord les recours internes. Cet article se lit comme suit :

78. Le plaignant devrait être avisé que certains tribunaux ou organismes qui offrent des recours judiciaires peuvent exiger qu’il épuise tous les recours internes, notamment le processus de règlement des plaintes et griefs, avant d’accepter d’examiner la question ou de faire enquête.

 

 

[23]           Le mécanisme de règlement des griefs du SCC a traditionnellement été reconnu par notre Cour comme étant une voie de recours appropriée et la Cour a généralement refusé de traiter des demandes de contrôle judiciaire lorsqu’un demandeur ne s’était pas d’abord prévalu de la procédure interne de règlement des griefs ou n’avait pas épuisé cette procédure. Dans Giesbrecht c Canada, 148 FTR 81, 10 Admin. L.R. (3d) 246 [Giesbrecht], le juge Rothstein, alors qu’il était à la Cour fédérale, a traité une demande de contrôle judiciaire dans un contexte similaire à celui en l’espèce. Le demandeur contestait son transfert involontaire d’un pénitencier à sécurité moyenne vers un pénitencier à sécurité maximum. Il avait déposé un grief en plus de demander le contrôle judiciaire de la décision ordonnant son transfert. La question préliminaire de savoir si la procédure de règlement des griefs constituait une autre voie de recours qui devait être épuisée avant toute demande de contrôle judiciaire s’est posée. Tout comme en l’espèce, le demandeur invoquait que l’article 81 du Règlement lui donnait le choix de se prévaloir de l’un ou l’autre des recours. Le juge Rothstein a rejeté cet argument et il a décidé de ne pas entendre la demande de contrôle judiciaire. Son raisonnement est bien expliqué dans l’extrait suivant du jugement :

10        À première vue, le régime législatif régissant les griefs constitue un [sic] autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. Les griefs doivent être traités rapidement et les directives du commissaire fixent des délais. Rien ne laisse croire que ce processus est coûteux. Il est probablement même moins coûteux et plus simple qu'une procédure de contrôle judiciaire. Un détenu peut interjeter appel d'une décision sur le fond au moyen de la procédure de grief et un tribunal d'appel peut substituer sa décision à celle du tribunal dont la décision est contestée. Le contrôle judiciaire ne vise pas le fond de la décision et une issue favorable au détenu aurait simplement pour conséquence de renvoyer l'affaire pour que le tribunal dont la décision a été contestée en rende une nouvelle.

 

11        L'avocat du demandeur a soutenu que la procédure de grief ne constitue pas une autre voie de recours appropriée pour le demandeur en raison du paragraphe 81(1) du Règlement :

 

. . .

 

L'avocat a fait valoir qu'après le dépôt de la demande de contrôle judiciaire, le grief déposé auprès du sous-commissaire régional devait être suspendu jusqu'à ce qu'une décision sur la demande de contrôle judiciaire soit rendue; selon lui, la procédure de grief ne constituait donc pas une autre voie de recours appropriée.

 

12        Dans l'affaire Hutton c. Canada (Chef d'état-major de la défense) (1997), 135 F.T.R. 123, j'ai conclu qu'une plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne emportait la suspension de la procédure interne de règlement des griefs des Forces armées, en raison d'une disposition semblable au paragraphe 81(1) du Règlement. Dans cette cause, j'ai conclu qu'en raison de la plainte déposée devant la Commission des droits de la personne, la procédure interne de règlement des griefs ne constituait pas une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire parce que le dépôt de la plainte en matière de droits de la personne faisait obstacle à la procédure interne de règlement des griefs, alors que le contrôle judiciaire pouvait suivre son cours. Toutefois, l'affaire Hutton portait sur une situation exceptionnelle et j'ai exprimé ma préoccupation concernant la nécessité d'empêcher un demandeur de pouvoir jouer à sa guise avec l'obligation d'épuiser ses autres voies de recours appropriées avant de demander le contrôle judiciaire d'une décision.

 

13        En l'espèce, c'est le dépôt de la demande de contrôle judiciaire qui a empêché le grief de suivre son cours en raison du paragraphe 81(1). Toutefois, la Cour a une emprise sur la demande de contrôle judiciaire, alors qu'elle n'avait aucun pouvoir sur la procédure devant la Commission canadienne des droits de la personne dans l'affaire Hutton. Il serait anormal qu'un demandeur puisse, en déposant une demande de contrôle judiciaire, s'arroger le pouvoir de décider si une procédure de règlement de griefs constitue une autre voie de recours appropriée. C'est à la Cour qu'appartient cette décision. Le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire et la Cour ne peut être empêchée de décider qu'il existe une autre voie de recours appropriée simplement parce qu'un demandeur a déposé une demande de contrôle judiciaire. Le paragraphe 81(1) du Règlement ne vise pas à permettre de déroger au pouvoir discrétionnaire de la Cour à cet égard. Il s'agit simplement d'un sursis légal de la procédure de règlement des griefs lorsqu'une autre procédure est engagée afin d'éviter que plusieurs instances se déroulent en même temps relativement à la même affaire. Le paragraphe 81(1) ne fait pas obstacle à la procédure de règlement des griefs si la Cour conclut qu'il s'agit d'une autre voie de recours appropriée et qu'elle rejette la demande de contrôle judiciaire. L'argument du demandeur ne peut donc être retenu.  

