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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111206


Dossiers : T-644-09

T-933-09

Référence : 2011 CF 1486

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 6 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Boivin

 

Dossier : T-644-09

ENTRE :

 

 

APOTEX INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

SANOFI-AVENTIS

 

 

 

défenderesse

 

Dossier : T-933-09

 

ENTRE :

 

 

SANOFI-AVENTIS ET

BRISTOL-MYERS SQUIBB SANOFI

PHARMACEUTICALS HOLDINGS PARTNERSHIP

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

APOTEX INC.

APOTEX PHARMACHEM INC.

ET SIGNA SA de CV

 

 

défenderesses

 

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT

 

Audiences : les 18, 19, 20, 21, 26, 27, 28 et 29 avril,

les 3, 4, 5, 9, 10, 11, 16, 17, 18, 19, 24, 25, 30 et 31 mai

ainsi que les 1er, 13, 14 et 15 juin 2011

 

I           Introduction

A.        Observations préliminaires

[1]               La présente affaire concerne le médicament appelé bisulfate de clopidogrel, vendu au Canada sous la marque Plavix et commercialisé comme anticoagulant qui inhibe l’agrégation plaquettaire dans le sang. Le Plavix est l’objet du brevet canadien n° 1,336,777 (le brevet 777) délivré le 22 août 1995.

 

[2]               Le brevet 777 est un brevet de sélection détenu par Sanofi-Aventis[1]. Au cœur de la présente affaire se pose la question de la validité du brevet 777. Sanofi prétend que le brevet 777 est valide et qu’il a été contrefait par Apotex[2], qui fabrique et vend du clopidogrel sous forme de générique. Apotex, pour sa part, affirme que le brevet 777 est invalide et qu’il n’y a donc pas eu contrefaçon.

 

[3]               La demande ayant conduit au brevet 777 a été déposée au Canada le 2 février 1988. La Cour remarque d’entrée de jeu que, conformément aux articles 78.1 et 78.2 de l’actuelle Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, et modifications, les demandes de brevet, comme celle dont il est question ici, déposées avant le 1er octobre 1989, doivent être traitées d’après les dispositions de la Loi sur les brevets telles qu’elles existaient immédiatement avant cette date. Ainsi, dans les présents motifs, les renvois à la Loi sur les brevets (ci-après la Loi sur les brevets, ou la Loi), seront, sauf indication contraire, des renvois à la Loi telle qu’elle existait immédiatement avant le 1er octobre 1989.

 

[4]               La Cour fait aussi observer que la présente instance réunit en fait deux actions. D’abord, il y a l’action en invalidation intentée par Apotex (T-644-09), puis il y a l’action en contrefaçon intentée par Sanofi (T-933-09). Le contexte procédural dans lequel chacune de ces actions a été introduite sera maintenant résumé.

 

B.         Le contexte procédural

[5]               Le 10 mars 2003, Apotex a signifié à Sanofi un avis d’allégation aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement MBAC) afin d’obtenir du ministre de la Santé un avis de conformité en application de l’article C.08.004 du Règlement sur les aliments et drogues, CRC 1978, c 870. Dans son avis d’allégation, Apotex affirmait que le fait pour elle de fabriquer et de vendre des comprimés génériques de bisulfate de clopidogrel ne porterait atteinte à aucune des revendications valides du brevet 777.

 

[6]               En réponse, Sanofi a sollicité une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité pour les comprimés génériques de bisulfate de clopidogrel jusqu’à l’expiration du brevet 777.

 

[7]               Par ordonnance datée du 21 mars 2005, le juge Shore, de la Cour fédérale, a accueilli la demande de Sanofi. En conséquence de cette ordonnance, le brevet 777 empêchait Apotex de mettre sur le marché au Canada ses comprimés génériques de bisulfate de clopidogrel. La Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada ont confirmé cette ordonnance. Apotex n’a donc pas obtenu d’avis de conformité du ministre de la Santé.

 

[8]               Après l’ordonnance du 21 mars 2005 et les contestations judiciaires connexes, les deux présentes procédures, maintenant réunies, ont été ainsi introduites : l’action en invalidation, intentée par Apotex le 22 avril 2009 (T-644-09); l’action en contrefaçon, intentée par Sanofi le 8 juin 2009 (T-933-09).

 

[9]               En résumé, par son action en invalidation, Apotex voudrait que soit rendu un jugement déclaratoire portant que les revendications du brevet 777 sont invalides, nulles et sans effet. Apotex allègue les motifs d’invalidité suivants :

§            inutilité;

§            absence d’utilité démontrée/absence de prédiction valable;

§            évidence;

§            absence de nouveauté/d’antériorité;

§            double brevet.

 

Apotex sollicite aussi une déclaration de non-contrefaçon pour ses comprimés génériques de clopidogrel.

 

[10]           Inversement, par son action en contrefaçon, Sanofi voudrait que soit rendu un jugement déclaratoire portant qu’Apotex a contrefait le brevet 777 en fabriquant au Canada des produits à base de clopidogrel pour exportation vers d’autres pays, dont les États-Unis, et que, en conséquence, Sanofi a droit à une injonction et à un état comptable des profits ou à des dommages-intérêts[3].

 

[11]           L’action en invalidation intentée par Apotex et l’action en contrefaçon introduite par Sanofi s’appuient sur les dossiers respectifs suivants :

Action en invalidation

1.          déclaration d’Apotex en date du 22 avril 2009;

2.          déclaration modifiée d’Apotex en date du 27 mai 2009;

3.          défense de Sanofi en date du 8 juin 2009;

4.          réponse d’Apotex en date du 18 juin 2009.

 

Action en contrefaçon

1.         déclaration de Sanofi en date du 8 juin 2009;

2.         deuxième défense et demande reconventionnelle modifiée d’Apotex en date du 14 décembre 2010;

3.         exposé de précisions en date du 2 décembre 2010 relativement à la défense et demande reconventionnelle modifiée d’Apotex;

4.         exposé de précisions bis en date du 16 décembre 2010;

5.         réponse et défense de Sanofi à la demande reconventionnelle, en date du 31 janvier 2010;

6.         exposé de précisions en date du 8 avril 2010 en réponse à la défense opposée par Sanofi à la demande reconventionnelle;

7.         réponse modifiée d’Apotex en date du 15 avril 2011 à la défense opposée à sa demande reconventionnelle.

 

[12]           Le ou vers le 15 juillet 2009, Sanofi a déposé une requête en réunion de l’action en invalidation et de l’action en contrefaçon afin que les deux actions soient instruites ensemble. Dans sa défense et sa demande reconventionnelle, Apotex s’est opposée à la réunion des actions, affirmant que l’action en contrefaçon devrait être suspendue. Par ordonnance datée du 2 novembre 2009, la protonotaire Tabib, agissant comme juge responsable de la gestion de l’instance, a ordonné que les actions soient réunies. Elle a aussi ordonné la disjonction des questions portant sur les dommages-intérêts.

 

[13]           Les deux actions ont donc été instruites ensemble au cours d’un procès qui a débuté le 18 avril 2011. Durant les vingt-six (26) jours de l’instruction, un total de vingt-trois (23) témoins experts et témoins factuels ont comparu devant la Cour. Un bref survol de leurs témoignages figure à l’annexe A.

 

[14]           Les principaux points à décider dans la présente instance sont les suivantes :

A)      Sanofi a-t-elle qualité pour intenter son action en contrefaçon?

B)            Apotex a-t-elle porté atteinte au brevet 777?

C)           Le brevet 777 est-il valide?

 

[15]           Comme il est expliqué dans les présents motifs, la Cour a conclu que :

A)           Sanofi a qualité pour intenter son action en contrefaçon;

B)            le brevet 777 a été contrefait par Apotex;

C)           le brevet 777 est invalide.

 

[16]           En conséquence, l’action en invalidation intentée par Apotex est accueillie, et l’action en contrefaçon intentée par Sanofi est rejetée.

 

II         Table des matières

[17]           Pour aider le lecteur, la Cour a établi pour les présents motifs une table des matières indiquant le numéro de paragraphe de chaque rubrique.

 

 

Table des matières                                                                    Paragraphe

I     Introduction

2

A     Observations préliminaires .................................................................

1

B     Le contexte procédural ......................................................................

5

 

 

II    Table des matières

 

Table des matières ..................................................................................

17

III   La procédure d’avis de conformité

 

        L’avis de conformité .................................................................................

18

IV   La qualité pour agir

29

A     Les observations des parties ..............................................................

29

(1)     La position d’Apotex .............................................................

29

(2)     La position de Sanofi .............................................................

30

B     Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets – les principes généraux ...................................................................................................

33

C     Les accords de partenariat BMS-Sanofi ............................................

40

D     La preuve soumise à la Cour .............................................................

47

E     Conclusion sur la qualité pour agir ......................................................

57

V   L’interprétation des revendications

 

A     Les principes généraux ......................................................................

58

B     L’hypothétique personne moyennement versée dans l’art, ou personne du métier ..................................................................................................

64

C     Le mémoire descriptif du brevet ........................................................

81

D     Les revendications en cause ..............................................................

95

E     Les revendications 1, 3, 10 et 11 .......................................................

96

F     Les limites des revendications 6 à 9 ....................................................

102

G    Quel est le sens de l’expression [traduction] « médicament de l’invention »? ............................................................................................

108

H    La page 21 du brevet 777 ..................................................................

119

 I     L’invention décrite dans le brevet 777 ................................................

133

 J     L’interprétation de la promesse du brevet ..........................................

141

(1)     Les principes généraux .............................................................

141

(2)     Résumé de la preuve d’expert ..................................................

147

(3)    Quelle est la promesse du brevet 777? .......................................

158

K     Résumé concernant l’interprétation des revendications .......................

182

 

 

VI  La contrefaçon – le contexte

184

A     Introduction ......................................................................................

184

B     Les principes généraux ......................................................................

185

C     Résumé des arguments de Sanofi sur la contrefaçon ...........................

194

D     La preuve soumise à la Cour .............................................................

198

(1)     Les revendications de produit : les revendications 1, 3, 10 et 11

211

(2)     Les revendications de procédé : les revendications 6 à 9 ...........

214

E     La possible exonération de responsabilité ...........................................

232

(1)     L’utilisation expérimentale alléguée par Apotex .........................

233

F     Les défenses opposées par Apotex à l’allégation de contrefaçon ........

239

(1)     Le délai de prescription ............................................................

240

(2)     Les accords de règlement et la défense de préclusion ................

259

G     Conclusion ........................................................................................

293

 

 

VII   La validité

294

A     La portée excessive ..........................................................................

295

B     Le caractère suffisant .........................................................................

303

C     L’antériorité.......................................................................................

306

(1)     Les principes généraux ...............................................................

306

(2)     Les affiches et les abrégés...........................................................

312

(3)     Le brevet 875 ............................................................................

323

(4)     Conclusion sur l’antériorité .........................................................

330

D     Le double brevet ...............................................................................

331

E     L’utilité ..............................................................................................

336

(1)     L’absence d’utilité .....................................................................

336

(2)     L’utilité démontrée .....................................................................

339

(3)     L’utilité – la prédiction valable ....................................................

358

a)      La promesse du brevet 777 ...............................................

358

b)      La prédiction ....................................................................

363

(i)     Quelle est l’utilité? .....................................................

363

(ii)    La promesse du brevet ..............................................

367

(iii)   L’inférence raisonnable prima facie d’utilité ...............

401

c)      Le fondement factuel .........................................................

404

(i)     Sommaire de la chronologie ......................................

404

(ii)    Les événements importants du fondement factuel ........

441

(iii)   Les inconvénients du fondement factuel.......................

468

(iv)   Conclusion sur le fondement factuel ...........................

483

d)      Le raisonnement valable ....................................................

489

(i)     La stéréochimie .........................................................

492

(ii)    La toxicologie ...........................................................

502

(iii)   L’hématologie ...........................................................

507

(iv)   La pharmacologie ......................................................

518

(v)    Les travaux antérieurs sur les composés de la thiénopyridine ....................................................................

543

(vi)   L’extrapolation des animaux aux humains ...................

556

(vii)  Conclusion sur le raisonnement ..................................

562

e)      La divulgation ....................................................................

564

(i)     La contrepartie – les principes ...................................

564

(ii)    Le fondement factuel .................................................

569

(iii)   La divulgation insuffisante – l’absence d’éléments essentiels du fondement factuel .................................

 

571

(a)     Aucune référence aux travaux effectués sur la ticlopidine ................................................................

 

574

(b)     Aucune référence au PCR 4099 ......................

575

(c)     Aucune référence aux modèles animaux multiples utilisés ni à la connaissance de convulsions ....................................................

 

578

(d)     Aucune reconnaissance de l’importance du métabolisme .............................................................

 

580

(4)     Conclusion sur la divulgation .....................................................

584

F     Conclusion sur la prédiction valable ....................................................

585

 

 

VIII   L’évidence

 

A     Les principes généraux ......................................................................

587

B     La date de l’invention ........................................................................

591

C     Les connaissances générales courantes ..............................................

601

(1)     L’état de la science ..................................................................

605

(2)     Le brevet 875 ..........................................................................

608

(3)     Les abrégés et affiches lors de la Conférence de juillet 1985 à San Diego et lors de la Conférence de juin 1986 à Jérusalem ....

 

615

(4)     Les Directives de fabrication de 1987 de la FDA ......................

629

(5)     L’article Ariëns ........................................................................

639

(6)     Le PCR 4099 ..........................................................................

645

D     Le critère de l’évidence .....................................................................

648

(1)     Identifier l’hypothétique « personne versée dans l’art » ..............

649

(2)     Déterminer les connaissances générales courantes de cette personne...................................................................................

650

(3)     Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation ...........................................................

 

653

(4)     Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la science » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation ............................................

 

 

654

(5)     Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art, ou dénotent-elles quelque inventivité? ............................................

 

 

 

657

E     L’« essai allant de soi » : les éléments à considérer ..............................

658

(1)     Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes du métier? .............................................................

 

 

663

  a)     Les méthodes de séparation ...........................................

664

(i)     Qu’est-ce que la « méthode Pasteur »? ...................

667

(ii)    La personne du métier s’en remettrait-elle à la méthode de CLHP chirale? ....................................

 

678

(iii)   Conclusion sur la méthode d’obtention d’une séparation .......................................................................

687

  b)     Les méthodes d’obtention d’une formation saline ............

694

  c)     Conclusion : « L’essai sera-t-il fructueux? » .....................

707

(2)     Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants? ...........................

 

 

 

709

a)      Que signifie « courants » dans la séparation des énantiomères du PCR 4099 et dans l’obtention des sels? .....................................................................................

 

709

(3)     Les antériorités donnent-elles une motivation à trouver la solution figurant dans le brevet? ..............................................

 

721

a)     La motivation à séparer les énantiomères : les « balbutiements » du milieu de la décennie 1980 ............

 

722

Événement 1: le désastre de la thalidomide .........................

725

Événement 2 : les directives japonaises de 1985 .................

727

Événement 3 : le discours de 1986 du Dr Kumkumian ........

729

Événement 4 : les directives de 1987 de la FDA et le Comité sur les stéréo-isomères ............................

 

733

Événement 5 : l’article de 1989 de la revue Nature et l’appel au développement de nouveaux médicaments

735

Événement 6 : un partenaire de coentreprise s’enquiert des données sur les énantiomères ...............................

738

Événement 7 : la Politique de 1992 de la FDA en vigueur ...

741

 b)     Résumé ........................................................................

743

 c)     Conclusion sur la « motivation » .....................................

750

(4)     La ligne de conduite effective qui a mené à l’invention .............

752

(5)     Conclusion sur l’évidence .......................................................

783

 

 

IX     Conclusions générales

 

Conclusion ........................................................................................

785

 

III        La procédure d’avis de conformité

[18]           Comme il est mentionné précédemment, le différend entre les parties concernant le brevet 777 a été l’objet d’une procédure d’avis de conformité. Vu les circonstances, la Cour juge à propos de donner un bref aperçu de cette procédure.

 

[19]           Essentiellement, une procédure d’avis de conformité est une procédure sommaire d’appréciation de la validité d’un brevet canadien. Cette procédure est introduite par voie de demande déposée devant la Cour fédérale du Canada (Sanofi-Synthelabo Canada Inc c Apotex Inc, 2005 CF 390, 39 CPR (4th) 202). Il n’y a notamment pas de témoignages de vive voix, et la preuve se limite donc à un dossier documentaire. Il est significatif que le Règlement MBAC n’autorise pas de conclusions définitives sur la validité en tant que telle du brevet; la seule conclusion pouvant être tirée dans le contexte d’une procédure d’avis de conformité concerne la question de savoir si les allégations d’invalidité du brevet sont « justifiées » ou « non justifiées ».

 

[20]           En outre, le Règlement MBAC ne supplante pas le droit d’un titulaire de brevet d’intenter une action en contrefaçon, ni celui d’une personne intéressée de contester la validité d’un brevet dans une action en invalidation (Pharmacia Inc c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), [1995] 1 CF 588, 58 CPR (3d) 209 (CAF), à la page 217; Bristol-Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, 39 CPR (4th) 449, aux paragraphes 11 et 12).

 

[21]           Dans la procédure d’avis de conformité introduite par Apotex, Apotex affirmait qu’un avis de conformité devrait être émis, parce que le générique du bisulfate de clopidogrel ne portait pas atteinte au brevet 777. Apotex soutenait notamment que le brevet 777 était invalide pour cause d’évidence, d’antériorité et de double brevet.

 

[22]           Comme il a été mentionné plus haut, Apotex n’est pas parvenue à obtenir un avis de conformité. Le juge Shore, statuant en première instance, a rejeté les trois (3) arguments d’invalidité avancés par Apotex, au motif qu’ils n’étaient pas fondés.

 

[23]           Apotex a fait appel de la décision du juge Shore et, le 22 décembre 2006, la Cour d’appel fédérale confirmait cette décision et rejetait en conséquence l’appel d’Apotex (Sanofi-Synthelabo Canada Inc c Apotex Inc, 2006 CAF 421, 59 CPR (4th) 46).

 

[24]           Le juge Noël, rédigeant l’arrêt unanime de la Cour d’appel fédérale, a conclu qu’Apotex n’avait pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que le juge Shore avait commis des erreurs susceptibles de révision dans ses conclusions sur l’évidence, l’antériorité et le double brevet.

 

[25]           Apotex a alors formé un pourvoi devant la Cour suprême du Canada. Le 6 novembre 2008, dans l’arrêt Apotex c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61, 69 CPR (4th) 251 [l’arrêt Plavix], la Cour suprême du Canada, dans une décision unanime rédigée par le juge Rothstein, a rejeté le pourvoi d’Apotex, à nouveau sur les questions touchant l’évidence, l’antériorité et le double brevet. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a modifié les critères juridiques de l’évidence et de l’antériorité. Les principes juridiques applicables seront examinés plus loin dans la présente décision.

 

[26]           Dans le contexte de la présente affaire, Sanofi s’est largement fondée sur l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans la procédure d’avis de conformité. Cependant, la procédure d’avis de conformité et les conclusions factuelles auxquelles elle a pu conduire sont d’une aide restreinte lorsque, comme c’est le cas ici, la preuve produite et les questions à trancher diffèrent considérablement de celles de la procédure d’avis de conformité. En effet, contrairement à la procédure d’avis de conformité, les présentes actions en invalidation et en contrefaçon ont nécessité, durant l’instruction, les dépositions de neuf (9) témoins experts et de quatorze (14) témoins factuels. Tous ces témoins ont d’ailleurs été entendus sur un plus grand nombre de questions que celles qui avaient été examinées au cours de la procédure d’avis de conformité. Nombre d’entre eux ont notamment été entendus sur la question de la prédiction valable, qui, comme on le verra plus loin, est une question essentielle soumise à la Cour. Or, la question de la prédiction valable ne fut pas considérée dans la procédure d’avis de conformité, et la présentation de preuves sur la question n’avait donc pas été nécessaire.

 

[27]           Pour les questions touchant l’évidence et l’antériorité, il est clair également que la preuve soumise à la Cour fédérale du Canada, à la Cour d’appel fédérale et à la Cour suprême du Canada différait sensiblement de celle présentée en l’espèce à la Cour. Ainsi, tout en reconnaissant que les principes juridiques appliqués et les points de droit décidés par la Cour suprême du Canada dans la procédure d’avis de conformité doivent forcément être suivis, la Cour n’est toutefois pas liée par les conclusions de fait tirées dans le cadre de la procédure d’avis de conformité, parce que la preuve n’est pas nécessairement la même. Par conséquent, la procédure d’avis de conformité, bien qu’instructive, n’est pas concluante quant au contexte factuel. Comme l’écrivait également la Cour d’appel fédérale, « [l]e tribunal tire ses conclusions de fait de la preuve produite devant lui dans l’affaire particulière dont il est saisi », et il « lui incomb[e] plutôt de fonder ses conclusions sur la preuve produite devant lui » (Ratiopharm Inc c Pfizer Ltd, 2010 CAF 204, 87 CPR (4th) 185, aux paragraphes 25 et 26).

 

[28]           Il s’ensuit que la procédure d’avis de conformité n’a pas l’autorité de la chose jugée (Ratiopharm Inc c Pfizer Ltd, 2009 CF 711, 76 CPR (4th) 241, au paragraphe 18; Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2009 CF 235, 73 CPR (4th) 253). Autrement dit, elle n’est pas parole d’évangile.

 

IV        La qualité pour agir

A.        Les observations des parties

(1)     La position d’Apotex

[29]           Apotex fait valoir que l’une des demanderesses dans la présente affaire, à savoir Bristol‑Myers Squibb Sanofi Pharmaceuticals Holding Partnership (la Société), n’a pas qualité pour intenter la présente action, dans la mesure où cette action concerne des actes de contrefaçon qui se seraient produits avant le 12 juin 2007, date à laquelle Sanofi et la Société ont décidé de concert de modifier l’Accord de fourniture et de licence de propriété intellectuelle pour le clopidogrel (l’Accord PI modifié). Selon Apotex, la Société n’avait pas de licence explicite avant l’Accord PI modifié et, qui plus est, une telle modification ne saurait avoir pour effet de conférer des droits rétroactivement. Apotex fait valoir que la Société n’est pas l’entité active qui exerce dans les juridictions étrangères en cause, et Apotex ajoute que la Société n’est pas présente au Canada. Selon Apotex, la Société ne peut donc pas demander réparation.

 

(2)     La position de Sanofi

[30]           En réponse, Sanofi soutient que, compte tenu de son brevet 777, il ne fait aucun doute qu’elle a qualité pour intenter une action en contrefaçon et obtenir un redressement. Quant à la Société, Sanofi soutient que la Société est un titulaire de licence exclusive aux termes du brevet 777 et qu’elle a, par conséquent, qualité pour intenter une action en contrefaçon et obtenir un redressement aux termes du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.

 

[31]           Plus précisément, Sanofi fait valoir que la Société est une « personne se réclamant » d’un breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, parce que la Société revendique un droit découlant du brevet 777, un droit qui émane du breveté lui-même. Selon Sanofi, un titulaire de licence exclusive ou non exclusive, implicite ou orale, remplit les conditions d’une « personne se réclamant » d’un breveté (décision Jay-Lor, ci-après).

 

[32]           À ce propos, Sanofi souligne que la Société s’est vu conférer un droit explicite d’utiliser et d’exploiter l’objet du brevet 777 et le bisulfate de clopidogrel.

 

B.         Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets – les principes généraux

[33]           Le mot « breveté » ou l’expression « titulaire d’un brevet » sont définis ainsi à l’article 2 de la Loi sur les brevets : « [l]e titulaire ayant pour le moment droit à l’avantage d’un brevet ». Comme le breveté exerce un monopole sur son invention brevetée, il peut dès lors, exclusivement ou non exclusivement, en totalité ou en partie, céder son brevet, accorder une licence d’exploitation du brevet ou conférer un droit d’utilisation du brevet. Il est significatif que le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets prévoit un recours en dommages-intérêts et confère donc la qualité pour exercer ce recours non seulement au breveté, mais aussi à « toute personne se réclamant du breveté ». Le paragraphe 55(1) est ainsi formulé :

55. (1) Quiconque viole un brevet est responsable, envers le breveté et envers toute personne se réclamant du breveté, de tous dommages-intérêts que cette violation a fait subir au breveté ou à cette autre personne.

55. (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under him for all damages sustained by the patentee or by any such person, by reason of the infringement.

 

 

[34]           La question de savoir qui peut être considéré comme une personne se réclamant d’un breveté aux termes du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets a été analysée maintes fois par les tribunaux canadiens. Dans une affaire jugée en 1972, American Cyanamid Company c Novopharm Limitée, [1972] CF 739, la Section d’appel de la Cour fédérale du Canada avait élargi le sens de l’expression « toute personne se réclamant du breveté », pour conclure qu’un titulaire de licence non exclusive d’un brevet est une personne se réclamant du breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets.

 

[35]           Dans la même veine, dans l’arrêt Armstrong Cork Canada Ltd c Domco Industries Ltd, [1982] 1 RCS 907, 66 CPR (2d) 46, à la page 912, la Cour suprême du Canada avait fait siens les propos tenus par le juge Fry dans la décision Heap v. Hartley, (1889) 42 Ch D 461, à la page 470 :

[…] Une licence exclusive est seulement une licence dans un seul sens; c’est-à-dire que la véritable nature d’une licence est la suivante. C’est une permission de faire une chose et un contrat par lequel on s’engage à ne donner à personne d’autre la permission de faire la même chose. Mais cela ne confère, comme tout autre licence, aucun intérêt ou droit réel dans la chose. […]

 

[36]           Une autre décision de principe en la matière est l’arrêt Signalisation de Montréal Inc c Services de Béton Universels Ltée (CAF), [1993] 1 CF 341, 46 CPR (3d) 199, où la Cour d’appel fédérale analysait la question du droit d’une personne autre que le breveté d’intenter une action en contrefaçon. Ce faisant, la Cour d’appel fédérale avait considérablement élargi le réservoir de « personnes se réclamant du breveté ». Elle s’exprimait ainsi, aux pages 210 et 211 :

[…] une personne "se réclamant" du breveté est une personne qui tire du breveté son droit d’utilisation de l’invention brevetée, à quelque degré que ce soit. Le droit d’employer une invention en est un dont le monopole est conféré par un brevet. Lorsque la violation de ce droit est alléguée par une personne qui peut directement faire remonter son titre jusqu’au breveté, cette personne « se réclame » du breveté. Peu importe le moyen technique par lequel le droit d’utilisation peut avoir été acquis. Il peut s’agir d’une cession directe ou d’une licence. Comme je l’ai indiqué, il peut s’agir de la vente d’un article constituant une réalisation de l’invention. Il peut également s’agir de la location de l’invention. Ce qui importe est que le réclamant invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit puisse remonter au breveté. […]

 

[37]           Plus récemment, dans la décision Laboratoires Servier c Apotex Inc, 2008 CF 825, 67 CPR (4th) 241, au paragraphe 77, la juge Snider estimait que « [l]a capacité d’une partie de se réclamer d’un breveté n’exige pas nécessairement l’existence d’une licence accordée expressément ». Elle ajoutait qu’« en l’absence d’une licence de ce genre, chaque cause sera[it] tranchée suivant les faits de l’espèce pour décider s’il existe une licence implicite ou un autre droit qui permet à une partie de se réclamer du breveté ».

 

[38]           En outre, dans la décision Servier, au paragraphe 70, la juge Snider donnait les directives suivantes :

[70]  Le critère applicable pour déterminer qui est une personne se réclamant du breveté n’est pas simplement la question de savoir si le breveté a consenti à ce que la personne se joigne comme demanderesse à une action, pas plus qu’il est suffisant de démontrer que les parties sont liées. Dans chaque cas, les faits doivent montrer un fondement crédible et suffisant en droit pour se réclamer d’un breveté (JAY‑LOR International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 59 C.P.R. (4th) 228 (C.F.), aux paragraphes 31 et 36 (JAY‑LOR)).

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[39]           À la lumière de ces principes, la Cour examinera maintenant les accords de partenariat BMS-Sanofi conclus entre Sanofi et la Société.

 

C.        Les Accords de partenariat BMS-Sanofi

[40]           La Société résultait de la découverte du clopidogrel et de l’irbésartan, deux médicaments prometteurs. Comme Sanofi était très peu présente aux États-Unis et au Canada, elle a proposé à Bristol-Myers Squibb (BMS) d’établir un partenariat en vue de commercialiser les composés à l’échelle mondiale. Sanofi et BMS ont donc conclu en 1993 un accord de développement, de même qu’une série d’accords ultérieurs comprenant un Accord de partenariat, un Accord de soutien de l’alliance (territoires A et B), un Accord de licence de savoir-faire et un Accord de fourniture et de licence de propriété intellectuelle pour le clopidogrel. Tous ces accords portent la date du 1er janvier 1997.

 

[41]           En 2007, les parties ont décidé de revoir l’un des accords signés en 1997, à savoir l’Accord de fourniture et de licence de propriété intellectuelle pour le clopidogrel. La révision de cet accord visait à répondre aux besoins de l’alliance, car les produits approchaient de l’étape de la commercialisation, et cette révision portait notamment sur […] de l’accord initial faisant état du brevet en cause. Une modification de l’Accord de fourniture et de licence de propriété intellectuelle pour le clopidogrel fut donc signée le 6 décembre 2007.

 

[42]           La Cour remarque que les arrangements contractuels concernant la Société étaient structurés autour de deux territoires, communément appelés le Territoire A et le Territoire B. Le Territoire B englobe les États-Unis, le Canada, le Mexique, l’Amérique du Sud, l’Australie et la Nouvelle‑Zélande, tandis que le Territoire A comprend l’Europe, l’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie. Deux sociétés, une pour chaque territoire, furent donc constituées pour gérer les dépenses centrales, liées notamment au marketing, à la recherche-développement et aux redevances, et pour approvisionner les divers pays en produits finis. Au niveau des pays, des accords de promotion commune ou de commercialisation commune furent également conclus.

 

[43]           La Cour relève aussi que l’Accord de licence de savoir-faire confère des droits à l’une ou l’autre des parties au sein de la Société en ce qui concerne toutes les données techniques, ainsi que tous renseignements, documents et autres éléments de savoir-faire qui se rapportent à la formulation des produits mis au point aux termes de l’Accord de développement.

 

[44]           En ce qui concerne l’Accord de fourniture et de licence de propriété intellectuelle pour le clopidogrel (1997), de même que l’Accord modifié (2007), ces accords confèrent une licence exclusive à la Société dans les termes suivants :

[…]   [omis].

 

[45]           [omis].

 

[46]           Sur cette toile de fond, la Cour examinera maintenant la preuve qui lui a été soumise à propos des droits conférés à la Société.

 

D.        La preuve soumise à la Cour

[47]           Au cours de l’instruction, le Dr Thierry Saugier, vice-président de l’Alliance et de la Société chez Sanofi-Aventis, a été appelé par Sanofi à témoigner sur la qualité pour agir de la Société. Le Dr Saugier a déclaré que, depuis avril 2006, il gérait le groupe d’alliances pour Sanofi-Aventis, y compris l’alliance comprenant la société du Territoire B et la société du Territoire A.

 

[48]           Le Dr Saugier a déclaré notamment que, pour structurer l’alliance, Sanofi avait accordé à la Société une licence exclusive pour le clopidogrel, comme on peut le constater dans les Accords de partenariat qui sont encore en vigueur aujourd’hui. Les divers accords produits comme preuve confirment d’ailleurs le témoignage du Dr Saugier sur les droits conférés aux termes de tels accords.

 

[49]           [omis] :

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[50]           [omis] :

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[51]           [omis].

 

[52]           [omis].

 

[53]           [omis].

 

[54]           [omis] :

[omis].

 

[55]           La Cour croit qu’une telle liste ne pouvait, d’un point de vue pratique, être modifiée chaque fois qu’avait lieu une évolution pour des produits faisant l’objet d’activités de recherche ou d’une demande de brevet. Les termes et les contours de l’accord en cause sont tels que […] doit être interprété d’une manière qui englobe les composés récemment développés. Conclure autrement serait aller contre l’objet même des Accords de partenariat, qui était de permettre à la Société d’exercer toutes les activités se rapportant au développement, à la fabrication, au sourçage et à la commercialisation du clopidogrel dans le territoire appelé Territoire B, puisque la réalisation de l’objet des accords de partenariat serait ainsi contrariée.

 

[56]          Finalement, la Cour rappelle que les avocats d’Apotex ont interrogé le Dr Saugier à propos de l’absence de matériel de production, d’employés et d’un siège social au Canada afin d’établir l’absence de qualité pour agir. Vu l’étendue des accords de partenariat, la Cour estime que les questions posées par les avocats d’Apotex ne permettent pas de trancher la question de la qualité pour agir.

 

E.         Conclusion sur la qualité pour agir

[57]          Somme toute, compte tenu du sens étendu des mots « personne se réclamant » d’un breveté, au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, et après examen des accords de partenariat ainsi que des témoignages produits à leur sujet, la Cour estime que la Société justifie d’un « fondement crédible et suffisant en droit » pour, en l’occurrence, se réclamer d’un breveté. La preuve montre d’ailleurs clairement que la Société s’est vu accorder, à la faveur des divers accords, depuis 1998, une licence exclusive pour les produits contenant du clopidogrel. Il s’ensuit que la Société a qualité pour intenter l’action en cause alléguant un acte de contrefaçon qui, affirme-t-elle, a eu lieu avant le 6 décembre 2007.

