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 Date : 20111223

Dossier : IMM-3229-11

Référence : 2011 CF 1523

[Traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 23 décembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

 

ALMA ANGELINA CHINCHILLA JIMENEZ, LEVI JOSUE BARILLAS CHINCHILLA, par sa tutrice à l’instance ALMA ANGELINA CHINCHILLA JIMENEZ, et JOHNATHAN ISAAC BARILLAS CHINCHILLA

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, datée du 7 avril 2011 (la décision), par laquelle les demandes d’asile des demandeurs présentées sur le fondement des articles 96 et 97 de la Loi ont été rejetées.

LE CONTEXTE

[2]               Les demandeurs sont tous citoyens du Salvador. Les demandeurs secondaires, Levi Josue Barillas Chinchilla et Johnathan Isaac Barillas Chinchilla, sont les deux fils de la demanderesse principale. Les demandeurs revendiquent l’asile au Canada parce qu’ils ont fait l’objet de menaces au Salvador.

[3]               Vers le milieu de l’an 2000, le père (Tito) de la demanderesse principale a été menacé par un inconnu. À cette époque, Tito travaillait comme garde du corps pour Roberto H. Murray Mesa (Murray). Celui qui l’a menacé croyait qu’il détenait des informations sur les déplacements et l’horaire de Murray. Murray était alors politiquement engagé au Salvador, étant président du parti politique ARENA. En novembre 2000, le cousin de la demanderesse principale a été enlevé, vraisemblablement par les mêmes gens qui avaient menacé Tito. En échange de sa libération, les ravisseurs ont exigé une rançon et des renseignements sur les déplacements de Murray. Le frère de Tito, père dudit cousin, a payé une partie de la rançon, mais Tito n’a donné aucun renseignement sur Murray; malgré cela, le cousin a échappé à ses ravisseurs. En avril 2001, le frère de Tito s’est enfui avec son épouse et son fils au Canada. Ils y ont obtenu l’asile.

[4]               En mars 2001, des inconnus ont essayé de tuer Tito. En mai 2001, le superviseur immédiat de Tito s’est suicidé; il avait également été subi des pressions pour donner des renseignements sur Murray. Tito a été promu au poste de superviseur et, toujours en 2001, il a été victime de deux autres attentats à sa vie. Tito, son épouse et leur fils (le frère de la demanderesse principale) se sont enfuis au Canada en juillet 2001. Ils y ont également obtenu l’asile.

[5]               Après que sa famille se soit enfuie, la demanderesse principale est restée un certain temps avec ses fils dans la maison de son père. Elle a commencé à recevoir des appels de gens qui voulaient qu’elle leur dise où était Tito. En mai 2002, la demanderesse principale est allée vivre chez sa tante avec ses fils. Les appels se sont poursuivis pendant qu’elle vivait chez sa tante. Estimant qu’elle exposait sa tante à un risque de préjudice, la demanderesse principale a donc déménagé avec ses fils dans une nouvelle maison. Malgré son départ, les appels se sont poursuivis au point où la tante a dû annuler le service téléphonique.

[6]               Après qu’ils soient partis de la maison de la tante, la demanderesse principale a demandé à son cousin, Enrique Martinez (Martinez) d’emménager avec elle. Un jour de l’année 2003, Martinez n’est pas revenu du travail à l’heure prévue. Après l’avoir cherché, la demanderesse a appris qu’il avait été heurté par une voiture. Il est tombé dans un coma et est mort par la suite. La demanderesse principale a d’abord cru qu’il s’agissait d’un accident, mais plus tard elle a reçu un appel dans lequel on la menaçait de lui faire subir le même sort si elle ne disait pas où était son père. Après cet appel, les demandeurs ont commencé à déménager un peu partout au Salvador pour éviter d’être retrouvés.

[7]               En 2003, la demanderesse principale et son ami ont été suivis par deux hommes dans un centre commercial. Ils ont demandé de l’aide à des agents de police. Les policiers ont poursuivi les hommes, mais en vain. C’est alors que la demanderesse principale a décidé qu’elle n’en pouvait plus; elle a donc quitté son emploi et s’est enfuie avec ses fils au Guatemala.