 

14        Aucun élément porté à l'attention de la Cour ne laisse croire que la procédure interne de règlement des griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement d'application ne constitue pas une autre voie de recours appropriée par rapport au contrôle judiciaire. La décision définitive rendue à l'issue de la procédure de règlement des griefs pourrait bien sûr faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

 

[Je souligne]

 

 

[24]           Appliquant les principes énoncés dans Giesbrecht, le juge Pinard a lui aussi refusé de traiter une demande de contrôle judiciaire dans Condo c Canada (Procureur général), 2003 CFPI 60 (disponible sur CanLII); ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel fédérale dans Condo c Canada (Procureur général), 2003 CAF 99, 239 FTR 158, et la Cour d’appel a entériné les principes énoncés dans Giesbrecht

 

[25]           Ces jugements ont par ailleurs été rendus avant l’arrêt May. Le demandeur appuie sa position sur May et, tel qu’indiqué précédemment, il soutient que dans cette affaire la Cour suprême a reconnu que la procédure interne de griefs du SCC n’était pas une autre voie de recours appropriée et que l’article 81 du Règlement donnait au demandeur la possibilité de se prévaloir du recours de son choix. Dans May, les demandeurs, qui étaient tous des détenus purgeant des peines d’emprisonnement à perpétuité, contestaient leur transfert d’un établissement à sécurité minimale vers un établissement à sécurité moyenne, après que leur cote de sécurité eut été réévaluée suivant une nouvelle échelle de réévaluation informatisée. Les détenus ont contesté leur transfert par le biais d’une demande devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique en habeas corpus assortie d’une demande de certiorari auxiliaire visant à ordonner au SCC de les ramener dans un établissement à sécurité minimale. Ils ont également déposé des griefs en vertu de la procédure interne de règlement des griefs. S’en est suivi un débat sur la question de savoir si la Cour suprême de la Colombie‑Britannique aurait dû refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus et reconnaître la compétence exclusive de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions d’offices fédéraux. Il s’agissait donc d’un débat relatif à la compétence concurrente d’une Cour supérieure provinciale en matière d’habeas corpus et celle de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire.

 

[26]            La Cour suprême a conclu que les détenus contestaient la légalité d’une décision qui touchait leur liberté résiduelle et que, par conséquent, ils pouvaient contester la légalité d’une telle décision soit devant la Cour supérieure par voie d’habeas corpus, soit devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. La Cour a déterminé qu’une Cour supérieure ne devait pas refuser d’exercer sa compétence en matière d’habeas corpus au motif qu’il existe une autre voie de recours plus commode. La Cour a énoncé, au paragraphe 50 des motifs de la majorité, les deux seules circonstances dans la cadre desquelles une Cour supérieure devrait décliner compétence en matière d’habeas corpus :

. . . En application des décisions de notre Cour, les cours supérieures provinciales ne devraient décliner compétence en matière d'habeas corpus que (1) lorsqu'une loi comme le Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, investit une cour d'appel de la compétence de corriger les erreurs d'un tribunal inférieur et de libérer le demandeur au besoin, ou (2) lorsque le législateur a mis en place une procédure d'examen complet, exhaustif et spécialisé d'une décision administrative.

 

[Je souligne]

 

[27]           La Cour a donné comme exemple d’une telle procédure, le régime de contestation établi en matière d’immigration qui a été reconnu comme offrant un processus aussi large et avantageux que le bref d’habeas corpus. La Cour a jugé que ce n’était pas le cas de la procédure de règlement des griefs mise en place dans le milieu carcéral fédéral. Elle a donc jugé que la deuxième exception à la compétence des Cours supérieures en matière d’habeas corpus ne s’appliquait pas parce que le législateur n’avait pas établi « des procédures d’examen complet, exhaustif et spécialisé des décisions touchant l’incarcération des détenus. » (para 51).

 

[28]           Je suis d’avis que les principes énoncés dans May n’ont pas pour effet de donner à l’article 81 du Règlement une portée aussi large que celle que lui donne le demandeur, ni de donner au demandeur le choix de contester une décision administrative par le biais d’une demande de contrôle judiciaire sans d’abord se prévaloir de la procédure de règlement des griefs. Il est important de conserver à l’esprit que le débat dans May avait trait aux compétences respectives des Cours supérieures en matière d’habeas corpus et de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire des décisions des organismes fédéraux. La Cour suprême a analysé le régime de règlement des griefs en milieu carcéral et conclu qu’il ne possédait pas les caractéristiques requises pour justifier que les Cours supérieures refusent d’exercer leur compétence en matière d’habeas corpus. La Cour a fondé son raisonnement entre autre sur l’importance traditionnelle du recours en habeas corpus comme moyen traditionnel de contester les privations de libertés (para 67). Examinant l’article 81 du Règlement, la Cour a conclu qu’il s’agissait d’une indication que le « gouverneur en conseil, l’autorité de réglementation, n’avait pas l’intention de donner à la procédure de grief préséance sur la compétence des cours supérieures en matière d’habeas corpus ». (para 60) ». La Cour s’est exprimée comme suit au para 61:

Cette disposition indique clairement que l'autorité de réglementation a envisagé la possibilité qu'un détenu choisisse d'intenter un recours judiciaire, comme un recours en habeas corpus, en plus de déposer un grief en vertu du Règlement. Le recours judiciaire supplante la procédure de grief. [...]

 

[29]           À mon avis, cet énoncé n’a pas pour effet d’écarter la doctrine de l’épuisement des recours lorsqu’un demandeur choisit non pas la voie de l’habeas corpus, mais celle du contrôle judiciaire. Le cas échéant, à moins de circonstances exceptionnelles, et à moins que le recours administratif ne constitue pas une voie de recours appropriée, le demandeur doit d’abord épuiser ses recours internes avant de demander un contrôle judiciaire; la demande de contrôle judiciaire doit viser la décision prise au dernier palier de la procédure interne et non celle qui pouvait être contestée par le biais de mécanismes internes. J’estime que l’interprétation donnée à l’article 81du Règlement par le Juge Rothstein dans Giesbrecht est toujours valable et que May n’y a rien changé.

