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Date : 20111222

Dossier : IMM-4226-11

Référence : 2011 CF 1510

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2011

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

 

RU WANG

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demande présentée par l’épouse canadienne de Ru Wang, afin de parrainer ce dernier, a été suspendue jusqu’à ce que l’on ait déterminé s’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Wang était interdit de territoire selon l’alinéa 36(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR]. La Section d’appel de l’immigration a conclu que M. Wang était interdit de territoire puisqu’il avait été déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

 

[2]               M. Wang sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission, affirmant que cette dernière a commis une erreur dans son analyse de l’équivalence. Pour les motifs énoncés ci-dessous, j’ai conclu que la Commission n’avait pas commis d’erreur ainsi qu’il est allégué. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

 

[3]               M. Wang est un citoyen de la Chine, bien qu’il ait vécu aux États-Unis pendant quelque temps. Il a épousé une citoyenne canadienne le 19 décembre 2006; le couple a un fils qui est né aux États-Unis.

 

[4]               Le 30 août 2000, M. Wang a été arrêté à New York et il a été accusé de voies de fait au premier degré perpétrées en gang, et de voies de fait au premier degré. Il a par la suite plaidé coupable à des voies de fait au second degré en vertu de l’article 120.5 du New York Penal Code [NYPC]. Il a été condamné à une peine de dix mois d’emprisonnement par la Cour suprême de New York. Cette peine a par la suite été réduite à huit mois.

 

[5]               M. Wang est arrivé au Canada le 26 août 2009 et a présenté une demande d’asile. Il a depuis lors retiré sa demande d’asile et a présenté une demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial.

 

[6]               Dans un rapport établi le 14 mai 2010, en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, on alléguait que M. Wang était interdit de territoire en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR pour avoir commis une infraction aux États-Unis qui, commise au Canada, équivaudrait à l’infraction prévue à l’alinéa 267b) du Code criminel, L.R.C., 1985, ch. C-46 [Code criminel], soit celle de voies de fait causant des lésions corporelles.

 

[7]               La question de l’admissibilité de M. Wang a d’abord été renvoyée à la Section de l’immigration afin qu’une décision soit rendue. Dans une décision rendue le 15 septembre 2010, la Section de l’immigration a déclaré que M. Wang n’était pas visé par l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. La Section de l’immigration a conclu que le paragraphe 120.5(1) du NYPC n’était pas équivalent à l’article 267 du Code criminel, et que l’article 265 du Code prévoyait l’infraction équivalente au Canada. L’article 265 crée une infraction de voies de fait simples.

 

[8]               En appel, la Section d’appel de l’immigration a conclu que M. Wang était interdit de territoire au Canada aux termes de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR. Après avoir appliqué, entre autres, le critère relatif à l’article 21 du Code criminel (aider et d’encourager quelqu’un à commettre une infraction) la Commission a conclu que l’infraction prévue au paragraphe 120.5(1) du NYPC équivalait aux infractions décrites aux articles 267, 268 et 269 du Code criminel.

 

Norme de contrôle

 

[9]               Bien que M. Wang ait soulevé une question d’équité procédurale dans son exposé des faits et du droit, cette question n’a pas été reprise à l’audience. En conséquence, la Cour doit seulement se prononcer sur la conclusion de la Commission relative à l’équivalence.

 

[10]           Les conclusions relatives à l’équivalence sont des questions de fait à l’égard desquelles la retenue s’impose et où la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Abid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 164, 384 F.T.R. 74, au paragraphe 11.

 

[11]           Lors de l’examen d’une décision suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour doit s’attacher à la justification, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et examiner si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir les arrêts Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59.

 

Régime législatif

 

[12]           M. Wang a été déclaré interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 36(1)b) de la LIPR qui est ainsi libellé :

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants

 

[…]

 

b) être déclaré coupable, à l’extérieur du Canada, d’une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

 

[…]

 

(b) having been convicted of an offence outside Canada that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

 

[13]           Conformément à l’article 33 de la LIPR, les faits sous-jacents à une conclusion d’interdiction de territoire sont appréciés « sur la base de motifs raisonnables de croire qu’ils sont survenus ».

 

[14]           Selon la Cour suprême du Canada, la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables de croire » exige « davantage qu’un simple soupçon, mais [reste] moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile ». Des motifs raisonnables existent « lorsqu’il y a un fondement objectif reposant sur les renseignements concluants et dignes de foi » : Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40, [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 114.

 

Renseignements concernant l’infraction

 

[15]           La preuve concernant les événements à l’origine de la déclaration de culpabilité de M. Wang est mince. Nous ne disposons pas d’une copie de l’acte d’accusation, et nous ne savons donc rien des actes dont il a été accusé. Nous ne disposons pas non plus de l’entente sur plaidoyer de M. Wang, du jugement le déclarant coupable ou des motifs justifiant la peine.