 

V         L’interprétation des revendications

A.        Les principes généraux

[58]           Dans une affaire de brevet comme celle dont il s’agit ici, la Cour doit d’abord interpréter les revendications du brevet conformément aux principes d’interprétation des revendications qui ont été établis par la jurisprudence (Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, 9 CPR (4th) 129; Novopharm Ltd c Janssen-Ortho Inc, 2007 CAF 217, 59 CPR (4th) 116; Canada (Procureur général) c Amazon.com, Inc, 2011 CAF 328, [2011] ACF n° 1621).

 

[59]           La Cour observe que l’interprétation de revendications est une question de droit et doit se faire selon une approche téléologique, « pour assurer le respect de l’équité et la prévisibilité et pour cerner les limites du monopole » (Dimplex North America Ltd c CFM Corp, 2006 CF 586, 54 CPR (4th) 435, au paragraphe 49, conf. par 2007 CAF 278, 60 CPR (4th) 277). Dans cet exercice, la Cour doit lire les revendications du brevet avec « un esprit désireux de comprendre » (arrêt Whirlpool, précité).

 

[60]           En principe, l’analyse requise pour l’interprétation de revendications s’attache à la manière dont une hypothétique personne moyennement versée dans l’art, ou personne du métier, aurait compris les revendications du brevet (arrêt Whirlpool, précité, aux paragraphes 45 et 53). Il faut donc que la Cour établisse d’abord les aptitudes et connaissances requises de la personne en question (Aventis Pharma Inc c Apotex Inc, 2005 CF 1283, 43 CPR (4th) 161; Apotex Inc c Syntex Pharmaceuticals International Ltd, [1999] ACF n° 548, 166 FTR 161, au paragraphe 38, (QL) (CF 1re inst)).

 

[61]           Par ailleurs, puisque le brevet doit être considéré globalement, les revendications doivent être interprétées à la lumière du mémoire descriptif, avec l’aide de spécialistes pour le sens à donner aux termes techniques qui s’y trouvent (Shire Biochem Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 538, 328 FTR 123, au paragraphe 22; arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 45).

 

[62]           La Cour rappelle aussi que, puisque le brevet 777 a été délivré en vertu de l’ancienne Loi sur les brevets, toutes les revendications doivent être interprétées d’après la date à laquelle le brevet a été délivré (Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, 285 FTR 1, au paragraphe 36). Dans le cas du brevet 777, la date pertinente est le 22 août 1995.

 

[63]           Gardant à l’esprit ces principes généraux d’interprétation des revendications, la Cour examinera maintenant la notion de personne moyennement versée dans l’art.

 

B.         L’hypothétique personne moyennement versée dans l’art, ou personne du métier

[64]           Pour savoir ce qu’est l’hypothétique personne moyennement versée dans l’art, la Cour doit définir la personne ou le groupe de personnes auxquelles s’adresse le brevet 777. Cette personne n’est évidemment pas une personne réelle. Ainsi que l’expliquait le juge Hughes dans la décision Merck & Co c Pharmascience Inc, 2010 CF 510, 85 CPR (4th) 179, au paragraphe 42 : « Elle doit être dépourvue d’imagination, ce qui ne veut pas dire qu’elle soit lente d’esprit ou ait obtenu son diplôme (le cas échéant) de justesse. Elle n’est pas non plus la médaille d’or de la promotion. Cette personne est la personne moyenne du groupe. Tout comme la « personne raisonnable » est censée être raisonnable, la personne moyennement versée dans l’art est censée posséder des compétences moyennes dans l’art ».

 

[65]           La Cour suprême du Canada a considéré une telle personne dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 74, où le juge Binnie, s’exprimant pour la Cour, écrivait que la personne moyennement versée dans l’art s’entend de l’hypothétique « travailleur moyen » qui est raisonnablement diligent pour rester au fait des progrès accomplis dans le domaine auquel se rapporte le brevet.

 

[66]           Dans la décision Merck & Co c Pharmascience Inc, précitée, au paragraphe 35, le juge Hughes s’est référé aussi aux conclusions du Groupe canadien de l’AIPPI (Association internationale pour la protection de la propriété intellectuelle) et à un résumé, selon le droit canadien, de ce qu’une personne moyennement versée dans l’art est censée être :

35.  […]

Q.213 Résumé

Au Canada, la « personne moyennement versée dans l’art » est la personne fictive à laquelle s’adresse le brevet. Il peut s’agir d’une seule personne ou d’un groupe représentant diverses disciplines, selon la nature de l’invention. La personne moyennement versée dans l’art est censée être dépourvue d’imagination et d’esprit inventif, posséder néanmoins un degré moyen de compétence et de connaissances accessoires au domaine dont relève le brevet (c.-à-d. les connaissances générales courantes) et faire preuve d’une diligence raisonnable pour se tenir au courant des progrès dans ce domaine. Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possèdent généralement les personnes versées dans l’art en cause au moment considéré. Par conséquent, elles peuvent inclure les connaissances que se transmettent les personnes du domaine, notamment des renseignements qui ne sont pas publiés. Inversement, tout ce qui est publié ne fait pas partie des connaissances générales courantes.

 

La preuve produite par les témoins experts sur la personne moyennement versée dans l’art

[67]           La Cour a entendu de nombreux témoins experts au nom d’Apotex et au nom de Sanofi, à propos de la personne moyennement versée dans l’art, et leurs témoignages sont résumés ci-après.

 

Les témoins experts d’Apotex

[68]           Le Dr Hirsh a déclaré que le brevet 777 s’adresse aux personnes versées dans la médecine clinique/l’hématologie, la biochimie, la chimie, la pharmacologie, la toxicologie et la pharmacie.

 

[69]           Le Dr Adger a exprimé l’avis que le brevet 777 s’adresse à une personne ayant des compétences en chimie, en hématologie, en toxicologie, en pharmacologie ainsi que dans les formulations pharmaceutiques. En ce qui a trait aux questions de chimie, la personne concernée aurait fait des études supérieures en chimie organique, avec spécialisation en chimie synthétique ou médicinale ou une combinaison des deux. Une telle personne justifierait également de plusieurs années d’expérience dans la production par synthèse de composés pharmaceutiques organiques, y compris dans la résolution de médicaments racémiques ou dans la fabrication d’énantiomères simples. Cette personne comprendrait les notions fondamentales de la stéréochimie, elle aurait une connaissance générale des techniques présidant à l’analyse et à la séparation des énantiomères, et les médicaments pharmaceutiques énantiomères lui seraient familiers.

 

[70]           Le Dr Levy a indiqué que le brevet 777 embrasse les domaines suivants : chimie, médecine, hématologie et plaquettes, pharmacologie, toxicologie et formulations pharmaceutiques. Concernant les domaines de la pharmacologie, la personne à laquelle s’adresse le brevet 777 est un pharmacologue du niveau du doctorat et justifiant d’au moins plusieurs années d’expérience comme pharmacologue.

 

[71]           Le Dr Sanders a déclaré que le brevet se penche sur des questions relatives à la chimie, à la pharmacologie, aux mécanismes de l’agrégation plaquettaire et de la thrombose, à la toxicologie, aux formulations pharmaceutiques ainsi qu’à la médecine. Il a aussi exprimé l’avis que le brevet engage une diversité de disciplines, dont l’une est la toxicologie. En ce qui concerne la toxicologie, la personne à laquelle s’adresse le brevet est un toxicologue de formation détenant un doctorat en pharmacologie ou en toxicologie, avec deux ou trois années d’expérience dans la toxicologie de produits pharmaceutiques. La personne pourrait également détenir une maîtrise dans ces domaines, outre environ cinq années d’expérience pratique, ou bien une licence dans ces domaines, outre environ dix ans d’expérience.

 

Les témoins experts de Sanofi

[72]           Le Dr Byrn a déclaré que le brevet 777 s’adresse principalement à une personne moyenne travaillant dans la synthèse ou la formulation de composés pharmaceutiques. Une telle personne détiendrait au moins une licence en chimie ou dans une discipline connexe, et elle justifierait de plusieurs années d’expérience dans un laboratoire pharmaceutique s’occupant de synthèse ou de formulations de composés pharmaceutiques.

 

[73]           Le Dr Rodricks a admis que le brevet 777 vise une diversité de domaines, dont la chimie, la toxicologie, la pharmacologie, les sels et les compositions pharmaceutiques. D’après lui, une personne versée dans l’art, plus précisément dans la toxicologie, détiendrait un diplôme en toxicologie ou en pharmacologie, ou encore en biochimie, ou dans un domaine connexe, et elle justifierait aussi d’une formation et d’une expérience dans le domaine de la toxicologie et celui de la sécurité des médicaments, y compris l’appréciation et l’interprétation de données toxicologiques.

 

[74]           Le Dr Davies a indiqué qu’une personne moyennement versée dans l’art est un spécialiste en chimie pharmaceutique, détenteur d’une licence ou d’un doctorat en chimie ou dans une discipline connexe, et justifiant de plusieurs années d’expérience dans un laboratoire pharmaceutique s’occupant de synthèse de composés. La compréhension de l’invention du brevet 777 requiert une connaissance et une expérience de la stéréochimie, des séparations chirales et de la découverte de médicaments, compétences qui sont essentielles pour une telle compréhension. C’est pourquoi un spécialiste en chimie pharmaceutique et justifiant d’une expérience en stéréochimie a cette formation. Le Dr Davies ne croit pas que les toxicologues et les médecins soient des personnes auxquelles s’adresse le brevet 777.

 

[75]           Le Dr Shebuski a indiqué que le brevet 777 s’adresse principalement à un spécialiste de la chimie pharmaceutique, mais aussi à un pharmacologue et à un toxicologue dans la mesure où ils sont priés par le spécialiste en chimie pharmaceutique de procéder à des essais se rapportant au composé que le chimiste a préparé.

 

Les conclusions de la Cour sur la personne moyennement versée dans l’art

[76]           À en juger d’après ce qui précède, Apotex prétend que la personne moyennement versée dans l’art comprend non seulement un spécialiste en chimie pharmaceutique, mais aussi un toxicologue, un hématologue et un médecin en titre. Sanofi, pour sa part, prétend que la personne moyennement versée dans l’art est un spécialiste en chimie pharmaceutique.

 

[77]           La Cour reconnaît avec Sanofi et avec le Dr Davies que le brevet 777 s’adresse à un spécialiste en chimie pharmaceutique, parce qu’une expérience de la stéréochimie, des séparations chirales et de la découverte de médicaments est essentielle pour la compréhension du brevet 777, mais elle ne peut souscrire à l’idée que la personne moyennement versée dans l’art ne pourrait être qu’un spécialiste en chimie pharmaceutique. Cela équivaudrait à donner à ce spécialiste le statut de « ténor » (décision Merck and Co c Pharmascience Inc, précitée). La Cour estime que la compréhension du brevet 777 requiert davantage que le simple fait de bien connaître la chimie pharmaceutique. Le brevet 777 contient une diversité d’aspects qui ont été soulignés à la fois par le Dr Levy, pour Apotex, et par le Dr Rodricks, pour Sanofi. Dans ce contexte, la personne moyennement versée dans l’art doit être considérée comme une équipe plutôt que comme une personne unique possédant toutes les aptitudes.

 

[78]           Plus particulièrement, le brevet 777 traite de l’identité et de la structure chimique de l’énantiomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiéno pyridyl) (2-chlorophényl) acétate de méthyle, de son racémique et de l’énantiomère lévogyre. Le brevet décrit une méthode de séparation des deux énantiomères du mélange racémique, des méthodes pour produire des sels pharmaceutiquement acceptables des deux énantiomères et des méthodes de fabrication des compositions pharmaceutiques.

 

[79]           Le brevet 777 se penche aussi sur des questions relatives aux propriétés pharmacologiques et toxicologiques comparatives des deux énantiomères et du racémate. Il fait aussi référence à leur capacité respective d’utilisation comme médicaments dans des compositions pharmaceutiques de concentrations données en ce qui concerne les mécanismes de la thrombose artérielle et veineuse qui seront utilisés pour traiter les troubles plaquettaires dus à des circuits sanguins extracorporels et les conséquences de complications liées à l’athérome.

 

[80]           La Cour arrive donc à la conclusion que, en l’espèce, l’hypothétique personne versée dans l’art s’entend de plusieurs spécialistes qui détiennent un doctorat en chimie pharmaceutique, qui justifient de plusieurs années d’expérience dans les domaines de la pharmacologie et de la toxicologie et qui ont une bonne connaissance générale de l’hématologie et de la médecine.

 

C.        Le mémoire descriptif du brevet

[81]           Ayant établi ce en quoi consiste la personne moyennement versée dans l’art, la Cour doit maintenant considérer le mémoire descriptif en cause.

 

[82]           La Cour note que le brevet 777 est un brevet de sélection. Il débute, à la page 1, par une description générale de l’invention liée au composé, son procédé, sa fabrication et sa composition comme suit :

[traduction]

 

La présente invention vise l’énantiomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiéno pyridyl) (2-chlorophényl) acétate de méthyle, un procédé de fabrication de cet énantiomère et les compositions pharmaceutiques qui le renferment.

 

[83]           Le brevet précise de plus que le composé de l’invention renferme un cycle pyridine, un cycle phényle, un centre chiral et un groupement formant une liaison hydrogène (H). Le composé de l’invention correspond à la formule suivante :

 

 

[84]           À la page 1 du brevet, ligne 25, les inventeurs distinguent leur invention de l’art antérieur et précisent aussi, à la ligne 29, que l’invention vise aussi des sels :

[traduction]

 

Contre toute attente, seul l’énantiomère dextrogyre Id présente une activité inhibitrice de l’agrégation des plaquettes, l’énantiomère lévogyre Il étant inactif à cet égard. De plus, l’énantiomère lévogyre Il inactif est celui des deux énantiomères qui est le moins bien toléré.

L’invention vise aussi les sels d’addition des composés de formule (Id) obtenus avec des acides minéraux ou organiques pharmaceutiquement acceptables.

 

 

[85]           À la page 2 du brevet, les inventeurs amorcent une discussion sur les sels. Ils mentionnent que certains des sels de l’énantiomère dextrogyre Id sont parfois difficiles à traiter à l’échelle industrielle parce qu’ils forment un précipité amorphe et/ou sont hygroscopiques. Cependant, à la page 2, ligne 10, ils mentionnent la découverte de sels qui cristallisent facilement, ne sont pas hygroscopiques et ont une bonne solubilité dans l’eau :

[traduction]

 

Parmi les sels des acides minéraux et organiques de l’isomère dextrogyre du composé de formule (Id), nous avons découvert des sels qui cristallisent facilement, ne sont pas hygroscopiques et sont assez hydrosolubles pour rendre particulièrement avantageuse leur utilisation comme principes actifs de médicaments.

 

[86]           Plus précisément, les inventeurs expliquent que [traduction] « [l]a présente invention vise plus particulièrement l’hydrogénosulfate, le taurocholate et le bromhydrate de l’énantiomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiéno pyridyl) (2-chlorophényl) acétate de méthyle ».

 

[87]           La Cour relève que, à partir du bas de la page 7 et jusqu’à la page 11, les inventeurs poursuivent avec des exemples donnés au lecteur pour illustrer l’invention.

 

[88]           Par la suite, à la page 12, le brevet divulgue les résultats d’une étude pharmacologique et décrit un autre avantage de l’invention :

[traduction]

 

Une description est maintenant donnée des résultats de cette étude, qui démontrent un autre avantage de l’invention, soit le meilleur indice thérapeutique des sels de l’isomère dextrogyre par rapport au sel du mélange racémique; en effet, l’isomère lévogyre n’a presque aucune activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire et est nettement plus toxique que son homologue dextrogyre.

 

[89]           Les résultats de l’étude pharmacologique sont décrits dans quatre (4) tableaux distincts :

[traduction]

 

§                Le tableau I, à la page 14, traite de l’essai d’inhibition de l’agrégation plaquettaire au moyen d’ADP. D’après le brevet, les données [traduction] « démontrent que l’isomère lévogyre est inactif et que l’isomère dextrogyre [clopidogrel] est au moins aussi actif que le racémique ».

 

§                Le tableau II, à la page 16, traite de l’essai d’inhibition de l’agrégation plaquettaire au moyen de collagène, dont les résultats [traduction] « démontrent encore une fois que seul l’isomère dextrogyre [clopidogrel] est actif, alors que les sels ont une activité comparable ».

 

§                Le tableau III, à la page 18, traite de l’essai d’évaluation de l’activité antithrombotique. D’après le brevet, les résultats [traduction] « montrent que l’isomère lévogyre est inactif dans cet essai, contrairement à l’isomère dextrogyre [clopidogrel] et au racémique ».

 

§                Finalement, le tableau IV, à la page 19, traite de l’essai de détermination de la dose létale 50 (DL50). D’après le brevet, les résultats [traduction] « montrent, d’une part, que la toxicité du mélange racémique est similaire à celle de l’isomère lévogyre, alors que l’isomère dextrogyre [clopidogrel] est nettement moins toxique, et, d’autre part, que la toxicité dépend de la nature de l’acide utilisé pour former le sel ».

 

[90]           Après les quatre tableaux susmentionnés, le brevet 777 énumère, aux pages 12 à 19, trois différents essais menés chez des rates :

[traduction]

 

Essai no 1 : les composés ont été administrés à des groupes de cinq rates de la souche CD-COBS, puis des échantillons de sang ont été prélevés chez les rates après qu’elles eurent métabolisé les composés pendant deux heures. Le plasma riche en plaquettes a ensuite été isolé, et l’agrégation a été induite soit par de l’ADP (brevet 777, tableau 1) soit par du collagène de type 1 (brevet 777, tableau II). L’agrégation plaquettaire a ensuite été observée et une courbe représentant la modification de l’absorbance a été produite. Ce type d’essai est connu sous le nom d’essai ex vivo parce que, même si les composés ont été administrés aux animaux et que du sang a été prélevé, l’essai n’a pas été réalisé sur des animaux vivants en tant que tels. Les résultats des essais sont indiqués aux tableaux I et II.

 

 

Essai no 2 : cet essai s’inspire de l’essai mis au point par Kumada en 1980 (Kumada et al. « Experimental model of venous thrombosis in rats and effect of some agents » [Modèle expérimental de thrombose veineuse chez le rat et effet de certains agents] 1980, Thrombosis Research 18; 189‑203). Il s’agit d’un essai in vivo qui consiste à introduire un fil d’acier dans la veine cave inférieure d’un rat. Après un certain temps, un thrombus se forme sur le fil et sa masse est mesurée chez les rats non traités et chez les rats traités par le composé à l’essai. La différence de masse du thrombus formé avec et sans l’administration de divers médicaments permet de mesurer l’activité antithrombotique du composé à l’essai. Cet essai est aussi connu sous le nom de modèle de shunt artéroveineux (AV). Les résultats de cet essai sont présentés au tableau III.

 

 

Essai no 3 : le troisième essai était l’essai de détermination de la DL50. Il s’agit d’une épreuve de toxicité aiguë dans laquelle le paramètre mesuré est la mort de 50 % des animaux traités. La mort est une réaction qui survient à de très fortes doses administrées une seule fois. Les résultats figurent au tableau IV.

 

[91]           Ensuite, à la page 20, ligne 4, le brevet explique comment l’invention peut être utilisée :

[traduction]

 

Le médicament de l’invention peut être présenté sous forme de comprimés, de comprimés enrobés de sucre, de capsules, de gouttes, de granules ou de sirop en vue d’une administration orale. Il peut aussi être présenté sous forme de suppositoires en vue d’une administration rectale ou sous forme de solution injectable en vue d’une administration parentérale.

 

 

[92]           Plus loin, à la page 20, lignes 15 à 35, le brevet mentionne certaines formulations pharmaceutiques du médicament de l’invention pouvant être présentées sous forme de comprimés, de comprimés enrobés de sucre, de capsules, de solution injectable et de suppositoires.

 

[93]           Finalement à la page 21, qui renferme un seul paragraphe, les inventeurs disent ce qui suit au sujet du médicament de l’invention :

[traduction]

 

Comme il a d’intéressantes propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et altère le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux, le médicament de l’invention peut être utile lorsqu’il est administré pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome.

 

 

[94]           La Cour examinera maintenant les revendications du brevet qui sont en cause.

 

D.        Les revendications en cause

[95]           À titre d’observation préliminaire, la Cour relève que le brevet 777 compte onze (11) revendications, qui sont exposées aux pages 22 et 23 du brevet. Ces revendications peuvent être groupées ainsi :

§                les revendications 1 à 5 concernent le clopidogrel et ses sels;

§                les revendications 6 à 9 concernent le procédé de fabrication du clopidogrel;

§                les revendications 10 et 11 concernent les compositions pharmaceutiques.

 

La Cour remarque qu’il y a plusieurs points de désaccord entre Apotex et Sanofi, à savoir les suivants :

§                le degré de pureté énantiomérique des revendications 1, 3, 10 et 11;

§                les limites des revendications 6 à 9;

§                le sens de l’expression [traduction] « médicament de l’invention »;

§                la page 21 du brevet 777;

§                l’invention décrite dans le brevet 777.

 

E.         Les revendications 1, 3, 10 et 11

[96]           La seule question pertinente en ce qui concerne l’interprétation des revendications 1, 3, 10 et 11 concerne le degré de pureté énantiomérique du clopidogrel mentionné dans ces revendications. Apotex soutient que la description du racémique divulgue un clopidogrel d’une pureté de 50 %. Le brevet 777 ne comporte aucune limite quant à la pureté.

 

[97]           À la page 7, le brevet 777 traite de la détermination de la pureté (optique) de l’énantiomère dextrogyre et de l’énantiomère lévogyre. Il indique aussi que, dans les conditions décrites, la pureté optique est d’au moins 96 % dans le cas de l’énantiomère dextrogyre et d’au moins 98 % dans celui de l’énantiomère lévogyre.

 

[98]           D’après cette observation, les experts des deux parties (le Dr Byrn, le Dr Hirsh et le Dr Adger) conviennent que le clopidogrel revendiqué dans le brevet 777 – bien qu’il ne soit pas pur à 100 % – est « essentiellement pur ».

 

[99]           Par ailleurs, le Dr Hirsh a affirmé en témoignage que le pourcentage d’au moins 96 % de pureté optique de l’énantiomère dextrogyre et de 98 % dans le cas de l’énantiomère lévogyre se rapportait à la limite de détection.

 

[100]       En s’appuyant sur ces observations et sur le fait que la revendication indépendante a été interprétée comme visant un composé « essentiellement pur », la Cour conclut que les revendications dépendantes devraient aussi être interprétées comme visant un composé « essentiellement pur ».

 

[101]       Par conséquent, la Cour estime qu’une personne versée dans l’art conclurait que la revendication 3 vise l’hydrogénosulfate de clopidogrel « essentiellement pur ».

 

F.         Les limites des revendications 6 à 9

[102]       Comme il a été mentionné auparavant, la revendication 6 vise le procédé général de fabrication du clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables. Ce procédé peut se résumer ainsi :

§                formation d’un sel du racémique avec un acide optiquement actif dans un solvant;

§                recristallisation répétée du sel jusqu’à l’obtention d’un produit ayant un pouvoir rotatoire optique constant;

§                libération du sel par une base; et, si on le souhaite;

§                 formation d’un sel à l’aide d’un acide pharmaceutiquement acceptable.

 

[103]       La thèse d’Apotex à cet égard s’articule comme suit :

[traduction]

 

La revendication 6 vise un procédé général, la méthode de Pasteur, décrite par de nombreux experts comme la méthode classique, qui commence avec le mélange racémique. La revendication 7 en réduit la portée à l’utilisation de l’acide lévogyre camphre-10-sulfonique, un acide couramment utilisé. La revendication 8 réduit ensuite la portée de la revendication 6 à l’utilisation de l’acétone comme solvant. Et la revendication 9 vise la formation d’un sel dans l’acétone. En résumé, le point de vue d’Apotex est que les revendications ne devraient pas être lues seules, mais conjointement avec la description, car elles n’en disent parfois pas assez.

 

[104]       En l’espèce, la Cour n’est pas persuadée par l’argument d’Apotex.

 

[105]       Plutôt, une comparaison et une différenciation des revendications montrent que la revendication 6 du brevet 777 devrait être lue avec les revendications 7 à 9 et être comparée et opposée à ces revendications. En effet, les revendications 7 à 9 visent aussi la fabrication du clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables. Une lecture des revendications 7 à 9 confirme qu’elles renferment des spécifications concernant le solvant et l’acide optiquement actif à utiliser. Plus précisément, la revendication 7 concerne le procédé décrit à la revendication 6, mais précise que l’acide optiquement actif utilisé est l’acide lévogyre camphre-10-sulfonique. La revendication 8 vise le procédé décrit à la revendication 6, mais précise que le solvant utilisé à l’étape de recristallisation est l’acétone. La revendication 9 traite du procédé décrit à la revendication 6, mais précise que le solvant utilisé pour la formation d’un sel est l’acétone.

 

[106]       Apotex semble néanmoins affirmer que la revendication 6 se limite à l’acide et aux solvants discutés dans les revendications 7 à 9. La Cour n’est pas de cet avis.

 

[107]       La Cour rappelle que, dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 49, la Cour suprême du Canada a souligné que les revendications « doi[ven]t être lu[es] par un esprit désireux de comprendre ». La lecture de la revendication 6 telle que la propose Apotex perturbe le débit et altère la logique des revendications de procédé (revendications 6 à 9), ce qui va à l’encontre des directives de la Cour suprême du Canada à l’égard de l’interprétation. En effet, quels seraient le but et la portée des revendications plus précises (7 à 9) si la revendication de procédé général (6) était limitée de la façon dont le suggère Apotex? La Cour note aussi que, à la page 2, le brevet 777 mentionne que l’acide lévogyre camphre-10-sulfonique est [traduction] « avantageusement utilisé » et que l’acétone [traduction] « est idéale ». Ce libellé implique que d’autres acides et solvants pourraient être utilisés. En conséquence, s’appuyant sur les principes directeurs énoncés dans l’arrêt Whirlpool, précité, et le libellé des revendications 6 à 9, la Cour conclut que la personne versée dans l’art jugerait que la revendication 6 ne limite pas « l’acide optiquement actif » à l’acide lévogyre (R)‑camphre-10-sulfonique (revendication 7) ni le solvant à un solvant en particulier. En résumé, la revendication 6 vise l’utilisation d’acides optiquement actifs et de solvants qui permettent la fabrication de clopidogrel essentiellement pur et de ses sels pharmaceutiquement acceptables au moyen du procédé décrit à la revendication 6.

 

G.        Quel est le sens de l’expression [traduction] « médicament de l’invention »?

[108]       La Cour rappelle que, selon Apotex, le brevet 777 concerne des questions de médicament, tandis, selon Sanofi, il concerne le clopidogrel en tant que composé plutôt qu’en tant que médicament.

 

[109]       Lorsqu’il y a des termes techniques dans un brevet, la Cour est assistée par des spécialistes pour la signification de ces termes. L’expression [traduction] « médicament de l’invention », qui apparaît dans le brevet 777, est l’une de ces expressions techniques qui doivent être interprétées par la Cour (décision Shire Biochem Inc, précitée, au paragraphe 22; arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 45). Le sens de l’expression [traduction] « médicament de l’invention » guide en effet la promesse du brevet et il doit être établi à ce stade de l’analyse avant que la promesse du brevet puisse être déterminée.

 

[110]       Au cœur de ce débat se pose aussi la question du sens et de l’emploi de l’expression [traduction] « médicament de l’invention » ainsi que de l’expression [traduction] « composé de l’invention ».

 

[111]       Pour répondre à cette question, la Cour doit considérer le texte du brevet 777 et jauger les avis des témoins experts.

 

[112]       D’abord, le brevet 777. Pour parler du clopidogrel, le brevet utilise les expressions [traduction] « composé de l’invention », [traduction] « dérivé de l’invention » et [traduction] « médicament de l’invention ».

 

[113]       À la page 13, le brevet 777, dans le contexte de la discussion sur les sels, énonce ce qui suit :

[traduction]

 

Parmi les sels des acides minéraux et organiques de l’isomère dextrogyre du composé de formule (Id), nous avons découvert des sels qui cristallisent facilement, ne sont pas hygroscopiques et sont assez hydrosolubles pour rendre particulièrement avantageuse leur utilisation comme principes actifs de médicaments.

 

                                                            [Non souligné dans l’original.]

 

[114]       Également, à la page 20, le brevet 777 précise que le médicament de l’invention [TRADUCTION] « peut servir à une administration orale sous la forme de comprimés, de comprimés dragéifiés […] » Le brevet précise ensuite les doses unitaires des compositions et les doses quotidiennes à administrer aux patients pour le traitement des troubles considérés par le brevet.

 

[115]       En deuxième lieu, les experts. Les experts ont fourni une opinion sur la signification de l’expression [traduction] « médicament de l’invention ». Ainsi, au paragraphe 74 de son rapport, M. Davies affirme que [traduction] « l’invention du brevet 777 améliore la molécule PCR 4099 en éliminant l’énantiomère qui contribuait à la toxicité et n’avait pas d’activité, ce qui se traduit par une drogue plus sûre et plus efficace ». [Non souligné dans l’original.]

 

[116]       L’échange entre l’avocat d’Apotex et le Dr Shebuski est également révélateur lorsqu’il s’agit de déterminer si le [traduction] « médicament de l’invention » est le clopidogrel tel qu’il est décrit dans le brevet 777 (Shebuski, contre-interrogatoire T5281-5294) :

[traduction]

 

Q.      Dr Shebuski, convenez-vous avec moi que le clopidogrel est un médicament?

R.      Oui monsieur.

Q.      Merci. J’ai des questions à vous poser au sujet du brevet 777. Pouvez‑vous l’ouvrir?

R.      Il est déjà ouvert, monsieur.

Q.      Parfait. Vous aviez prévu ma prochaine demande.

R.      Je suis à la page 21.

Q.      Si vous allez à la page 23 avec moi, j’aimerais vous poser des questions au sujet des revendications 10 et 11. Vous parlez de ces revendications dans vos paragraphes 41 et 42. La revendication 10 commence par ces mots : « Une composition pharmaceutique ». Ai-je raison de dire qu’une personne versée dans l’art qui lirait cela comprendrait que le mot pharmaceutique désigne une drogue ou un médicament?

R.      Oui monsieur. Adéquatement formulé.

Q.      Adéquatement formulé. Et il s’agit d’une drogue ou d’un médicament qui est destiné à des personnes?

R.      Il pourrait aussi être donné à des animaux, comme produit vétérinaire.

Q.      D’accord. Vous avez peut-être anticipé ceci. La composition est la formulation ou la chose qui délivre le médicament au patient?

R.      C’est exact. La composition peut comprendre le sel ou le vecteur ou d’autres excipients qui sont associés à l’ingrédient actif, que nous appelons IPA, ou ingrédient pharmaceutique actif.

Q.      Ensuite, on nous dit que la composition pharmaceutique comprend une quantité efficace d’un composé visé par la revendication 1. J’aurais une question à vous poser au sujet du composé visé par la revendication 1. Je comprends qu’il s’agit ici du clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables, qui sont décrits à la revendication 1. Est‑ce exact?

R.      Oui monsieur.

Q.      Dans la phrase « une quantité efficace de clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables », je présume que les mots « quantité efficace » traduisent le principe d’une quantité suffisante pour traiter quoi que ce soit que vous voulez traiter au moyen de la composition?

R.      Eh bien, mon analyse est un peu différente. La quantité efficace est la quantité qui inhibe l’agrégation plaquettaire, qui concerne l’utilité du brevet.

Q.      Quel volume d’agrégation plaquettaire? Dans l’abrégé? N’importe quel volume?

R.      Eh bien, un volume efficace. Comme je l’ai déjà mentionné dans mon témoignage, nous considérons une inhibition de 50 pour cent ou plus comme un volume efficace.

Q.      Où cela est‑il indiqué dans le brevet?

R.      Ce n’est pas indiqué dans le brevet. C’est ma propre conjecture, monsieur.

Q.      Conjecture. D’accord. Je vais avancer que, comme nous parlons d’une composition pharmaceutique, lorsqu’il est dit « une telle composition comprenant une quantité efficace de clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables », vous m’avez déjà dit que le clopidogrel est un médicament, donc, je vais avancer qu’il s’agit d’une quantité efficace du médicament qui peut faire ce que le médicament est censé faire. Êtes-vous d’accord avec moi?

R.      Je suis essentiellement d’accord avec vous.

 

                                                                       [Non souligné dans l’original.]

 

[117]       Le Dr Hirsh inclinait lui aussi à dire que le [traduction] « médicament de l’invention » concerne le clopidogrel, et le Dr Levy était d’avis qu’un composé, lorsqu’il est actif, peut être un médicament avant même qu’il soit formulé.