 

[30]           Je souscris à cet égard aux propos de la Juge Dawson, alors qu’elle était à la Cour fédérale,  dans McMaster c Canada (Procureur général), 2008 CF 647, 334 FTR 240, qui était saisie de la même question que celle en l’espèce :

27        Je conviens qu'en règle générale la procédure interne de règlement des griefs devrait être épuisée avant qu'un détenu ne sollicite un contrôle judiciaire. De solides raisons de principe militent en faveur de cette approche. Cela dit, je conviens également qu'en présence de questions importantes et urgentes et de l'évidence du caractère inapproprié de la procédure de règlement des griefs, la Cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire d'entendre une demande. Voir par exemple Gates c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 1359, au paragraphe 18 (QL).

 

28        En l'espèce, l'avocat de M. McMaster soutient que dans l'arrêt May c. Ferndale Institution, [2005] 3 R.C.S. 809, la Cour suprême du Canada a en fait infirmé la jurisprudence antérieure de la Cour selon laquelle la Cour avait le pouvoir discrétionnaire de refuser d'exercer sa compétence en matière de contrôle judiciaire lorsque la procédure interne de règlement des griefs n'était pas épuisée. Il prétend également que la procédure de règlement des griefs n'offre pas un recours approprié parce qu'il est trop lent.

 

29        À mon avis, l'avocat a tort d'invoquer l'arrêt May. Dans cette affaire, la question portait sur la disponibilité du recours de l'habeas corpus auprès des cours supérieures provinciales en présence de l'existence du droit de solliciter un contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale. La majorité des juges de la Cour suprême a conclu que les détenus peuvent décider de contester la légalité d'une décision touchant leur liberté résiduelle soit devant une cour supérieure provinciale par voie d'habeas corpus, soit devant la Cour fédérale par voie de contrôle judiciaire. En tirant cette conclusion, la Cour suprême s'est appuyée, du moins en partie, sur le fait qu'historiquement, le bref d'habeas corpus n'a jamais été un recours discrétionnaire. Contrairement à un autre recours extraordinaire et au jugement déclaratoire, le bref d'habeas corpus est délivré de plein droit. À mon avis, l'arrêt May ne modifie pas l'obligation d'un détenu de recourir à la procédure interne de règlement des griefs avant de solliciter un jugement déclaratoire ou un contrôle judiciaire discrétionnaire.

 

30        M. McMaster s'appuyait plus particulièrement sur la mention du paragraphe 81(1) du Règlement par la majorité de la Cour suprême, au paragraphe 60 des motifs. Le paragraphe 81(1) prévoit ce qui suit :

 

[...]

 

31        Encore une fois, à mon avis, ni le paragraphe 81(1) lui‑même, ni sa mention par la majorité de la Cour suprême n'aident M. McMaster.

 

32        Le paragraphe 81(1) entraîne la suspension de la procédure de règlement des griefs pendant qu'un détenu se prévaut d'un autre recours. Cette suspension prévue par le Règlement ne peut agir pour éliminer ou restreindre le pouvoir discrétionnaire de la Cour en matière de contrôle judiciaire. De même, la Cour suprême n'a rien fait de plus que reconnaître que l'existence de la procédure de règlement des griefs n'empêchait pas un détenu de se prévaloir d'un recours juridique. La cour n'a pas modifié la jurisprudence existante concernant la manière qu'une cour de révision traiterait une demande de contrôle judiciaire lorsque des procédures de grief existantes ne sont pas suivies.

 

33        La décision Giesbrecht, précitée, appuie cette interprétation du paragraphe 81(1).

 

[...]

 

34        Les jugements ultérieurs de la Cour étayent également cette interprétation de l'arrêt May et ont continué de déclarer qu'un demandeur doit utiliser la procédure de règlement des griefs. Voir par exemple Collin c. Canada (Procureur général), [2006] A.C.F. no 729 (QL), et Olah c. Canada (Procureur général) (2006), 301 F.T.R. 274.

 

35        En ce qui a trait à la prétention selon laquelle la procédure de règlement des griefs est trop lente, la preuve dont la Cour est saisie indique que les plaintes antérieures de M. McMaster concernant les allégations de renseignements inexacts dans son dossier ont été examinées selon une procédure de règlement "expéditif" comme l'exige l'article 90 de la Loi :

 

[...]

 

[Je souligne]

 

[31]           D’autres collègues ont rendu des jugements qui vont dans le même sens (voir à cet effet Ewert c Canada (Procureur général), 2009 CF 971, 355 FTR 170 (Juge Lemieux) et Spidel c Canada (Procureur général), 2010 CF 1028 (disponible sur CanLII) (Juge Phelan); McDougall c Canada (Procureur général), 2011 CF 285 (disponible sur CanLII) (Juge shore).

 

[32]           En l’espèce, il n’y a aucune preuve que la procédure de règlement des griefs était inadéquate, inefficace ou trop lente. Ainsi, la procédure de règlement des griefs était une voie de recours appropriée, et ce, même si la décision concernée avait un impact sur la liberté résiduelle du demandeur. Le demandeur aurait donc dû se prévaloir de la procédure de règlement des griefs avant de présenter une demande de contrôle judiciaire. Le demandeur ne peut pas non plus soutenir ne pas avoir été informé de la possibilité de déposer un grief. La Directive du Commissaire du SCC traitant de la cote de sécurité et du placement pénitentiaire (la Directive 705-7) indique clairement que le détenu insatisfait de son placement peut contester cette décision en ayant recours au processus de règlement des griefs (article 57 de la Directive 705-7) et les deux décisions rendues par la directrice indiquaient clairement que le demandeur pouvait les contester en déposant un grief. Je devrais donc, en principe, exercer ma discrétion et ne pas disposer de la demande de contrôle judiciaire.