 

[16]           Selon un rapport de police versé au dossier, M. Wang et quatre de ses amis étaient assis sur un banc lorsqu’un étranger est passé. Les cinq individus ont approché la victime par derrière, lui ont donné des coups de poing à la tête et au visage et lui ont tiré une balle dans la cuisse gauche. Je crois comprendre qu’il n’existe aucune affirmation du ministre selon laquelle M. Wang a en fait tiré les coups de feu. À l’examen du rapport de police, il faut reconnaître que celui-ci renferme seulement des allégations, et qu’il ne reflète pas nécessairement les faits qui ont réellement constitué le fondement de la déclaration de culpabilité de M. Wang.

 

[17]           Il est cependant indiqué, dans la demande de réhabilitation de M. Wang, que lors d’une promenade en compagnie de ses amis dans un parc, un des amis de M. Wang s’est disputé avec un étranger. Lorsque la dispute s’est aggravée, affirme M. Wang, son ami [traduction] « l’a forcé » à se rendre chez lui, l’ami, afin d’aller y chercher une arme à feu. M. Wang affirme qu’il s’est plié [traduction] « à contrecœur » à l’ordre de son ami, et qu’il lui a rapporté l’arme à feu. L’ami a alors [traduction] « perdu le contrôle » et tiré deux coups de feu, atteignant la victime et M. Wang lui-même. Il convient de souligner que le moment venu de parler des événements à l’origine de sa déclaration de culpabilité au criminel, M. Wang ne mentionne pas avoir frappé la victime à la tête, ce qui laisse sous-entendre clairement que son rôle dans la fusillade est à l’origine de la déclaration de culpabilité.

 

Analyse

 

[18]           Dans son premier argument, M. Wang précise qu’il a été établi qu’il avait été déclaré coupable de voies de fait au second degré, en contravention à l’article 120.5 du NYPC, sans qu’il ne soit toutefois établi en vertu de quel paragraphe de l’article 120.5, parmi les neuf paragraphes, il avait été déclaré coupable.

 

[19]           La conclusion de la Commission selon laquelle M. Wang avait été déclaré coupable d’une infraction en application du paragraphe 120.5(1) du NYPC était raisonnable. Il ressort clairement du certificat de décision de mise en accusation délivré par la Cour suprême de l’État de New York que la déclaration de culpabilité de M. Wang pour voies de fait a été prononcée sur le fondement du paragraphe 120.5(1) du NYPC. Ce paragraphe prévoit qu’est coupable de voies de fait la personne qui, [traduction] « avec l’intention de causer une blessure corporelle grave à une autre personne […] cause une blessure à cette personne ou à une tierce personne ».

 

[20]           Les parties conviennent que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Hill c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1987), 1 Imm. L.R. (2d) 1, 73 N.R. 315 [Hill], a établi que l’équivalence pouvait être déterminée de trois manières.

 

[21]           D’abord, « en comparant le libellé précis des dispositions de chacune des lois par un examen documentaire et, s’il s’en trouve de disponible, par le témoignage d’un expert ou d’experts du droit étranger pour dégager, à partir de cette preuve, les éléments essentiels des infractions respectives ».

 

[22]           En second lieu, cette équivalence peut être établie « par l’examen de la preuve présentée devant l’arbitre, aussi bien orale que documentaire, afin d’établir si elle démontrait de façon suffisante que les éléments essentiels de l’infraction au Canada avaient été établis dans le cadre des procédures étrangères, que les mêmes termes soient ou non utilisés pour énoncer ces éléments dans les actes introductifs d’instance ou dans les dispositions légales ». En dernier lieu, l’équivalence peut être établie au moyen d’une combinaison des deux premiers critères : tous ces extraits sont tirés du paragraphe 16 de l’arrêt Hill, susmentionné.

 

[23]           En l’espèce, la Commission semble avoir appliqué une combinaison des deux premiers critères de l’arrêt Hill, concluant que tant les lois de l’État de New York que les lois canadiennes requièrent de l’accusé qu’il ait une intention ou une connaissance, qu’il participe à l’infraction, et qu’une blessure soit causée à la victime.

 

[24]           La Commission a soupesé la preuve et a conclu que le ministre avait établi l’existence de motifs raisonnables de croire que les actes commis par M. Wang équivalait à l’infraction consistant à aider et à encourager quelqu’un à commettre des voies de fait causant des lésions corporelles. À mon avis, la Commission pouvait raisonnablement rendre cette décision, compte tenu du dossier dont elle disposait, et celle‑ci appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[25]           En se fondant sur les propres aveux de M. Wang, la Commission a conclu que, alors qu’il prenait part à une altercation à cinq contre un, il était allé récupérer une arme à feu sur l’ordre d’un coparticipant qui s’est ensuite servi de l’arme pour tirer sur la victime et causer une blessure. La Commission a examiné le rôle joué par M. Wang dans l’infraction et s’est demandé s’il aurait pu être considéré comme participant à l’infraction en vertu du droit canadien.