[8]               La demanderesse principale et ses fils ont vécu au Guatemala jusqu’en janvier 2004, puis ils se sont rendus au Mexique où ils ont vécu pendant huit mois. Au cours des cinq années suivantes, ils se sont déplacés vers le Nord, vivant à Fresno (Californie) pendant huit mois et à Los Angeles (Californie) pendant quatre ans. En juillet 2009, les demandeurs sont partis au Canada, où ils sont arrivés le 24 juillet 2009. Ils ont demandé l’asile le même jour.

[9]               Les demandes d’asile des demandeurs ont été jointes conformément au paragraphe 49(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228. Comme son fils Levi était mineur à l’époque, la demanderesse principale a été commise pour le représenter. La SPR a entendu les demandes d’asile des demandeurs le 30 mars 2011. Les demandeurs secondaires ont adopté l’exposé circonstancié de la demanderesse principale et les trois demandes d’asile ont donc été jugées de la même façon. À l’audience, les demandeurs, leur conseil – un consultant en immigration – un interprète et les commissaires saisis de l’affaire étaient présents. La SPR a rendu sa décision le 7 avril 2011 et en a informé les demandeurs le 20 avril 2011.

LA DÉCISION VISÉE PAR LE CONTRÔLE

[10]           La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger. En conséquence, elle a rejeté leurs demandes d’asile.

L’identité des demandeurs

[11]           Les demandeurs ont établi leur identité à la satisfaction de la SPR en présentant leurs passeports salvadoriens.

La protection de l’État

[12]           La question déterminante quant aux demandes d’asile des demandeurs est celle de la protection de l’État. La SPR a conclu que, faute d’avoir réfuté la présomption de la protection de l’État au Salvador, les demandeurs ne pouvaient être considérés comme des réfugiés au sens de la Convention, ni comme des personnes à protéger.

[13]           La SPR a commencé son analyse de la protection de l’État par un examen de la jurisprudence sur cette question. Elle a mentionné qu’il existait une présomption relative à la protection de l’État, puis elle a énoncé le principe selon lequel l’asile est une protection supplétive offerte en l’absence de protection par le pays d’origine, ainsi que le principe selon lequel les demandeurs d’asile doivent solliciter la protection de leur pays d’origine lorsque celle‑ci pourrait être raisonnablement offerte. S’appuyant sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, la SPR a ajouté que la présomption de la protection de l’État ne pouvait être réfutée que par des éléments de preuve « clairs et convaincants » attestant que l’État est incapable de protéger ses citoyens.

[14]           Lorsqu’un État contrôle efficacement son territoire, le simple fait que ses efforts pour protéger ses citoyens ne réussissent pas toujours ne suffit pas à réfuter la présomption (voir Villafranca c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 1189 (CAF), au paragraphe 133). La SPR a conclu que le gouvernement salvadorien contrôle son territoire et qu’il dispose d’une force de sécurité efficace pour appliquer ses lois. La SPR a également invoqué l’arrêt Kadenko c Canada (Citoyenneté et Immigration), [1996] ACF no 1376 (CAF), à l’appui du principe selon lequel le fardeau du demandeur d’asile augmente avec le degré de démocratie du pays en cause.

[15]           La SPR a signalé qu’à l’audience, la demanderesse principale avait déclaré qu’à la fin de la guerre civile au Salvador, les guérilleros avaient intégré le corps policier. La demanderesse a précisé que les policiers n’étaient pas tous corrompus, mais qu’il était impossible de savoir lesquels étaient corrompus et lesquels ne l’étaient pas. Elle a également soutenu qu’il n’existait aucune sécurité au Salvador. Priée d’indiquer ce que ferait une personne qui rencontre un policier corrompu, elle a répondu que cette personne devrait débourser beaucoup d’argent pour demander réparation. Elle a affirmé aussi qu’elle devrait vivre cachée au Salvador.