 

[33]           Si par ailleurs j’ai tort sur cette question, et comme le défendeur n’avait pas soulevé d’objection à l’exercice de la compétence de la Cour, que j’ai moi-même soulevé cette question peu de temps avant l’audience et que j’ai entendu les parties sur le mérite de la demande de contrôle judiciaire lors de l’audience, je vais, de façon exceptionnelle, me prononcer sur le mérite de la demande.

 

B. La décision de la directrice était-elle déraisonnable?

[34]           Le défendeur a soumis, et je partage son avis, que la décision de la directrice doit être révisée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Kahnapace c Canada (Procureur général), 2009 CF 1246 au para 34, 360 FTR 229; Hiebert c Canada (Procureur général), 2005 CF 1719 aux para 24-26, 285 FTR 37).

 

[35]           Le placement d’un détenu dans un établissement donné est déterminé à l’issue d’un processus bien encadré. L’article 28 de la Loi énonce le principe suivant lequel le détenu doit être incarcéré dans le pénitencier qui offre le milieu le moins restrictif possible, compte tenu de trois éléments :

28. Le Service doit s’assurer, dans la mesure du possible, que le pénitencier dans lequel est incarcéré le détenu constitue le milieu le moins restrictif possible, compte tenu des éléments suivants :

 

 

 

a) le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent et du détenu;

 

 

 

 

 

 

 

 

b) la facilité d’accès à la collectivité à laquelle il appartient, à sa famille et à un milieu culturel et linguistique compatible;

 

 

 

 

 

 

c) l’existence de programmes et services qui lui conviennent et sa volonté d’y participer.

 

28. Where a person is, or is to be, confined in a penitentiary, the Service shall take all reasonable steps to ensure that the penitentiary in which the person is confined is one that provides the least restrictive environment for that person, taking into account

 

(a) the degree and kind of custody and control necessary for

 

(i) the safety of the public,

 

(ii) the safety of that person and other persons in the penitentiary, and

 

(iii) the security of the penitentiary;

 

(b) accessibility to

 

(i) the person’s home community and family,

 

(ii) a compatible cultural environment, and

 

(iii) a compatible linguistic environment; and

 

(c) the availability of appropriate programs and services and the person’s willingness to participate in those programs.

 

[36]           Le placement pénitentiaire des détenus est directement lié la cote de sécurité qui leur est attribuée.

 

[37]           Selon l’article 30 de la Loi, le SCC assigne aux détenus une cote de sécurité – minimale, moyenne ou maximale - conformément aux critères fixés par règlement. L’attribution d’une cote de sécurité est encadrée par les articles 17 et 18 du Règlement qui prévoient ce qui suit :

 

17. Le Service détermine la cote de sécurité à assigner à chaque détenu conformément à l'article 30 de la Loi en tenant compte des facteurs suivants :

 

 

a) la gravité de l'infraction commise par le détenu;

 

 

b) toute accusation en instance contre lui;

 

c) son rendement et sa conduite pendant qu'il purge sa peine;

 

 

d) ses antécédents sociaux et criminels, y compris ses antécédents comme jeune contrevenant s’ils sont disponibles et le fait qu’il a été déclaré délinquant dangereux en application du Code criminel;

 

e) toute maladie physique ou mentale ou tout trouble mental dont il souffre;

 

f) sa propension à la violence;

 

 

g) son implication continue dans des activités criminelles.

17. The Service shall take the following factors into consideration in determining the security classification to be assigned to an inmate pursuant to section 30 of the Act:

 

(a) the seriousness of the offence committed by the inmate;

 

(b) any outstanding charges against the inmate;

 

(c) the inmate's performance and behaviour while under sentence;

 

(d) the inmate’s social, criminal and, if available, young-offender history and any dangerous offender designation under the Criminal Code;

 

 

 

 

(e) any physical or mental illness or disorder suffered by the inmate;

 

(f) the inmate's potential for violent behaviour; and

 

(g) the inmate's continued involvement in criminal activities.

 

18. Pour l'application de l'article 30 de la Loi, le détenu reçoit, selon le cas :

 

a) la cote de sécurité maximale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque élevé d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une grande menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré élevé de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

b) la cote de sécurité moyenne, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un risque d'évasion de faible à moyen et, en cas d'évasion, constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un degré moyen de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier;

 

c) la cote de sécurité minimale, si l'évaluation du Service montre que le détenu :

 

(i) soit présente un faible risque d'évasion et, en cas d'évasion, constituerait une faible menace pour la sécurité du public,

 

(ii) soit exige un faible degré de surveillance et de contrôle à l'intérieur du pénitencier.

18. For the purposes of section 30 of the Act, an inmate shall be classified as

 

(a) maximum security where the inmate is assessed by the Service as

 

(i) presenting a high probability of escape and a high risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

(ii) requiring a high degree of supervision and control within the penitentiary;

 

(b) medium security where the inmate is assessed by the Service as

 

(i) presenting a low to moderate probability of escape and a moderate risk to the safety of the public in the event of escape, or

 

(ii) requiring a moderate degree of supervision and control within the penitentiary; and

 

(c) minimum security where the inmate is assessed by the Service as

 

(i) presenting a low probability of escape and a low risk to the safety of the public in the event of escape, and

 

(ii) requiring a low degree of supervision and control within the penitentiary.

 

 

[38]           Le commissaire du SCC a aussi adopté la Directive du commissaire 705-7 (Cote de sécurité et placement pénitentiaire) qui régit l’attribution des cotes de sécurité et encadre le placement pénitentiaire des détenus.