 

[26]           Après avoir examiné la preuve, notamment les aveux de M. Wang quant à son rôle dans la fusillade, la Commission a conclu qu’il existait des motifs raisonnables de croire que M. Wang était au courant de l’intention du tireur, de sorte qu’il répondait à la définition de celui qui aide ou encourage quelqu’un à commettre une infraction, selon l’article 21 du Code criminel. Il s’agissait là d’une conclusion raisonnable. Si M. Wang n’avait pas l’intention d’aider à commettre l’infraction, pourquoi est-il allé chercher l’arme?

 

[27]           Bien que M. Wang affirme maintenant avoir agi sous l’effet de la contrainte, précisons que la mens rea ou l’élément moral requis par l’article 21 du Code criminel pour qu’une personne soit réputée avoir participé à une infraction dans laquelle elle n’était pas directement impliquée n’est pas annulé par la contrainte : voir R. c. Hibbert, [1995] 2 R.C.S. 973, [1995] A.C.S. no 63 (Q.L.), au paragraphe 39.

 

[28]           La Commission a conclu, d’après les propres aveux de M. Wang, qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il avait plaidé coupable pour sa participation active (en apportant une arme à l’auteur principal), sachant que l’arme devait être utilisée pour tirer sur la victime. Bien que les circonstances entourant le plaidoyer de M. Wang ne soient pas tout à fait claires, je suis persuadée que la Commission disposait d’éléments de preuve suffisants pour étayer ses conclusions, compte tenu de la norme des « motifs raisonnables de croire » applicable aux questions de fait relevant de l’article 36 de la LIPR.

 

[29]           En dernier lieu, la conclusion de la Commission selon laquelle l’infraction prévue au paragraphe 120.5(1) du NYPC équivalait à l’infraction de voies de fait causant des lésions corporelles en vertu de l’article 267 du Code criminel était également raisonnable, eu égard aux éléments essentiels de chaque infraction.

 

[30]           Les deux infractions nécessitent la perpétration de voies de fait, ainsi qu’un élément moral ou une intention. Ainsi qu’il a été mentionné plus tôt, la Commission a raisonnablement conclu que la déclaration de culpabilité de M. Wang pour voies de fait dans l’État de New York, et sa participation admise lors de la fusillade, étaient suffisantes pour le considérer comme un participant à l’infraction en vertu du droit canadien, et satisfaire à l’exigence de l’élément moral de l’infraction.

 

[31]           Tant pour les infractions commises au Canada que celles commises aux États-Unis, une blessure grave doit être infligée.

 

[32]           Dans l’État de New York, l’infraction requiert une [traduction] « blessure corporelle grave », définie à l’article 10 du NYPC comme étant une [traduction] « blessure corporelle mettant sérieusement en danger la vie, ou causant la mort ou un défigurement grave et prolongé, une détérioration prolongée de la santé ou une perte ou détérioration prolongée du fonctionnement d’un organe corporel ».

 

[33]           Au Canada, l’infraction requiert des « lésions corporelles », lesquelles sont définies à l’article 2 du Code criminel comme étant une « [b]lessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance ».

 

[34]           Il n’est pas nécessaire en droit que les infractions soient identiques à tous égards. Tel que la Cour d’appel fédérale l’a fait remarquer, au paragraphe 18 de l’arrêt Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1060, cela tient « essentiellement à la similitude de définition des deux infractions ». À mon avis, la définition de la gravité des blessures requises dans le cadre des deux infractions est assez semblable pour que les infractions soient considérées comme équivalentes pour l’analyse fondée sur l’article 36. À vrai dire, l’élément [traduction] « blessure corporelle grave » de l’infraction prévue au NYPC est plus sévère que les « lésions corporelles » exigée par l’infraction prévue au Canada. C’est‑à‑dire que la blessure pouvant être qualifiée de [traduction] « blessure corporelle grave » pour les besoins de l’infraction prévue au NYPC serait nécessairement qualifiée de « lésions corporelles » pour l’application de l’article 267 du Code criminel.

 

Conclusion

 

[35]           Pour ces  motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

 

[36]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a présenté de question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-4226-11

 

INTITULÉ :                                                  RU WANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 20 décembre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS 

ET DU JUGEMENT :                                  Le 22 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

BELLISSIMO LAW GROUP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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