[16]           La SPR a procédé à un examen approfondi de la preuve documentaire sur la situation au Salvador et a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. La SPR a conclu que le Salvador était une démocratie constitutionnelle et multipartite, dotée d’un appareil judiciaire indépendant et efficace. Elle a également ajouté que, bien qu’elle existe, la corruption au sein des forces de sécurité salvadoriennes n’était pas généralisée et que le gouvernement faisait des efforts sérieux pour y remédier.

[17]           La SPR a indiqué que le Salvador avait pris des mesures pour remédier aux problèmes de gangs dans le pays. Il a entres autres amélioré la formation destinée aux agents chargés de l’administration de la justice; il a créé un programme appelé Gang Resistance Education and Training (GREAT) à l’intention des enfants et il a adopté une loi offrant aide et protection aux victimes, aux témoins et à toute autre personne qui pourrait se trouver dans une situation de risque par suite d’une enquête criminelle ou d’une procédure judiciaire. La Police nationale civile (PNC) a également congédié, après enquête, plusieurs de ses agents pour des fautes très graves, notamment celles d’avoir participé à des enlèvements, au narcotrafic et aux activités de groupes illégaux.

[18]           La SPR a en outre déterminé que le Salvador prenait des mesures visant à protéger les femmes contre la discrimination. Le gouvernement a adopté la Loi contre la violence familiale, qui condamne toutes les formes de violence. La SPR a également reconnu que plusieurs groupes au Salvador, dont le Bureau du procureur général et la PNC, collaboraient en vue de combattre la violence envers les femmes. Le gouvernement salvadorien a aussi créé un programme offrant une aide psychologique et un soutien social aux femmes victimes de violence familiale. La SPR a également cité d’autres programmes avant de conclure que le Salvador déployait des efforts sérieux pour lutter contre la violence faite aux femmes.

Conclusion

[19]           La SPR a dit qu’après avoir examiné l’ensemble de la preuve, elle avait conclu que les demandeurs n’avaient pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants leur permettant de réfuter la présomption de la protection de l’État. Selon elle, les demandeurs n’avaient pas démontré que l’État ne pourrait pas raisonnablement les protéger s’ils sollicitaient sa protection. La SPR a en outre estimé qu’on ne lui avait présenté aucun élément de preuve convaincant attestant que les demandeurs seraient persécutés ou exposés à une menace à leur vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’ils étaient renvoyés au Salvador. Elle a donc rejeté les demandes d’asile des demandeurs.

QUESTIONS EN LITIGE

[20]           La seule question soulevée par les demandeurs en l’espèce est celle de savoir si la conclusion de la SPR sur la protection de l’État est raisonnable.

NORME DE CONTRÔLE

[21]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’était pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle dans chaque cas. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

[22]           Dans la décision Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2008 CAF 94, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 36, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. Cette approche a été suivie par le juge Leonard Mandamin dans Lozada c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CF 397, au paragraphe 17. De plus, dans Chaves c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2005 CF 193, la juge Danièle Tremblay‑Lamer a conclu, au paragraphe 11, que la norme de contrôle applicable à une conclusion relative à la protection de l’État était celle de la décision raisonnable. La norme de contrôle applicable à l’unique question en litige dans la présente instance est donc celle de la décision raisonnable.

[23]           Lors du contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59. En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable au sens où elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[24]           Les dispositions législatives suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; […]

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

 

THÈSES

Les demandeurs

 

[25]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion de la SPR selon laquelle ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État est déraisonnable parce qu’elle est contraire à la preuve. Ils signalent que la preuve documentaire soumise à la SPR indiquait qu’en 2008, le taux d’homicide annuel au Salvador était de 52 homicides par 100 000 personnes, alors que le taux (annuel) moyen mondial était de 9 homicides par 100 000 personnes. De plus, la réponse de la SPR à la demande de renseignements SLV103445.FE, qui fait partie du cartable de documentation sur le El Salvador, indique que selon le Overseas Security Advisory Council – une section du Département d’État des États‑Unis – le Salvador était [traduction] « l’un des pays les plus dangereux au monde ». Les demandeurs soutiennent qu’il existe une énorme différence entre « déployer beaucoup d’efforts » pour protéger ses citoyens et « offrir une protection adéquate de l’État ». Ils affirment également que le taux d’homicide au Salvador montre que l’État est incapable de protéger ses citoyens.