 

[118]       Ainsi, compte tenu des termes employés dans le brevet 777, ainsi que des avis d’expert exprimés au nom de Sanofi et d’Apotex, la Cour partage l’avis d’Apotex et conclut que les questions de médecine, dans le brevet 777, sont [traduction] « incontournables ». La Cour croit donc que le [traduction] « médicament de l’invention » dont parle le brevet 777 concerne le clopidogrel.

 

H.        La page 21 du brevet 777

[119]       Une autre question en litige entre les parties est la signification de la page 21 du brevet 777, qui est un point que la Cour doit décider, car il guidera la promesse du brevet.

 

[120]       La page 21 du brevet 777 renferme un paragraphe qui se lit ainsi :

[traduction]

 

Comme il a d’intéressantes propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et altère le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux, le médicament de l’invention peut être utile lorsqu’il est administré pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome.

 

[121]       Les positions respectives des parties sur ce qui précède ne pourraient être plus éloignées. En effet, la position d’Apotex est que la page 21 du brevet 777 garantit un traitement chez l’humain, tandis que celle de Sanofi est que la page 21 du brevet 777 ne fait aucunement référence à un traitement chez l’humain ou, si elle y fait référence, elle ne parle que du « potentiel » d’utilisation chez l’humain.

 

[122]       La preuve d’expert sur cet aspect n’a pas convaincu la Cour que le brevet 777 garantissait un traitement de la thrombose artérielle et veineuse comme le prétendait Apotex. La Cour n’est pas non plus convaincue que le brevet 777 parle du « potentiel » d’utilisation chez l’humain comme le prétendait Sanofi. L’examen des témoignages d’expert n’appuie tout simplement ni l’une ni l’autre des vues contraires exprimées par les parties durant l’instruction.

 

[123]       Le brevet 777 ne parle pas d’une garantie, mais il concerne davantage qu’un « potentiel » lointain chez l’humain. Étant dans l’impossibilité d’admettre l’une ou l’autre des deux interprétations extrêmes de la page 21 qui sont préconisées par les parties, la Cour est d’avis que le brevet 777 fait référence à une utilisation chez l’humain.

 

[124]       La Cour rappelle que le Dr Hirsh, un témoin expert d’Apotex, n’a pu catégoriquement conclure, en contre-interrogatoire, que la page 21 du brevet 777 promettait un traitement de la thrombose veineuse (Hirsh, T671-674) :

[TRADUCTION]

 

Q.      Et dans la mesure où votre rapport dit que le brevet promet un traitement de la thrombose veineuse, n’est-ce pas un peu exagéré?

R.      Puis-je voir où j’ai dit cela?

Q.      Oui, bien sûr. Je veux dire que, si vous ne le dites pas dans votre rapport, c’est parfait. Mais attendez, je vais le trouver.

Bon, par exemple, au paragraphe 188, vous parlez de la ticlopidine et du racémate, mais vous utilisez l’expression [traduction] « prévention et traitement » de la thrombose veineuse. C’est le paragraphe 188, au bas de la page, et en haut de la page 64.

R.      Oui, mais il s’agit d’un contexte légèrement différent, ne trouvez-vous pas?

Q.      Et c’est pourquoi, mais lorsque j’ai lu cela, je me disais [traduction] « alors, pourquoi parle-t-on du traitement de la thrombose veineuse si le triple 7 ne le promet pas »?

R.      C’est simplement une déclaration de fait.

Q.      Très bien.

R.      C’est une déclaration de fait, mais je n’ai pas dit que c’était une promesse. Je savais que c’était un mécanisme. La seule raison pour laquelle je m’intéresserais au mécanisme serait le cas où il aurait quelque utilité, mais c’est implicite plus qu’explicite.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[125]       Cependant, le Dr Hirsh a aussi affirmé pendant son témoignage que le clopidogrel exerçait une action sur le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux (Hirsh, T682) :

[traduction]

 

Q.      Penchons-nous maintenant sur le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux, qui sont les mots utilisés.

R.      D’accord.

Q.      Je crois que vous avez déjà affirmé en témoignage que les plaquettes participent à la formation des thrombus artériels et, dans une moindre mesure, des thrombus veineux?

R.      Étaient‑ils – oui, c’est ce que j’ai affirmé.

Q.      Donc, si vous avez un inhibiteur de l’agrégation plaquettaire, son rôle dans le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux est de prévenir l’agrégation?

R.      C’est exact.

Q.      Et c’est tout ce qui est dit ici?

R.      Je vois, hum hum.

[Non souligné dans l’original.]

 

[126]       Le Dr Davies, s’exprimant au nom de Sanofi, dans son rapport, au paragraphe 246, émettait l’avis, concernant la page 21 du brevet 777, qu’elle ne devait pas être interprétée comme une garantie d’utilisation chez l’humain :

[TRADUCTION]

 

Par conséquent, si je lis le paragraphe tout entier de la page 21, ce que l’on dit, c’est que l’amélioration de l’activité et de la toxicité (d’après des essais sur les animaux) signifie que le médicament de l’invention (c’est-à-dire si le composé est employé comme médicament) pourrait être (c’est-à-dire offre la possibilité d’être) utilisé pour traitement. C’est exactement ce qu’un spécialiste en chimie pharmaceutique déduirait de l’information figurant dans le brevet. Cette information ne serait pas interprétée comme une promesse d’approbation clinique, ni comme une garantie d’utilisation chez l’humain.

 

[127]       Durant la phase du procès consacrée à la présentation de la preuve, le Dr Davies s’est expliqué sur ce qui précède (T4425-4426) :

[TRADUCTION]

 

Q.      Au paragraphe 246, vous donnez votre interprétation de la dernière partie de ce paragraphe à la page 21. Que faut‑il comprendre de ce que vous nous dites là?

R.      Ce que j’y dis, si vous lisez le paragraphe tout entier, et en particulier la première partie du paragraphe, concerne l’utilité de l’inhibition de l’agrégation plaquettaire. Le reste du paragraphe évoque une utilisation éventuelle de cette inhibition.

Q.      Merci. Au paragraphe 247, vous évoquez les revendications et vous dites qu’il n’y a aucune utilisation pour traitement chez les humains. Je crois que nous le savons tous, mais vous parlez ensuite des revendications 10 et 11?

R.      Oui.

Q.      Que nous dites-vous à propos des revendications 10 et 11?

R.      Les revendications 10 et 11 parlent d’une composition pharmaceutique comportant le clopidogrel comme élément de cette composition, mais elles ne suggèrent aucune utilisation de cette composition chez les humains. Ce pourrait être chez les animaux, par exemple.

 

           [Non souligné dans l’original.]

 

[128]       Compte tenu de sa conclusion antérieure concernant le sens de l’expression [traduction] « médicament de l’invention », la Cour ne peut accepter une interprétation aussi étroite de la page 21 du brevet 777, comme le voudrait le Dr Davies. La Cour se réfère, avec les adaptations nécessaires, aux propos tenus par la juge Snider dans la décision Sanofi-Aventis Canada Inc c Apotex Inc,, 2009 CF 676, 77 CPR (4th) 99 [la décision Ramipril], (décision confirmée le 2 novembre 2011 par la Cour d’appel fédérale), au paragraphe 128 :

[128]  Cet extrait établit que M. Bartlett n’a pas interprété les revendications à la lumière de l’utilité promise; il a plutôt modifié ou atténué la promesse du brevet pour l’adapter à sa compréhension des revendications. Je ne peux accepter ce raisonnement. Cette façon d’interpréter la promesse du brevet dégage les inventeurs de toute exigence de précision dans leurs revendications ou dans le mémoire descriptif du brevet. Si un titulaire de brevet promet un résultat particulier, il doit tenir cette promesse. En exprimant ce point de vue, je n’exige pas qu’un certain succès commercial ou un certain niveau de développement commercial aient été atteints. […]

 

[129]       En l’occurrence, les mots employés à la page 21 du brevet 777 ne disent pas clairement s’ils garantissent ou non que le clopidogrel « préviendra » ou « stoppera » le [traduction] « mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux ». Il n’y a tout simplement aucune indication explicite en ce sens.

 

[130]       Or, le texte du brevet 777 ne précise pas que son objet est l’humain, et la Cour n’est pas convaincue que la page 21 du brevet 777 décrit simplement une utilisation « potentielle » chez l’humain.

 

[131]       Somme toute, la Cour estime qu’Apotex préconise une interprétation libérale de la page 21 du brevet 777, tandis que Sanofi en préconise une interprétation étroite. Il est difficile, voire impossible, de conclure que la page 21 du brevet 777 fait clairement référence à un traitement garanti chez les humains. Il est tout aussi difficile d’affirmer que la page 21 du brevet 777 ne fait en aucune façon référence à un traitement chez les humains. La Cour n’est donc pas disposée à conclure que la page 21 du brevet 777 ne renferme aucune référence à l’humain comme le prétend Sanofi. Comment cela pourrait-il être le cas, puisque les affections mentionnées à la page 21 du brevet 777 ne concernent pas les animaux, mais les humains (Hirsh, T391-393)? Cela veut nécessairement dire que le brevet comporte un enjeu humain sous une forme ou une autre.

 

[132]       La Cour arrive donc à la conclusion que la page 21 du brevet 777, où l’on peut lire que [TRADUCTION] « le médicament de l’invention peut être utile lorsqu’il est administré pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome », confirme que, bien que ce ne soit pas une garantie, le clopidogrel promet, au titre de ses propriétés, davantage qu’un simple potentiel : il peut être utilisé dans le traitement de certaines affections thrombotiques humaines.

 

I.          L’invention décrite dans le brevet 777

[133]       La Cour note qu’il n’y a pas de désaccord entre les parties en ce qui concerne le concept inventif, ou l’idée originale, du brevet 777. L’idée originale du brevet 777 était décrite ainsi, au paragraphe 78 de l’arrêt Plavix de la Cour suprême du Canada :

[78]  En l’espèce, il est clair que l’idée originale à la base des revendications du brevet 777 est un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir.

 

[134]       Le brevet 777 est un brevet de sélection (c’est-à-dire, comme on peut le lire dans l’arrêt Plavix, un brevet « dont l’objet s’entend généralement d’un composé faisant partie d’une catégorie plus grande visée par un brevet antérieur »). La Cour doit donc maintenant se demander en quoi l’idée originale concerne l’invention. Plus précisément, la question est la suivante : les sels et les avantages sont-ils partie intégrante de l’invention? Sanofi prétend que les sels et les avantages ne pouvaient concerner que la revendication 3 et le bisulfate, tandis qu’Apotex soutient que les sels et leurs avantages concernaient l’invention décrite dans le brevet 777.

 

[135]       Dans l’arrêt Olanzapine, ci-après, au paragraphe 78, la Cour d’appel fédérale donnait des indications utiles à propos des brevets de sélection :

[78]  Dans le cas des brevets de sélection, le caractère inventif réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure par rapport au brevet de genre. Le brevet de sélection doit offrir plus que le brevet de genre, en ce sens qu’il doit procurer un avantage ou éviter un désavantage. Le mémoire descriptif doit définir clairement l’avantage ou la nature de la caractéristique que possède le composé sélectionné […]

 

[136]       Ainsi, même si, souvent, les avantages font nécessairement partie de l’invention dans le contexte d’un brevet de sélection, d’autres scénarios restent possibles. Par exemple, la Cour pourrait hypothétiquement envisager un brevet de sélection qui concerne l’invention d’un nouveau procédé. Dans un tel cas, le nouveau procédé pourrait être considéré comme une deuxième invention indépendante des avantages énumérés dans le brevet de sélection. Toutefois, ce n’est pas le cas du brevet 777 parce qu’il concerne une seule invention, comme il en sera question plus loin dans les présents motifs :

§               Premièrement, le dédoublement du mélange racémique (PCR 4099) en deux énantiomères distincts n’a pas été obtenu au moyen d’un nouveau procédé. Le procédé menant à l’obtention des deux énantiomères (dextrogyre et lévogyre) a été exécuté selon la méthode de Pasteur.

 

§               Deuxièmement, la lecture du brevet 777 confirme l’existence d’une seule invention (pages 1 et 25) :

 

À la page 1, le brevet indique que [traduction] « [l]a présente invention vise l’énantiomère dextrogyre de l’alpha-5 (4,5,6,7-tétrahydro (3,2-C) thiéno pyridyl) (2-chlorophényl) acétate de méthyle, un procédé de fabrication de cet énantiomère et les compositions pharmaceutiques qui le renferment ».

 

Contre toute attente, seul l’énantiomère dextrogyre Id présente une activité inhibitrice de l’agrégation des plaquettes, l’énantiomère lévogyre Il étant inactif à cet égard. De plus, l’énantiomère lévogyre Il inactif est celui des deux énantiomères qui est le moins bien toléré.

 

          [Non souligné dans l’original.]

 

[137]       Fait important, le brevet 777, à la page 1, ligne 29, traite de l’invention mentionnée et précise en outre que « l’invention vise aussi les sels d’addition des composés de formule (Id) obtenus avec des acides minéraux ou organiques pharmaceutiquement acceptables ». De plus, il est indiqué à la page 2 que ces sels ont comme avantages de cristalliser facilement, de ne pas être hygroscopiques et d’être assez hydrosolubles.

 

[138]       Se fondant sur le texte du brevet 777, la Cour arrive donc à la conclusion qu’il n’y a qu’une seule invention et que cette invention concerne les sels du composé ainsi que les avantages de celui‑ci.

 

[139]       La Cour ne saurait, par conséquent, souscrire à l’argument de Sanofi selon lequel [TRADUCTION] « il y a une invention comportant divers aspects, chaque revendication devant être considérée séparément à l’intérieur de l’invention ». La Cour rejette également l’idée selon laquelle les sels et les avantages sont sans doute des aspects périphériques de l’invention.

 

[140]       En résumé, le brevet 777 se rapporte à une invention, qui peut être décrite comme un composé, lequel est utile pour l’inhibition de l’agrégation plaquettaire, produit un effet thérapeutique plus élevé et une toxicité moindre que les autres composés du brevet 875 et présente les avantages des sels (facilité de cristallisation, non hygroscopique et suffisamment hydrosoluble) ainsi que les méthodes permettant d’obtenir ce composé.

 

J.          L’interprétation de la promesse du brevet

(1)     Les principes généraux

[141]       La promesse du brevet est une question de droit qu’il appartient à la Cour de trancher, avec l’aide des témoins experts et selon le point de vue de la personne moyennement versée dans l’art, ainsi que le rappelait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Limited, 2010 CAF 197, 85 CPR (4th) 413, au paragraphe 80 :

[80]  La promesse du brevet doit être définie. Tout comme dans le cas des revendications, l’interprétation de la promesse du brevet est une question de droit. De façon générale, il s’agit d’une analyse qui exige l’aide de témoins experts : Apotex Inc. c. Bristol‑Myers Squibb Co., 2007 CAF 379, [2007] A.C.F. n° 1597, au paragraphe 27. Il en va ainsi parce que la promesse doit être bien définie, dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art, par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet.

 

[142]       Récemment, le juge Hughes a obligeamment examiné la notion de « promesse du brevet », dans la décision Pfizer Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 547, 93 CPR (4th) 81, aux paragraphes 212 à 217. Plus précisément, il soulignait que « le tribunal chargé d’interpréter le mémoire descriptif d’un brevet, en particulier la « promesse », doit le lire du point de vue de la personne versée dans l’art, en prenant en considération les réalités commerciales, sans prévention favorable ni défavorable, et avec le souci d’en déterminer équitablement l’intention véritable ».

 

[143]       Il convient aussi de rappeler le rôle de la promesse du brevet au regard de l’utilité. Au nom de la Cour d’appel fédérale, la juge Laydon-Stevenson écrivait ce qui suit, au paragraphe 76 de l’arrêt Ely Lilly Canada Inc, précité (l’arrêt Olanzapine) :

[76]  Lorsque le mémoire descriptif ne promet pas un résultat précis, aucun degré particulier d’utilité n’est requis; la « moindre parcelle » d’utilité suffira. Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse : Consolboard, Pfizer Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé) et Ranbaxy Laboratories Inc., [2009] 1 R.C.F. 253, 2008 CAF 108 (Ranbaxy). La question est de savoir si l’invention fait ce que le brevet promet qu’elle fera.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[144]       À ce stade, la Cour rappelle que, d’une part, selon Apotex, la promesse du brevet 777 se rapporte à l’humain et, d’autre part, selon Sanofi, elle se rapporte simplement à une [traduction] « utilisation potentielle » chez l’humain.

 

[145]       Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que le brevet 777 fait une promesse explicite d’utilisation du composé chez l’humain.

 

[146]       La Cour résumera d’abord la preuve d’expert en ce qui concerne la promesse du brevet.

 

(2)     Résumé de la preuve d’expert

Le Dr Hirsh

[147]       Le Dr Hirsh, témoignant au nom d’Apotex, s’est dit d’avis que le brevet 777 visait l’utilisation de l’énantiomère dextrogyre comme médicament administré par voie orale, rectale ou parentérale pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome. Il a aussi souligné que, selon le brevet 777, l’énantiomère dextrogyre altère les mécanismes de thrombose artérielle et veineuse.

 

[148]       Le Dr Hirsh a aussi expliqué à la Cour que la description, dans le brevet 777, du composé en tant que médicament et [traduction] « médicament actif » pour des besoins thérapeutiques conduirait l’hématologue ou le clinicien à comprendre qu’il s’agit d’un médicament pour les humains (plutôt que pour les rats de laboratoire utilisés dans les divers essais dont parle le brevet 777). Il a aussi indiqué que les affections et conditions contre lesquelles ces composés sont déclarés prometteurs pour le traitement et la prévention sont clairement des affections et des conditions propres aux humains et que la section du brevet 777 qui concerne l’administration des doses stipule que le composé est destiné à des patients.

 

Le Dr Byrn

[149]       Le Dr Byrn n’était pas d’accord avec l’interprétation que donnent les experts d’Apotex, y compris le Dr Hirsh, de la promesse du brevet 777. Il a souligné que les pages 12 et 20 du brevet 777 indiquent que les résultats de ces études « démontrent » que « l’isomère lévogyre n’a presque aucune activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire et est nettement plus toxique que son homologue dextrogyre ». Il en a donc conclu que les améliorations sur le plan de l’activité et de la toxicité (selon les essais chez des animaux) signifiaient que le médicament de l’invention (c’est‑à‑dire si le composé est utilisé comme médicament et quand il le sera) pourrait être utilisé comme traitement. Le Dr Byrn a affirmé que le chimiste pharmaceutique versé dans son art ne jugerait pas que le brevet 777 promet une approbation clinique, ni une garantie d’usage chez l’humain.

 

[150]       Le Dr Byrn a donc rejeté l’interprétation selon laquelle le brevet 777 promettait un résultat précis. Il a aussi rejeté l’idée qu’il existait une telle promesse d’utilisation chez les humains. Puis il a expliqué que les avantages résultant du fait que l’énantiomère dextrogyre exerce toute l’activité et est mieux toléré sont exposés dans le brevet et sont clairement fondés sur les données qui y figurent à propos d’essais faits sur les animaux. Selon lui, un spécialiste en chimie pharmaceutique interpréterait le brevet 777 comme un brevet faisant savoir au monde que des résultats très intéressants avaient été obtenus et que l’on pouvait donc compter que des résultats semblables seraient obtenus chez les humains, mais qu’il n’était pas absolument garanti que de tels résultats seraient obtenus chez les humains.

 

Le Dr Rodricks

[151]       Selon le Dr Rodricks, une personne versée dans l’art comprendrait, se fondant sur les principes biologiques généraux, que la combinaison d’une activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire et d’une toxicité réduite, comme cela est expliqué dans le brevet 777 pour l’énantiomère dextrogyre, donnerait à penser que l’énantiomère dextrogyre est prometteur comme médicament destiné à l’usage humain. Une telle personne saurait toutefois que le brevet 777 ne garantit pas que l’énantiomère serait un médicament satisfaisant pour usage humain. Elle saurait que, pour tirer une telle conclusion, il faudrait faire un examen beaucoup plus approfondi que ce ne serait le cas pour un brevet, examen qui porterait sur l’efficacité et la sécurité du matériel, comme celui qui est exigé par Santé Canada ou par la Food and Drug Administration des États-Unis. Les données pharmacologiques et toxicologiques existantes informeraient une personne versée dans l’art que l’énantiomère dextrogyre était un candidat digne d’être examiné et développé davantage en tant que médicament.

 

Le Dr Shebuski

[152]       Selon le Dr Shebuski, une personne versée dans l’art qui lirait le brevet 777 dirait que ce brevet pose que le clopidogrel a des propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et que ces propriétés ne sont pas présentes dans l’autre énantiomère. Il était aussi d’avis que le brevet 777 pose que le clopidogrel est mieux toléré et moins toxique que l’autre énantiomère et racémate. Selon le Dr Shebuski, toute personne versée dans l’art qui lirait le brevet 777 comprendrait que ces affirmations reposaient sur une expérimentation animale. Vu l’état des connaissances à l’époque, il était d’avis qu’une personne versée dans l’art dirait que ces résultats montrent que les propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire du clopidogrel pouvaient produire un effet antithrombotique, et il pensait que, puisqu’une personne versée dans l’art dirait qu’un composé ayant de telles propriétés pouvait être un possible agent antithrombotique, elle serait encline à croire que le clopidogrel offrait la possibilité d’être utilisé comme médicament antithrombotique. Par ailleurs, étant donné que les affirmations contenues dans le brevet 777 reposent sur les études pharmacologiques menées sur des rats, le Dr Shebuski a exprimé l’avis qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas l’impression que les enseignements du brevet 777 promettent un résultat spécifique chez les humains. Il était donc en désaccord avec les témoins experts d’Apotex pour qui le brevet 777 promet explicitement que le clopidogrel sera utile chez les humains pour [TRADUCTION] « le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome ».

 

[153]       D’après le Dr Shebuski, l’importance accordée par les témoins experts d’Apotex à l’utilisation humaine du clopidogrel ne s’accorde pas avec la manière dont une personne versée dans l’art interpréterait les revendications et les enseignements du brevet 777. Il a exprimé l’avis qu’une personne versée dans l’art ferait observer ce qui suit, après lecture du brevet 777 : (1) la première page du brevet 777 s’attache à la structure du clopidogrel et à ses avantages; (2) près de la moitié de la divulgation (pages 2 à 11) concerne la chimie (c’est-à-dire information sur le procédé, et exemples); (3) les essais pharmacologiques ont été effectués sur des rats; (4) d’après l’information qui la précède, la page 21 énonce des utilisations potentielles pour le clopidogrel.

 

[154]       Le Dr Shebuski a donc récusé l’importance attachée par les témoins experts d’Apotex à la page 21 du brevet 777 ainsi que leur avis selon lequel le brevet 777 promettait que le clopidogrel serait utile lorsqu’il serait administré comme médicament chez les humains pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome.

 

[155]       En outre, le Dr Shebuski a dit être d’avis que la page 21 du brevet 777 débutait ainsi : [TRADUCTION] « Comme il a d’intéressantes propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et qu’il altère le mécanisme de formation des thrombus artériels et veineux […] » Selon lui, ce propos liminaire procède des intéressantes propriétés établies dans l’étude pharmacologique menée sur des rats et une personne versée dans l’art dirait que ce seul paragraphe renferme une explication de la manière dont le clopidogrel pourrait être affecté à un usage thérapeutique. Il a notamment exprimé l’avis que les inventeurs affirmaient que, eu égard aux intéressantes propriétés pharmacologiques observées dans les études sur des rats, le clopidogrel pourrait être utilisé pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome.

 

[156]       Se fondant sur sa lecture du brevet 777, et en particulier sur les essais dont il est question dans ce brevet, le Dr Shebuski a conclu que, s’il y avait une promesse de résultat spécifique, c’est le fait que le clopidogrel présente des propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire et qu’il est mieux toléré que l’énantiomère lévogyre. Selon le Dr Shebuski, une personne versée dans l’art n’aurait pas lu dans le brevet 777 la promesse d’un résultat spécifique d’utilisation clinique pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome.

 

[157]       Ayant résumé les témoignages d’expert, la Cour examinera maintenant la question suivante : quelle est la promesse du brevet 777?

 

(3)     Quelle est la promesse du brevet 777?

[158]       En l’espèce, la question relative à la promesse du brevet est de savoir si le brevet 777 promet un résultat chez l’humain, comme le prétend Apotex, ou s’il promet simplement une utilisation potentielle chez l’humain, comme le prétend Sanofi. La Cour fait d’emblée observer que ni le mot « humans » (humains) ni l’expression « potential use in humans » (utilisation potentielle chez l’humain) n’apparaissent dans le brevet 777.

 

[159]       Pour la question de la promesse du brevet, la Cour interprétera la promesse selon une approche téléologique, conforme à celle qui fut résumée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Olanzapine.

 

[160]       À ce stade, il importe aussi de rappeler que la question de la promesse d’un brevet est une question de droit (arrêt Bristol-Myers Squibb Co c Apotex Inc, 2007 CAF 379, [2007] ACF n° 1597, au paragraphe 27).

 

[161]       Gardant à l’esprit les principes directeurs exposés dans l’arrêt Olanzapine, et afin de déterminer la promesse du brevet, la Cour examinera maintenant : (1) le texte du brevet 777; (2) le lien avec le brevet de genre 875.

 

(1)   Le texte du brevet 777

[162]       Considéré globalement et selon une approche téléologique, le libellé du brevet 777 renferme plusieurs indices d’une promesse chez l’humain. À cet égard, la Cour considère que le témoignage d’expert du Dr Hirsh, résumé précédemment, est plus convaincant que les témoignages d’expert des Drs Byrn, Rodricks et Shebuski.

 

[163]       La Cour estime en effet que les mots employés dans le brevet 777 signalent une promesse explicite chez l’humain, comme le soutient Apotex, plutôt qu’une simple possibilité d’utilisation du [traduction] « médicament de l’invention », comme le soutient Sanofi. Le passage suivant du brevet 777 est particulièrement révélateur :

[traduction]

§                « médicament » – Les composés sont décrits comme des médicaments et des agents médicinaux actifs utilisés pour des besoins thérapeutiques. Le brevet indique que le clopidogrel a un meilleur indice thérapeutique que le sel du mélange racémique (p. 12). Le brevet explique que le clopidogrel peut être administré aux patients par voie orale, rectale ou parentérale. D’après ce libellé, la personne versée dans l’art peut raisonnablement comprendre que le clopidogrel est un médicament destiné à l’humain plutôt qu’au rat.

 

§                « patient » – L’administration des doses dans le brevet laisse croire que le composé est destiné à des patients.

 

§                « compositions pharmaceutiques » – Le brevet 777 informe le lecteur que le composé est une huile, mais que les sels jouent un rôle important, car ils permettent la transformation des comprimés d’huile. Le brevet 777 indique de plus que le clopidogrel, étant un produit huileux, est plus difficile à purifier et plus difficile à utiliser pour la fabrication de compositions pharmaceutiques. De plus, il fait mention d’une dose quotidienne pour les comprimés qui va de 0,0001 à 0,500 gramme. Fait important, le brevet 777 indique que la dose dépendra de l’âge du patient et de la gravité de la pathologie à traiter.

 

§                « indice de produit pharmaceutique actif » – Ce terme désigne dans le brevet 777 un produit destiné à un usage pharmaceutique. On peut habituellement dire qu’un ingrédient actif est donné sous forme de poudre, mais il est plutôt présenté sous des formes pharmaceutiques (comprimés, capsules et autres) qui facilitent l’administration.

 

§                « médicament de l’invention » – Selon les conclusions antérieures de la Cour, l’expression « médicament de l’invention », telle qu’elle est employée dans le brevet 777, désigne le clopidogrel.

 

§                « page 21 du brevet » – Selon les conclusions antérieures de la Cour, les observations de la Cour à la section H concernant la page 21 du brevet 777, où il est dit que « le médicament de l’invention peut être utile lorsqu’il est administré pour le traitement et la prévention des troubles plaquettaires associés aux circuits sanguins extracorporels ou des conséquences des complications de l’athérome », confirment que le clopidogrel, en raison de ses propriétés, peut être utilisé dans le traitement de certaines maladies thrombotiques humaines.

 

[164]       Il ressort de ce qui précède que le brevet 777 promet un résultat chez l’humain. Cependant, en l’espèce, il est également instructif, pour arriver à cette conclusion, de considérer le contexte ayant conduit au brevet de sélection 777. La Cour va donc examiner le lien entre le brevet de genre 875 et le brevet de sélection 777.

 

(2)   Le lien entre le brevet de genre 875 et le brevet de sélection 777

[165]       Pour apprécier la promesse du brevet de sélection 777, il est utile de considérer le brevet de genre 875 à l’origine de la sélection du composé dans le brevet 777.

 

[166]       La demande concernant le brevet canadien n° 1,194,875 (le brevet 875) a été déposée au Canada le 8 juillet 1983, et le brevet a été délivré le 8 octobre 1985. Ce brevet se rapporte à un genre de grande étendue comprenant environ 9,5 millions de composés différents. Les composés divulgués dans le brevet 875 sont des racémates. La formule générale du brevet 875 se présente ainsi :

 

 

 

[167]       Le bisulfate de clopidogrel est englobé dans les revendications du brevet 875 et a été choisi parmi cette catégorie de composés.

 

[168]       Le brevet 875 mentionne explicitement les applications des composés en thérapeutique humaine et vétérinaire. Le paragraphe suivant, à la page 12 du brevet 875, est révélateur :

[TRADUCTION]

 

Les examens toxicologiques et pharmaceutiques évoqués plus haut montrent la faible toxicité des composés de l’invention, de même que leur excellente tolérance et leurs propriétés d’inhibition de l’agrégation plaquettaire, et leur activité antithrombotique, ce qui les rend très utiles dans les applications thérapeutiques humaines et vétérinaires.

[Non souligné dans l’original.]

 

[169]       Puisque le brevet 875 est le brevet de genre du brevet 777 et que le brevet 875 parle explicitement des humains, la Cour ne peut admettre la thèse de Sanofi pour qui la promesse du brevet 777 est celle d’un simple potentiel chez l’humain. Admettre la thèse de Sanofi reviendrait à admettre que le brevet de sélection 777 promet moins que le brevet de genre 875. À ce propos, la Cour rappelle les conditions d’un brevet de sélection valide, qui ont été définies dans la décision IG Farbenindustrie AG’s Patents, Re (1930), 47 RPC 289 (Chancery Division, en Angleterre), aux pages 322 et 323 :

[TRADUCTION]

 

1.    Il doit exister un avantage appréciable à obtenir, ou un désavantage à éviter, par l’utilisation des membres choisis.

 

2.      La totalité des membres choisis (sous réserve de « quelques exceptions ici et là ») possède l’avantage en question.

 

3.      La sélection doit se rapporter à une qualité d’un caractère spécial propre au groupe choisi. Si une recherche complémentaire a révélé un petit nombre de composés non choisis possédant le même avantage, cela n’invalidera pas le brevet de sélection. Cependant, si la recherche a montré qu’un nombre plus important de composés non choisis possédait le même avantage, alors la qualité du composé revendiqué dans le brevet de sélection ne sera pas d’un caractère spécial.

 

[170]       Si l’on considère ces conditions globalement, il serait illogique d’autoriser un brevet de sélection à promettre moins que le brevet de genre – puisque la caractéristique fondamentale d’un brevet de sélection est qu’il offre au public un avantage ou caractère spécial non divulgué par le genre. La Cour n’irait pas jusqu’à exclure que, dans certains cas, un brevet de sélection puisse promettre moins que son brevet de genre, mais, en l’espèce, la preuve produite conduit la Cour à dire qu’il ne peut en être ainsi.

 

[171]       En outre, bien que non déterminant pour l’interprétation de ce que promet un brevet, l’historique de l’évolution du brevet 777 nous conduit à croire que la découverte de l’invention du brevet 777 avait pour objet une utilisation humaine. Le brevet de sélection 777 ne promet pas moins que son brevet de genre 875, et cela pour les raisons suivantes :

§                l’utilisation antérieure de la ticlopidine chez les humains;

§                le fait que la ticlopidine fait partie des composés à base de thiénopyridine;

§                les travaux menés par Sanofi pour trouver un médicament plus puissant que la ticlopidine, avec un meilleur rapport risques‑avantages, travaux qui ont conduit au brevet de genre 875;

§                le fait que le brevet de genre 875, comme la ticlopidine, fait également partie des composés à base de thiénopyride;

§                le fait que le brevet de genre 875 parle explicitement des humains.

 

(3)   La conclusion de la Cour sur la promesse du brevet

[172]       Comme il a été mentionné précédemment, la Cour sait que le mot « humains » n’apparaît pas expressément dans le brevet 777. Cependant, une interprétation téléologique du brevet 777 a conduit la Cour à conclure que le brevet de sélection 777 ne saurait promettre moins que le brevet de genre 875, et cette conclusion, comme il est expliqué plus haut, est appuyée par le texte du brevet 777.

 

[173]       Cela étant, la Cour conclut donc que la personne moyennement versée dans l’art dirait que la promesse du brevet 777 concerne les humains. Il s’ensuit que la Cour ne peut admettre la position de Sanofi concernant la promesse du brevet, parce que cela reviendrait à laisser totalement de côté les travaux menés avant le brevet de sélection 777 et à donner une interprétation étroite de la promesse. Cela serait également incompatible avec la compréhension d’une personne versée dans l’art en ce qui concerne la ticlopidine, médicament notoirement connu, le brevet 875 et le texte du brevet 777, y compris le médicament, les ingrédients médicamenteux, le patient, la posologie, les comprimés, les gélules et les compositions pharmaceutiques.