 

[39]           Au terme de la Directive 705-7, le placement pénitentiaire d’un détenu est déterminé en fonction de la cote de sécurité qui lui est attribuée. La cote de sécurité d’un détenu est déterminée au terme d’un processus décisionnel fondé sur deux éléments : (1) le résultat du classement en application de l’échelle de classement par niveau de sécurité et (2) l’évaluation que fait le SCC de l’adaptation du détenu à l’établissement, de son risque d’évasion et, s’il s’évade, du risque qu’il représente pour la sécurité du public. La Directive 705-7 définit comme suit la Cote de sécurité et l’échelle de classement par niveau de sécurité:

8. Cote de sécurité du délinquant : cote (sécurité minimale, moyenne ou maximale) fondée sur l’évaluation de l’adaptation du délinquant à l’établissement, de son risque d’évasion et du risque qu’il présente pour la sécurité du public. Alliée aux résultats de l’Échelle de classement par niveau de sécurité, cette évaluation permet au Service correctionnel du Canada (SCC) de placer le délinquant dans un établissement qui offre le régime de contrôle, de surveillance, de programmes et de services requis, compte tenu de la cote de sécurité qui lui est attribuée.

 

9. Échelle de classement par niveau de sécurité (ECNS) : outil fondé sur les résultats de la recherche et destiné à aider l’agent de libération conditionnelle ou l’intervenant de première ligne à déterminer le niveau de sécurité auquel classer le délinquant aux fins de son placement pénitentiaire initial ou de sa réincarcération. L’échelle est administrée au délinquant en lui attribuant des pointages à un certain nombre de facteurs sur deux dimensions : l’adaptation à l’établissement, et le risque pour la sécurité.

 

 

[40]           L’article 43 de la Directive 705-7 prévoit que la cote de sécurité de chaque détenu est établie au moment de son placement initial « en se fondant sur les résultats obtenus à l’Échelle de classement par niveau de sécurité, sur le jugement clinique d’employés expérimentés et spécialisés ainsi que sur des évaluations psychologiques, au besoin. » Les agents du SCC préparent une évaluation en vue d’une décision qui est acheminée à la personne qui doit prendre la décision finale.

 

[41]           L’article 47 de la Directive 705-7 prévoit qu’une recommandation concernant le placement d’un délinquant est incluse dans l’évaluation qui porte sur la cote de sécurité et que l’établissement recommandé doit correspondre au milieu le moins restrictif pour le délinquant compte tenu, entre autres, des facteurs suivants :

a. la sécurité du public, du délinquant et des autres personnes au pénitencier;

b. la cote de sécurité du délinquant;

c. le niveau de sécurité de l’établissement (DC 006 – Classification des établissements);

d. la facilité d’accès à la collectivité à laquelle appartient le délinquant, et à sa famille;

e. le milieu culturel et linguistique qui convient le mieux au délinquant;

f. la disponibilité de programmes et de services répondant aux besoins du délinquant;

g. la volonté du délinquant de participer à des programmes.

 

 

[42]           L’article 52 de la Directive 705-7 dicte par ailleurs comment l’échelle de classement par niveau de sécurité mesure chacun des facteurs prévus à l’article 18 du Règlement (adaptation à l’établissement, risque d’évasion et risque pour la sécurité du public).

 

[43]           L’article 53 prévoit les paramètres applicables au processus final d’évaluation :

L’évaluation finale doit tenir compte de l’échelle actuarielle ainsi que des facteurs cliniques. Dans l’évaluation globale du risque, le jugement clinique s’appuiera normalement sur les résultats du délinquant à l’ECNS. En cas de divergence (c. à d. si la mesure actuarielle ne concorde pas avec l’évaluation clinique), il est important d’en fournir une explication. L’évaluation finale respectera l’article 17 du RSCMLC en formulant l’analyse sous les trois rubriques suivantes : adaptation à l’établissement, risque d’évasion et risque pour la sécurité du public.

 

 

[44]           Le 30 novembre 2010, une agente de libération conditionnelle a complété l’échelle de classement par niveau de sécurité du demandeur; la cote du demandeur au chapitre de l’adaptation à l’établissement a été de 0 et sa cote au chapitre du risque pour la sécurité est de 82, pour un résultat global correspondant à une cote de sécurité de niveau moyen. En date du 3 décembre 2010, la même agente de libération conditionnelle ainsi qu’une gestionnaire d’évaluation intervention (l’équipe de gestions de cas) ont ensuite préparé l’évaluation en vue d’une décision lui attribuant une cote de sécurité et prévoyant son placement pénitentiaire.

 

[45]           L’évaluation en vue d’une décision précise de la cote de sécurité du demandeur a été déterminée en se fondant sur les facteurs relatifs à son adaptation à l’établissement, au risque d’évasion qu’il présente et au risque pour la sécurité du public en cas d’évasion. L’équipe de gestion de cas a détaillé son évaluation pour chacun de ces facteurs.

 

[46]           Elle a d’abord conclu que le degré requis de surveillance et de contrôle du demandeur au pénitencier était faible. Cette conclusion est fondée sur les éléments suivants :

 

Le demandeur en est à sa première incarcération et il n’a aucun antécédent au juvénile et au provincial;

1.               Il a adopté un comportement conformiste depuis son incarcération et n’a eu aucun manquement disciplinaire;

2.              Ses relations avec les autres détenus et avec le personnel du SCC sont respectueuses;

3.              Il travaille comme nettoyeur dans le contrôle du pavillon et son travail et son attitude sont sans reproche;

4.              Aucun élément ne permet de penser qu’il poursuit des activités criminelles à l’établissement ou qu’il soit associé à l’organisation criminelle au profit de laquelle il a commis les infractions;

5.              Il n’a aucun antagoniste parmi la population carcérale;

6.              Il ne présente aucun problème psychologique ou physique.

 

[47]           L’équipe de gestion de cas a ensuite jugé que le risque que le demandeur s’évade était faible. Elle a notamment appuyé cette conclusion sur les éléments suivants :

