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Date : 20120116


Dossier : T-1147-11

Référence : 2012 CF 57

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 16 janvier 2012

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

KARL WILSON

 

demandeur

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Karl Wilson sollicite le contrôle judiciaire de la décision du sous-commissaire Ian McCowan du Service correctionnel du Canada [le SCC] de rejeter son grief au troisième palier.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que M. Wilson a été traité équitablement durant le processus d’arbitrage du grief dont il est question dans la présente demande, et que la décision de M. McCowan était raisonnable. Par conséquent, la demande sera rejetée.

 

Le contexte

[3]               M. Wilson tente depuis longtemps de faire rajouter dans ses dossiers les motifs du juge qui a prononcé sa peine, et d’en faire retirer des renseignements prétendument inexacts. Ceux-ci concernent les événements à l’origine de sa condamnation pour homicide involontaire, et l’implication qu’on lui prête dans le trafic de drogue à l’Établissement de Springhill. D’après M. Wilson, la Commission nationale des libérations conditionnelles a tenu compte de ces renseignements pour lui refuser par deux fois une libération conditionnelle de jour.

 

[4]               En 2008, M. Wilson a fait part de ses préoccupations à son agent de libération conditionnelle, et sa demande pour faire rajouter ou supprimer des renseignements dans ses dossiers a été rejetée. M. Wilson ne s’est pas prévalu du processus de grief pour contester cette décision.

 

[5]               Le 3 août 2010, M. Wilson déposait une plainte (et non un grief), alléguant que le SCC n’avait pas transféré une trousse d’information convenable aux fins de l’examen effectué par les centres résidentiels communautaires, ce qui contrevenait à la politique énoncée dans l’une des directives du commissaire (plainte no 21016). M. Wilson se plaignait en particulier que la trousse ne contenait pas d’évaluation psychologique, mais des renseignements trompeurs.

 

[6]               Dans une décision datée du 25 août 2010, la plainte de M. Wilson a partiellement été accueillie. Le SCC a reconnu que son enquête communautaire avait été conclue avant que l’évaluation psychologique ne soit complétée et qu’il n’avait pas respecté en l’occurrence la procédure adéquate. Le SCC a néanmoins estimé que l’absence de l’évaluation psychologique ne prêtait pas à conséquence, puisqu’elle ne favorisait pas sa demande de libération. M. Wilson n’a pas présenté de grief à l’encontre de cette décision.

 

[7]               Entre-temps, M. Wilson a déposé le 9 août 2010 un grief au premier palier (grief no 21120) qui a donné lieu à la décision de troisième palier visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Dans son grief no 21120, il demandait que la plainte no 21016 et qu’une seconde plainte concernant une réduction de sa paye (plainte no 21015) soient jointes et instruites ensemble comme un grief au premier palier, et non comme des plaintes, parce qu’elles engageaient toutes les deux des allégations de harcèlement et de discrimination.

 

[8]               Le 25 août 2010, le directeur du pénitencier a rejeté le grief no 21120 au premier palier, estimant que les actes visés par la plainte ne satisfaisaient pas aux définitions de harcèlement et de discrimination. Il a donc été décidé que les affaires seraient traitées comme des plaintes.

 

[9]               M. Wilson a interjeté appel de la décision rendue au premier palier relativement au grief no 21120, en deuxième palier du processus de grief. Il a réitéré son allégation selon laquelle le comportement signalé dans ses deux plaintes précédentes constituait du harcèlement et de la discrimination, et noté que la question soulevée dans la plainte no 21016 concernait la communication de renseignements par le SCC et la présence d’informations inexactes dans ses dossiers d’établissement.

 

[10]           Avant de connaître la décision au deuxième palier concernant son grief, M. Wilson a soumis le 6 septembre 2010 à la Division de la protection des renseignements personnels du SCC une demande formelle pour que soient corrigés ses dossiers d’établissement. Dans une lettre datée du 17 septembre 2010, M. Wilson a appris que cette division n’était pas compétente pour corriger ses dossiers, et que sa demande avait été transmise à son agent de libération conditionnelle en vue d’un suivi. Malheureusement, l’agent en question n’a pas reçu la demande à ce moment-là.