Le défendeur

[26]           Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas présenté une preuve fiable et probante permettant de réfuter la présomption de la protection de l’État et que la décision doit en conséquence être confirmée. Il ajoute que les demandeurs n’ont pas pris en compte la décision Carillo, précitée, pertinente pour la présente affaire.

[27]           La jurisprudence de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour suprême du Canada établit que les tribunaux doivent présumer qu’un État est capable de protéger ses citoyens. Cette présomption ne peut être réfutée que par une preuve claire et convaincante que l’État est incapable d’assurer cette protection. Qui plus est, les demandeurs peuvent démontrer que la protection de l’État est imparfaite, mais cela ne suffit pas pour réfuter la présomption. À ce propos, le défendeur invoque Ward, précité, à la page 724, Villafranca, précité, et Carillo, précité, aux paragraphes 17 à 19, 28 et 30.

[28]           Le défendeur fait valoir que, selon la décision Carillo, précitée, celui qui cherche à réfuter la présomption doit s’acquitter à la fois du fardeau de présentation et du fardeau de persuasion. Pour s’acquitter du fardeau de présentation, il doit démontrer par une preuve fiable et probante que la protection est insuffisante. Les demandeurs ont échoué à cet égard, car ils ont seulement démontré qu’ils n’avaient fait que des efforts minimes pour obtenir une protection avant de s’enfuir du Salvador.

[29]           Contrairement à la preuve présentée par les demandeurs, les nombreux documents considérés par la SPR démontraient que le Salvador pouvait protéger ses citoyens. La SPR a examiné l’ensemble de la preuve et a conclu avec raison qu’il n’y avait pas effondrement complet de l’appareil étatique et que les défendeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

La réplique des demandeurs

[30]           Les demandeurs font valoir que, bien qu’il soit question, dans la décision Carillo, du fardeau et de la norme de preuve qui incombent au demandeur en ce qui concerne la protection de l’État, le sens du terme « suffisant » n’y est nullement abordé. Dans leur cas, la conclusion de la SPR selon laquelle il existait une protection suffisante était déraisonnable. Selon eux, il est impossible que dans un pays où le taux d’homicide est plus élevé que le taux moyen mondial, l’État assure une protection suffisante. Il est possible qu’un État ne puisse empêcher un certain nombre ou une catégorie de crimes contre les droits de la personne tout en assurant une protection suffisante. Or, lorsque dans un pays le taux annuel d’homicide est supérieur à 10 homicides par 100 000 personnes – comme c’est le cas du Salvador – la présomption de la protection de l’État ne devrait plus s’appliquer.

ANALYSE

[31]           Les demandeurs ont soulevé un point précis afin de contester l’analyse faite par la SPR quant à la protection de l’État. Ils soutiennent que le taux d’homicide au Salvador (52 par 100 000 personnes) est tellement supérieur à la moyenne mondiale (9 homicides par 100 000 personnes) que l’on ne saurait affirmer que le Salvador offre une protection adéquate à ses citoyens, malgré les efforts récents que le pays a déployés en ce sens. De bonnes intentions ne doivent pas être assimilées à une protection suffisante, et le taux d’homicide, qui témoigne de ce fait, a été écarté par la SPR. Les demandeurs font remarquer que l’Organisation mondiale de la santé qualifie d’« épidémique » un taux d’homicide de 10 par 100 000 personnes.

[32]           Les demandeurs n’ont cité ni doctrine ni jurisprudence à l’appui de cette méthode statistique d’évaluation du caractère suffisant de la protection de l’État, et cette méthode est, à mon avis, viciée d’un point de vue conceptuel et jurisprudentiel.