1.              Le demandeur est citoyen canadien;

2.              Il n’a aucune cause en instance, si ce n’est l’appel de sa sentence;

3.              Entre sa libération sous caution en décembre 2006 et son incarcération, il est demeuré en communauté et il a respecté toutes les conditions et règlements qui lui ont été imposés;

4.              Le SCC ne possède aucune information portant à croire qu’il pourrait tenter de prendre la fuite.

 

[48]           L’équipe de gestion de cas a par ailleurs conclu que le demandeur présentait, en cas d’évasion, un risque modéré pour la sécurité du public. Cette conclusion est fondée sur les éléments suivants :

1.              Le demandeur n’a aucun antécédent et purge une première sentence fédérale pour complot en vue d’importation de drogue (cocaïne) au profit d’une organisation criminelle;

2.              La criminalité du demandeur est exempte de violence et est reliée avec son emploi;

3.              Le rôle qu’il occupait dans l’organisation était de moyenne envergure;

4.              Il a abusé de la confiance de son employeur. À la demande de son cousin, il modifiait les horaires de travail et exécutait des tâches de surveillance pour certains vols;

5.              Il connaissait quelques personnes faisant partie de l’organisation, mais il n’a pas eu de contact avec les têtes dirigeantes;

6.              Il s’est laissé prendre dans l’engrenage de l’appât du gain par l’entremise de son cousin et par le biais de son emploi. Même s’il soutient ne pas avoir soutiré de bénéfices financiers reliés à ses activités, cela n’était qu’une question de temps;

7.              Il est conscient que sa sentence est lourde pour lui et sa famille. Il a des valeurs familiales bien ancrées, il a maintenant un enfant, et l’épreuve qu’il traverse est très dissuasive;

8.              Le fait qu’il a maintenant un enfant aura des répercussions positives et l’équipe de gestion de cas estime qu’il saura faire les bons choix dans l’avenir;

9.              Il se responsabilise face à ses délits et souhaite profiter de sa sentence pour entreprendre un changement au niveau de sa carrière;

10.          Il ne sera pas facile pour lui de se retirer de ce genre d’activités, d’autant plus que les personnes susceptibles de l’influencer sont dans son milieu familial;

11.          L’équipe de gestion de cas estime que le demandeur devra faire preuve de ténacité et de volonté pour abandonner ses anciennes fréquentations;

 

[49]           Compte tenu de ces éléments, l’équipe de gestion de cas a estimé que le risque que le demandeur récidive en commettant des délits de même nature était modéré. Elle a aussi estimé que le risque que le demandeur puisse avoir recours à la violence était modéré. Elles ont appuyé cette conclusion sur les considérations suivantes :

Bien que les infractions courantes soient exemptes de violence, elles furent commises pour le compte d’un réseau très structuré, pour lequel le sujet avait un rôle non négligeable. Les activités criminelles étaient importantes en matière de trafic de stupéfiants et elles étaient très lucratives. Nous avons aussi considéré la nature et la quantité des drogues impliquées, la structure du réseau, les moyens sophistiqués qui y furent utilisés ainsi que les profits engendrés par de telles activités. Quant au sujet nous ne percevons aucun signe de propension à la violence. Nous sommes en présence d’un individu ayant toujours respecté autrui. Il est en contrôle de lui-même et n’éprouve pas de problème particulier au niveau de son comportement. En tenant compte des informations dont nous disposons, nous en venons à la conclusion que le risque que le sujet puisse avoir recours à la violence est faible.

 

 

[50]           Au niveau de l’évaluation globale, l’équipe de gestion de cas a recommandé que le demandeur soit placé à l’établissement de Cowansville, un pénitencier à sécurité moyenne. L’évaluation globale indique que le SCC est convaincu que le placement pénitentiaire recommandé constitue le milieu le moins restrictif possible conformément aux paramètres prescrits à l’article 28 de la Loi. Cette conclusion est appuyée comme suit :

Un établissement à sécurité minimale offre le degré de garde et de surveillance nécessaire à la sécurité du public, à celle du pénitencier, des personnes qui s’y trouvent ainsi que celle du détenu. Un tel établissement offre également un milieu culturel et linguistique compatible avec ceux de monsieur. De plus, il y est offert des programmes et services touchant les facteurs contributifs déterminés chez monsieur. Finalement, on n’y retrouve aucun antagoniste ou délinquant co-condamné. Nous avons pris en considération la gravité de l’infraction commise, le fait que le sujet faisait partie d’un réseau structuré associé au crime organisé ainsi que l’emplacement des co‑accusés avant de recommander l’établissement de Cowansville. [...]

 

[Je souligne]

 

[51]           Il est clair, à la lecture de l’ensemble de l’évaluation en vue d’une décision, que la référence dans la conclusion à un établissement à sécurité minimale est une erreur de forme et que l’équipe de gestion de cas référait à un établissement à sécurité moyenne.

 

[52]           L’équipe de gestion de cas a également préparé le profil criminel du demandeur et établi un plan correctionnel initial.

 

[53]           Le demandeur a reçu l’évaluation en vue d’une décision, le profil criminel et le plan correctionnel avant que la directrice ne prenne les décisions finales et il a eu l’occasion de soumettre ses commentaires à la directrice. C’est ce qu’il a fait le 24 décembre 2010 en soulignant les facteurs qui, à son avis, militaient en faveur de l’attribution d’une cote de sécurité minimale.  

 

[54]           Le 29 décembre 2010, la directrice a confirmé l’attribution d’une cote de sécurité moyenne et le placement du demandeur à l’établissement de Cowansville. Sa décision relative à l’attribution d’une cote de sécurité se lit comme suit :

Conformément à l’article 30 de la Loi, en tenant compte des facteurs élaborés dans L’Évaluation en vue d’une décision, datée du 2010-12-03, une cote de sécurité MEDIUM est assignée, puisque l’évaluation montre que le détenu : présente un degré MODÉRÉ de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier, un risque d’évasion FAIBLE et en cas d’évasion, constituerait une menace MODÉRÉE pour la sécurité du public.