 

[11]           Après un retard de traitement, un sous-commissaire adjoint a rejeté le grief au deuxième palier de M. Wilson le 25 novembre 2010. Il a conclu que les déclarations contenues dans les plaintes précédentes de M. Wilson ne constituaient pas des allégations de harcèlement ou de discrimination, et que pour faire corriger les erreurs figurant dans son dossier, M. Wilson devait déposer une demande en ce sens auprès de son agent de libération conditionnelle. Il pouvait subsidiairement solliciter le réexamen de l’enquête communautaire par le biais de son équipe de gestion des cas.

 

[12]           M. Wilson en a appelé de cette décision au deuxième palier. C’est la décision rendue au troisième palier du processus de grief qui est visée par la présente demande de contrôle judiciaire.

 

La décision rendue au troisième palier relativement au grief no 21120

[13]           Les observations présentées dans le cadre du grief au troisième palier de M. Wilson concernaient surtout ses préoccupations au sujet du contenu de ses dossiers d’établissement.

 

[14]           Le sous-commissaire McCowan a conclu qu’aucune autre mesure n’était nécessaire en réponse au grief de M. Wilson. Ayant noté que ce dernier n’avait pas repris la question de fond soulevée par son grief initial, à savoir si ses deux plaintes précédentes devaient être jointes et considérées comme des griefs fondés sur des allégations de harcèlement et de discrimination, le sous-commissaire McCowan en a déduit que M. Wilson avait été satisfait de la réponse reçue à cet égard au deuxième palier du processus de grief.

 

[15]           Le sous-commissaire McCowan a également informé M. Wilson qu’il ne pouvait pas traiter les plaintes liées à la correction de son dossier, car il s’agissait d’une nouvelle allégation devant être examinée au plus bas palier possible, conformément à la Directive du commissaire 081 sur les plaintes et griefs des délinquants. Cette directive prévoit que les plaintes et griefs doivent se régler « au plus bas palier possible et d’une manière conforme à la loi ».

 

M. Wilson a-t-il été traité équitablement durant le processus de grief?

[16]           M. Wilson a soulevé un certain nombre d’allégations de traitement inéquitable de la part du SCC. Ce service aurait agi injustement en incluant une preuve par ouï-dire dans son dossier, qui contenait des erreurs dont l’effet a été de rendre ses deux audiences de libération conditionnelle inéquitables. Cependant, il est important de garder à l’esprit que c’est l’équité du processus suivi en vue du traitement du grief no 21120 qui est pertinente pour la présente demande de contrôle judiciaire.

 

[17]           Pour établir si M. Wilson a été traité équitablement en l’occurrence, la Cour doit se demander si le processus suivi par le décideur respectait le degré d’équité requis en toutes circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 S.C.R. 339, au paragraphe 43.

 

[18]           Même si les retards liés au traitement du grief de M. Wilson sont regrettables, ce dernier ne m’a pas convaincue que le SCC a traité le grief no 21120 d’une manière violant le moindrement l’équité procédurale. Il a pu amplement se prévaloir du processus de grief, et ses observations ont été considérées et examinées à chaque stade de ce processus. La question de savoir si la décision rendue au troisième palier était raisonnable est d’un autre ressort, et nous l’aborderons à présent.

 

La décision du sous-commissaire était-elle raisonnable?

[19]           Je crois comprendre que les parties se sont mises d’accord sur le fait que le fond de la décision du sous-commissaire McCowan était assujetti à la norme de la raisonnabilité.

 

[20]           Pour examiner une décision suivant cette norme, la Cour doit tenir compte de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et se demander si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 S.C.R. 190, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59.

 

[21]           Au moment de décider si le sous-commissaire McCowan a commis une erreur susceptible de contrôle, la Cour doit examiner la raisonnabilité de la décision à la lumière du dossier qui lui avait été soumis. Le dossier de demande de M. Wilson et son affidavit complémentaire incluent une quantité significative d’éléments de preuve documentaire dont ne disposait pas le sous‑commissaire McCowan lorsqu’il a rendu sa décision au troisième palier. Par conséquent, bien que j’aie attentivement examiné ces renseignements, ils ne recevront que peu de poids.