[33]           L’asile est accordé à ceux qui peuvent établir qu’ils sont exposés à des risques ayant un lien avec un des motifs de la Convention. Une protection est également accordée à ceux qui sont personnellement exposés à un risque de préjudice dans leur pays d’origine. Dans les deux cas, l’État du pays d’origine doit ne pas vouloir ou ne pas pouvoir protéger ses propres citoyens pour que la protection internationale puisse être sollicitée. Dans le cas présent, l’État n’est pas l’agent de persécution et les demandeurs, qui ont vécu pendant longtemps aux États‑Unis, n’ont pas véritablement demandé aux autorités salvadoriennes de les protéger contre ceux qui voulaient leur faire du mal.

[34]           Le taux élevé d’homicides au Salvador ne nous apprend rien sur ce que l’État pourrait ou voudrait faire si les demandeurs sollicitaient sa protection. Selon moi, pour qu’elles soient pertinentes de quelque manière, les données statistiques devraient démontrer ce qui arrive à ceux dont les vies sont menacées et qui s’adressent à l’État pour obtenir sa protection. Le taux général d’homicide – qui tient compte des personnes assassinées pour des motifs autres que ceux prévus par la Convention, ainsi que de celles qui n’ont jamais demandé de protection – ne nous en apprend guère sur la présente affaire. Il se peut qu’il y ait une épidémie d’homicides au Salvador et que les autorités estiment difficile de redresser les chiffres, mais cela ne veut pas dire qu’elles ne peuvent ou ne veulent pas protéger les réfugiés qui pourraient demander à être protégés.

[35]           Après avoir examiné la preuve, la SPR a conclu que les autorités salvadoriennes pourraient assurer et assureraient une protection suffisante à ceux qui solliciteraient leur protection au Salvador. Invoquer les données statistiques générales relatives aux homicides n’a véritablement aucune incidence sur la question en litige et le fait que la SPR n’ait pas expressément traité de ces données ne rend pas sa décision déraisonnable. Le taux d’homicide varie considérablement d’un pays à l’autre. Il ne saurait en soi être une mesure de la volonté ou de la capacité d’un État à protéger ceux qui demandent à être protégés contre la persécution en vertu de l’article 96 de la Loi, ou ceux qui sont exposés à l’un des risques prévus à l’article 97 de la Loi, lorsqu’il en a l’occasion. La protection passe par la communication et la collaboration de la personne qui s’estime en danger. En l’espèce, les demandeurs n’ont pas fait preuve de collaboration.

[36]           En l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Conclure à l’existence d’une protection suffisante de l’État est fatal quant aux demandes d’asile fondées sur les articles 96 et 97, mais si je conclus que l’analyse de la SPR quant à la protection de l’État est déraisonnable, les demandeurs pourraient obtenir l’annulation de la décision. En l’espèce, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État. Voir Macias c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 598, au paragraphe 14, et Sran c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CF 145, au paragraphe 11.

[37]           Bien qu’ils aient contesté la décision de la SPR relativement à la protection de l’État, les demandeurs n’ont fait aucunement mention d’une faiblesse importante dans leur argumentation : le manque d’éléments de preuve démontrant qu’ils ne pouvaient se prévaloir d’aucune protection de l’État ou qu’ils avaient sollicité la protection des autorités et que cette protection leur avait été refusée. Il ressort du dossier que la seule fois où l’un des demandeurs a cherché à obtenir une protection était en mai 2003, alors que la demanderesse principale a demandé l’aide de la police parce qu’elle et son ami étaient suivis dans un centre commercial. La demanderesse principale a déclaré que la police était corrompue et que l’on ne pouvait savoir avec certitude qui était corrompu et qui ne l’était pas au Salvador, mais elle n’a présenté absolument aucune preuve démontrant qu’elle ou ses fils avaient demandé la protection de la police ou de toute autre autorité.

[38]           En attirant notre attention sur le taux élevé d’homicide au Salvador et sur le fait que ce pays a été reconnu comme [traduction] « l’un des pays les plus dangereux au monde », les demandeurs invitent la Cour à apprécier à nouveau la preuve soumise à la SPR et à tirer une conclusion différente. Tel n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire (voir Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 29, Tai c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2011 CF 248, au paragraphe 49, et Manbodh c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2010 CF 190, au paragraphe 11).