 

Votre rôle et votre implication militent à mon avis en faveur d’une période d’observation dans un milieu plus encadré tel que le suggère l’ECNS, soit un établissement médium.

 

[...]

 

[55]           Le 29 décembre 2010, la directrice a également entériné la recommandation de l’équipe de gestion de cas de placer le demandeur à l’établissement de Cowansville. La décision comprend entre autres les éléments suivants :

Le 2010-12-24 vous avez accusé réception de votre Plan correctionnel, de votre profil criminel et de votre Évaluation en vue d’une décision, qui vous informaient de votre niveau de sécurité ainsi que des motifs de votre placement.

 

Tel que le prévoit l’article 12 de RSCMLSC, vous aviez alors 48 heures pour soumettre des commentaires justifiant une révision de votre cas, droit dont vous vous êtes prévalu en date du 2010-12-24. Vous souhaitez que votre niveau de sécurité soit revu à minimum. Vous faites état de votre comportement en attente de sentence et comparez votre dossier à certains de vos co-accusés. Vous comprendrez que chaque évaluation est différenciée en fonction des particularités propres à chacun. Votre rôle et votre implication personnelle militent à mon avis en faveur d’une période d’observation dans un milieu plus encadré tel que le suggère l’ECNS [l’échelle d’évaluation], soit un établissement médium.

 

Compte tenu que la recommandation de votre équipe de gestion de cas est conforme aux articles 30 et 28 de la LSCMLSC quant à l’environnement sécuritaire requis et l’accessibilité aux programmes, notamment :

 

Vous purgez un 1er terme pénitentiaire de 6 ans, 9 mois, 15 jours pour des délits reliés au trafic de stupéfiants au profit d’une organisation criminelle.

 

L’évaluation des risques liés à l’adaptation en établissement, l’évasion et la sécurité du public conclut à un niveau MEDIUM.

 

Tenant compte de vos besoins et en l’absence d’antagonistes j’entérine la recommandation de votre équipe de gestion et vous avise de votre placement prochain à l’établissement de COWANSVILLE.

 

 

[56]           Le demandeur soulève plusieurs reproches à l’endroit des décisions de la directrice. À mon avis, aucun des reproches formulés ne rend les décisions de la directrice déraisonnables.

 

[57]           Le demandeur soutient dans un premier temps que la décision qui lui attribue une cote de sécurité est erronée puisque la directrice y mentionne à tort que l’évaluation en vue d’une décision indique qu’il présentait un besoin modéré de contrôle et de surveillance en milieu pénitentiaire, alors que l’évaluation en vue d’une décision indiquait plutôt qu’il présentait un faible degré de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier. Le demandeur soutient que cette erreur a vicié tout le raisonnement et l’évaluation de la directrice.

 

[58]           Le défendeur, pour sa part, soutient que cette erreur de forme n’a eu aucune incidence sur l’attribution de la cote de sécurité du demandeur.

 

[59]           Je partage l’avis du défendeur. L’article 18 du Règlement prévoit que le détenu reçoit une cote de sécurité moyenne si l’évaluation du Service prévoit qu’il présente un risque d’évasion de faible à moyen et qu’en cas d’évasion, il constituerait une menace moyenne pour la sécurité du public, et ce, quel que soit le degré de surveillance et de contrôle requis. C’est exactement le cas du demandeur. Face à de tels résultats, le fait que le demandeur exige un degré faible ou moyen de surveillance et de contrôle à l’intérieur du pénitencier ne change rien et ne permet pas de réduire sa cote de sécurité à une cote minimale. L’erreur relevée dans la décision de la directrice n’a donc eu aucune conséquence sur l’attribution de la cote de sécurité du demandeur.

 

[60]           Le demandeur soutient, dans un deuxième temps, que la décision de la directrice est déraisonnable parce qu’elle n’a pas pondéré les facteurs prévus à l’article 17 du Règlement et qu’elle a limité son évaluation à la gravité de l’infraction commise par le demandeur. Le demandeur prétends également que la directrice n’a pas tenu compte, dans son placement pénitentiaire, des facteurs prévus aux alinéas b) et c) de l’article 28 de la Loi.

 

[61]           Le demandeur soutient aussi que la directrice ne pouvait se limiter à entériner les recommandations de l’équipe de gestion de cas sans expliquer dans sa décision pourquoi elle entérinait les recommandations de l’équipe de gestion de cas.

 

[62]           Le demandeur soutient enfin que dans la décision relative à son placement pénitentiaire, la directrice a indiqué que son rôle et son implication dans l’opération militaient à son avis en faveur d’une période d’observation plus encadrée telle que le suggère l’échelle d’évaluation, sans toutefois étayer cette conclusion. La directrice n’aurait donc pas rendu une décision intelligible.

 

[63]           Avec égards, aucun des arguments invoqués par le demandeur ne peut réussir.

 

[64]           D’abord, il appert clairement de l’évaluation en vue d’une décision que l’équipe de gestion de cas a fait une analyse exhaustive de tous les facteurs prévus à l’article 17 du Règlement pour recommander l’attribution d’une cote de sécurité moyenne. La cote de sécurité a également été évaluée par l’équipe de gestion en respectant le processus et les paramètres prévus à l’article 18 du Règlement et à la Directive 705-7. L’application de l’échelle de classement par niveau de sécurité qui consiste en une analyse objective a donné un résultat correspondant à une cote de sécurité moyenne et le l’évaluation basée sur le jugement clinique de l’équipe de gestion de cas a confirmé cette évaluation.