 

[174]       En résumé, la Cour arrive à la conclusion que la personne moyennement versée dans l’art dirait que la promesse concernant l’utilisation de l’invention du brevet 777 serait une utilisation chez l’humain.

 

[175]       Nonobstant ce qui précède, la Cour doit maintenant examiner un dernier argument avancé par Sanofi, à savoir le [TRADUCTION] « principe de correspondance ».

 

(4)   L’argument de Sanofi : le [TRADUCTION] « principe de correspondance »

[176]       Durant son argumentation finale, Sanofi a évoqué devant la Cour la notion de [TRADUCTION] « principe de correspondance » à propos de la promesse du brevet.

 

[177]       Plus précisément, les avocats de Sanofi se reportent à un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Eli Lilly (Olanzapine), précité, qui concernait le brevet 113, un brevet de sélection portant sur le composé olanzapine. Sanofi affirme que, dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale avait rappelé aux parties en présence et aux juridictions inférieures que l’interprétation de l’utilité d’un brevet doit s’accorder avec l’information figurant dans le brevet et avec la manière dont une personne moyennement versée dans l’art pourrait interpréter cette information. Sanofi soutient aussi que, dans cet arrêt, la Cour d’appel fédérale blâmait Teva d’avoir prétendu qu’un modèle animal donné n’était pas prédictif de ce qui se produirait chez l’humain, mais d’avoir aussi prétendu simultanément qu’une personne moyennement versée dans l’art dirait que le brevet promettait un effet chez l’humain. Au soutien de son argument, Sanofi se réfère aux paragraphes 102 et 103 de l’arrêt Olanzapine :

[102]  Pour illustrer ce point, je vais donner un exemple. En discutant des avantages allégués (sur lesquels je reviendrai plus loin), le juge de première instance a souligné que « Novopharm a contesté pour plusieurs motifs l’affirmation contenue dans le brevet 113 selon laquelle l’olanzapine procurerait un avantage du point de vue du cholestérol » (paragraphe 80). Novopharm a contesté notamment le bien‑fondé de l’étude sur le chien pour prédire les effets sur le cholestérol chez l’humain. Le juge de première instance a brièvement passé en revue le témoignage de trois experts à cet égard. Un seul d’entre eux, le Dr Bauer, croyait que le chien était un bon modèle pour prédire les effets sur le cholestérol chez l’humain. Toutefois, sa théorie avait été mise au point après le dépôt du brevet 113. Il a reconnu que l’opinion dominante en 1991 voulait que le chien ne soit pas un bon modèle pour les études portant sur le cholestérol.

[103]  Par conséquent, l’opinion unanime (compte tenu de la preuve dont il a été question) était que le chien n’était pas un bon modèle pour les études portant sur le cholestérol. Néanmoins, le juge de première instance a conclu que « la référence à l’étude chez le chien et les résultats relatifs au cholestérol dans le brevet 113 impliquent qu’on s’inquiétait de l’effet potentiel chez l’humain » (paragraphes 37, 38, 52 et 93). Comment se pourrait‑il, alors que les experts conviennent de manière unanime que le chien n’était pas un bon modèle pour prédire le taux de cholestérol chez l’humain, qu’une personne versée dans l’art interprète la référence aux taux de cholestérol chez le chien comme impliquant une inquiétude quant à l’effet potentiel chez l’humain?

[Non souligné dans l’original.]

 

[178]       La Cour comprend l’argument du [TRADUCTION] « principe de correspondance » avancé par Sanofi, selon lequel l’interprétation de la promesse d’un brevet doit correspondre à l’information figurant dans le brevet, et à la manière dont une personne moyennement versée dans l’art interpréterait cette information. En l’espèce, selon Sanofi, cela voudrait dire qu’il n’y a pas de promesses au-delà des rats (rongeurs), parce que les données du brevet 777 se rapportent uniquement aux rats. Au soutien de son argument, Sanofi propose les options suivantes pour l’interprétation de la promesse du brevet 777 :

§          Option 1 : si une personne moyennement versée dans l’art disait que les études faites sur des rats dans le cadre du brevet permettent de prédire une activité chez les humains, alors le brevet promet une activité potentielle chez l’humain.

 

§          Option 2 : si une personne moyennement versée dans l’art disait que les études faites sur des rats dans le cadre du brevet ne permettent pas de prédire une activité chez les humains, alors le brevet ne promet aucune activité chez l’humain.

 

§          Option 3 (selon Sanofi, cette option représentait la position d’Apotex) : une personne moyennement versée dans l’art dirait que les études faites sur des rats dans le cadre du brevet ne permettent pas de prédire une activité chez l’humain, mais elle estime que le brevet promet une activité chez l’humain.

 

[179]       Selon la Cour, le problème que soulèvent le [TRADUCTION] « principe de correspondance » de Sanofi et ses options possibles obligerait la Cour à considérer l’information contenue dans le brevet 777 à travers le prisme des données résultant des études faites sur des rats et, à partir de ces données, à interpréter le brevet d’une façon qui s’accorderait avec l’information en cause et avec la manière dont une personne moyennement versée dans l’art interpréterait cette information.

 

[180]       Cependant, la Cour n’interprète pas l’arrêt Olanzapine, précité, de la manière préconisée par Sanofi. Sanofi voudrait que la Cour considère les données des études faites sur des rats et interprète la promesse en fonction de telles données. Mais cela conduirait au résultat illogique selon lequel la promesse d’un brevet donné ne pourrait jamais se rapporter aux humains en l’absence de données humaines dans le brevet lui-même. La manière dont la Cour considère les directives énoncées dans l’arrêt Olanzapine, précité, telles qu’elles sont exposées par la juge Layden-Stevenson, c’est qu’il faut nécessairement faire une lecture du brevet tout entier pour savoir s’il y a une promesse et, ensuite, se demander si les données appuient la promesse. La Cour ne croit pas que la Cour d’appel fédérale veuille dire qu’il faut d’abord lire les données, pour ensuite apprécier la promesse du brevet 777 à la lumière de telles données.

 

[181]       Compte tenu de ce qui précède, la Cour ne peut accepter dans ces conditions l’argument de Sanofi fondé sur le [TRADUCTION] « principe de correspondance ».

 

K.        Résumé concernant l’interprétation des revendications

[182]       Après avoir pris en considération les mots des revendications du brevet 777 en litige et la preuve fournie par les experts, la Cour conclut que les revendications pertinentes du brevet devraient être interprétées ainsi :

§           La revendication 1 vise le clopidogrel essentiellement pur et ses sels pharmaceutiquement acceptables.

 

§           La revendication 3 vise le bisulfate de clopidogrel essentiellement pur.

 

§           La revendication 6 vise le procédé de fabrication du clopidogrel et de ses sels pharmaceutiquement acceptables, y compris l’utilisation d’un « acide optiquement actif » et de solvants pour la fabrication de clopidogrel essentiellement pur et de ses sels pharmaceutiquement acceptables au moyen du procédé décrit à la revendication 6.

 

§           La revendication 10 vise une composition pharmaceutique renfermant une quantité efficace de clopidogrel essentiellement pur et de ses sels pharmaceutiquement acceptables comme ingrédient actif.

 

§           La revendication 11 vise une composition pharmaceutique renfermant une quantité efficace de clopidogrel essentiellement pur et de ses sels pharmaceutiquement acceptables comme ingrédient actif.

 

 

[183]       Ayant défini la bonne manière d’interpréter les revendications pertinentes du brevet 777, la Cour passe maintenant à la question de la contrefaçon.

 

VI        La contrefaçon – le contexte

A.        Introduction

[184]       La présente instance réunit deux actions. La première (T-644-09) était l’action intentée par Apotex pour faire invalider le brevet 777 et faire déclarer que la vente par Apotex de comprimés de clopidogrel au Canada ne porterait pas atteinte aux revendications du brevet 777. La deuxième (T‑933-09), qui sera maintenant examinée par la Cour, est l’action en contrefaçon du brevet 777 intentée par Sanofi. Sanofi soutient que, si le brevet 777 est valide, alors il ne fait aucun doute qu’Apotex a porté atteinte aux revendications de produit 1, 3, 10 et 11 du brevet ainsi qu’aux revendications de procédé – plus particulièrement les revendications 6 et 7. En réponse, Apotex affirme que ses procédés de fabrication ne portent pas atteinte aux revendications de produit ou de procédé du brevet 777. Vu la conclusion de la Cour selon laquelle le brevet 777 est invalide, conclusion qui sera examinée de manière plus détaillée plus loin dans la présente décision, la question de la contrefaçon est, en principe, théorique. Néanmoins, la Cour examinera la question afin de répondre aux vues exprimées par les parties sur le sujet, dans le cas où cela serait éventuellement utile.

 

B.         Les principes généraux

[185]       La Loi sur les brevets ne définit pas le mot « contrefaçon », mais l’article 44 de la Loi (aujourd’hui l’article 42) décrit les droits exclusifs conférés au breveté :

CONCESSION DES BREVETS

 

Teneur et effet du brevet

 

 

44.  Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou nom de l’invention, avec renvoi au mémoire descriptif, et accorde, sous réserve des conditions prescrites dans la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet y mentionnée, à partir de la date de la concession du brevet, le droit, la faculté et le privilège exclusifs de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

GRANT OF PATENTS

 

 

What patent shall contain and confer

 

44.  Every patent granted under this Act shall contain the title or name of the invention, with a reference to the specification, and shall, subject to the conditions prescribed in this Act, grant to the patentee and his legal representatives for the term therein mentioned, from the granting of the patent, the exclusive right, privilege and liberty of making, constructing, using and vending to others to be used the invention, subject to adjudication in respect thereof before any court of competent jurisdiction.

 

OCTROI DES BREVETS

 

Contenu du brevet

 

42. Tout brevet accordé en vertu de la présente loi contient le titre ou le nom de l’invention avec renvoi au mémoire descriptif et accorde, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, au breveté et à ses représentants légaux, pour la durée du brevet à compter de la date où il a été accordé, le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement en l’espèce par un tribunal compétent.

GRANT OF PATENTS

 

Contents of patent

 

42. Every patent granted under this Act shall contain the title or name of the invention, with a reference to the specification, and shall, subject to this Act, grant to the patentee and the patentee’s legal representatives for the term of the patent, from the granting of the patent, the exclusive right, privilege and liberty of making, constructing and using the invention and selling it to others to be used, subject to adjudication in respect thereof before any court of competent jurisdiction.

 

 

 

[186]       Dans l’arrêt Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34, 31 CPR (4th) 161, au paragraphe 35, la Cour suprême du Canada écrivait que, pour savoir s’il y a eu contrefaçon, la question à poser est la suivante : les activités du défendeur ont-elles privé l’inventeur, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi? Ce monopole est le droit, la faculté et le privilège exclusif de fabriquer, construire, exploiter et vendre à d’autres, pour qu’ils l’exploitent, l’objet de l’invention, sauf jugement rendu par un tribunal compétent.

 

[187]       Il n’est pas contesté que la charge de prouver la contrefaçon repose sur les demanderesses, suivant la prépondérance des probabilités (voir Eli Lilly and Co c Apotex Inc, 2009 CF 991, 80 CPR (4th) 1, [la décision Cefaclor], au paragraphe 211; Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2010 CF 602, 84 CPR (4th) 237, au paragraphe 170; Lubrizol Corp c Compagnie pétrolière Impériale Ltée (CAF), [1992] ACF n° 1110, 45 CPR (3rd) 449).

 

[188]       Par ailleurs, la question de la contrefaçon est une question mixte de droit et de fait, comme cela est expliqué dans l’ouvrage de Hughes et Woodley, Patents, 2e édition (Markham, ON : LexisNexis, 2005), à la page 375 :

[TRADUCTION]

 

[…] La question de la contrefaçon est une question mixte de droit et de fait. L’interprétation et la portée du brevet sont des questions de droit; la question de savoir si les activités du défendeur entrent dans la portée du brevet est une question de fait, et c’est au breveté qu’il appartient de prouver la contrefaçon. […]

 

[189]       Les principes directeurs concernant le verbe « exploiter » employé dans l’article 42 de la Loi sur les brevets ont été exposés en détail dans l’arrêt Monsanto, précité, au paragraphe 58, de la façon suivante :

[58] […]

1.      Selon leur sens lexicographique ordinaire, les verbes « exploiter » et « use » connotent une utilisation en vue d’une production ou dans le but de tirer un avantage.

 

2.      Le principe fondamental qui s’applique pour déterminer si le défendeur a « exploité » une invention brevetée consiste à se demander si l’inventeur a été privé, en tout ou en partie, directement ou indirectement, de la pleine jouissance du monopole conféré par le brevet.

 

3.      Tout avantage commercial qui peut découler de l’invention appartient au titulaire du brevet.

 

4.      Il est possible de conclure à l’existence de contrefaçon même si l’objet ou le procédé breveté fait partie ou est une composante d’une structure ou d’un procédé non brevetés plus vastes, pourvu que l’invention brevetée soit importante pour les activités du défendeur qui mettent en cause la structure non brevetée.

 

5.      La possession d’un objet breveté ou d’un objet ayant une particularité brevetée peut constituer une « exploitation » de l’utilité latente de cet objet et ainsi constituer de la contrefaçon.

 

6.      La possession, du moins dans le cadre d’un commerce, donne naissance à une présomption d’« exploitation » réfutable.

 

7.       Bien qu’en général l’intention ne soit pas pertinente pour déterminer s’il y a eu « exploitation » et donc contrefaçon, l’absence d’intention d’utiliser l’invention ou d’en tirer un avantage peut être pertinente pour réfuter la présomption d’exploitation découlant de la possession.

 

[190]       Il faut aussi rappeler qu’il n’est pas indispensable de prouver l’intention pour qu’il y ait contrefaçon. Cependant, l’intention joue un rôle important quand il s’agit de définir la nature du redressement. L’octroi de dommages exemplaires dépendra parfois de la question de savoir s’il y avait ou non connaissance ou intention (arrêt Monsanto, précité, au paragraphe 86).

 

[191]       La juge Gauthier, alors juge de la Cour fédérale, a fait, dans la décision Cefaclor, précitée, une analyse détaillée de cette question de l’importation et de la contrefaçon. Au paragraphe 318, elle a rappelé que le monopole conféré à un breveté va jusqu’à empêcher l’importation au Canada de produits fabriqués à l’étranger au moyen de procédés qui, s’ils étaient appliqués au Canada, constitueraient un acte de contrefaçon du brevet :

[318] […] L’importation de produits fabriqués à l’étranger qui font l’objet de revendications de procédé de brevets canadiens est interdite.

 

 

[192]       La Cour d’appel fédérale a également jugé que l’exportation du Canada d’un produit breveté pour utilisation à l’étranger est considérée comme un acte de contrefaçon (arrêt AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc et al. (1995), 61 CPR (3d) 417 (CAF).

 

[193]       Lorsqu’elle examine un cas de contrefaçon, la Cour doit d’abord interpréter les revendications. Une fois établies l’interprétation et la portée des revendications, la Cour doit ensuite déterminer si le breveté a réussi à prouver qu’il y a eu violation de ces revendications.

 

C.        Résumé des arguments de Sanofi sur la contrefaçon

[194]       Sanofi fait valoir que les activités d’Apotex constituent des actes de contrefaçon. Selon Sanofi, Apotex a contrefait le brevet 777 parce qu’Apotex a importé, mis en vente, vendu, fabriqué, possédé pour des besoins commerciaux, exploité et exporté du bisulfate de clopidogrel et des comprimés de bisulfate de clopidogrel. Sanofi affirme que ces actes constituent une exploitation de l’invention du brevet 777, exploitation qui prive Sanofi, le breveté, et BMS, son licencié exclusif, de la pleine jouissance du monopole conféré, ainsi que du droit d’empêcher autrui d’utiliser l’invention du brevet 777. Plus précisément, la prétendue contrefaçon résulte des activités suivantes :

§                [omis];

 

§                [omis];

 

§                [omis];

 

§                [omis].

 

[195]       En réponse, Apotex a fait valoir que le procédé employé par son fournisseur situé à […] […] échappe à la revendication 6. Sanofi, pour sa part, soutient qu’il est manifeste que le procédé utilisé relève de la revendication 6 et qu’Apotex importe le produit de ce procédé. Sanofi affirme aussi que les prétendues différences sont des variantes mineures du procédé littéralement décrit dans la divulgation du brevet et que le procédé entre donc quand même dans le libellé de la revendication 6. Sanofi soutient aussi que les défenses opposées par Apotex, à savoir la défense du délai de prescription et la défense fondée sur les accords de règlement, la préclusion et l’abus de procédure, ne sont pas fondées, en fait et en droit.

 

[196]       Sanofi soutient donc avoir droit, à son gré, à tous les dommages-intérêts découlant des actes de contrefaçon d’Apotex, ou à la restitution des bénéfices injustement recueillis par Apotex. En outre, Sanofi voudrait obtenir une injonction ordonnant que lui soit remise la totalité du clopidogrel, en vrac ou sous forme de comprimés, qui se trouve en la possession ou sous le contrôle d’Apotex et de Pharmachem.

 

[197]       Vu la conclusion de la Cour se rapportant à l’utilité et à l’évidence, il n’est pas nécessaire à ce stade de statuer sur une possible injonction ou sur l’octroi de dommages-intérêts. L’analyse de la Cour portera donc essentiellement sur la contrefaçon, et, compte tenu de ce qui précède, elle déterminera maintenant si le breveté, Sanofi, a réussi à prouver qu’Apotex avait violé les revendications du brevet 777.

 

D.        La preuve soumise à la Cour

[198]       La Cour rappelle que, durant l’instruction, le Dr Bernard Sherman, président d’Apotex, a indiqué que la décision avait été prise de développer un produit à base de bisulfate de clopidogrel, parce que ce produit allait être un succès commercial. [omis].

 

[199]       [omis].

 

[200]       [omis].

 

[201]       [omis].

 

[202]       Selon la preuve, Apotex a commencé à acquérir d’importantes quantités de bisulfate de clopidogrel auprès de […], au début de 2004, et elle continue à ce jour d’en recevoir. Apotex a reçu plus de 80 000 kilogrammes de clopidogrel, ce qui représente pour elle une valeur d’environ 1,6 milliard $ US sur le marché des États-Unis, au prix de vente d’Apotex.

 

[203]       On a aussi précisé, dans la preuve, que le clopidogrel en vrac reçu par Apotex de […] était livré par un mandataire de […] à Air Canada et livré au Canada, conformément à un connaissement aérien émis à Montréal. Malgré le fait que, à partir du 13 février 2006, il était indiqué que les expéditions se faisaient sur une base CIF et que, avant cette date, elles portaient la mention DDU (rendu droits non acquittés), on peut voir, sur les connaissements aériens et sur les formules de codage de Douanes Canada, qu’Apotex est l’« importateur » aux fins des déclarations douanières canadiennes. La Cour estime donc, ainsi que le soutient Sanofi, que l’importation par Apotex de bisulfate de clopidogrel constitue un acte de contrefaçon (voir Schmeiser, précité, au paragraphe 44; Cefaclor, précitée, aux paragraphes 270 à 329).

 

[204]       Une fois le produit dédouané, le clopidogrel en vrac importé par Apotex est alors transporté par camion vers l’usine de fabrication d’Apotex, où il est préparé en comprimés contenant 75 mg de bisulfate de clopidogrel, puis offert à la vente.

 

[205]       Non seulement Apotex a vendu d’importantes quantités de comprimés de 75 mg de bisulfate de clopidogrel dans une diversité de pays, mais encore l’entreprise a vendu quelque 500 millions de comprimés sur le marché des États-Unis entre le 8 août 2006 et le 31 août 2006, jusqu’à ce que la Cour de district des États-Unis pour le district Sud de l’État de New York lui enjoigne, le 23 octobre 2009, de cesser la vente de ce produit, compte tenu du brevet déposé aux États-Unis. Durant l’instruction, Sanofi a appelé l’attention de la Cour sur le fait que, après le prononcé de cette injonction, on ne sait pas ce qu’il est advenu de la marchandise non vendue : a-t-elle été retournée au Canada? a-t-elle été expédiée vers d’autres pays? ou bien a-t-elle été retenue aux États-Unis? Au cours du contre-interrogatoire, [omis] :

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[206]       À un prix de vente moyen de 2 $ le comprimé, la valeur pour Apotex de la vente des comprimés manquants représenterait environ 1 milliard $ US. L’absence de preuve sur ces comprimés manquants laisse évidemment perplexe.

 

[207]       La preuve montre aussi qu’Apotex a vendu du bisulfate de clopidogrel à de nombreux autres pays. Au 15 janvier 2011, Apotex avait reçu et exécuté des commandes au Canada portant sur plus de 77 millions de comprimés expédiés vers Hong Kong, la Nouvelle-Zélande, l’Iran, la Libye, la Malaisie, Singapour, Oman, Haïti, la Moldavie, la Thaïlande, la Hongrie, les Philippines, l’Ukraine, la Sierra Leone, l’Australie, etc. Sanofi affirme que l’acceptation de commandes et la fabrication au Canada ainsi que la vente à l’exportation sont d’autres actes de contrefaçon commis par Apotex (voir l’arrêt AlliedSignal Inc, précité, aux paragraphes 72 et 73). Compte tenu de la preuve, la Cour partage cet avis et conclut en ce sens.

 

[208]       Sanofi affirme aussi que la possession d’une marchandise brevetée pour des besoins commerciaux est un acte de contrefaçon (arrêt Schmeiser, précité, aux paragraphes 46 à 58). Au soutien de cette affirmation, Sanofi a expliqué à la Cour que, en ce qui a trait aux ventes d’Apotex à Apotex Corp. aux États-Unis, les commandes étaient reçues et traitées au Canada. Les factures commerciales établies pour les ventes aux États-Unis ne font pas état de conditions commerciales, mais Apotex s’approprie les marchandises pour donner suite à ces commandes et le transfert de propriété a donc lieu au Canada. Par conséquent, la Cour partage encore une fois l’avis de Sanofi pour qui, eu égard à la preuve, Apotex a commis un acte de contrefaçon en possédant pour des besoins commerciaux la marchandise brevetée en question.

 

[209]       Dans les documents douaniers, Apotex est représentée par le courtier en douane américain d’Apotex, Affiliated Customs Brokers, de Détroit, au Michigan, l’importateur officiel. Après que les marchandises sont dédouanées aux États-Unis par les soins du représentant d’Apotex, elles sont expédiées vers l’entrepôt d’Apotex Corp., l’entité commerciale d’Apotex aux États-Unis. Les ventes d’Apotex Corp. se font conformément à une Abbreviated New Drug Application (ANDA – demande abrégée de drogue nouvelle) présentée au nom d’Apotex, et conformément à une approbation réglementaire obtenue par Apotex Inc., Apotex Corp. agissant comme son mandataire.

 

[210]       Compte tenu de tous ces actes de contrefaçon, il est clair qu’Apotex a agi d’une manière qui fait obstacle à la pleine jouissance du monopole qui avait été conféré à Sanofi. La Cour conclut qu’Apotex s’est livrée à des actes de contrefaçon en fabriquant, exploitant, important, exportant, possédant et vendant un produit protégé par le brevet 777, sans y être autorisée par Sanofi. La Cour examinera maintenant en quoi les actes de contrefaçon concernent les revendications de produit et les revendications de procédé.

 

(1)     Les revendications de produit : les revendications 1, 3, 10 et 11

[211]       La Cour rappelle la procédure écrite d’Apotex sur la question de la pureté énantiomérique du clopidogrel dont parlent les revendications 1, 3 10 et 11. Comme on l’a vu plus haut, les témoins experts des deux parties ont reconnu que la pureté du clopidogrel revendiquée dans le brevet 777 est une pureté substantielle. Par conséquent, aucune question ne se pose concernant l’interprétation des revendications 1 et 3 du brevet 777, qui concernent un bisulfate de clopidogrel d’une pureté substantielle.

 

[212]       Quant aux revendications 10 et 11, il n’est pas contesté qu’elles concernent des compositions pharmaceutiques renfermant du clopidogrel ou ses sels acceptables sur le plan pharmaceutique.

 

[213]       Eu égard à la preuve qui a été soumise à la Cour, il ne fait aucun doute que les actes commis par Apotex portent atteinte aux revendications 1, 3, 10 et 11 du brevet 777. La Cour reconnaît avec Sanofi qu’il y a eu atteinte aux revendications de produit par le fait qu’Apotex a fabriqué, exploité, possédé et vendu du bisulfate de clopidogrel et des compositions pharmaceutiques (comprimés de 75 mg) contenant du bisulfate de clopidogrel pour une exploitation par d’autres.

 

(2)     Les revendications de procédé : les revendications 6 à 9

[214]       Tout d’abord, Sanofi affirme que le fournisseur d’Apotex, […], a utilisé un procédé pour produire du clopidogrel en vrac, ce qui porte atteinte à la revendication 6 du brevet 777, et qu’Apotex a également importé le produit de ce procédé.

 

[215]       Sur ce point, Sanofi, se fondant sur le paragraphe 39(2) de la Loi sur les brevets, soutient que, lorsqu’un brevet revendique un procédé pour la fabrication d’un nouveau produit, « toute substance formée des mêmes composants et éléments chimiques est, en l’absence de preuve contraire, réputée avoir été produite par le procédé breveté » (paragraphe 39(2) de la Loi sur les brevets).

 

[216]       Le paragraphe 39(2) de la Loi oblige donc Apotex à prouver que le procédé de son fournisseur ne porte atteinte à aucune des revendications de procédé. La Cour observe que l’argument de Sanofi concernant l’atteinte aux revendications de procédé concerne principalement les revendications 6 et 7.

 

[217]       Dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, 9 CPR (4th) 168, aux paragraphes 55 à 57, la Cour suprême du Canada écrivait ce qui suit à propos de la contrefaçon d’un procédé :

[55]  Il serait injuste de permettre qu’un appareil qui ne se distingue de celui décrit dans les revendications du brevet que par la permutation de caractéristiques secondaires échappe impunément au monopole conféré par le brevet. En conséquence, les éléments de l’invention sont qualifiés soit d’essentiels (la substitution d’un autre élément ou une omission fait en sorte que l’appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l’omission n’entraîne pas nécessairement le rejet d’une allégation de contrefaçon). Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.‑à‑d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité, à la p. 192. Dans ce contexte, je crois qu’il faut entendre par « fonctionner de la même manière » que la variante (ou le composant) accomplirait essentiellement la même fonction, d’une manière essentiellement identique pour obtenir essentiellement le même résultat. Dans Improver Corp. c. Remington, le juge Hoffmann a tenté de ramener l’essentiel de l’analyse proposée dans l’arrêt Catnic à une série de questions concises, à la p. 182 :

 

         [TRADUCTION]

(i)        La variante influence‑t‑elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative :

 

(ii)       Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait‑il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative :

 

(iii)     L’expert du domaine conclurait‑il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

 

[56]  Les trois questions ne sont pas exhaustives, mais elles englobent ce qui est au cœur de l’analyse de lord Diplock, et elles ont par la suite été approuvées par les tribunaux anglais.

 

[57]  Dans AT & T Technologies, précité, à la p. 257, le juge Reed dégage une série de principes d’interprétation à partir de différents arrêts, dont Catnic et O’Hara, précités.  Le troisième principe qu’elle dégage est le suivant :

 

(3) Si une variante d’un aspect d’une revendication n’a aucune incidence importante sur le fonctionnement de l’invention, il existe une présomption portant que le brevet est contrefait et que le breveté voulait que cette variante entre dans la portée de la revendication […]  [Je souligne.]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[218]       En somme, si des modifications sont apportées à un procédé revendiqué, mais que les éléments essentiels demeurent, il y a encore contrefaçon.

 

[219]       Apotex affirme que le bisulfate de clopidogrel en vrac utilisé dans ses comprimés Apo‑clopidogrel est fabriqué au moyen du procédé décrit dans le Fichier pharmaceutique permanent […] américain et canadien. Selon Sanofi, les étapes de ce procédé qui concernent la violation de la revendication 6 sont décrites dans [omis].

 

[220]       En ce qui a trait à la revendication 6, comme cela a déjà été expliqué dans la section concernant l’interprétation des revendications, cette revendication décrit un procédé en trois (3) étapes pour la préparation du clopidogrel.

 

[221]       La position d’Apotex est que la revendication 6 devrait être interprétée comme limitant le solvant à l’acétone et l’acide optiquement actif à l’acide (R)-camphre-sulfonique. Sanofi soutient qu’il s’agit là d’une interprétation trop étroite.

 

 

[222]       Les deux témoins experts concernés qui se sont exprimés sur cette question étaient le Dr Adger, pour Apotex, et le Dr Byrn, pour Sanofi. Le Dr Adger a émis l’avis que ni l’un ni l’autre des procédés que lui avait remis Apotex ne présentaient les éléments essentiels de la revendication 6. Il semblait croire que, parce que le [omis], il n’entre dans le champ d’aucune des revendications de procédé du brevet 777.

 

[223]       En revanche, le Dr Byrn concluait ainsi, dans son rapport d’expert, au paragraphe 173 :

[TRADUCTION]

 

Ainsi, à mon avis, le procédé décrit dans ces documents non seulement utilise les enseignements du brevet 777, mais encore fait partie intégrante de la revendication 6. Le procédé décrit est une simple variante de ce qui est explicitement indiqué dans les exemples. [omis]. Le procédé entre pourtant dans les termes de la revendication 6. Le produit du procédé entre dans les termes des revendications 1 et 3.

 

[224]       Pour étayer sa thèse, le Dr Byrn a présenté un tableau pour aider la Cour à percevoir la légère différence entre la revendication 6 et la […]. Il est clair pour la Cour que la seule différence est que [omis] :

Procédé de la revendication 6

 

[omis]

 

Formation d’un sel du racémique avec un acide optiquement actif dans un solvant

[omis]

 

 

[omis]

 

Recristallisation répétée du sel jusqu’à l’obtention d’un produit ayant un pouvoir rotatoire optique constant

[omis]

 

Libération du clopidogrel de son sel optiquement actif au moyen d’une base

[omis]

 

Si on le souhaite, ajout d’un acide pharmaceutiquement acceptable pour fabriquer un sel de clopidogrel

[omis]

 

 

[225]       Afin de décrire visuellement les deux procédés, le Dr Byrn a présenté les dessins suivants :

 

Documents d’Apotex

Apotex’ Documents

[omis]

[omitted]

 

[226]       En contre-interrogatoire, le Dr Adger, témoin expert d’Apotex, a admis qu’il n’y avait qu’une légère variante entre la revendication 6 et le […]. En fait, prié de comparer les deux diagrammes ci-dessus, il les a qualifiés de « blanc et noir » et a reconnu qu’ils étaient presque des images miroirs l’un de l’autre (Adger, contre-interrogatoire, T1781-1782) :

[TRADUCTION]

 

Q.      Le procédé parlait de prendre le côté droit du diagramme, à la page 5, et de le faire passer à gauche?

R.      C’est comme noir et blanc.

Q.      Ou l’inverse?

R.      Exact.

Q.      Ce sont comme des images miroirs?

R.      Presque.

Q.      Si vous considérez la revendication 6 et gardez votre onglet 8, ou la description plus détaillée qui ne vous a pas été remise et qui est devant vous, vous conviendriez, suivant la résolution de l’onglet 8, que du clopidogrel est fabriqué?

R.      Oui.

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[227]       Le Dr Adger a nuancé sa réponse durant le ré-interrogatoire, mais Sanofi affirme que l’unique argument du Dr Adger à propos de la contrefaçon se limite aux aspects suivants de la revendication 6 : le sel qui est recristallisé pour former le sel de clopidogrel doit être le même que le précipité qui se forme au départ avec l’ajout du sel optiquement actif au conglomérat racémique.

 

[228]       Le témoignage du Dr Byrn était utile en ce sens qu’il expliquait que, lorsque le sel optiquement actif est ajouté au mélange racémique, tant dans le procédé de la revendication 6 que dans celui de […], deux sels optiquement actifs sont formés et un seul demeure dans la solution (rapport de Byrn, par. 171) :

[traduction]

 

[171] La déclaration du Dr Adger au paragraphe 266 selon laquelle « le sel n’était pas issu du mélange racémique, mais plutôt d’un échantillon enrichi en énantiomères » n’a tout simplement aucun sens sur le plan pédagogique. Le sel est le sel en solution et tout chimiste de synthèse ou chimiste des solides qui comprend le principe de formation d’un sel comprendrait que la revendication 6 vise toute séparation, que le sel désiré précipite ou demeure en solution. La précipitation enrichit en énantiomères tant le bouillon que le sel précipité.

 

[229]       Vu cette preuve, la Cour estime que le témoignage du Dr Byrn est plus persuasif que celui du Dr Adger. Comme l’a expliqué clairement le Dr Byrn, la seule différence entre les deux procédés est le fait qu’une étape additionnelle est incluse dans le [omis]. Cela se résume à une simple petite modification du procédé. La Cour considère donc qu’Apotex a violé la revendication 6 du brevet 777.