 

[22]           M. Wilson soutient, en s’appuyant sur la décision Lewis c. Canada (Service correctionnel), 2011 CF 1233, [2011] A.C.F. no 1517 (QL), que le sous-commissaire McCowan aurait dû se saisir au troisième palier de la question de la correction de son dossier, même si elle n’avait pas été soulevée lors de son grief initial.

 

[23]           À mon avis, la décision Lewis ne prétend pas qu’un décideur au troisième palier du processus de grief du SCC doit examiner les nouvelles questions qui n’ont pas été soulevées par le grief initial, mais simplement qu’il lui est loisible de le faire si elles se rapportent à la question de fond soulevée par ledit grief.

 

[24]           En l’espèce, le dossier dont disposait le sous-commissaire McCowan indiquait que M. Wilson avait présenté une demande formelle de correction de son dossier, transmise à son agent de libération conditionnelle en vue d’une décision. En vertu de la Directive du commissaire 701, les agents de libération conditionnelle des détenus sont les personnes autorisées à traiter les demandes de correction.

 

[25]           Rien dans le dossier dont disposait le sous-commissaire McCowan au moment où il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle n’indiquait que l’agent de libération conditionnelle n’avait pas reçu la demande de correction et que M. Wilson n’avait pas reçu une décision à cet égard.

 

[26]           Dans les circonstances, M. Wilson ne m’a pas convaincue que la décision du sous‑commissaire McCowan de s’en remettre au processus de demande de correction était déraisonnable.

 

[27]           De plus, les allégations de harcèlement et de discrimination soulevées dans le grief initial de M. Wilson n’ont pas été maintenues au troisième palier. La conclusion du sous‑commissaire McCowan selon laquelle M. Wilson avait dû être satisfait de la réponse reçue à cet égard au deuxième palier était raisonnable compte tenu du dossier qui lui avait été soumis.

 

Une dernière observation

[28]           M. Wilson a le net sentiment que tous les efforts qu’il a déployés ces dernières années pour faire corriger son dossier institutionnel ont été systématiquement contrecarrés par le SCC. Je comprends sa frustration et je compatis, mais son incapacité à faire régler cette question une fois pour toutes vient, dans une certaine mesure, de ce qu’il n’a pas respecté les procédures appropriées.

 

[29]           Cela étant dit, le fait que le SCC n’ait pas traité la demande de correction de M. Wilson entre septembre 2010 et décembre 2011 résulte de problèmes liés au système de communication interne du Service, qu’on ne saurait reprocher à M. Wilson. Même s’il est loisible à ce dernier de présenter un grief à l’encontre de la décision de son agent de libération conditionnelle de refuser sa demande de correction, la date de sa libération d’office approche à grands pas, ce qui veut dire que le processus de grief pourrait, de façon réaliste, ne pas lui offrir un redressement significatif.

 

[30]           La situation est particulièrement préoccupante, d’autant que le coordonnateur régional des griefs du SCC a laissé entendre que M. Wilson [traduction] « a des arguments crédibles ».

 

[31]           Je note que l’alinéa 10c) de la Directive du commissaire 081 illustre l’engagement de la part du SCC de s’efforcer de résoudre les conflits de manière informelle. Compte tenu des circonstances que nous avons évoquées, j’encourage fortement le SCC à rencontrer M. Wilson dès que possible pour déterminer si les préoccupations qu’il soulève à l’égard des renseignements contenus dans ses dossiers peuvent être réglées dans le cadre d’un processus informel de résolution des conflits.

 

Conclusion

[32]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que :

 

 

            1.         la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice-conseil

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-1147-11

 

 

INTITULÉ :                                       KARL WILSON c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               12 JANVIER 2012

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                      16 JANVIER 2012

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert M. Gregan

POUR LE DÉFENDEUR

 

Sarah Drodge

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nova Scotia Legal Aid

Amherst (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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