 

[65]           Le demandeur conteste plus particulièrement la conclusion de l’équipe de gestion que le risque à la sécurité du public en cas d’évasion du demandeur est modéré. Le désaccord du demandeur avec la décision ne justifie par l’intervention de la Cour. Cette conclusion de l’équipe de gestion est très bien articulée dans l’évaluation en vue d’une décision et est tout à fait raisonnable.

 

[66]           Le dossier démontre également que l’équipe de gestion a respecté les paramètres prescrits lorsqu’elle a recommandé le placement pénitencier du demandeur. Il ressort du dossier que l’équipe de gestion de cas a tenu compte de l’obligation de placer le détenu dans un milieu le moins restrictif possible en tenant compte des trois facteurs prévus à l’article 28 de la Loi. Ces facteurs sont réitérés à l’article 47 de la Directive 705-7 et il appert de l’évaluation en vue d’une décision et du plan correctionnel qu’ils ont tous été considérés par l’équipe de gestion de cas.

 

[67]           Je ne partage pas non plus l’avis du demandeur que la directrice devait expliquer de façon détaillée pourquoi elle entérinait les recommandations de l’équipe de gestion contenues dans l’évaluation en vue d’une décision. L’évaluation en vue d’une décision était exhaustive et contenait tous les détails nécessaires pour permettre à la directrice de faire sa propre appréciation du dossier du demandeur et évaluer le caractère approprié des recommandations de l’équipe de gestion. La directrice avait également en sa possession le profil criminel du demandeur, son plan correctionnel et les commentaires du demandeur en réponse à l’évaluation en vue d’une décision lorsqu’elle a pris ses décisions. Le demandeur n’a produit aucune autorité pour appuyer sa proposition que la directrice ne pouvait pas se limiter à entériner les recommandations de l’équipe de gestion de cas.

 

[68]           Dans Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 aux para 43-44, 174 DLR (4th) 193, la Cour suprême a reconnu que les notes d’un agent subalterne pouvaient être suffisantes pour constituer les motifs d’une décision :

43        À mon avis, il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l'obligation d'équité procédurale requerra une explication écrite de la décision. . . .

 

44        J'estime, toutefois, que cette obligation a été remplie en l'espèce par la production des notes de l'agent Lorenz à l'appelante. Les notes ont été remises à Mme Baker lorsque son avocat a demandé des motifs. Pour cette raison, et parce qu'il n'existe pas d'autres documents indiquant les motifs de la décision, les notes de l'agent subalterne devraient être considérées, par déduction, comme les motifs de la décision. L'admission de documents tels que ces notes comme motifs de la décision fait partie de la souplesse nécessaire, ainsi que l'ont souligné Macdonald et Lametti, loc. cit., quand des tribunaux évaluent les exigences de l'obligation d'équité tout en tenant compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des nombreuses façons d'assurer le respect des valeurs qui fondent les principes de l'équité procédurale. Cela confirme le principe selon lequel les individus ont droit à une procédure équitable et à la transparence de la prise de décision, mais reconnaît aussi qu'en matière administrative, cette transparence peut être atteinte de différentes façons. Je conclus qu'en l'espèce les notes de l'agent Lorenz remplissent l'obligation de donner des motifs en vertu de l'obligation d'équité procédurale, et qu'elles seront considérées comme les motifs de la décision.

 

[69]           En l’espèce, il est évident que le demandeur a reçu tous les documents sur lesquels la directrice a fondé ses décisions et il a eu l’occasion de les commenter avant que la directrice ne prenne une décision finale. J’estime que rien ne permet de conclure qu’il était déraisonnable en l’espèce que la directrice entérine les recommandations de l’équipe de gestion de cas et que se faisant elle faisait sien le contenu de l’évaluation en vue d’une décision. La décision de la directrice est suffisamment détaillée, dans les circonstances, pour que le demandeur en comprenne les motifs.

 

[70]           La Cour suprême a récemment traité de la perspective dans laquelle la suffisance des motifs d’une décision doit être envisagée dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (disponible sur CanLII). Les passages suivants m’apparaissent tout à fait pertinents et applicables au présent dossier :

15        La cour de justice qui se demande si la décision qu'elle est en train d'examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs doit faire preuve de "respect [à l'égard] du processus décisionnel [de l'organisme juridictionnel] au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, au par. 48). Elle ne doit donc pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat.

 

16        Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l'analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n'est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, à la p. 391). En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[71]           Enfin, l’avis que la directrice a émis que le rôle et l’implication du demandeur militaient en faveur d’une période d’observation dans un milieu plus encadré, doit être remis en contexte. D’abord, la directrice répondait aux arguments que le demandeur avait invoqués le 24 décembre 2010 dans sa réponse à l’évaluation en vue d’une décision. De plus, cet avis est tout à fait conforme aux résultats obtenus à l’échelle de classement par niveau de sécurité, de même qu’à l’évaluation et à la recommandation de l’équipe de gestion de cas. À la lumière de l’ensemble du dossier, la directrice a jugé que le rôle et l’implication du demandeur dans l’opération qui a mené à sa condamnation militaient en faveur d’une période d’observation plus encadrée que dans un milieu à sécurité minimal. Je ne vois rien d’inintelligible ou de déraisonnable dans cet avis.

 

[72]           Le demandeur est en désaccord avec les recommandations de l’équipe de gestion de cas et avec les décisions de la directrice et il demande essentiellement à la Cour de pondérer à nouveau les critères prévus à la Loi et au Règlement. Ce n’est pas le rôle de la Cour. Je considère donc que la décision de la directrice appartient aux issues possibles, eu égard aux faits et au droit et qu’il n’y a pas lieu que la Cour intervienne.

 

[73]           La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.   
 

 


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-127-11

 

INTITULÉ :                                       EUGENIO REDA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 19 janvier 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Maxime Hebert Lafontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

Toni Abi

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Labelle, Boudrault, Côté & Associés

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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