 

[230]       Quant à la revendication 7, qui concerne le procédé décrit dans la revendication 6, elle précise que le lévo-ACS constitue le solide optiquement actif. [omis]. Apotex fait donc valoir que le […] n’entre pas dans le champ de la revendication 7. Comme l’a fait observer Sanofi, [omis] et la Cour accepte cet argument.

 

[231]       Finalement, en ce qui a trait aux revendications 8 et 9, Apotex affirme que le […] n’emploie pas d’acétone. Comme elle l’a déjà indiqué dans la discussion touchant la revendication 6, la Cour ne croit pas que ces revendications devraient être interprétées d’une manière qui restreint l’acétone en tant que solvant. Ainsi, vu la preuve, la Cour conclut qu’Apotex a violé les revendications de procédé 6 à 9 du brevet 777.

 

E.         La possible exonération de responsabilité

[232]       La common law reconnaît de longue date une exonération de responsabilité pour contrefaçon. Il s’agit de l’exonération pour utilisation expérimentale. Plus précisément, un utilisateur expérimental dépourvu de licence n’est pas en droit un contrefacteur lorsqu’il fait l’expérimentation de bonne foi d’un article breveté. Cette exception, énoncée au paragraphe 55.2(1) de la Loi sur les brevets (postérieure au 1er octobre 1989), prévoit qu’il n’y a pas de contrefaçon dans le fait d’utiliser l’invention dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’une loi oblige à fournir :

Exception

(1) Il n’y a pas contrefaçon de brevet lorsque l’utilisation, la fabrication, la construction ou la vente d’une invention brevetée se justifie dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information qu’oblige à fournir une loi fédérale, provinciale ou étrangère réglementant la fabrication, la construction, l’utilisation ou la vente d’un produit.

Exception

(1) It is not an infringement of a patent for any person to make, construct, use or sell the patented invention solely for uses reasonably related to the development and submission of information required under any law of Canada, a province or a country other than Canada that regulates the manufacture, construction, use or sale of any product.

 

 

(1)     L’utilisation expérimentale alléguée par Apotex

[233]       Les tribunaux canadiens ont toujours considéré que le fait d’utiliser une invention brevetée afin de présenter un dossier aux organes de régulation ne constituait pas un acte de contrefaçon (voir l’arrêt Smith Kline & French Inter-American Corp c Micro Chemicals Ltd, [1972] RCS 506; Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2006 CF 524, [2006] ACF n° 671, aux paragraphes 157 à 161, décision infirmée sur d’autres moyens : 2006 CAF 323, [2006] ACF n° 1490). Apotex se fonde sur cette exception pour soutenir qu’elle ne devrait pas être tenue de répondre d’un acte de contrefaçon se rapportant à ses utilisations expérimentales et réglementaires du clopidogrel.

 

[234]       Au soutien de sa position, Apotex s’appuie sur le témoignage de M. Fahner, qui a passé en revue les documents se rapportant à l’utilisation par Apotex du clopidogrel pour des besoins réglementaires. M. Fahner avait préparé des graphiques qui indiquaient la quantité de matière première provenant de chaque lot qu’Apotex recevait et qui servait aux diverses activités de recherche-développement requises dans le processus d’élaboration des formulations, et des graphiques qui indiquaient les quantités de clopidogrel provenant de chaque lot reçu par Apotex qui étaient prélevées et conservées pour des besoins réglementaires continus, ou qui étaient consommées en conformité avec les exigences réglementaires portant sur les contrôles de qualité en cours de procédé.

 

[235]       Nonobstant le fait que Sanofi n’a pas contesté l’application de l’exception, elle a bien manifesté son opposition pour certains lots spécifiques, au motif qu’aucun document n’était produit, montrant que le matériel était utilisé uniquement pour des besoins réglementaires.

 

[236]       En l’espèce, la preuve montre qu’il y a eu une utilisation de clopidogrel qui devrait être considérée dans le cadre d’une « utilisation équitable ». Cependant, la Cour n’est pas convaincue qu’Apotex a réussi à prouver qu’une telle exception s’applique. Apotex n’a pas présenté à la Cour la preuve de ce qu’il est advenu finalement du matériel en vrac ou des comprimés. Par conséquent, [omis] :

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[237]       M. Barber a lui aussi témoigné à propos des documents qui seraient accessibles à l’intérieur du système SAP d’Apotex (le système d’inventaire d’Apotex) (Barber, contre-interrogatoire, T1064-1065). La preuve démontre qu’Apotex ne tient pas de dossier d’inventaire des comprimés fabriqués pour des besoins réglementaires :

[TRADUCTION]

 

Q.      Et le système SAP que nous considérons ici, est-il censé recueillir toute l’information pour des besoins d’inventaire; est-ce l’un de ses objets?

R.      Je crois que cela dépend de ce que vous entendez par « toute l’information », je ne sais pas.

Q.      Le système rendrait-il compte de la réception du matériel en vrac?

R.      Oui.

Q.      Rendrait-il compte du transfert de matériel en vrac au département des formulations?

R.      Oui.

Q.      Rendrait-il compte du nombre de comprimés qui ont été fabriqués à partir de ce matériel?

R.      Oui s’il s’agit d’un produit commercial. Les comprimés résultant de l’élaboration de formulations ne figurent pas dans le système SAP.

Q.      D’accord.

R.      Donc, la matière première de ce que fait l’élaboration des formulations est saisie dans le SAP, mais rien de ce qui sert dans les essais n’y figure.

Q.      Intéressons-nous au côté commercial.

R.      D’accord.

Q.      Le SAP engloberait-il aussi les ventes de comprimés?

R.      Je crois que oui.

Q.      Et engloberait-il aussi le matériel qu’il faudrait peut-être détruire pour telle ou telle raison; le produit périmé par exemple?

R.      Il en ferait état d’une manière ou d’une autre. Je ne sais pas s’il indiquerait que le matériel a été détruit. Il y aurait une notation, un document faisant état de la destruction, et la quantité détruite ferait l’objet d’un rapprochement dans le SAP.

Q.      D’accord. Et savez-vous si Apotex a déjà transféré un matériel réglementaire dans la catégorie du matériel commercial?

R.      Non, je n’ai pas connaissance que cela s’est produit.

Q.      Vous ne savez pas si cela est déjà arrivé?

R.      Je n’ai pas connaissance que cela s’est produit.

Q.      D’accord. Si cela arrivait, le système SAP en ferait-il état?

R.      Je ne crois pas que nous ayons un autre moyen de le vendre s’il ne figure pas dans le système, et je crois donc que le SAP devrait en faire état.

Q.      Conservez-vous un inventaire du produit en vrac restant?

R.      Produit en vrac de quoi?

Q.      De bisulfate de clopidogrel.

R.      D’essais portant sur l’élaboration de formulations, ou...

Q.      Si vous introduisiez dans le système SAP tel ou tel nombre, pourriez-vous obtenir la quantité de produits en vrac se trouvant aujourd’hui dans l’entrepôt?

R.      Quant à la matière première, oui.

Q.      D’accord. Pourriez-vous également introduire un nombre et trouver combien de comprimés se trouvaient dans l’entrepôt aujourd’hui?

R.      Des comprimés commerciaux, oui.

Q.      Oui. Qu’en est-il des comprimés réglementaires?

R.      Non.

Q.      Vous ne conservez donc pas, par exemple, un dossier d’inventaire des centaines de milliers de comprimés qui ont été fabriqués pour des besoins réglementaires?

R.      Non, l’aspect réglementaire ne requiert aucune mention particulière dans le SAP. Encore une fois, nos lots se rapportant à l’élaboration de formulations échappent au système SAP. Au moment où un produit est en cours d’élaboration, le SAP n’est pas nécessairement structuré pour recevoir toute cette information, et nous exécutons tellement d’itérations de formulations que cela nécessiterait un développement distinct de codes et de procédures pour gérer tout cela, et il n’est tout simplement pas pratique pour nous de faire cela.

Q.      Des documents sont-ils conservés sur ce qu’il advient du matériel réglementaire?

R.      Nous conservons des documents, oui.

Q.      Et ces documents indiqueraient la manière dont le matériel a été utilisé, et s’en trouvent-ils dans les documents que nous avons ici?

R.      Oui. Et les documents des lots exécutés figureraient parmi les documents indiquant la quantité que nous avons produite.

Q.      Et auriez-vous un dossier d’inventaire de ce qu’il est advenu de ce matériel après qu’il a été utilisé?

R.      Nous n’avons pas de dossiers d’inventaire en tant que tels, mais nous conservons l’inventaire, il figurerait dans les dossiers, et nous pourrions vérifier la quantité existante à n’importe quel moment. En outre, si nous détruisons le produit, il y aura une attestation de destruction indiquant la quantité que nous avons détruite.

Q.      D’accord. Il devrait donc y avoir des fiches de destruction si des choses étaient détruites?

R.      Oui.

 

[238]       Vu l’absence de documents concernant l’inventaire du matériel réglementaire, et puisque Apotex n’a pas apporté la preuve des fiches de destruction alléguées, relativement aux lots contestés, la Cour ne peut exclure la possibilité que la totalité ou une partie de la matière première ou des formulations effectives qui ont été faites au cours de ce procédé d’élaboration ait déjà été vendue ou utilisée pour des besoins commerciaux. La Cour arrive donc à la conclusion qu’Apotex n’a pas prouvé que l’exception d’utilisation expérimentale dont parle le paragraphe 55.2(1) de la Loi en ce qui concerne les lots contestés s’applique. Par conséquent, Apotex doit être déclarée responsable de la contrefaçon du matériel réglementaire qu’elle a développé.

 

F.         Les défenses opposées par Apotex à l’allégation de contrefaçon

[239]       Dans la présente instance, Apotex oppose les défenses suivantes à l’allégation de contrefaçon : (i) le délai de prescription; (ii) la préclusion et l’abus de procédure. Il importe ici de noter qu’Apotex a la charge d’établir le bien-fondé de chacune de ces défenses.

 

(1)     Le délai de prescription

[240]       Apotex affirme que Sanofi est empêchée d’exercer un recours à l’égard d’activités qui ont eu lieu plus de deux ans avant l’introduction de la procédure T-933-09, c’est-à-dire avant le 9 juin 2007. Apotex se fonde sur le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui prévoit un délai de prescription par défaut lorsqu’il n’y a pas de dispositions explicites en la matière dans une autre loi fédérale. Le paragraphe 39(1), examiné plus loin d’une manière plus détaillée, dispose que, lorsque le fait générateur est survenu dans une province, il convient d’appliquer les règles de droit en matière de prescription qui sont en vigueur dans cette province.

 

[241]       Ainsi, comme Apotex affirme que le fait générateur est survenu entièrement dans la province d’Ontario, elle se fonde sur l’article 4 de la Loi sur la prescription des actions (Ontario), LRO 1990, c L-15, qui prévoit un délai de prescription de deux ans.

 

[242]       Apotex fait aussi valoir que, bien que l’actuelle Loi sur les brevets renferme en son article 55.01 une disposition explicite en matière de prescription, cette disposition ne peut s’appliquer à la présente affaire, parce que les dispositions transitoires se rapportant à cet article pourraient s’interpréter comme excluant de son application les actions en contrefaçon intentées pour des brevets qui ont été délivrés au titre de l’« ancienne Loi ».

 

[243]       Conformément à l’article 78.2 de la Loi, l’une des dispositions transitoires, « les affaires » se rapportant à la validité ou à la contrefaçon d’un brevet doivent être résolues au titre des dispositions de la Loi, selon sa version du 30 septembre 1989. Apotex affirme donc que cette disposition n’est pas applicable à la présente affaire, parce qu’aucune des dispositions en cause ne contenait un délai de prescription.

 

[244]       Sur ce fondement, Apotex soutient que le délai provincial de prescription de deux ans a pour effet de faire obstacle aux réclamations se rapportant à la fabrication et à la vente du clopidogrel d’Apotex qui a été vendu aux États-Unis en août 2006 (plus de deux ans avant que ne soit intentée l’action de Sanofi en juin 2009).

 

[245]       En réponse, Sanofi soutient que l’article 55.01 de la Loi sur les brevets, qui prévoit un délai de prescription de six ans, devrait s’appliquer. Cet article est ainsi formulé :

 

Prescription

 

55.01  Tout recours visant un acte de contrefaçon se prescrit à compter de six ans de la commission de celui-ci.

 

Limitation

 

55.01  No remedy may be awarded for an act of infringement committed more than six years before the commencement of the action for infringement.

 

[246]       Subsidiairement, Sanofi prétend que le paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales, qui prévoit lui aussi un délai de prescription de six ans, pourrait aussi s’appliquer, parce que le fait générateur n’est pas survenu dans une province. Les paragraphes 39(1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales sont ainsi formulés :

Prescription - Fait survenu dans une province

 

39. (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

Prescription - Fait non survenu dans la province

 

 

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province.

Prescription and limitation on proceedings

 

39. (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

Prescription and limitation on proceedings in the Court, not in province

 

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose.

 

 

 

[247]       La position de Sanofi est fondée sur l’argument selon lequel on ne saurait dire que l’entreprise globale d’Apotex se rapportant au clopidogrel et ayant conduit à la contrefaçon du brevet 777 se limite à une seule province. Par ailleurs, Sanofi soutient qu’Apotex s’est organisée pour importer du bisulfate de clopidogrel en vrac de […] et pour exporter vers de nombreux pays, y compris les États-Unis, des comprimés de bisulfate de clopidogrel.

 

[248]       L’actuelle Loi sur les brevets contient une disposition explicite en matière de prescription, à savoir l’article 55.01, mais le brevet 777 est un brevet délivré au titre de l’« ancienne Loi ». Selon les dispositions transitoires de l’article 78.2 de la Loi, « les affaires » se rapportant à la validité ou à la contrefaçon doivent être résolues d’après les dispositions de la Loi, selon sa version du 30 septembre 1989, et aucune de ces dispositions ne fait état d’un délai de prescription. Comme l’a souligné Apotex, l’article 55.01 de la Loi sur les brevets ne s’applique pas à un brevet délivré au titre de l’« ancienne Loi » et ne s’applique donc pas à la présente affaire. En l’espèce, les dispositions de l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales sont applicables par défaut.

 

[249]       En conséquence, la Cour doit maintenant dire si le fait générateur est survenu uniquement dans la province d’Ontario ou s’il est survenu ailleurs. La Cour pourra ainsi établir lequel, du paragraphe 39(1) ou du paragraphe 39(2), est ici applicable. La Cour rappelle que, pour que le paragraphe 39(1) de la Loi sur les Cours fédérales s’applique, tous les éléments du fait générateur doivent être survenus dans la province en cause, en l’occurrence l’Ontario.

 

[250]       Dans la décision Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2004 CF 190, 31 CPR (4th) 143, la Cour fédérale expliquait ce qu’il fallait entendre par les mots « n’est pas survenu dans une province ». Elle faisait observer, aux paragraphes 14 et 15, que « [l]es dommages subis et le fait à l’origine du dommage doivent nécessairement s’être produits dans la province concernée (Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, (2003), 223 D.L.R. (4th) 17, aux pages 35 et 36 (C.S.C.); Kirkbi A.G. c. Ritvik Holdings Inc. (2002), 20 C.P.R. (4th) 224, à la page 284 (C.F. 1re inst.); Canada c. Maritime Group (Canada) Inc., (1995), 185 N.R. 104, à la page 106 (C.A.F.); Gingras c. Canada (1994), 113 D.L.R. (4th) 295, à la page 319 (C.A.F.) ». Elle faisait aussi observer que, dans cette affaire-là, « l’instance en question aurait entraîné des pertes de ventes ainsi que le maintien injustifié d’un monopole en faveur de Pfizer sur tout le territoire du Canada et non pas seulement dans une province déterminée ».

 

[251]       En l’espèce, Sanofi affirme qu’Apotex s’est organisée pour importer du bisulfate de clopidogrel en vrac de […] et pour exporter vers de nombreux pays, y compris les États-Unis, des comprimés de bisulfate de clopidogrel. Sanofi souligne aussi que, pour exercer cette activité, Apotex employait de nombreux mandataires, dont Apotex Corp, Apotex Australia, Apotex New Zealand, Apotex India et Apotex Pharmachem. En outre, Sanofi fait observer qu’Apotex Pharmachem agissait comme mandataire de […] pour les documents à déposer dans de nombreux pays, dont la Hongrie, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. Au soutien de sa position, Sanofi s’appuie aussi sur le témoignage de M. John Hems, directeur des Affaires réglementaires chez Apotex, qui a témoigné à propos de ces diverses relations de mandataire. La preuve montre que des communications ont été présentées à diverses instances réglementaires à l’étranger, dont la Food and Drug Administration (la FDA) aux États-Unis (Hems, contre-interrogatoire T1148-1149, 1161-1162).

 

[252]       Sanofi s’appuie aussi sur le témoignage de Mme Antoniette Walkom, vice-présidente de l’assurance de la qualité et des affaires réglementaires chez Apotex Pharmachem, [omis] :

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

Q.      [omis]?

R.      [omis].

 

[253]       Comme il est mentionné plus haut, la preuve soumise à la Cour révèle qu’Apotex s’est organisée pour importer du bisulfate de clopidogrel en vrac de […] et pour exporter vers de nombreux pays des comprimés de bisulfate de clopidogrel. Cette preuve permet à elle seule de conclure que la contrefaçon dans la présente affaire ne se limitait pas aux frontières d’une seule province, et il est bien établi que l’importation au Canada d’un produit breveté constitue un acte de contrefaçon (voir l’arrêt Schmeiser, précité, au paragraphe 44).

 

[254]       La Cour relève aussi que, pour les besoins des douanes, l’importateur est la partie qui est propriétaire des marchandises durant leur transport vers le Canada. En l’espèce, la preuve montre qu’Apotex se présentait comme l’« importateur » des marchandises acquises auprès de […] et comme un « exportateur » pour les ventes à l’étranger.

 

[255]       En outre, la Cour partage aussi l’avis de Sanofi, pour qui, parce que […] fabrique exclusivement pour Apotex et selon les spécifications d’Apotex, le transfert de propriété des marchandises avait lieu dès qu’elles étaient dans un état livrable. Le transfert de propriété peut en effet avoir lieu au stade de la fabrication, mais il a lieu au plus tard au moment de la remise des marchandises au premier transporteur à […] (W. Tetley, Marine Cargo Claims, 4e édition, Éditions Yvon Blais, 2008, pages 400 à 440). À ce propos, la Cour rappelle le contre-interrogatoire de Jose Miguel Lazcano Seres, directeur technique chez […], qui s’est exprimé sur les contrats et les documents d’expédition entre […] et Apotex. Selon Sanofi, l’emploi du terme CIF est un autre indice attestant le transfert de la propriété et du risque au plus tard lorsque les marchandises sont remises au premier transporteur.

 

[256]       À ce sujet, il convient aussi de noter qu’Apotex n’a pas établi ce qu’il était advenu des marchandises restantes une fois l’injonction émise aux États-Unis, et n’a pas dit si ces marchandises avaient été réexpédiées vers le Canada.

 

[257]       Finalement, les éléments additionnels suivants montrent que, dans la présente affaire, les activités d’Apotex et le fait générateur qui en a résulté ne sauraient se limiter à une seule province :

§           Apotex exerce des activités et a des établissements dans d’autres provinces;

§           Pharmachem fait de la publicité pour le clopidogrel sur son site web, lequel dépasse les frontières de l’Ontario;

§           Apotex a conclu des accords avec des entités étrangères et accepté des commandes de telles entités au Canada;

§           Apotex a engagé un fabricant indien pour qu’il l’aide dans la fabrication de son produit et a expédié des ingrédients pharmaceutiques actifs en vrac vers l’Inde.

 

[258]       Compte tenu de ce qui précède, la Cour conclut que les dommages subis en conséquence des actes de contrefaçon d’Apotex ne peuvent se limiter à une province donnée, puisque le fait générateur n’est pas survenu dans une province unique. La présente instance entraînera prétendument des pertes de ventes ainsi que le maintien injustifié d’un monopole en faveur de Sanofi sur tout le territoire du Canada, et pas seulement dans une province déterminée. Les éléments factuels avancés par Sanofi à cet égard ne sauraient être considérés comme des facteurs purement accessoires. Le paragraphe 39(2) de la Loi sur les Cours fédérales est donc applicable, et aucune des réclamations se rapportant aux activités d’Apotex n’est prescrite.

 

(2)     Les accords de règlement et la défense de préclusion

[259]       Une autre défense opposée par Apotex concerne les accords de règlement signés en mars et mai 2006. L’appréciation du bien-fondé de cette défense requiert un examen des accords de règlement en cause.

 

Les circonstances qui ont conduit aux accords de règlement

[260]       Les circonstances dans lesquelles les accords de règlement de mars et mai 2006 ont été conclus peuvent être ainsi résumées.

 

[261]       Le 21 novembre 2001, Apotex a déposé auprès de la FDA des États-Unis une ANDA pour l’Apo-clopidogrel, de même qu’un certificat d’accompagnement attestant que l’équivalent américain du brevet 777, à savoir le brevet américain n° 4,487,265 (le brevet 265), était invalide et que la formulation Apo-clopidogrel ne lui porterait pas atteinte. Comme Apotex était le premier fabricant de produits génériques à produire ce certificat, elle était fondée, selon la loi des États-Unis, à vendre son médicament sans autre concurrence générique durant 180 jours après réception de l’approbation.

 

[262]       Le 21 mars 2002, Sanofi-BMS a intenté une action contre Apotex devant la Cour de district des États-Unis (dossier n° 02-CV-2255) pour contrefaçon du brevet 265 (la « procédure américaine clopidogrel »). Alors qu’était introduite la procédure américaine clopidogrel, un sursis prévu par la loi fut ordonné, lequel interdisait à la FDA de donner son approbation finale à l’ANDA d’Apotex avant le 17 mai 2005, sauf si, avant cette date, Sanofi-BMS était déboutée dans la procédure américaine clopidogrel.

 

[263]       Le 24 octobre 2005, comme le sursis prévu par la loi avait expiré et que la procédure n’avait pas atteint le stade du procès, Apotex a écrit à Sanofi-BMS pour confirmer son intention de lancer son produit dès l’obtention de l’approbation réglementaire. Dans sa lettre, Apotex confirmait aussi qu’elle avait investi et continuait d’investir considérablement dans la production en vue du lancement.

 

[264]       Le 20 janvier 2006, la FDA approuvait l’ANDA d’Apotex. Vers la même date, les parties ont engagé des pourparlers de règlement. Le contexte commercial de ces négociations a été expliqué par le Dr Sherman dans son témoignage. À l’époque, le marché du clopidogrel aux États-Unis pour le Plavix se chiffrait à 4 milliards de dollars par année. Un lancement par Apotex combiné à une décision défavorable sur la validité du brevet 265 faisait donc courir à Sanofi-BMS le risque de perdre plus de 25 milliards de dollars au cours de la durée de vie restante du brevet 265. Pour Apotex, les risques étaient également importants : Apotex avait déjà fortement investi dans l’inventaire en prévision du lancement et, bien qu’elle en eût informé Sanofi, aucune requête en injonction interlocutoire n’avait été déposée. Un lancement à risque par Apotex, combiné à une requête en injonction interlocutoire couronnée de succès, aurait pour effet immédiat de stopper les ventes d’Apotex, tout en anéantissant l’énorme valeur pour Apotex du délai de cent quatre-vingt (180) jours d’exclusivité (délai qui continuerait de courir malgré une éventuelle injonction interlocutoire). Par ailleurs, si Apotex procédait à un lancement à risque et était finalement déboutée, elle s’exposerait à la possibilité de dommages-intérêts triples, conformément au droit des États-Unis.

 

[265]       Ces facteurs sont importants pour une bonne compréhension des accords de règlement qui furent ensuite conclus. Manifestement, les deux parties couraient d’énormes risques au fur et à mesure des négociations, et évidemment chacune d’elles souhaitait atténuer ces risques.

 

[266]       Au cours des négociations initiales, l’objectif premier des deux parties était donc de conclure un règlement par lequel Sanofi-BMS conserverait la valeur de son brevet non expiré aussi longtemps que cela serait possible, tandis qu’Apotex reporterait jusqu’à la fin de la durée du brevet son exclusivité de cent quatre-vingt (180) jours. Cela devait se faire au moyen d’une licence de six (6) mois en faveur d’Apotex à la fin de la durée du brevet.

 

[267]       Cependant, durant les négociations, Sanofi-BMS a informé Apotex qu’elle était sous le coup de jugements d’expédient avec la Commission fédérale du commerce (la FTC) et les procureurs généraux de certains États des États-Unis, jugements qui empêchaient Sanofi-BMS de conclure des accords de règlement en matière de brevet sans approbation préalable. Apotex a donc exigé des concessions, et Sanofi-BMS les lui a consenties, dans le cas où l’accord de règlement serait soumis aux instances réglementaires, mais ne serait pas approuvé par elles. Les concessions étaient, d’abord, que, en cas de refus des instances réglementaires, Apotex disposerait d’un délai pour vendre son inventaire (c’est-à-dire sans être exposée à la perspective d’une requête en injonction interlocutoire) et, ensuite, que, dans le cas où l’action suivrait son cours après qu’Apotex aurait fait un lancement à risque, Apotex aurait la garantie d’un profit résultant de ces ventes en consentant à un niveau fixe de dommages-intérêts qui serait inférieur à ses bénéfices.

 

L’Accord de mars 2006

[268]       Par l’Accord de mars 2006, signé le 17 mars 2006, Sanofi et Apotex s’engageaient à régler les litiges entre elles portant sur le brevet américain 265. Les principales modalités de l’accord étaient les suivantes :

§                il était mis fin aux litiges pendants entre Apotex et Sanofi, et Apotex abandonnait toutes les réclamations qu’elle avait déposées ou aurait pu déposer contre Sanofi dans le cadre de ces litiges;

 

§                Apotex se voyait accorder une licence exclusive de six mois aux termes du brevet 265, à compter du 17 septembre 2011, pour fabriquer, exploiter, importer, vendre et mettre en vente aux États-Unis son produit ANDA de bisulfate de clopidogrel, avec le droit d’accorder des sous-licences, à condition que Sanofi obtienne une exclusivité pédiatrique pour le produit au plus tard le 1er mars 2011;

 

§                la licence d’Apotex pouvait être déclenchée à une date antérieure en fonction de l’exclusivité commerciale d’Apotex pour le bisulfate de clopidogrel aux termes de 21 U.S.C. § 355(j)(5);

 

§                Apotex informait Sanofi de tout événement susceptible de déclencher toute base sur laquelle Apotex aurait l’exclusivité du bisulfate de clopidogrel aux termes du Hatch-Waxman Act, auquel cas Sanofi pourrait choisir de rapprocher la date de prise d’effet de la licence d’Apotex;

 

§                Apotex payait à Sanofi une redevance de 1 p. 100 de ses ventes nettes sur toutes les ventes de son bisulfate de clopidogrel réalisées aux États-Unis durant la période d’exclusivité d’Apotex;

 

§                Apotex s’abstenait de vendre du bisulfate de clopidogrel aux États-Unis avant la date de prise d’effet de sa licence aux termes du brevet 265; Sanofi remboursait à Apotex son investissement dans l’inventaire;

 

§                Sanofi tentait d’obtenir l’abandon des réclamations que […] pourrait avoir contre Apotex, conformément au contrat signé entre […] et Apotex en date du 30 juin 2000;

 

§                Sanofi indemnisait Apotex dans le cas où certaines ventes annuelles minimales de Plavix aux États-Unis ne pourraient pas être atteintes, étant entendu qu’aucune autre licence ne serait concédée aux termes d’un autre brevet appartenant à Sanofi ou contrôlé par Sanofi.

 

[269]       Les parties se sont aussi entendues pour que l’accord soit soumis à un examen réglementaire et renferme des modalités suppléantes dans le cas où la FTC et les procureurs généraux des États refuseraient de l’approuver.

 

[270]       Le ou vers le 4 mai 2006, les parties ont été informées par les procureurs généraux des États que l’approbation de l’Accord de mars 2006 était refusée.

 

[271]       Bien que l’approbation de l’accord ait été refusée, les deux parties ont confirmé, par leurs actes et leurs paroles, qu’elles souhaitaient toujours atténuer leurs risques commerciaux alors même qu’elles entamaient d’autres négociations pour modifier l’Accord de mars 2006 et revenir sur les dispositions qui apparemment préoccupaient les instances réglementaires.

 

L’Accord de mai 2006

[272]       Après d’autres négociations, les parties ont signé un deuxième Accord de règlement le 26 mai 2006, qui comportait plusieurs modifications, notamment une modification du chiffre des dommages-intérêts, qui passait de 70 p. 100 à 50 p. 100 des ventes nettes d’Apotex. Sanofi et Apotex s’engageaient à régler les litiges entre elles portant sur le brevet américain 265. Les principales modalités de l’accord étaient les suivantes :

§                il était mis fin aux litiges pendants entre Apotex et Sanofi, et Apotex abandonnait toutes les réclamations qu’elle avait déposées ou aurait pu déposer contre Sanofi dans le cadre de ces litiges;

 

§                Apotex se voyait accorder, pour le brevet 265, une licence prenant effet le 1er juin 2011 qui l’autoriserait à fabriquer, exploiter, importer, vendre et mettre en vente aux États-Unis son produit ANDA de bisulfate de clopidogrel, sans le droit d’accorder des sous-licences; dans le cas où Sanofi ne pourrait pas obtenir avant le 15 mars 2011 l’exclusivité pédiatrique pour son bisulfate de clopidogrel, la licence d’Apotex prendrait alors effet le 1er avril 2011;

 

§                dans le cas où Sanofi lancerait aux États-Unis un médicament autre que le Plavix (comportant comme principe actif un agent inhibiteur de l’agrégation plaquettaire) avant la date de prise d’effet de la licence d’Apotex aux termes du brevet 265, Apotex obtiendrait elle aussi une licence pour ce médicament;

 

§                la licence d’Apotex pourrait être déclenchée à une date antérieure en fonction de l’exclusivité commerciale d’Apotex pour le bisulfate de clopidogrel aux termes de 21 U.S.C. § 355(j)(5);

 

§                Apotex informait Sanofi de tout événement susceptible de déclencher toute base sur laquelle Apotex aurait l’exclusivité du bisulfate de clopidogrel aux termes du Hatch-Waxman Act, auquel cas Sanofi pourrait choisir de rapprocher la date de prise d’effet de la licence d’Apotex;

 

§                Apotex s’abstenait de vendre du bisulfate de clopidogrel aux États-Unis avant la date de prise d’effet de sa licence aux termes du brevet 265;

 

§                Sanofi remboursait à Apotex son investissement dans l’inventaire;

 

§                Sanofi tentait d’obtenir l’abandon des réclamations que […] avait contre Apotex, conformément au contrat signé entre […] et Apotex en date du 30 juin 2000; étant entendu entre les parties qu’aucune autre licence ne serait concédée aux termes d’un autre brevet appartenant à Sanofi ou contrôlé par Sanofi.

 

[273]       Encore une fois, les parties se sont entendues pour que l’accord soit soumis à un examen réglementaire et renferme des modalités suppléantes dans le cas où la FTC et les procureurs généraux des États refuseraient de l’approuver. De fait, l’approbation n’a pas été accordée. Vers la fin de juillet 2006, Apotex a annoncé le refus d’approbation, en application du paragraphe 13 de l’Accord de mai 2006.

 

[274]       Apotex a donc entrepris de lancer aux États-Unis l’Apo-clopidogrel le ou vers le 8 août 2006. Sanofi-BMS a réagi en tentant d’obtenir le 4 août 2006 une ordonnance restrictive temporaire, qui lui a été refusée par le juge Stein, de la Cour de district des États-Unis – district Sud de l’État de New York – à cause des dispositions du paragraphe 15 de l’Accord de mai 2006.

 

[275]       Cependant, Sanofi-BMS a réussi plus tard, le 31 août 2006, à obtenir une injonction provisoire jusqu’à procès. Après un procès, le juge Stein a rendu un jugement confirmant la validité du brevet 265. Dans une procédure ultérieure, le juge Stein fixait, le 19 octobre 2010, à la somme de 442 209 362 $US, les dommages-intérêts de Sanofi-BMS pour les ventes de l’Apo‑clopidogrel américain, ce qui représente la moitié des ventes nettes de l’Apo-clopidogrel américain. En novembre 2010, Apotex a consigné à la Cour un montant net de 556 000 000 $US au titre du jugement, plus les intérêts et les dépens.

 

La présente espèce

[276]       Selon Apotex, Sanofi-BMS ne peut obtenir un dédommagement pour le produit américain Apo-clopidogrel déclaré contrefait, et cela à cause de ces deux accords, et plus particulièrement à cause du paragraphe 14 de l’Accord de mai 2006, qui fixait les dommages‑intérêts de Sanofi pour toute vente de l’Apo-clopidogrel américain à 50 p. 100 des ventes nettes de ce produit par Apotex. Celle‑ci affirme donc que l’alinéa 14(ii) de l’Accord fait obstacle ici à tout autre recouvrement. Autrement dit, Apotex affirme que les Accords de règlement empêchent Sanofi-BMS de se soustraire au marché qu’elles avaient conclu en mars et mai 2006 en venant au Canada pour poursuivre Apotex et obtenir une deuxième indemnisation pour le même Apo‑clopidogrel à l’égard duquel Sanofi-BMS a déjà obtenu jugement et paiement aux États-Unis. Selon l’interprétation que fait Apotex de l’Accord, la [TRADUCTION] « disposition de limitation de responsabilité » (alinéa 14(ii) de l’Accord de mai 2006) fait explicitement obstacle, en dehors du litige aux États‑Unis, à tout dédommagement pour les ventes aux États-Unis de bisulfate de clopidogrel contrefait.