[39]           Quoique les éléments de preuve sur lesquels les demandeurs ont attiré notre attention tendent à démontrer que la situation au Salvador est moins qu’idéale, cela ne suffit pas pour fonder une demande d’asile. Dans Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2009 CF 1070, le juge Yves de Montigny a déclaré ce qui suit, au paragraphe 25 :

Le risque auquel réfèrent les articles 96 et 97 doit être particularisé et être encouru par le demandeur lui-même; par conséquent, la situation générale qui prévaut dans un pays donné ne suffit pas à établir le fondement de la protection recherchée, en l’absence de tout lien permettant d’y rattacher la situation personnelle d’un demandeur.

 

 

[40]           Les demandeurs en l’espèce n’ont présenté aucun élément de preuve établissant un lien entre leur situation et le taux d’homicide élevé ou toute autre condition prévalant au Salvador. Comme l’a conclu la Cour d’appel fédérale dans Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 1172 (CAF), il incombe aux demandeurs d’établir le bien‑fondé de leurs demandes. (Voir aussi Thuraisingam c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1332, au paragraphe 12.) Les demandeurs ont eu la possibilité de démontrer le caractère insuffisant de la protection offerte par l’État au Salvador, mais ils ne l’ont pas fait. Malheureusement, ils doivent maintenant en supporter les conséquences.

[41]           Pour remédier aux problèmes relevés dans les observations écrites, l’avocat des demandeurs a soutenu à l’audience que la véritable question tenait au fait que la SPR n’avait pas répondu à l’argument relatif aux données statistiques. Il a convenu qu’aucune preuve directe n’avait été soumise à la SPR en vue de démontrer ce qui arrivait aux personnes qui sollicitent la protection de l’État. Il a fait valoir que le taux élevé d’homicide était une preuve indirecte dont la SPR devait tenir compte et que, comme elle ne l’a pas fait, sa décision est déraisonnable.

[42]           Comme le défendeur le fait remarquer, les arguments qui ont été soulevés devant moi quant à la signification et à l’importance du taux général d’homicide pour l’analyse de la protection de l’État n’ont pas été soumis à la SPR. En fait, les demandeurs demandent à la Cour de conclure que la décision est déraisonnable parce que la SPR n’a pas considéré un argument qui ne lui a pas été présenté.

[43]           Les demandeurs cherchent à réfuter cette objection en disant que, bien que leur avocat n’ait pas soulevé cet argument devant la SPR, il a fait référence à un document, à la page 113 du dossier certifié du tribunal, dans lequel il est indiqué que le Salvador est [traduction] « l’un des pays les plus dangereux au monde », et pourquoi il en est ainsi à l’aide de données statistiques sur les homicides.

[44]           Après avoir pris connaissance de ce document, je ne peux voir comment la SPR aurait pu raisonnablement comprendre que les demandeurs voulaient qu’elle examine les données statistiques sur les homicides et qu’elle se demande si ces données rendent compte de la suffisance de la protection de l’État pour quiconque la sollicitait. L’avocat des demandeurs a simplement demandé à la SPR de considérer que le Salvador était l’un des pays les plus dangereux au monde, ce que la SPR a pleinement reconnu et mentionné dans ses motifs. Par conséquent, je ne peux accepter l’argument selon lequel la SPR n’a pas tenu compte d’un élément de preuve pertinent sur ce point ou qu’elle n’a pas répondu adéquatement aux observations qui lui étaient présentées à cet égard. Cela étant, j’estime que la décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de révision.

[45]           Les avocats ont convenu qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3229-11

 

INTITULÉS :                                                 ALMA ANGELINA CHINCHILLA JIMENEZ et al.      

                                            

                                                                        -   et   -

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                         ET DE L’IMMIGRATION                                                                                

                                                          

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 7 décembre 2011

                                                           

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 23 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :   

 

Micheal Crane                                                                 POUR LES DEMANDEURS

                                                                                                                    

Neeta Logsetty                                                                POUR LE DÉFENDEUR                                  

 

                              

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :    

 

Micheal Crane                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Avocats

Toronto (Ontario) 

                                                                                                                 

Myles J. Kirvan, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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