 

[277]       Sanofi soutient quant à elle que cette supposée défense d’Apotex procède du postulat fautif selon lequel le litige aux États-Unis et les accords américains de règlement s’étendent à la présente action et au brevet 777. L’appréciation du bien-fondé de cette défense requiert d’examiner les accords de règlement conclus entre Apotex et Sanofi, ainsi que leurs observations.

 

[278]       Sanofi considère qu’il n’y a aucune ambiguïté et qu’il ressort clairement des accords qu’ils se limitent explicitement au litige américain résultant du brevet américain.

 

[279]       Se fondant sur les termes des accords de règlement, et en particulier sur la disposition de limitation de responsabilité, la Cour est d’avis qu’Apotex n’est déchargée d’aucune responsabilité découlant de la contrefaçon du brevet 777. La Cour estime qu’il n’y a aucune ambiguïté dans les accords de règlement et que l’intention des parties est claire au vu de ces accords. En l’absence d’une ambiguïté dans les termes d’un contrat écrit, les parties doivent s’en tenir au sens littéral de ces termes (arrêt Eli Lilly & Co c Novopharm Ltd, [1998] 2 RCS 129, aux pages 166 et 167; GHL Fridman, The Law of Contract in Canada, (Thomson Canada Limited, 2006), à la page 454).

 

[280]       En l’espèce, on ne trouve nulle part les mots « brevet 777 » ou « Canada » dans les accords de règlement, et l’on ne saurait non plus y voir des termes ayant le même sens, puisque les accords se limitent explicitement au litige américain résultant du brevet américain 265. D’ailleurs, la page un des deux accords de règlement ne laisse à cet égard aucune place au doute :

[TRADUCTION]

 

Sanofi et Apotex conviennent de régler, selon les termes suivants, les litiges entre elles découlant du brevet américain n° 4,847,265. 02CV-2255 et 05CV-3965 : […]

 

(Accord américain de règlement de mai 2006

Accord américain de règlement de mars 2006)

 

[281]       Par ailleurs, les accords se réfèrent explicitement au brevet 265 (brevet américain), mais ne font nulle part explicitement mention du brevet 777 ou du Canada (par exemple, aux paragraphes 4 et 14). Devant des termes aussi clairs et aussi peu ambigus, la Cour ne juge pas à propos d’examiner la preuve extrinsèque sur ce point (arrêt Eli Lilly c Novopharm, précité, au paragraphe 166).

 

[282]       Apotex n’est sans doute guère satisfaite de l’issue des accords de règlement, mais il ne lui est pas loisible d’inviter la Cour à s’écarter du texte clair de ces accords et d’y supposer l’existence des mots « le brevet 777 » ou « Canada ». Question : la logique d’Apotex signifie-t-elle que les accords de règlement de mars et mai 2006 font aussi implicitement référence à d’autres brevets délivrés dans d’autres juridictions étrangères?

 

[283]       Le fait que, selon Apotex, les accords puissent produire un effet indésirable ne suffit pas à autoriser la Cour à statuer autrement (arrêt General Motors of Canada Ltd c Canada, 2008 CAF 142, 292 DLR (4th) 331 [l’arrêt General Motors]). La Cour ajouterait qu’Apotex, une partie accoutumée aux litiges et négociations dans le domaine pharmaceutique, doit s’en tenir aux termes clairs du marché qu’elle a conclu dans les accords de règlement.

 

[284]       Finalement, la Cour rappelle qu’Apotex a également soulevé la défense de préclusion et la défense d’abus de procédure en ce qui concerne les accords de règlement.

 

[285]       En ce qui concerne la préclusion, Apotex soutient que, selon ce principe, Sanofi est empêchée de faire valoir dans cette action ce qui, selon Apotex, constitue une deuxième demande d’indemnisation portant sur la même fabrication et la même vente de l’Apo-clopidogrel américain.

 

[286]       Apotex soutient aussi que le jugement de nature pécuniaire rendu dans l’action américaine clopidogrel a été obtenu sur la base d’un arrangement contractuel entre les parties dans lequel elles s’accordaient sur ce qui est essentiellement une question factuelle (la mesure des « dommages réels » de Sanofi dans l’éventualité d’un lancement à risque par Apotex aux États-Unis et d’une décision judiciaire ultérieure concluant à la validité et à la contrefaçon du brevet 265). Il s’ensuit, affirme Apotex, que Sanofi réclamerait des dommages-intérêts au Canada au titre des mêmes pilules que celles qui ont été vendues aux États-Unis et pour lesquelles des dommages‑intérêts ont été accordés par le juge Stein, de la Cour de district des États‑Unis – district Sud de l’État de New York.

 

[287]       Apotex affirme aussi que, si Sanofi peut obtenir un état comptable des profits, Sanofi sera en mesure de recouvrer les 50 p. 100 qui avaient été négociés dans les accords de mars et mai 2006. Comme Apotex prétend avoir aligné sa conduite sur cette stipulation, Apotex soutient que Sanofi devrait être empêchée de chercher à s’y soustraire.

 

[288]       La défense de préclusion a pour effet d’empêcher une partie de soumettre la même cause d’action à la justice une deuxième fois (arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460, aux paragraphes 18 et 54). Dans l’arrêt Toronto (Ville) c SCFP, section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 RCS 77, au paragraphe 23, la Cour suprême du Canada écrivait que trois (3) conditions préalables doivent être réunies pour que la défense de préclusion puisse être admise :

[23] […] (1) la question doit être la même que celle qui a été tranchée dans la décision antérieure; (2) la décision judiciaire antérieure doit avoir été une décision finale; (3) les parties dans les deux instances doivent être les mêmes ou leurs ayants droit (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460, paragraphe 25 (le juge Binnie)). La dernière exigence, à laquelle on a donné le nom de « réciprocité », a été largement abandonnée aux États‑Unis et, dans ce pays ainsi qu’au Royaume‑Uni, elle a suscité un ample débat en doctrine et en jurisprudence, comme elle l’a fait dans une certaine mesure ici (voir G. D. Watson, « Duplicative Litigation : Issue Estoppel, Abuse of Process and the Death of Mutuality » (1990), 69 R. du B. can. 623, page 648‑651). […]

 

[289]       Le principe de l’autorité de la chose jugée peut s’énoncer essentiellement ainsi : après qu’est tranchée une question litigieuse, le défendeur ne peut être poursuivi une deuxième fois pour la même cause d’action, et il est dans l’intérêt de la société que les décisions judiciaires présentent un caractère final et concluant (voir l’arrêt Angle c Canada (Ministre du Revenu national), [1975] 2 RCS 248, à la page 267; CPU Options, Inc c Milton (2006), 79 OR (3d) 365, au paragraphe 15 (Cour supérieure de justice de l’Ontario)).

 

[290]       Sur cette toile de fond, la Cour n’est pas en mesure d’admettre la défense de préclusion avancée par Apotex, parce que le litige aux États-Unis ainsi que les accords ne traitaient pas de la contrefaçon ou de la validité du brevet 777. Il n’est donc pas loisible à la Cour de conclure que la question est la même que celle qui était réglée dans les accords. La Cour partage, par conséquent, l’avis de Sanofi pour qui, lorsque les droits sur lesquels se fonde une cause d’action n’ont pas été déterminés dans l’instance antérieure, le principe de préclusion ne s’applique pas.

 

[291]       Apotex a également soulevé la défense d’abus de procédure. En common law, les juges disposent, pour empêcher les abus de procédure, d’un pouvoir discrétionnaire résiduel inhérent (arrêt SCFP, précité, au paragraphe 35). Cependant, la Cour n’a pas été convaincue que la présente affaire se résumait à une question d’abus de procédure. Au vu de la preuve, et pour les motifs susmentionnés, la Cour n’est toujours pas convaincue que Sanofi s’adresse aux tribunaux d’une manière abusive, ni que l’intégrité des procédures judiciaires est ici menacée.

 

[292]       Ainsi, pour tous ces motifs, les défenses invoquées par Apotex sont déclarées irrecevables.

 

G.        Conclusion

[293]       Sous réserve de la validité du brevet et des défenses qui ont été opposées par Apotex, il ne fait aucun doute qu’Apotex a violé les revendications du brevet 777. Cependant, il n’est pas nécessaire pour la Cour, à ce stade, d’évaluer et d’accorder des dommages‑intérêts, car elle a conclu que le brevet 777 était invalide pour absence d’utilité et d’évidence. La Cour passera maintenant à la question de la validité du brevet 777.

 

VII      La validité

[294]       L’article 45 de la Loi sur les brevets dispose que le breveté bénéficie d’une présomption de validité. C’est à Apotex qu’il appartient ici de convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet 777 est invalide. La question de la validité du brevet 777 soulève ici les questions suivantes :

§               la portée excessive;

§               le caractère suffisant;

§               l’antériorité;

§               le double brevet;

§               l’utilité.

 

A.        La portée excessive

[295]       Si une revendication renferme davantage que ce que l’inventeur a effectivement accompli, ou que ce que l’inventeur a effectivement divulgué, une telle revendication est invalide. Les revendications ne peuvent aller au-delà de l’invention divulguée (arrêt Apotex Inc c Hoffmann‑La Roche Ltd (CAF), [1989] ACF n° 321, 24 CPR (3d) 289).

 

[296]       S’appuyant sur ce principe, Apotex affirme que la revendication 6 du brevet 777 est d’une portée excessive, parce qu’elle englobe des procédés qui n’ont pas été inventés.

 

[297]       Pour savoir si la revendication 6 du brevet 777 est d’une portée excessive, la Cour doit d’abord examiner les revendications en cause.

 

[298]       La Cour note que la revendication 6 du brevet 777 présente le procédé pour obtenir le clopidogrel. Apotex allègue que la revendication 6 ne renferme aucune restriction quant à un agent de dédoublement ou à un solvant en particulier. La Cour rappelle que la revendication 6 vise l’utilisation d’acides optiquement actifs et de solvants pour la fabrication de clopidogrel essentiellement pur et de ses sels pharmaceutiquement acceptables au moyen du procédé décrit à la revendication 6 (par. 107). La Cour ne peut donc être d’accord avec Apotex parce que la revendication 6 ne peut être dissociée des revendications 7, 8 et 9 (voir l’interprétation de la revendication 6 à la section F). La Cour ne peut donc admettre la thèse d’Apotex selon laquelle Sanofi a revendiqué tous les agents chiraux et solvants possibles.

 

[299]       Apotex soulève également la question de la pureté des énantiomères dextrogyre et lévogyre et de l’absence de limite en ce qui concerne cette pureté.

 

[300]       La Cour rappelle que l’un des dérivés revendiqués dans le brevet 875 est le PCR 4099, qui renferme 50 % de clopidogrel dextrogyre et 50 % de clopidogrel lévogyre. Par conséquent, Apotex soutient que les revendications du brevet 777 ne renferment aucune limite de pureté. Selon la thèse d’Apotex, il s’ensuit que, si quelqu’un fabriquait du PCR 4099, il s’agirait de clopidogrel renfermant 50 % d’impuretés et que, conséquemment, en l’absence de limites de pureté, il serait visé par les revendications du brevet 777. Apotex soutient donc que la description du brevet 777 ne distingue pas en termes suffisants l’objet de l’invention et que, pour cette raison, le brevet est invalide aux motifs de portée excessive.

 

[301]       Il convient de noter qu’aucun témoin n’a dit que la revendication était assez large pour englober le PCR 4099. La preuve ne montre pas que le clopidogrel engloberait le racémate. La divulgation du brevet 777 indique une pureté d’au moins 96 p. 100 pour l’énantiomère dextrogyre, et d’au moins 98 p. 100 pour l’énantiomère lévogyre. Par ailleurs, les témoignages du Dr Adger, du Dr Hirsh et du Dr Byrn confirment aussi que les témoins experts s’accordent pour dire que la revendication atteste une pureté substantielle. La Cour ne peut donc conclure à une portée excessive en ce qui concerne la pureté des revendications du brevet 777.

 

[302]       Pour tous ces motifs, la Cour croit qu’une personne versée dans l’art dirait que les revendications du brevet 777 attestent une pureté substantielle. La Cour conclut donc que la portée excessive alléguée par Apotex n’est pas fondée.

 

B          Le caractère suffisant

[303]       On dit que le mémoire descriptif est ou « suffisant » lorsque la divulgation du brevet remplit les conditions de l’article 34 de la Loi sur les brevets. Le mémoire descriptif de la demande de brevet doit permettre à une personne versée dans l’art de reproduire l’invention telle qu’elle est revendiquée.

 

[304]       Apotex soutient que le brevet 777 ne divulgue pas une information suffisante qui permettrait à la personne moyennement versée dans l’art de mettre l’invention en pratique. Or, dans la présente affaire, il n’a été produit aucune preuve propre à étayer un tant soit peu cette position. L’invention existe et elle peut être mise en pratique à l’aide de l’information contenue dans le brevet.

 

[305]       Somme toute, l’allégation d’Apotex selon laquelle le mémoire descriptif n’est pas suffisant est rejetée par la Cour.

 

C.        L’antériorité

(1)     Les principes généraux

[306]       Dans sa décision Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359, 71 CPR (4th) 237, au paragraphe 75, le juge Hughes énonce les exigences juridiques en matière d’antériorité :

[75] Pour résumer les exigences juridiques en matière d’antériorité, dans le contexte des circonstances de l’espèce :

 

1. Pour qu’il y ait antériorité, il doit y avoir à la fois divulgation et caractère réalisable de l’invention revendiquée.

2. Il n’est pas obligatoire que la divulgation soit une [traduction] « description exacte » de l’invention revendiquée. La divulgation doit être suffisante pour que, lorsqu’elle est lue par une personne versée dans l’art qui est disposée à comprendre ce qui est dit, il soit possible de la comprendre sans devoir procéder par essais successifs.

3. Si la divulgation est suffisante, ce qui est divulgué doit permettre à une personne versée dans l’art de l’exécuter. Il est possible de procéder à une certaine quantité d’essais successifs du type de ceux auxquels on s’attendrait habituellement.

4. La divulgation, lorsqu’elle est exécutée, peut l’être sans qu’une personne reconnaisse nécessairement ce qui est présent ou ce qui se passe.

5. Si l’invention revendiquée est axée sur une utilisation différente de celle qui a été divulguée antérieurement et réalisée, alors cette utilisation revendiquée n’est pas antériorisée. Cependant, si l’utilisation revendiquée est la même que l’utilisation antérieurement divulguée et réalisée, il y a alors antériorité.

6. La Cour est tenue de se prononcer sur la divulgation et la réalisation en se fondant sur la norme de preuve habituelle de la prépondérance des probabilités, et non sur une norme plus stricte, comme une norme quasi-criminelle.

7. Si une personne exécutant la divulgation antérieure contrefaisait la revendication, alors cette dernière est antériorisée.

 

[307]       En l’espèce, la question préjudicielle est de savoir si les « publications » présentées à la Cour peuvent être considérées dans l’analyse de l’antériorité.

 

[308]       La date pertinente à retenir pour l’antériorité est celle qui précède de deux (2) ans la date de dépôt. La date de dépôt est le 8 février 1988 et, par conséquent, la date à retenir pour savoir si l’état antérieur de la science peut être pris en compte dans l’analyse de l’antériorité est le 8 février 1986. Pour que la Cour puisse conclure à une antériorité, elle doit revenir sur le passé et voir si l’invention est divulguée.

 

[309]       Dans l’ancienne Loi sur les brevets, les règles de l’antériorité sont énoncées à l’article 27. Comme l’a mentionné Sanofi à juste titre, l’invention ne doit pas, selon l’article 27 de l’ancienne Loi, avoir été décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux (2) ans avant le dépôt de la demande de brevet canadien. Selon Apotex, l’alinéa 27(1)b) de l’ancienne Loi est la disposition applicable à la présente affaire. L’alinéa 27(1)b) de l’ancienne Loi sur les brevets est ainsi formulé :

27. (1)  Sous réserve des autres dispositions du présent article, l’auteur de toute invention ou le représentant légal de l’auteur d’une invention peut, sur présentation au commissaire d’une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le « dépôt de la demande », et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l’exclusive propriété d’une invention qui n’était pas :

 

[…]

 

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

 

[…]

27. (1)  Subject to this section, any inventor or legal representative of an inventor of an invention that was

 

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act, termed the filing in the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

 

[310]       Ainsi, seul peut être pris en compte ce qui est décrit dans des publications imprimées remontant à plus de deux ans avant le dépôt de la demande de brevet canadien.

 

[311]       À ce propos, Apotex affirme qu’il existait plusieurs affiches et abrégés qui [TRADUCTION] « antériorisaient » l’invention révélée dans le brevet 777. En outre, Apotex affirme que le brevet 875 divulguait l’invention du brevet 777.

 

(2)     Les affiches et les abrégés

[312]       Plusieurs pièces ont été déposées devant la Cour par Apotex à propos de l’antériorité du brevet 777. Ces pièces se rapportent à des abrégés présentés lors de conférences internationales, ainsi qu’à des affiches.

 

[313]       La Cour examinera d’abord la question des affiches.

 

[314]       En l’espèce, la preuve démontre d’une manière convaincante que les affiches invoquées par Apotex n’étaient pas publiées dans les recueils d’abrégés ni dans aucune autre publication. Par conséquent, elles ne répondent pas aux conditions de l’alinéa 27(1)b), car elles ne constituent pas des publications. Le Dr Hirsh a confirmé que les affiches ne figuraient pas dans le recueil d’abrégés, parce qu’elles sont apportées en général à une réunion. Il a aussi témoigné que les affiches ne finissaient pas dans une bibliothèque scientifique. Le Dr Sanders a admis que les affiches ne faisaient pas partie des abrégés. Le Dr Colman a déclaré que, à moins que les affiches ne soient distribuées, les participants n’en obtenaient pas d’exemplaires, et le Dr Byrn a confirmé que les affiches n’étaient pas imprimées. Le Dr Shebuski a confirmé que les abrégés étaient publiés, mais non les affiches. Il a ajouté que [TRADUCTION] « dès que l’on a fini de présenter l’affiche, on la jette à la poubelle et on s’en va ». Compte tenu de ces témoignages, les affiches sont donc exclues de l’analyse relative à l’antériorité.

 

[315]       La Cour examinera maintenant les abrégés publiés pertinents.

 

L’abrégé n° 1

[316]       Le premier abrégé, qui vient de Maffrand et al, est intitulé « Animal Pharmacology of PCR 4099, A New Thienopyridine Compound », et publié dans « Thrombosis and Haemostasis » – Revue de la Société internationale de thrombose et d’hémostase. Il porte la date du 10 janvier 1986. Il répond donc aux conditions de l’alinéa 27(1)b).

 

[317]       Cet abrégé fait référence au PCR 4099. Il en donne la dénomination chimique et indique qu’il a été évalué sur des rats et des babouins. On y mentionne trois (3) types de thromboses provoquées chez les rats, outre le fait que le PCR 4099 montre le même large spectre d’effet inhibiteur de l’agrégation que la ticlopidine chez les animaux, mais qu’il est quarante (40) fois plus puissant chez les rats et dix (10) fois plus puissant chez les babouins.

 

[318]       Il convient de noter que l’abrégé ne mentionne pas le mot « énantiomères » et qu’il n’y est pas question de chiralité. On n’y trouve non plus aucune structure de composé. L’abrégé ne contient aucun dessin. Il n’y a aucune information concernant l’activité différentielle ou la toxicité différentielle. L’abrégé ne divulgue pas non plus explicitement, ni n’explique, l’hydrogéno-sulfate de clopidogrel, ni ne dit comment obtenir l’énantiomère dextrogyre, ou leur combinaison exceptionnelle et précieuse de propriétés. L’abrégé ne renferme rien qui conduirait une personne versée dans l’art à résoudre des énantiomères PCR 4099, à préparer l’hydrogéno-sulfate de clopidogrel, ou à soupçonner que ce sel présentait des avantages uniques par rapport à d’autres sels, au racémate ou à l’autre énantiomère. Comme l’a noté le Dr Byrn, et la Cour partage son avis, les commentaires sur la puissance du PCR 4099 par rapport à celle de la ticlopidine conduiraient un chimiste versé dans l’art à s’abstenir de chercher de nouveaux composés aux propriétés inconnues tels que les énantiomères.

 

[319]       Cet abrégé ne divulgue donc pas l’invention décrite dans le brevet 777.

 

L’abrégé n° 2

[320]       Le deuxième abrégé, qui vient de Thebault et al, est intitulé « PCR 4099 – A New Thienopyridine Derivative with Potent Anti-Platelet Activity in Man ». Il porte la date du 14 juillet 1985. L’abrégé ne renferme aucune information de procédé se rapportant à la teneur du brevet 777. On peut y lire que le racémate PCR 4099 fonctionne bien. Encore une fois, il n’est pas fait mention de la structure spécifique du PCR 4099. L’abrégé précise que le PCR 4099 montre une forte inhibition de l’agrégation plaquettaire chez l’homme, il fournit certaines données d’essai et il indique que le PCR 4099 était bien toléré, tant sur le plan clinique que sur le plan biologique. L’abrégé précise que d’autres études sont prévues, qui permettront d’évaluer la relation dose-effet par rapport au composé. L’abrégé ne dit rien des sels.

 

[321]       Cet abrégé ne divulgue donc pas l’invention décrite dans le brevet 777.

 

L’abrégé n° 3

[322]       Le troisième abrégé, intitulé « PCR 4099 – A New Antithrombotic drug – Evaluation of Tolerance and of Pharmacological Activity », est daté de juin 1986. Il est publié moins de deux (2) ans avant la date de dépôt (8 février 1988) et la Cour ne peut y attacher aucune valeur pour l’analyse relative à l’antériorité.

 

(3)     Le brevet 875

[323]       La Cour examinera maintenant le brevet 875 dans le contexte de l’antériorité.

 

[324]       La Cour rappelle que la demande relative au brevet 875 a été déposée au Canada le 8 juillet 1983 et que le brevet a été délivré le 8 octobre 1985.

 

[325]       Le brevet 875 divulgue, dans ses enseignements généraux, une catégorie très large de dérivés de thiénopyridine définis par une formule générale. Il divulgue aussi vingt et un (21) composés spécifiques à l’intérieur de cette formule générale. Le Dr Byrn et le Dr Davies ont témoigné que le clopidogrel, ou son bisulfate, ne sont pas l’un de ces composés. À la lecture du brevet, la Cour reconnaît avec le Dr Byrn et le Dr Davies que le brevet 875 ne divulgue pas une méthode de préparation d’énantiomères, et ne divulgue pas non plus ses avantages, ni ceux de son bisulfate. L’invention revendiquée dans le brevet 777 n’est pas divulguée par le brevet 875.

 

[326]       Plus précisément, le brevet 875 :

§                ne divulgue pas le clopidogrel ni aucun sel pharmaceutiquement acceptable du clopidogrel de la revendication 1;

§                ne divulgue pas le bisulfate de clopidogrel de la revendication 3;

§                ne divulgue aucun des sels particuliers des revendications 2 à 5;

§                ne divulgue pas le procédé des revendications 6 à 9;

§                ne divulgue pas les compositions pharmaceutiques des revendications 10 et 11;

§                ne divulgue pas les propriétés bénéfiques du clopidogrel;

§                ne divulgue pas les propriétés bénéfiques des sels de clopidogrel revendiqués;

§                n’enseigne pas comment réaliser l’invention du brevet 777.

 

[327]       Le brevet 875 ne divulgue donc pas l’invention décrite dans le brevet 777.

 

[328]       Par conséquent, sur cet aspect, la Cour arrive à la même conclusion que la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Plavix, au paragraphe 41 :

[41]  Puisque le brevet 875 ne divulgue pas les avantages particuliers de l’isomère dextrogyre et de son bisulfate par rapport à l’isomère lévogyre, au racémate et à ses sels, ou aux autres composés synthétisés et analysés ou par ailleurs mentionnés, l’invention correspondant au brevet 777 n’a pas été divulguée et, de ce fait, elle n’est pas antériorisée.

 

[329]       Compte tenu de ce qui précède, il n’est pas nécessaire de se pencher sur le caractère réalisable, puisque l’antériorité exige la preuve à la fois de la divulgation et du caractère réalisable (arrêt Plavix, paragraphe 42).

 

(4)     Conclusion sur l’antériorité

[330]       Aucun des abrégés (Maffrand et al, intitulé « Animal Pharmacology of PCR 4099, A New Thienopyridine Compound », Thebault et al, intitulé « PCR 4099 – A New Thienopyridine Derivative with Potent Anti-Platelet Activity in Man »), ni le brevet 875, ne divulguent l’invention décrite dans le brevet 777. Une personne moyennement versée dans l’art ne serait pas en mesure de parvenir à cette invention en se fondant sur l’un de ces documents. La Cour estime donc que l’invention décrite dans le brevet 777 n’a pas été divulguée et qu’elle n’a donc pas été antériorisée.

 

D.        Le double brevet

[331]       Invoquant le principe selon lequel il ne peut y avoir qu’un seul brevet pour une invention (arrêt Whirlpool, précité, paragraphe 63), Apotex affirme que le brevet 777 est invalide pour cause de double brevet.

 

[332]       Dans l’arrêt Whirlpool, la Cour suprême du Canada donnait l’explication suivante, au paragraphe 63, concernant l’interdiction du double brevet :

[63]  Il est clair que l’interdiction du double brevet implique une comparaison des revendications plutôt que des divulgations, car ce sont les revendications qui définissent le monopole.

 

[333]       Dans l’arrêt Plavix, la Cour suprême du Canada écrivait que, même si l’espèce Whirlpool ne concernait pas un brevet de sélection, le propos ci-dessus s’appliquait aux brevets de sélection (arrêt Plavix, paragraphes 107 et 108).

 

[334]       La Cour suprême du Canada a également jugé, dans l’arrêt Plavix, que les revendications du brevet 777 et celles du brevet 875 n’étaient pas identiques (arrêt Plavix, paragraphe 101). Les composés revendiqués dans le brevet 777 sont distincts des composés revendiqués dans le brevet 875.

 

[335]       Aucune preuve nouvelle ou convaincante n’a persuadé la Cour du bien-fondé de l’allégation d’Apotex selon laquelle Sanofi s’est engagée dans un double brevet avec le brevet 875 et le brevet 777. L’allégation de double brevet est donc rejetée par la Cour.

 

E.         L’utilité

(1)     L’absence d’utilité

[336]       L’absence d’utilité a été invoquée par Apotex pour la question de la thrombose veineuse, dont il est question à la page 21 du brevet 777.

 

[337]       La Cour a déjà jugé que la promesse du brevet 777 ne garantissait pas un traitement de la thrombose veineuse. Comme l’a conclu auparavant la Cour, le clopidogrel (le composé) pourrait plutôt avoir une utilisation chez l’humain. Dans ce contexte, la question de savoir si le traitement de la thrombose veineuse est un traitement garanti par la promesse, comme le prétend Apotex, est hors de propos.

 

[338]       Quoi qu’il en soit, la Cour reconnaît avec Sanofi que cette question ne faisait pas partie intégrante de la procédure écrite d’Apotex. La procédure écrite d’Apotex parle généralement des [TRADUCTION] « humains », mais elle ne renferme aucune mention précise portant sur l’argument d’une absence d’utilité pour la thrombose veineuse.

 

(2)     L’utilité démontrée

[339]       La prochaine question à trancher est de savoir si le brevet 777 atteste une utilité chez l’humain. À ce propos, il est établi qu’une étude portant sur le clopidogrel chez l’humain, intitulée P‑1062, a été menée par Sanofi aux fins d’évaluer, entre autres, une éventuelle activité pharmacologique plaquettaire. La Cour examinera donc si l’étude P-1062 a démontré l’utilité du brevet 777.

 

[340]       Le rapport de l’étude P-1062 renferme une information sommaire. On peut y lire que l’étude P-1062 menée sur les humains était une étude randomisée en double aveugle contre placebo faisant intervenir dix (10) volontaires sains.

 

[341]       Dans le cadre de l’étude P-1062, chaque sujet devait recevoir quatre (4) doses de clopidogrel et une (1) dose de placebo, moyennant un intervalle de sept (7) jours sans traitement entre deux doses. Les études de la phase I ont été conduites principalement pour déterminer les doses à administrer au cours des études cliniques de la phase II, ainsi que, en l’occurrence, la tolérabilité clinique et la sécurité en laboratoire, l’activité pharmacologique (agrégation et saignement), le profil pharmacocinétique et l’analyse du médicament.

 

[342]       L’étude P-1062 s’est déroulée de décembre 1987 à mars 1988. Elle s’est donc achevée après février 1988 – c’est-à-dire la date du dépôt de la demande portant sur le brevet 777. Puisque l’étude P-1062 était une étude en double aveugle, les conclusions n’auraient pas été accessibles à Sanofi ou aux inventeurs de Sanofi jusqu’à la rupture du double aveugle, après la fin de l’étude en mars 1988.

 

[343]       Le Dr Hirsh a expliqué à la Cour que, dans une étude en double aveugle, ni le patient – en l’occurrence les volontaires – ni l’expert clinique ne savent, jusqu’à l’achèvement de l’étude, si c’est le placebo ou le médicament qui est administré, et quelle dose du médicament est administrée. À l’achèvement de l’étude, le double aveugle est rompu. Lorsque le double aveugle est rompu, quelqu’un saura, au service statistique, si le volontaire a reçu un placebo ou le médicament. Si le volontaire a reçu le médicament, le responsable, au service statistique, saura la dose qui a été administrée. C’est ce que l’on appelle le « code », et le Dr Hirsh a témoigné que ce « code » restera inconnu des experts cliniques, et inconnu de quiconque – sauf d’une ou deux personnes au service statistique – jusqu’à ce que l’étude soit achevée, que le code soit rompu et que les conclusions soient présentées.

 

[344]       La preuve produite au cours de l’instruction a fait apparaître plusieurs questions et préoccupations à propos de l’étude P-1062.

 

[345]       Le Dr Sanders et le Dr Levy ont témoigné que Sanofi n’avait probablement pas été mise au fait des conclusions de l’étude jusqu’à la rupture du double aveugle, c’est-à-dire jusqu’après le 8 février 1988. Tandis que le Dr Hirsh a déclaré qu’il fallait savoir si l’étude à l’aveugle avait été rompue, le Dr Levy a mentionné durant l’instruction que la divulgation de certaines parties des conclusions de l’étude P-1062 avant son achèvement en mars 1988 – c’est-à-dire après le dépôt de la demande portant sur le brevet 777 – a pu contrevenir au protocole et pourrait jeter le doute sur la légalité du processus. Cela aurait une incidence sur la fiabilité des conclusions.

 

[346]       Par ailleurs, le Dr Sanders a exprimé l’avis que, même si les conclusions de l’étude concernant l’effet du clopidogrel sur les humains achevée après le 8 février 1988 avaient été connues de Sanofi au 8 février 1988, on ne pourrait qu’en déduire que les deux composés étaient non toxiques à doses thérapeutiques. Il n’était pas établi que la toxicité du clopidogrel chez les humains était supérieure (c’est-à-dire que le clopidogrel avait un meilleur profil de toxicité) à la toxicité du PCR 4099 chez les humains.

 

[347]       La Cour observe aussi que le Dr Maffrand a confirmé que les études avaient été menées sur des volontaires sains plutôt que sur des patients. À ce propos, le Dr Levy a exprimé l’avis que les résultats obtenus par Sanofi ne pouvaient pas être concluants. L’étude P-1062 avait été menée principalement sur des sujets sains et sur très peu de patients seulement. Par conséquent, pour le Dr Levy, Sanofi manquait d’informations, et il était trop tôt dans le processus pour tirer des conclusions susceptibles de montrer l’utilité et la promesse du brevet. Le Dr Shebuski, l’un des témoins experts de Sanofi, a aussi indiqué que les données recueillies par Sanofi à partir de février 1988 n’auraient sans doute pas suffi à tirer des conclusions concernant le clopidogrel et son activité sur les humains (Shebuski, T5125-5126) :

[TRADUCTION]

 

Q.        Dans 134, compte tenu des travaux que vous avez examinés, que pouvez-vous dire de l’activité sur les humains? Cela avait-il été établi?

R.        Non.

Q.        Au 8 février 1988?

R.        Non.

Q.        Quels autres travaux faudrait-il mener?

R.        Sanofi avait connaissance de certaines données préliminaires qui avaient été générées avant le 8 février 1988. Pour poursuivre ce développement, il faudrait évidemment élargir cet ensemble de données chez les humains.

Q.        L’ensemble élargi de données, pourquoi cela serait-il nécessaire?

R.        Cela serait nécessaire pour faire approuver le médicament, en démontrant la sécurité et l’efficacité à la FDA ou aux autres instances réglementaires.

 

[348]       Vu les preuves et les dépositions des témoins experts – le Dr Levy, le Dr Shebuski, le Dr Hirsh – et la déposition du Dr Maffrand (témoin factuel), la Cour tire les conclusions suivantes :

§                l’étude P-1062 menée sur les humains, une étude en double aveugle, a débuté en décembre 1987 et s’est achevée en mars 1988;

§                l’étude a été menée principalement sur des volontaires sains;

§                certaines des conclusions étaient connues de Sanofi avant la fin de l’étude en double aveugle et lors du dépôt de la demande portant sur le brevet 777 (le 8 février 1988);

§                la preuve est incertaine et un doute subsiste sur la question de savoir si les conclusions obtenues par Sanofi en janvier et février 1988 – avant la fin de l’étude en mars 1988 – ont enfreint le protocole régissant les études en double aveugle;

§                quoi qu’il en soit, la preuve d’expert démontre que les premières conclusions obtenues par Sanofi n’étaient pas assez étoffées pour être concluantes.

 

[349]       Pour tous ces motifs, la Cour n’est toujours pas convaincue que l’étude P-1062 menée sur les humains a démontré l’utilité du brevet 777.

 

[350]       L’autre question pertinente pour l’utilité démontrée concerne le Dr Fréhel (un co-inventeur du brevet 777, avec M. Badorc). Cette question est la suivante : le Dr Fréhel était-il au courant de l’activité chez les humains avant le dépôt de la demande se rapportant au brevet 777? La Cour a déjà conclu que cette question ne permettra pas de dire si, à la date du dépôt de la demande de brevet, l’utilité était démontrée, mais c’est une question qui néanmoins a été largement débattue et qui sera examinée par la Cour, surtout à la lumière de la note de service se rapportant à la réunion du 28 janvier 1988.

 

[351]       Sanofi a prétendu que le Dr Fréhel était informé de l’activité chez l’humain et qu’il était donc mêlé au processus décisionnel. Dans son argumentation finale, Sanofi a prétendu que (i) les conclusions de l’étude P-1062 avaient été discutées au cours d’une réunion tenue le 28 janvier 1988; (ii) selon le procès-verbal de cette réunion, le Dr Fréhel y était présent à titre d’invité; (iii) certaines conclusions avaient été obtenues concernant l’étude P-1062 et, bien que l’étude n’eût pas encore été achevée et n’eût pas été pleinement analysée, Sanofi est d’avis que l’inhibition de l’agrégation plaquettaire chez l’humain était connue et avait été démontrée avant la date pertinente, c’est-à-dire avant le 8 février 1988.

 

[352]       Le Dr Fréhel n’a pas témoigné durant l’instruction. M. Badorc a dit ne pas avoir eu connaissance des conclusions de l’étude P-1062 avant le 8 février 1988. Le Dr Maffrand a témoigné que le Dr Fréhel était intervenu dans la stratégie et qu’il était informé de l’étude (résultats cliniques chez les humains), mais un examen plus attentif de la preuve documentaire jette un sérieux doute sur la participation et le rôle du Dr Fréhel dans une portion déterminante de la réunion du 28 janvier 1988.

 

[353]       Plus précisément, la pièce D-194, onglet 138, confirme que le Dr Fréhel a reçu la note de service se rapportant à la réunion du 28 janvier 1988. La pièce D-194, onglet 139, concerne précisément la composition de la réunion du 28 janvier. À la deuxième page de cette pièce se trouve une liste des invités à la réunion du 28 janvier 1988. Cette réunion comprenait en réalité deux parties. La première partie, la réunion A, qui a eu lieu le matin, concernait le mode d’action des thiénopyridines. L’autre partie, la réunion B, a eu lieu l’après-midi et concernait la stratégie des phases 2 et 3 du clopidogrel. Les noms des participants à la réunion du matin apparaissent sur la liste A. Les noms des participants à la réunion de l’après-midi apparaissent sur la liste B.

 

[354]       Cependant, le nom du Dr Fréhel n’apparaît pas sur la liste B. Selon le document, le Dr Fréhel n’était pas un invité à la réunion de l’après-midi. Il semble donc que, selon la preuve documentaire, le Dr Fréhel n’est pas intervenu dans la réunion de l’après-midi au cours de laquelle fut discutée la stratégie des phases 2 et 3 du clopidogrel.

 

[355]       La Cour ne peut donc conclure avec certitude que le Dr Fréhel a participé à la réunion de l’après-midi du 28 janvier 1988 et qu’il détenait, de ce fait, l’information touchant l’activité chez les humains.

 

[356]       Pour ce motif, la Cour réitère le fait qu’elle n’a pas été persuadée que l’utilité chez l’humain a été démontrée.

 

[357]       La Cour doit maintenant se demander si la promesse d’utilisation chez l’humain reposait sur une prédiction valable (arrêt Wellcome, ci-après, arrêt Olanzapine).

 

(3)     L’utilité – la prédiction valable

a)    La promesse du brevet 777

[358]       Ayant conclu que l’utilité du brevet n’était pas démontrée à la date du dépôt de la demande concernant le brevet 777, la Cour doit maintenant se demander si, à la date du dépôt, Sanofi avait une prédiction valable concernant l’invention décrite dans le brevet 777.

 

[359]       Dans l’arrêt Olanzapine, la Cour d’appel fédérale écrivait que « [l]a promesse du brevet est un élément fondamental dans l’analyse de l’utilité » (paragraphe 93). En l’espèce, la Cour a déjà conclu qu’il y avait une promesse explicite d’utilisation du composé chez l’humain.

 

[360]       L’utilité du brevet sera donc appréciée en fonction de cette promesse (arrêt Olanzapine, paragraphe 76).

 

[361]       La date à retenir pour la prédiction valable est la date de dépôt. Ici, la date à retenir est le 8 février 1988.

 

[362]       Dans l’arrêt Apotex Inc et al c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, la Cour suprême du Canada expliquait que le principe de la prédiction valable comprend trois (3) volets. Pour qu’une prédiction soit valable, il doit y avoir : (i) un fondement factuel; (ii) un raisonnement valable; (iii) une divulgation suffisante.

 

b)    La prédiction

(i)    Quelle est l’utilité?

[363]       Sanofi a prétendu que les conditions d’un brevet de sélection, tel le brevet 777, s’appliquent différemment à l’utilité par rapport à la nouveauté, à l’évidence et au double brevet. Plus précisément, durant leur argumentation finale, les avocats de Sanofi semblaient croire que la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Olanzapine, avait fait la distinction entre l’utilité et les autres allégations d’invalidité dans le contexte d’un brevet de sélection. Sanofi faisait aussi valoir que les « avantages » d’un brevet de sélection ne s’appliquent pas à l’analyse relative à l’utilité. Rappelant ce que la Cour d’appel fédérale écrivait dans l’arrêt Olanzapine, la Cour fédérale reproduit ici les paragraphes pertinents :

[27]  […] Les conditions de validité d’un brevet de sélection servent […] à définir le brevet et, par conséquent, à guider l’analyse des motifs de validité prévus dans la Loi — nouveauté, évidence, suffisance et utilité. […]

 

[28]  […] Il va de soi qu’avant d’entreprendre une analyse des critères de la nouveauté, de l’évidence, de la suffisance et de l’utilité, il faudrait connaître la nature du brevet que l’on doit examiner.

 

[…]

 

[31]  […] le juge Rothstein a incorporé son examen des supposés avantages du bisulfate de clopidogrel (Plavix) à l’analyse de l’antériorité, de l’évidence et du double brevet. […]

 

[32]  […] Bien entendu, comme l’a mentionné Lilly, l’évidence est pertinente quant à la validité d’un brevet de sélection et, comme Novopharm l’a soutenu, l’utilité l’est également. La notion de sélection est omniprésente dans toute l’analyse se rapportant aux différents motifs de l’invalidité alléguée.

 

[…]

 

[56]  […] L’invention doit être évidente au regard de l’antériorité et des connaissances générales courantes pour qu’il soit satisfait au critère de l’« essai allant de soi ».

 

[57]  Dans le cas d’un brevet de sélection, l’analyse de l’évidence porte sur les propriétés spéciales du composé, ainsi que sur ses avantages allégués, décrits dans la divulgation du brevet de sélection, car c’est là que le caractère inventif de la sélection y est défini.

 

[…]

 

[75]  Pour établir l’absence d’utilité, la partie soupçonnée de contrefaçon doit démontrer [TRADUCTION] « que l’invention ne fonctionnera pas, dans le sens qu’elle ne produira rien du tout ou, dans un sens plus général, qu’elle ne fera pas ce que le mémoire descriptif prédit qu’elle fera » […]

 

[76]  […] Toutefois, lorsque le mémoire descriptif exprime clairement une promesse, l’utilité sera appréciée en fonction de cette promesse […]

 

[78]  Dans le cas des brevets de sélection, le caractère inventif réside dans la fabrication du composé sélectionné, en combinaison avec l’avantage ou les avantages qu’il procure par rapport au brevet de genre. Le brevet de sélection doit offrir plus que le brevet de genre, en ce sens qu’il doit procurer un avantage ou éviter un désavantage. Le mémoire descriptif doit définir clairement l’avantage ou la nature de la caractéristique que possède le composé sélectionné (Sanofi, paragraphe 114). En d’autres termes, le brevet de sélection doit promettre un avantage, si bien que, si tel n’est pas le cas, le titulaire du brevet ne sera pas en mesure d’invoquer l’avantage à l’appui de la validité du brevet.

 

[…]

 

[81]  Finalement, au chapitre de l’utilité d’un brevet de sélection, la question à trancher est de savoir si, à la date de dépôt, le titulaire du brevet avait suffisamment de données pour étayer la promesse. […]

 

[87]  Les examens dont il a été question précédemment (la promesse du brevet, les données servant à étayer la promesse et les données relatives à la prédiction valable de la promesse) sont des examens bien distincts qui exigent une analyse individuelle.

 

[88]  […] Elle répète sa position selon laquelle les avantages sont pertinents quant à l’évidence et n’ont rien à voir avec la question de savoir si l’olanzapine satisfait aux critères de l’utilité. […]

 

[90]  Je ne souscris pas à l’opinion de Lilly suivant laquelle les avantages sont pertinents seulement quant à l’évidence. […]

 

[93]  J’ai affirmé précédemment que la promesse du brevet doit être déterminée au début d’une analyse de l’utilité. Le juge de première instance doit interpréter la promesse dans le contexte du brevet dans son ensemble, du point de vue de la personne versée dans l’art par rapport à l’état d’avancement de la science et aux données disponibles au moment du dépôt du brevet. La promesse du brevet est un élément fondamental dans l’analyse de l’utilité.

 

 

[364]       Eu égard aux paragraphes susmentionnés du raisonnement suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Olanzapine, il est clair que les avantages d’un brevet de sélection sont pertinents à l’égard de l’examen tout entier de la validité du brevet – évidence, nouveauté, utilité et caractère suffisant.

 

[365]       En outre, pour le brevet de sélection 777, la promesse du brevet est l’utilité pour laquelle le brevet doit être mesuré. Comme l’écrivait la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Olanzapine, au paragraphe 87 :

Les examens dont il a été question précédemment (la promesse du brevet, les données servant à étayer la promesse et les données relatives à la prédiction valable de la promesse) sont des examens bien distincts qui exigent une analyse individuelle.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[366]       Gardant ce qui précède à l’esprit, la Cour examinera maintenant la promesse du brevet et la manière dont elle est appliquée à l’analyse de la prédiction valable.

 

(ii)   La promesse du brevet

[367]       La promesse telle que l’interprète la Cour concerne l’utilisation de l’invention chez l’humain.

 

[368]       Comme l’invention englobe plusieurs avantages, la manière dont les avantages se rapportent à la promesse du brevet était ici une question essentielle. D’où la question suivante : la Cour considère-t-elle tous les avantages globalement dans l’analyse de la prédiction valable, ou considère-t-elle chacun des avantages séparément au moment de se demander si l’inventeur disposait d’une base correcte pour une prédiction valable de la promesse du brevet?

 

[369]       Apotex soutient qu’il faut considérer séparément chacun des avantages pour savoir s’il existait une prédiction valable (c’est-à-dire la prédiction selon laquelle le clopidogrel était moins toxique et plus actif chez l’humain).

 

[370]       Or, dans l’arrêt Olanzapine, aux paragraphes 105 et 106, ainsi que 110 à 112, la Cour d’appel fédérale déconseillait d’analyser séparément chaque avantage spécifique au stade de la promesse du brevet. L’affirmation contraire d’Apotex doit donc être rejetée.

 

[371]       Plus généralement, la question de la promesse du brevet est inextricablement liée à l’argument d’Apotex touchant l’activité relative et la toxicité relative du clopidogrel. La Cour passe donc à la question suivante : en quoi les avantages d’un brevet de sélection sont-ils rattachés à la promesse du brevet?

 

Les avantages du brevet par opposition à la promesse du brevet

[372]       Apotex prétend que la promesse du brevet 777 portait sur l’activité et la toxicité relatives du clopidogrel chez l’humain. Comme il est mentionné précédemment, la Cour ne considère pas que chacun des avantages de l’invention doit être apprécié de manière indépendante, mais Apotex fait valoir que le brevet 777 promettait que chaque avantage serait substantiel. Pour les motifs exposés ci-après, la Cour est d’avis que le brevet 777 ne promet pas une activité, une toxicité et une tolérabilité relatives par rapport au l-clopidogrel ou au PCR 4099. Le brevet promet plutôt uniquement l’existence d’une différence.

 

[373]       Premièrement, l’un des principaux arguments d’Apotex est qu’il n’existe aucun fondement factuel ni raisonnement valable permettant de prédire que le clopidogrel était moins toxique ou mieux toléré chez l’humain que le PCR 4099 ou le l-clopidogrel en date du 8 février 1988. Apotex se réfère au tableau IV du brevet 777 à ce sujet. Apotex fait valoir que le tableau IV montre que la DL50 du racémique PCR 4099 était de 1 615, celle du bisulfate de clopidogrel était de 2 591 et celle de l’énantiomère lévogyre était de 1 702. L’intervalle, du plus élevé au plus bas, est de 1,6 selon les calculs et s’avère ne représenter qu’une légère différence. Selon Apotex, la personne versée dans l’art qui s’appuierait sur ce que renferme le brevet ne disposerait d’aucun fondement raisonnable pour prédire la différence de toxicité entre les composés.

 

[374]       Deuxièmement, Apotex avance un argument semblable à propos de l’activité relative. Pour Apotex, la promesse ne concerne pas simplement l’activité, mais plutôt l’activité relative. Cette promesse est le fait que le clopidogrel est au moins aussi actif que le racémate PCR 4099 et que le lévogyre est inactif ou presque inactif. Apotex prétend que la promesse du brevet 777 concerne l’administration thérapeutique du médicament servant au traitement. Il s’ensuit, selon Apotex, que c’est là que la promesse d’activité comparative doit être établie.

 

[375]      Après examen des deux (2) arguments ci-dessus, la Cour est d’avis que quelque chose échappe à Apotex. En effet, chaque avantage décrit dans le brevet 777 ne doit pas être examiné de manière indépendante, mais plutôt conjointement avec l’invention tout entière qui est décrite dans le brevet 777.

 

[376]       En réalité, Apotex voudrait que la Cour arrive à la conclusion même contre laquelle la Cour d’appel fédérale mettait en garde dans l’arrêt Olanzapine. Il se trouve que, dans le cas du brevet 777, il y a une invention et une promesse du brevet, et la Cour d’appel fédérale faisait donc une mise en garde contre l’idée d’analyser séparément chaque avantage spécifique mentionné dans la divulgation du brevet. Autrement, il faudrait que chaque avantage atteigne le niveau d’une promesse du brevet. Selon la Cour d’appel fédérale, cette approche équivalait à « mettre la charrue avant les bœufs » (paragraphe 105).

 

[377]       La Cour d’appel fédérale donnait l’explication suivante, dans l’arrêt Olanzapine, au paragraphe 106 :

[106]  La question de savoir si le juge de première instance avait compris la distinction entre l’avantage promis (si l’avantage particulier était effectivement promis) et les données sur lesquelles il était fondé est également préoccupante relativement à l’analyse de chacun des avantages particuliers. L’arrêt Ranbaxy dont il a été question précédemment examine cette distinction. Finalement, la démarche adoptée, de la manière qu’elle l’a été, écarte la possibilité qu’un nombre quelconque d’avantages apparemment moins importants (lorsqu’on les considère individuellement) puisse être suffisant si on les considère cumulativement, pourvu que l’avantage cumulatif soit substantiel.

 

[378]       Si le raisonnement préconisé par Apotex était suivi, aucun des avantages n’atteindrait la norme et il n’y aurait donc aucune prédiction valable.

 

[379]       Plus précisément, si la Cour acceptait l’argument d’Apotex concernant la méthode d’activité relative, il faudrait qu’elle laisse de côté le fait que, si les avantages apparemment moins importants sont considérés cumulativement, comme c’est le cas dans le brevet 777, alors il y a un avantage substantiel.

 

[380]       De même, Apotex fait valoir que le brevet 777 promettait une différence appréciable entre l’activité, la toxicité et la tolérabilité du clopidogrel et celles du l-clopidogrel ou du PCR 4099.

 

[381]       À ce propos, la Cour rappelle que la promesse du brevet, déterminée plus haut dans les présents motifs, peut être décrite comme l’utilisation de l’invention chez l’humain. Et comme il est aussi expliqué précédemment, l’invention décrite dans le brevet 777 est un composé qui est utile pour l’inhibition de l’agrégation plaquettaire, qui produit un effet thérapeutique plus élevé et une toxicité moindre que les autres composés du brevet 875 et qui présente les avantages des sels (facilité de cristallisation, absence d’hygroscopie et hydro-solubilité suffisante) ainsi que les méthodes permettant d’obtenir ce composé.

 

[382]       Puisque la promesse du brevet est l’utilisation de l’invention chez l’humain et que l’invention ne parle que de valeurs [TRADUCTION] « supérieures » ou [TRADUCTION] « inférieures », la Cour n’examinera pas le degré de différence comme le voudrait Apotex, mais elle se demandera s’il existait une prédiction valable de l’existence, chez l’humain, d’une différence dans le niveau d’activité, de tolérabilité et de toxicité.

 

[383]       La situation ressemble à celle de la décision Servier, précitée, où la juge Snider a conclu que la promesse contenue dans le brevet 196 était que tous les composés revendiqués exerceraient un certain degré d’inhibition. Elle s’exprimait ainsi, aux paragraphes 358 et 359 :

[358] Comme je l’ai déjà établi, la promesse contenue dans le brevet 196 était que tous les composés revendiqués exerceraient un certain degré d’inhibition de l’ECA dans les tests in vitro et que certains des composés seraient suffisamment actifs pour traiter l’hypertension et l’insuffisance cardiaque. Le brevet ne contenait aucune prédiction ni promesse que tous les composés des revendications nos 1, 2 et 3 pourraient être utilisés pour traiter l’hypertension ou l’insuffisance cardiaque. Il s’ensuit qu’il n’y avait aucune prédiction selon laquelle un des composés de configuration exclusivement (R) sur le squelette pourrait nécessairement être utilisé pour traiter l’hypertension ou l’insuffisance cardiaque.

[359]  Même s’il est vrai que les réalisations antérieures citées par Apotex indiquent que les composés de configuration (R) avaient une faible activité comparativement à ceux de configuration (S), je conclus qu’elles indiquent qu’on pourrait s’attendre à ce que les composés ayant la configuration (R) à divers endroits du squelette exercent un certain degré d’inhibition de l’ECA. Cette conclusion n’a pas été contestée par les experts d’Apotex, MM. Marshall, McClelland et Thorsett, qui ont reconnu qu’une certaine activité avait été notée dans les réalisations antérieures lorsque des stéréoisomères de configuration (R) avaient été utilisés. Par exemple, dans son affidavit, M. Thorsett écrit :

 

[TRADUCTION]

 

À la date de dépôt du brevet 093 [...] c’était un fait connu des personnes versées dans l’art que certaines configurations stéréochimiques aux centres 1‑3 [...] notamment une ou plusieurs de configuration « (R) », étaient associées à une activité d’inhibition de l’ECA in vitro extrêmement faible et non utile.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[384]       La Cour examinera donc maintenant le fondement factuel permettant d’invoquer les différences d’activité, de tolérabilité et de toxicité dans les modèles animaux. Il s’agit là de la base de la prédiction selon laquelle l’invention aurait une utilisation chez l’humain.

 

i.          L’information confirmant les avantages en matière de toxicité et de tolérabilité

[385]       Le brevet 777 présente les résultats relatifs à la DL50 au tableau IV. Ces résultats sont une mesure de la toxicité et de la tolérabilité. Sanofi souligne que les résultats présentés au tableau IV font état non seulement d’une différence entre le clopidogrel et l’énantiomère lévogyre en ce qui concerne la DL50 et la DL10, mais également de convulsions survenues avec l’énantiomère lévogyre. La DL50 est une mesure de la mortalité de l’espèce à l’étude après l’administration d’une seule dose du composé.

 

[386]       Sur ce point, Apotex, se fondant sur l’opinion du Dr Sanders, affirme que l’essai LD50 a été effectué sur des rats femelles et qu’il est [TRADUCTION] « dépassé », [TRADUCTION] « inadéquat sur le plan toxicologique, et trompeur », qu’il n’aurait [TRADUCTION] « aucune place dans la recherche pharmaceutique et chimique moderne » et qu’il ne serait nullement prédictif d’une faible dose répétée de toxicité chez l’humain. Il ne renseignerait donc pas le lecteur expert sur la toxicité qui serait attendue d’une administration des mêmes composés à l’humain. Apotex fait aussi valoir que la personne versée dans l’art ne pourrait faire une prédiction concernant la toxicité relative du clopidogrel, du PCR 4099 et du I-clopidogrel. Finalement, Apotex conteste aussi que le clopidogrel présente un indice thérapeutique plus élevé que le PCR 4099.

 

[387]       Sur ce point, la Cour a entendu deux (2) experts en toxicologie : le Dr Sanders et le Dr Rodricks.

 

[388]       La Cour a préféré le cadre objectif du Dr Sanders sur la toxicologie, mais elle rappelle que le témoignage du Dr Sanders et celui du Dr Rodricks ont révélé plusieurs divergences.

 

[389]       Le Dr Sanders a admis en contre-interrogatoire avoir mentionné le chiffre 1 550, alors que le chiffre exact était, en fait, 155. Par ailleurs, relativement à la production 234, il a parlé du LD en disant qu’il allait de 1 250 à 5 000, au lieu de 1 250 à 2 500. La Cour ne croit pas que ces différences soient négligeables et elle considère que ces erreurs sont plus que de simples erreurs typographiques. La Cour sait que Sanofi a traduit ces rapports avec les chiffres avancés par le Dr Sanders, mais il reste que le Dr Sanders a fondé son opinion sur des chiffres inexacts. Dans ces conditions, le rapport et le témoignage du Dr Sanders ne sont pas entièrement dignes de foi.

 

[390]       De la même façon, le Dr Rodricks a prétendu, en contre-interrogatoire, avoir exécuté un calcul donné, mais il ne l’a pas produit au soutien de ses conclusions connexes. Également déconcertant pour la Cour fut le fait que le Dr Rodricks a produit, dans une autre instance, un rapport d’expert, appelé « Rapport Levaquin », où était examinée une série d’essais précliniques sur la lévofloxacine et sur le racémique ofloxacine. En contre-interrogatoire, il est apparu que le Dr Rodricks avait emprunté des paragraphes du Rapport Levaquin pour les ajouter à son rapport dans la présente affaire et qu’il avait donc fourni des informations sélectives à la Cour. Là encore, le témoignage du Dr Rodricks sur cette question est discutable.

 

[391]       Ainsi, bien que la Cour ait jugé les témoignages du Dr Rodricks et du Dr Sanders assez utiles sur la question de la toxicité, elle leur a accordé un poids restreint.

 

[392]       Quant à la preuve convaincante produite sur cet aspect, la Cour relève qu’une étude de Sanofi (D-136, onglet 122 – SA361) a démontré un différentiel LD50 et LD10 et que des convulsions ont posé un problème en ce qui concerne le PCR 4099 et l’énantiomère lévogyre, mais pas en ce qui concerne le clopidogrel. Sur ce fondement, il est possible de conclure à une toxicité différentielle, ainsi qu’à la meilleure tolérabilité du clopidogrel.

 

[393]       La Cour relève aussi que le Dr Sanders a témoigné qu’une toxicité comparative entre deux (2) composés pouvait être établie par une étude de toxicité à doses répétées sur deux (2) semaines, chez deux (2) espèces. Une telle étude a, en fait, été effectuée par Sanofi.

 

[394]       En outre, la Cour a examiné les nombreuses études toxicologiques antérieures menées sur différentes espèces des deux sexes (rat, souris et babouin) avant le 8 février 1988, notamment :

a)       études de toxicité orale aiguë sur des rats mâles et femelles, avec les deux énantiomères et le racémate (SA361, SA234, SA409, SA388, SA528);

b)      études de toxicité orale aiguë sur des souris mâles et femelles, avec les deux énantiomères et le racémate (SA234, SA409, SA528); fondées sur l’examen du brevet 777 et les rapports internes de Sanofi;

c)       étude de dosage, durant une semaine, sur des rats mâles et femelles, avec le PCR 4099 (SA236);

d)      étude de toxicité orale, durant deux semaines, sur des rats mâles et femelles, avec SR25989C (SA407);

e)       étude de dosage, durant deux semaines, sur des rats mâles et femelles, avec SR25990C (SA404);

f)       étude de toxicité orale, durant deux semaines, sur des babouins mâles et femelles, avec SR25989C (SA408);

g)       étude de toxicité orale, durant deux semaines, sur des babouins mâles et femelles, avec SR25990C (SA526);

h)       étude de toxicité, durant une année, sur des babouins mâles et femelles, avec PCR 4099 (SA412);

i)        étude de toxicité, durant six mois, sur des babouins mâles et femelles, avec le PCR 4099 (SA277);

j)       étude de toxicité orale, durant quatre semaines, sur des babouins mâles et femelles, avec le PCR 4099 (SA227);

k)      étude de dosage, durant une semaine, sur des babouins mâles et femelles, avec le PCR 4099 (SA238);

l)        nombreuses autres études de toxicologie sur le PCR 4099.

 

[395]       Se fondant sur cette preuve, la Cour estime que Sanofi a démontré la toxicité différentielle, de même que la meilleure tolérabilité du clopidogrel.

 

ii.          L’information confirmant l’avantage en matière d’activité

[396]       En ce qui a trait aux essais exécutés par les chercheurs de Sanofi pour démontrer la différence d’activité entre l’énantiomère D et l’énantiomère L dans des modèles animaux, la Cour rappelle les propos suivants du Dr Hirsh :

[traduction]

Q.           D’accord, donc il décrit :

« Les énantiomères ont été synthétisés et mis à l’essai chez des animaux pour l’évaluation de leur activité antiplaquettaire et de leur activité antithrombotique ex vivo ».

[Transcription de lecture]

Est-ce que cela correspond à votre examen de ces articles?

R.      Oui, oui.

Q.      On dit ensuite :

« L’énantiomère L n’a pas d’activité antiplaquettaire ex vivo chez le rat ». [Transcription de lecture]

R.      C’est exact.

Q.      Est-ce que cela correspond à ce que vous avez vu avant?

R.      Oui.

Q.      « Et l’énantiomère D est le seul à avoir une activité antiplaquettaire et est donc deux fois plus actif que le PCR 4099 ». [Transcription de lecture]

R.      C’est ce qui est dit, en effet.

Q.      Un peu plus audacieux que ce que dit le brevet?

R.      Oui.

Q.      Mais certainement ce qui était compris à l’époque?

R.      C’est ce qu’ils disent, oui.

Q.      « L’énantiomère D est le seul à avoir des propriétés antithrombotiques avec une relation dose-réponse chez le rat ». [Transcription de lecture]

Et cela serait basé sur les divers essais antithrombotiques réalisés?

R.      En effet.

Q.      Et on peut lire :

« Ces résultats, combinés aux premiers résultats des épreuves de toxicité aiguë montrant que la toxicité de l’énantiomère inactif (L) était plus marquée que celle de l’énantiomère actif (D) et probablement encore plus que celle du racémique, nous ont amenés à développer l’énantiomère actif, soit l’énantiomère D ». [Transcription de lecture]

 

(Hirsh, T688-690)

 

[397]       Le Dr Hirsh a également parlé des avantages de l’énantiomère D par rapport à ceux de l’énantiomère L, ainsi que de la manière dont ils avaient été décelés :

[TRADUCTION]

 

R.      Le D présente des avantages sur le L pour ce qui est de l’activité, oui.

Q.      Oui.

Et comment cet avantage a-t-il été décelé?

R.      L’avantage a été décelé de trois manières. Il l’a été dans les essais d’agrégation. Il l’a été dans le modèle simple de la vrille dans la veine cave, et il l’a été dans les études LD-10, 50, 90.

 

(Hirsh, contre-interrogatoire, T598)

 

[398]       La Cour constate aussi que les inventeurs du brevet 777 ont clairement indiqué qu’ils avaient démontré la différence d’activité chez le rat. Le brevet 777 dit ce qui suit :

[traduction]

§                L’isomère lévogyre est inactif et l’isomère dextrogyre est au moins aussi actif que le racémique (page 13).

§                Les résultats présentés au tableau II démontrent encore une fois que seul l’isomère dextrogyre est actif, alors que les sels ont une activité comparable (page 15).

§                Les résultats qui figurent au tableau III montrent que l’isomère lévogyre est inactif dans cet essai, contrairement à l’isomère dextrogyre et au racémique (page 17).

 

[399]       Au vu de la preuve ci-dessus, la Cour estime donc que Sanofi a démontré le différentiel d’activité du clopidogrel.

 

[400]       Il s’ensuit que Sanofi a établi le fondement de la promesse du brevet. La Cour doit maintenant se demander si Sanofi a établi une inférence raisonnable prima facie selon laquelle l’invention pourrait être utilisée chez l’humain. À cette fin, la Cour doit apprécier s’il y avait une inférence raisonnable prima facie d’utilité.

 

(iii)   L’inférence raisonnable prima facie d’utilité

[401]       Dans l’arrêt Olanzapine, la Cour d’appel fédérale soulignait que le minimum requis pour appuyer un raisonnement est « qu’une prédiction valable exige une inférence prima facie raisonnable de l’utilité » (paragraphe 112).

 

[402]       Qu’est-ce qu’une inférence raisonnable prima facie d’utilité? C’est la preuve qui, à première vue, permet raisonnablement de conclure, d’après les faits, que l’invention est utile et qu’elle fait ce que le brevet dit qu’elle fera.

 

[403]       Il faut donc à ce stade examiner de plus près le fondement factuel qui sous-tend la prédiction valable/l’utilité.

 

c)    Le fondement factuel

(i)    Sommaire de la chronologie

[404]       La Cour examinera maintenant tous les avantages de l’invention décrite dans le brevet 777 et se demandera s’il y avait un fondement factuel pour la prédiction selon laquelle l’invention pourrait être utilisée chez l’humain.

 

[405]       Le point de départ de cette analyse consiste à apprécier la chronologie des événements qui ont conduit à la découverte du bisulfate de clopidogrel ainsi que les travaux qui ont été faits chez Sanofi avant la date de dépôt de la demande concernant le brevet 777.

 

[406]       Une quantité appréciable d’éléments de preuve a été présentée durant l’instruction à propos du « fondement factuel pour la prédiction », mais quelques-unes des études qui ont été divulguées dans le brevet 777 apparaissent particulièrement cruciales à la base, notamment :

 

§                le PCR 4099 était un racémate qui était actif;

§                le PCR 4099 était toxique dans une étude d’une durée d’un (1) an faite sur des babouins;

§                le L-clopidogrel est inactif in vivo;

§                le D- clopidogrel est au moins aussi actif que le racémate;

§                le L-clopidogrel était toxique, mais le D ne l’était pas.

 

In vitroEx vivoIn vivo

[407]       Avant d’apprécier les travaux sur la ticlopidine et le PCR 4099, il est bon de rappeler que la fonction des plaquettes et l’agrégation plaquettaire peuvent être évaluées de plusieurs façons, soit par des essais in vitro, ex vivo ou in vivo :

§                Lors d’un essai in vitro, on étudie dans un tube à essai les plaquettes provenant d’un échantillon de sang prélevé par ponction veineuse ou par un autre moyen chez un humain ou un animal.

§                Le terme ex vivo renvoie à l’étude des plaquettes provenant d’un échantillon de sang prélevé chez un sujet humain ou animal auquel on avait administré auparavant un médicament antiplaquettaire.

§                Lors d’un essai in vivo, on étudie la fonction plaquettaire et la formation d’un thrombus qui en résulte chez un modèle humain ou animal qui reproduit le processus thrombotique qui survient chez l’humain.

 

[408]       Il est aussi rappelé que le brevet 777 décrit des essais ex vivo et des essais in vivo.

 

[409]       En l’espèce, la Cour a eu l’avantage d’entendre le Dr Maffrand, l’inventeur du brevet de genre 875, ainsi que M. Badorc, un inventeur désigné du brevet 777. Tous deux se sont exprimés sur le brevet de sélection 777. Le Dr Maffrand et M. Badorc ont produit des témoignages lucides sur l’historique des travaux menés par Sanofi qui ont finalement conduit au clopidogrel. En outre, dans sa plaidoirie, les avocats de Sanofi ont remis à la Cour un résumé très utile des travaux menés par Sanofi durant les décennies 1970 et 1980. Cette preuve contextuelle est pertinente à l’égard de la question de la prédiction valable de l’utilité et elle est donc examinée plus loin.

 

 

Ticlopidine

[410]       Au début des années 1970, Sanofi menait des recherches sur une classe de composés appelés thiénopyridines. Les thiénopyridines ont une structure à deux cycles consistant en un cycle à cinq (5) membres contenant un atome de soufre fusionné à un cycle à six (6) membres contenant un atome d’azote :

 

 

 

 

 

 

 

 


[411]       L’un des composés identifiés au cours de ces recherches était la ticlopidine, qui a été synthétisée vers juillet 1972. La formule de la ticlopidine est la suivante :

 

 

 

 

 


[412]       Vu le profil des effets secondaires défavorables de la ticlopidine, il fallait un médicament qui soit aussi efficace ou plus efficace que la ticlopidine, sans le risque de troubles sanguins rares, mais potentiellement mortels. Sanofi a donc poursuivi sa recherche sur cette catégorie de composés.

 

[413]       Des centaines de racémates ont été fabriqués, mais Sanofi s’est appliquée uniquement à séparer trois (3) racémates : le PCR 1033, le PCR 3549 et le PCR 4099.

 

Le PCR 1033

[414]       En 1975, l’analogue méthylique de la ticlopidine a été synthétisé et a reçu le nom de PCR 1033. La formule du PCR 1033 est la suivante :

 

 

 

 

 


[415]       Le PCR 1033 diffère dans sa structure de la ticlopidine. Ainsi, contrairement à la ticlopidine, le PCR 1033 est un racémate.

 

[416]       Le PCR 1033 a été soumis à des essais destinés à vérifier ses propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire, et il a semblé qu’il pouvait être considéré comme un candidat pour le développement d’un agent inhibiteur de l’agrégation plaquettaire. Cependant, après des études pharmacologiques, la toxicité observée a semblé être pire que celle de la ticlopidine. Il a donc été conclu que le PCR 1033 n’était pas un bon candidat pour un développement plus poussé.

 

Le PCR 3071 et le PCR 3072 – les énantiomères du PCR 1033

[417]       Le Dr Maffrand a alors demandé à M. Badorc de tenter d’obtenir les énantiomères du PCR 1033 pour voir si ces énantiomères auraient des propriétés autres et si l’un ou l’autre pouvait présenter un meilleur rapport risques-avantages que le PCR 1033.

 

[418]       En mars 1978, à l’aide d’une technique connue sous le nom de formation de sels diastéréomériques, M. Badorc a séparé les énantiomères du PCR 1033.

 

[419]       Cependant, les essais ont montré que le PCR 3071 présentait une activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire, alors que le PCR 3072 était inactif.

 

[420]       Le PCR 3071 n’a jamais été expérimenté sur l’humain. D’après les résultats d’essais toxicologiques, le PCR 3071 était moins bien toléré que la ticlopidine et ne pouvait pas être administré à des humains. La décision fut prise d’interrompre le développement du PCR 3071.

 

Le PCR 3549

[421]       En 1978, M. Badorc a synthétisé l’analogue éthylique de la ticlopidine, qui a reçu le nom de PCR 3233. La formule du PCR 3549 est la suivante :

 

 

 

 

 

 


[422]       Le PCR 3549 diffère de la ticlopidine du fait qu’il s’agit d’un composé de thinopyridine chiral comportant un dérivé éthyle sur le carbone de liaison. Tout comme le PCR 1033, le PCR 3549 est un racémique.

 

[423]       Les essais menés par le Service de biologie ont montré que le PCR 3549 était plus actif que la ticlopidine. Le PCR 3549 était également mieux toléré que le PCR 1033, mais moins bien toléré que la ticlopidine. Constatant un ratio apparemment favorable activité/toxicité, le Dr Maffrand a pensé que le PCR 3549 devrait être développé comme candidat-médicament.

 

[424]       En novembre 1978, le Dr Maffrand a prié M. Badorc de scinder le PCR 3549 en ses énantiomères pour voir si l’un des énantiomères présentait un meilleur rapport risques-avantages.

 

[425]       En avril 1979, M. Badorc a réussi à obtenir les énantiomères du PCR 3549 en appliquant la technique de la synthèse asymétrique.

 

[426]       Les deux énantiomères furent envoyés, en juillet 1979, au Service de biologie pour des essais. Les essais ont révélé que les énantiomères possédaient un pouvoir d’inhibition de l’agrégation plaquettaire comparable à celui du racémate PCR 3549 (voir page S277091 de la pièce D-148). Fort de ce constat, le Dr Maffrand décida que le développement des énantiomères devrait être abandonné. Lui et ses collègues ont alors concentré leurs efforts sur le PCR 3549.

 

[427]       Il fut constaté que le PCR 3549 ne présentait pas une activité thérapeutique suffisante, et son développement fut donc abandonné.

 

[428]       À la suite des travaux sur les composés décrits ci-dessus, le Dr Maffrand et ses collègues ont continué leur recherche sur les thiénopyridines. Le Dr Maffrand a expliqué que l’objet de cette recherche était de trouver un composé plus puissant présentant un meilleur rapport risques-avantages que la ticlopidine. Le Dr Maffrand espérait développer un médicament qui soit au moins aussi efficace que la ticlopidine, mais avec un risque inférieur d’effets secondaires.

 

Le brevet de genre 875

[429]       Le PCR 3549 diffère de la ticlopidine du fait qu’il s’agit d’un composé de thinopyridine chiral comportant un dérivé éthyle sur le carbone de liaison. Tout comme le PCR 1033, le PCR 3549 est un racémique :

 

 

 

[430]       À partir de 1976 environ, Sanofi décida de synthétiser des représentants de cette catégorie de composés. Sanofi avait auparavant testé des groupes fonctionnels moins complexes, par exemple dans le PCR 1033 et le PCR 3549. Avant le 13 juillet 1982, M. Badorc avait fabriqué au moins vingt et un (21) de ces composés particuliers. Tous étaient des racémates.

 

[431]       En mars 1980, M. Badorc a synthétisé l’ester éthylique connu sous le nom de PCR 3935.

 

[432]       D’après les résultats fournis par le Service de biologie, il semblait que le PCR 3935 démontrait une bonne activité d’inhibition de l’agrégation plaquettaire.

 

Le PCR 4099

[433]       En juillet 1980, M. Badorc a synthétisé le chlorhydrate (sel) d’une autre thiénopyridine appelé PCR 4099. La structure de la base libre du PCR 4099 est la suivante :

 

 

 

 

 

 


[434]       La seule différence entre le PCR 3935 et le PCR 4099 est que le groupement OCH3 est lié au carbone (marqué « C »), et non à un groupement OCH2CH3.

 

[435]       Le Service de biologie de Sanofi a expérimenté le PCR 4099 au moyen de tests de sélection, y compris un test d’agrégation plaquettaire. D’après les résultats de ces études internes, il a été constaté que (i) le PCR 4099 était le composé thiénopyridine le plus puissant à avoir été synthétisé jusque-là; (ii) il était considérablement plus efficace et mieux toléré que la ticlopidine.

 

[436]       Durant cette période, le PCR 4099 fut soumis à d’autres essais. À partir de juillet 1980 environ jusque vers juillet 1982, dix-sept (17) autres composés issus du brevet de genre 875 furent synthétisés par M. Badorc. Les vingt et un (21) composés ont tous plus tard été inclus comme exemples dans le brevet 875, puis soumis à des essais par le Service de biologie de Sanofi pour une vérification de leur activité.

 

La décision de résoudre le PCR 4099 en ses énantiomères individuels

[437]       En 1985, le Dr Maffrand savait que des essais avaient démontré que le PCR 4099 présentait de possibles effets secondaires négatifs. Diverses études toxicologiques menées en 1983 et en 1985 avaient établi la tendance possible du PCR 4099 à causer des convulsions chez les animaux à certains niveaux de dose. Par ailleurs, le Dr Maffrand était encore préoccupé par les effets secondaires observés avec la ticlopidine. Afin de trouver un composé présentant un meilleur profil que le PCR 4099 (et la ticlopidine), il a décidé, en novembre 1985, de faire séparer les énantiomères du PCR 4099 et de les soumettre à des essais.

 

[438]       Par conséquent, vers le mois de novembre 1985, le Dr Maffrand a eu une conversation avec le Dr Daniel Fréhel, au cours de laquelle il lui a fait savoir qu’il souhaiterait que M. Badorc tente de séparer les énantiomères du PCR 4099.

 

[439]       D’autres essais ont été effectués sur les énantiomères du PCR 4099, qui ont conduit à la découverte du bisulfate de clopidogrel et à l’invention décrite dans le brevet 777.

 

[440]       La suite des événements est résumée de manière plus complète à l’annexe C.

 

(ii)   Les événements importants du fondement factuel

[441]       Sanofi avait d’excellents antécédents qui ont mené au développement du bisulfate de clopidogrel et au brevet 777. Ces antécédents offraient à Sanofi un fondement factuel pour sa prédiction selon laquelle l’invention pourrait être utilisée chez l’humain. Il importe de souligner la connaissance particulière qu’avait Sanofi de la catégorie de composés ayant conduit à l’invention, notamment sa connaissance de ce qui suit :

§                les travaux effectués sur la ticlopidine;

§                les travaux effectués sur le PCR 4099;

(i)  l’étude d’une durée d’un an sur les babouins

§                les travaux effectués sur les énantiomères du PCR 4099 – d clopidogrel.

 

a)         Les travaux effectués sur la ticlopidine

[442]       Comme il a déjà été mentionné, la ticlopidine fait partie d’une classe de composés appelés thiénopyridines. La ticlopidine a été synthétisée en juillet 1972 ou vers cette période. La ticlopidine (Ticlid®) a été mise en marché en France en 1978 et aux États-Unis en 1991. Cependant, après le lancement de la ticlopidine en France, on a appris que l’administration de ce produit à l’humain était associée à des maladies du sang potentiellement mortelles (neutropénie et purpura thrombocytopénique). Un certain nombre de décès associés à ce produit ont été signalés. Par conséquent, les travaux sur les thiénopyridines se sont poursuivis dans l’optique de découvrir un médicament aussi efficace que la ticlopidine, mais ne comportant pas de risque de maladie du sang mortelle. Ces travaux ont mené à la découverte du PCR 4099.

 

b)         Les travaux effectués sur le PCR 4099

[443]       En juillet 1980, M. Badorc a synthétisé le sel de chlorhydrate d’un autre composé thiénopyridine appelé PCR 4099.

 

[444]       Durant l’instruction, il est devenu évident que Sanofi avait consacré beaucoup de temps, d’argent et de ressources au développement du PCR 4099. Ce qui suit est une liste des études qui ont été effectuées sur le PCR 4099 avant qu’il soit abandonné (rapport Shebuski, paragraphe 125) :

 

SA n°                                        Titre de l’étude                                      Date

SA268

Tolérance et activité pharmacologique de doses simples ascendantes

Date du rapport : 19 avril 1985

SA273

 

 

SA255

Tolérance et activité pharmacologique de doses répétées

SA273 – date du rapport : 28 juin 1985

 

SA255 – date du rapport : septembre 1984

SA267

Tolérance et activité pharmacologique de doses répétées

Date du rapport : 15 avril 1985

SA290

 

 

 

SA292

Comparaison du PCR 4099 (150 mg/jour) avec la ticlopidine (500 mg/jour)

SA290 – Date du rapport : 10 février 1986

 

SA292 – Date du rapport : 10 février 1986

SA297

 

 

 

SA306

Tolérance et activité pharmacologique de doses ascendantes du PCR 4099/placebo et de la ticlopidine

SA297 – date du rapport : 14 mars 1986

 

SA306 – date du rapport : 29 mai 1986

SA327

Tolérance et efficacité de doses ascendantes du PCR 4099 chez des volontaires sains

Date du rapport : 11 septembre 1986

SA291

Activité pharmacologique du PCR 4099

Date du rapport : 10 février 1986

SA426

Tolérance et activité pharmacologique chez des patients thrombocythémiques

Étude achevée en juin 1987

SA420

Étude de sécurité et d’activité par permutation en double aveugle comparant un traitement à doses multiples, une fois par jour à deux fois par jour, du PCR 4099 chez des volontaires sains

Étude achevée en novembre 1986

SA387

Tolérance et activité pharmacologique chez des patients sous hémodialyse

Date du rapport : 4 septembre 1987

SA418

Étude de tolérance et d’activité en double aveugle comparant le placebo avec quatre niveaux de dose de PCR 4099 chez des patients atteints de maladie artérielle périphérique

Étude achevée en mai 1987

SA419

Tolérance et activité pharmacologique du PCR 4099 administré en tant que simple dose ascendante (50/150/300 mg) à des volontaires sains

Étude achevée en juillet 1986

SA424

Mécanisme d’action : étude des glycoprotéines GP IIb/IIIa

Étude achevée en mai 1987

SA343

Absorption systémique de radiocarbone étiqueté PCR 4099, après absorption orale d’une simple dose de 150 mg, chez des volontaires sains

Date du rapport : 23 janvier 1987

SA429

Interaction du PCR 4099 et de la cimétidine

Étude achevée en janvier 1987

SA428

Influence d’un apport alimentaire sur la pharmacocinétique du PCR 4099 après une simple dose

Étude achevée en février 1987

SA427

Tolérance et activité pharmacologique chez des patients thrombocythémiques

Étude achevée en septembre 1987

SA430

 

SA391

Étude du PCR 4099 administré avec ou sans médication antiacide

SA430 – Étude achevée en mai 1987

SA 391 – Date du rapport : 10 octobre 1987

SA356

Étude du PCR 4099 administré avant/après un pontage coronarien

Date du rapport : 20 mars 1987

SA423

Étude du PCR 4099 administré avant et après un pontage coronarien, par comparaison à la ticlopidine

Étude achevée en juin 1987

SA421

Activité pharmacologique et tolérance du PCR 4099 chez des patients arthritiques, par comparaison à la ticlopidine

Étude achevée en septembre 1987

SA422

Activité pharmacologique du PCR 4099 chez des patients arthritiques, par comparaison à la ticlopidine

Étude achevée en juillet 1987

 

 

[445]       La Cour relève aussi que le Dr Lacheretz a collaboré à de nombreuses études portant sur le PCR 4099 et qu’il en a été l’auteur.

 

[446]       D’après les résultats de ces études internes, on a pu constater que (i) le PCR 4099 était le composé thiénopyridine le plus puissant à savoir été synthétisé jusque-là; (ii) il était considérablement plus efficace et mieux toléré que la ticlopidine.

 

[447]       Alors que M. Badorc s’employait à la séparation des énantiomères du PCR 4099, d’importants travaux ont été menés sur le PCR 4099. Ces travaux, qui comprenaient des travaux précliniques et cliniques, sont résumés dans la brochure d’investigation intitulée PCR 4099 – An Antithrombotic Agent (PCR 4099 – Un agent antithrombotique) (pièce D – 135, onglet 73(a) (SA305)). Plusieurs études utilisant le PCR 4099 ont été effectuées. L’étude la plus importante et la plus convaincante a été l’étude d’une durée d’un an menée par le service de toxicologie de Sanofi.

 

[448]       Plus précisément, une étude d’une durée d’un an menée sur des babouins a produit des effets qui ne peuvent pas nécessairement être observés au moyen d’études de courte durée, par exemple une étude d’une durée de trois mois, et le PCR 4099 s’est révélé prometteur pour utilisation comme médicament soumis à une évaluation clinique.

 

[449]       L’étude de toxicité d’une durée d’un an sur des babouins a débuté en avril 1986 et s’est achevée en juin 1987. Cette étude a été menée à raison d’une faible dose de 25, 100 et 400 mg/kg de PCR 4099. En parallèle, Sanofi a continué d’observer des convulsions, et les convulsions ont atteint leur sommet au cours de l’étude de toxicité d’une durée d’un an sur des babouins (SA412). Ces études, considérées globalement, ont incontestablement montré l’apparition de convulsions, et Sanofi a conclu qu’elles étaient dues à la toxicité du PCR 4099.

 

[450]       La Cour note que l’étendue de l’expérience qu’avait Sanofi dans les types d’études de courte durée ou de longue durée portant sur le PCR 4099 ajoutait au fondement factuel de la prédiction. La preuve essentielle sur ce point a été produite par le Dr Lacheretz.

 

[451]       Le Dr Lacheretz a témoigné qu’il avait été personnellement et directement impliqué dans de nombreuses études portant sur le PCR 4099, y compris dans l’étude d’une durée d’un (1) an sur des babouins. À l’époque de cette étude, le Dr Lacheretz travaillait chez Sanofi. Il a quitté Sanofi l’année suivante. Il a expliqué ce qui suit :

 

[…] Bien cette page 17 regroupe les observations quotidiennes, la synthèse des observations quotidiennes réalisée pendant cette étude qui a duré un an. Et ces observations ont révélé l’apparition de crises convulsives dans les trois groupes traités. Encore une fois, on utilise trois niveaux de dose et dans les trois doses utilisées, on a observé des crises convulsives.

 

[…]

 

[…] Au terme de ce programme toxicologique réalisé avec PCR 4099, on constate factuellement que des convulsions sont systématiquement observées et qu’avec la chronicité du traitement, un effet dose est clairement observé également, ce qui conduit à pouvoir imputer ces convulsions directement au produit. Donc l’ensemble du programme est allé vers la confirmation de l’imputabilité de ces convulsions au produit.

 

(Lacheretz, T3688-3689)

 

 

Page 17 re-groups the daily observations. Some of these are over the one year of the study and these observations indicated a pattern of convulsive crisis in three groups. We have three levels of dosage and in the three doses used there were convulsive crisis.

 

...

 

At the end of this toxicology program for PCR 4099 we observed that convulsions were systematically observed and with the treatment the dosage effect is clearly observed which leads one to be able to impute these convulsions to the product. So the overall program did confirm the responsibility of the product.

 

(Lacheretz, anglais RD7530)

 

[452]       D’après le témoignage du Dr Lacheretz, il est clair que Sanofi a conclu que les convulsions étaient dose-dépendantes.

 

[453]       Quant aux témoignages des experts en toxicologie, ils ont tous deux révélé des failles. Cependant, quant à la question de l’étude d’une durée d’un an sur des babouins, la Cour préfère le témoignage du Dr Rodricks, parce qu’il confirme et complète celui du Dr Lacheretz. Le Dr Rodricks a expliqué notamment que les babouins ne pouvaient pas tolérer les très fortes doses qui étaient utilisées dans les études de plus courte durée. Ils succombaient rapidement. Le Dr Rodricks a ensuite expliqué que l’idée à l’origine de l’étude d’une durée d’un an était de faire absorber le produit par les animaux selon une dose qui ne les ferait pas succomber rapidement ou ne les rendrait pas autrement incapables, considérant qu’une étude d’une durée d’un an à dose plus faible pouvait produire des effets qui ne seraient pas nécessairement observés au moyen d’études de courte durée, par exemple trois (3) mois. Sur ce point, en contre-interrogatoire, le Dr Sanders a produit un témoignage semblable à propos du dosage plus faible.

 

[454]       Les résultats de l’étude d’un an sur des babouins figurent dans un tableau à propos duquel le Dr Rodricks a donné l’explication suivante :

[TRADUCTION]

 

Tout d’abord, on le voit sur la gauche, on a trois différents groupes de babouins. Puis on voit, dans la deuxième colonne, les doses utilisées pour chaque groupe. Il y a donc un 0, il s’agit du contrôle, 25, 100 et 400, et ensuite le nombre d’animaux présentant des crises.

Donc plusieurs animaux chez lesquels on l’a constaté, puis on a aussi le nombre de crises. Certains animaux ont eu plus d’une crise durant l’étude. Et l’importance du tableau, c’est que nous avons une conclusion générale sur les convulsions, mais ce que ce tableau me dit, à moi en tant que toxicologue, c’est que l’on a eu un taux croissant de convulsions à mesure que la dose se poursuivait.

 

(Rodricks, T3308-3311)

 

[455]       Le Dr Rodricks a ensuite émis l’avis que la réponse dose-dépendante illustrée par l’étude d’un an montrait que les convulsions étaient un résultat du composé, et non un résultat de la prédisposition des babouins aux convulsions.

 

[456]       Sur ce point, Apotex fait valoir que les convulsions chez les babouins, à 25 milligrammes par kilogramme, ne seraient pas considérées importantes, parce que les babouins étaient enclins aux convulsions et n’étaient pas considérés comme un bon modèle de ce qui se produirait chez les humains à cet égard. Cependant, le Dr Lacheretz a expliqué pourquoi le babouin avait été choisi pour les études :

Le babouin, je le précisais précédemment, l’espèce non rongeur, on a le choix entre le chien, c’est souvent le chien qui est utilisé, le primate non humain, et à l’époque on utilisait des babouins pour des raisons sanitaires et politiques – aujourd’hui, on utilise du macaque –, et la troisième espèce non rongeur qui était possible était le micro porc.

 

Et généralement, en première intention, le chien était sélectionné. Ce que je me souviens de cette époque, c’est que pour le développement de ticlopidine et pour des dérivés de thiénopyridine, ces produits induisaient des vomissements chez le chien, à des doses assez faibles, ce qui ne rendait pas possible la réalisation des études toxicologiques chez le chien. Il est connu que le chien peut présenter des vomissements assez facilement, un chien peut vomir facilement sans que ce soit d’origine pathologique, et donc c’est parfois une limitation à l’utilisation du chien dans les études de toxicologie. Et l’alternative à cette difficulté est de sélectionner le primate non humain. C’est la raison pour laquelle ces études du PCR 4099 ont conduit à la sélection du babouin.

 

(Lacheretz, T3682-3683)

 

 

Well, as I specified earlier, non-rodent species over the choice between the dog – and often dogs are used. The non-human primate, at the time we used baboons for sanitary and political reasons. This is no longer the case today. We use (foreign word). And the third non-rodent species which was possible was a mini-pig. And usually the dog was chosen first.

 

What I remember of this time is that for development of ticlopidine and thienopyridine the product induces the vomiting in dogs at fairly low doses which made it impossible to carry out toxicology studies in dogs. It’s a known fact that dogs vomit fairly easily. A dog can vomit easily without it being because of pathology so this sometimes placed a limit on the use of dogs in toxicology studies. The alternative to this difficulty is to select the non-human primates and that’s why PCR 4099 studies led to the selection of a baboons.

 

(Lacheretz, anglais RD7530)

 

[457]       Le témoignage du Dr Lacheretz confirme indiscutablement, de l’avis de la Cour, que le babouin était le modèle animal le plus indiqué pour la prédiction chez l’humain. Compte tenu des résultats obtenus auparavant avec le chien pour un composé similaire, il était logique d’utiliser le babouin aux fins de l’étude.

 

[458]       Finalement, à la suite de l’étude d’un an sur des babouins, Sanofi a décidé d’interrompre les travaux sur le PCR 4099 en avril 1987. Point à signaler, la « note Simon », datée du 16 avril 1987, envoyée par M. Pierre Simon, directeur de la recherche-développement à la Division de la recherche de Sanofi, mentionnait que les études menées sur le PCR 4099 cesseraient, prétendument en raison des convulsions. La Cour a jugé, durant l’instruction, que cette note constituait une pièce commerciale aux termes du paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, tout en sachant que la note rend compte des convictions du Dr Simon. C’est à ce stade que Sanofi a fait porter son attention sur les énantiomères du PCR 4099.

 

c)         Travaux sur les énantiomères du PCR 4099

(i)    Le brevet 777 : études ex vivo

[459]       La Cour rappelle que trois (3) essais ont été effectués et que les données qui en résultent sont reflétées dans quatre (4) tableaux du brevet 777.

 

[460]       Le premier essai est un essai ex vivo dans lequel l’effet sur l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP ou le collagène a été mesuré au moyen d’un méthode reconnue, la méthode de Born. La Cour note ce qui suit :

§         Les tableaux I (page 14) et II (page 16) du brevet 777 montrent les résultats des essais d’agrégation plaquettaire au moyen d’ADP et de collagène, respectivement.

§         Les résultats qui figurent au tableau II démontrent encore une fois que seul l’isomère dextrogyre est actif, alors que les sels ont une activité comparable.

§         L’activité antithrombotique des composés a été étudiée au moyen d’un essai de thrombose veineuse faisait appel à un fil décrit par T. Kumada et al. dans un article intitulé « Experimental model of venous thrombosis in rats and effect of some agents » [Modèle expérimental de thrombose veineuse chez le rat et effet de certains agents] (1980) Thrombosis Research 18; 189-203, pièce 8. S’appuyant sur cet essai, les inventeurs du brevet 777 concluent à la page 17 que l’isomère lévogyre est inactif dans cet essai, contrairement à l’isomère dextrogyre et au racémique.

 

(ii)   Études additionnelles ex vivo

[461]       En plus des essais ex vivo décrits dans le brevet 777, Sanofi a mené d’autres essais ex vivo qui sont résumés et expliqués dans le rapport du Dr Shebuski, aux paragraphe 86 et suivants :

[traduction]

a.         L’effet cinétique ex vivo du SR 25990C sur l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP a été étudié chez des rates (n = 5) qui ont reçu des doses de 2,5 et 10 mg/kg de SR 25990C par voie orale (SA414, page 8; SA111, pages S05135-S05148). La faible dose (2,5 mg/kg) de SR 25990C avait une efficacité modeste, mais la forte dose (10 mg/kg) a entraîné une altération de l’agrégation plaquettaire qui a débuté 0,5 h après l’administration et qui a atteint son maximum environ 6 heures après le traitement. Après 72 h, l’agrégation plaquettaire n’était pas encore revenue au niveau observé avant l’administration.

 

b.        De même, l’effet cinétique ex vivo du SR 25990C sur la vitesse d’agrégation plaquettaire induite par le collagène a été étudié chez des rates (n = 5) qui ont reçu des doses de 2,5 et 10 mg/kg de SR 25990C par voie orale (SA414, page 9; SA111, pages S05135-S05148). La faible dose (2,5 mg/kg) de SR 25990C avait une efficacité modeste, mais la forte dose (10 mg/kg) a entraîné un ralentissement de l’agrégation plaquettaire qui a débuté 0,5 h après l’administration et qui a atteint son maximum environ 6 heures après le traitement. Après 72 h, l’agrégation plaquettaire n’était pas encore revenue au niveau observé avant l’administration en raison de la nature irréversible de cet inhibiteur.

 

c.         L’effet ex vivo du SR 25990C sur l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP a été évalué 2 h après l’administration par voie orale de doses uniques de SR 25990C de 1,25, 2,5, 5,0 ou 10 mg/kg à des rats mâles et des rats femelles (n = 5 chacun). La ticlopidine a aussi été évaluée à une dose de 100 mg/kg per os (SA414, page 10; SA110, pages S05035-S05052; SA111, pages S05089-S05095). La dose de 2,5 mg/kg de SR 25990C avait une efficacité modeste, et l’inhibition maximale (environ 75 % ou plus) a été observée à la dose de 10 mg/kg chez les rats femelles et de 20 mg/kg chez les rats mâles. La ticlopidine, à la dose de 100 mg/kg, était relativement inefficace comparativement au SR 25990C.

 

d.        De même, l’effet ex vivo du SR 25990C sur la vitesse de l’agrégation plaquettaire induite par le collagène a été évalué 2 h après l’administration par voie orale de doses uniques de SR 25990C de 1,25, 2,5, 5,0 ou 10 mg/kg à des rats femelles et de 2,5, 5, 10 ou 20 mg/kg à des rats mâles (n = 5 chacun). La ticlopidine a aussi été évaluée à une dose de 100 mg/kg per os (SA414, page 11; SA110, pages S05035-S05052; SA111, pages S05089-S05095). La dose de 2,5 mg/kg de SR 25990C avait une efficacité modeste, et l’inhibition maximale (environ 75 % ou plus) a été observée à la dose de 10 mg/kg chez les rats femelles. Chez les rats mâles, la dose de 20 mg/kg de SR 25990C avait une activité inhibitrice plus forte que la dose de 10 mg/kg. Les rats mâles devaient recevoir une dose un peu plus forte de SR 25990C que les femelles pour que la vitesse de l’agrégation plaquettaire induite par le collagène soit abaissée à un degré similaire. La ticlopidine, à la dose de 100 mg/kg, était relativement inefficace tant chez les rats mâles que femelles comparativement au SR 25990C.

 

e.         L’effet ex vivo du SR 25990C sur l’agrégation plaquettaire induite par la thrombine a aussi été évalué à l’aide de doses de 1,25, 2,5, 5,0 et 10 mg/kg administrées par voie orale à des rats femelles (n = 5) et de 2,5, 5, 10 et 20 mg/kg à des rats mâles (n = 5). La ticlopidine a aussi été évaluée à une dose de 100 mg/kg per os (SA414, page 12; SA111, pages S05098-S05102; SA131, pages S05218-S05220) chez des rats mâles et femelles (n = 5 chacun). La dose de 5 mg/kg de SR 25990C était très efficace contre l’agrégation plaquettaire induite par la thrombine, et l’inhibition la plus forte (environ 90 % ou plus) a été observée à la dose de 10 mg/kg chez les femelles. Chez les mâles, la dose de 20 mg/kg de SR 25990C était aussi efficace que la dose de 10 mg/kg chez les femelles. La ticlopidine, à la dose de 100 mg/kg dose, était relativement inefficace tant chez les mâles que les femelles comparativement au SR 25990C.

 

f.          L’efficacité de doses orales uniques de SR 25990C contre l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par l’ADP a été évaluée lorsque le composé a été administré à des rats (n = 5) per os ou par voie intraduodénale (i.d.) à raison de 2,5, 5 et 10 mg/kg (SA414, page 13; SA111, pages S05123-S05126, S05167-S05168). À toutes les doses étudiées, la voie intraduodénale était plus efficace que l’administration per os pour atténuer l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP.

 

g.         Le rôle des sécrétions biliaires et pancréatiques dans l’effet antiagrégant (ADP) du SR 25990C après une administration intraduodénale a été évalué chez des rats (SA414, pages 14-15; SA137, pages S057539-S057555). Chez les animaux traités par le SR 25990C qui étaient porteurs d’un shunt biliaire, l’inhibition de l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP était beaucoup plus marquée que chez les animaux porteurs d’un shunt hydrique.

 

h.         L’effet du SR 25990C sur l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par l’ADP a été étudié chez des rats selon quatre voies d’administration différentes : per os, intraveineuse (i.v.), intrapéritonéale (i.p.) et i.d. (SA414, page 16; SA110, pages S05035-S05052; SA111, pages S05161-S05166; SA111, pages S05131-S05134). Les doses variaient de 1,25 à 100 mg/kg. À une dose de 5 mg/kg administrée per os, l’agrégation induite par l’ADP était réduite d’environ 60 % ou plus, et à la dose de 10 mg/kg per os, l’inhibition était profonde. Des doses comparables administrées par voie i.v. inhibaient aussi l’agrégation induite par l’ADP, mais un peu moins que les doses per os. La voie i.p. était efficace à une dose de 10 mg/kg, et la voie s.c. était très inefficace, même à des doses allant jusqu’à 100 mg/kg, ce qui témoigne d’une plus grande biodisponibilité conférée par la voie i.d. que per os. Cependant, l’administration par voie intraduodénale ne s’applique normalement pas aux produits thérapeutiques commercialisés.

 

i.           Selon l’évaluation réalisée, le début de l’action du SR 25990C (atténuation de l’agrégation plaquettaire induite par l’ADP) chez des rats après l’administration par voie orale ou intraveineuse était similaire par les deux voies (SA414, page 17; SA111, pages S05135-S05141, S05157-S05160). De plus, l’effet antiagrégant (ADP) ex vivo du SR 25990C après l’administration i.v. (10 mg/kg) était indépendant de la réabsorption du composé excrété dans la bile ou de ses métabolites chez le rat (SA 414, page 18; SA137, pages S057552-S057553).

 

j.          D’autres études ont été menées chez le rat pour évaluer dans quelle mesure le SR 25990C devait se lier aux plaquettes pour inhiber l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par l’ADP (SA414, page 21; SA110, pages S05062-S05067). L’agrégation de plaquettes de rat incubées dans du plasma traité par le SR 25990C n’était pas inhibée. L’agrégation plaquettaire était nettement inhibée lorsque les plaquettes étaient traitées par le SR 25990C, puis incubées avec du plasma traité ou non par le SR 25990C. Ces données indiquent que l’activité du SR 25990C est exclusivement associée aux plaquettes.

 

k.        L’étude de l’effet de dose du SR 25990C administré par voie orale de façon répétée pendant trois jours à des rats mâles et femelles (n = 5 chacun) sur l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par l’ADP a révélé que, à mesure que la dose de SR 25990C augmentait, passant de 0,625 à 5 mg/kg/jour pendant trois jours consécutifs, l’inhibition de l’agrégation plaquettaire était progressivement plus marquée (SA414, pages 22-23; SA111, pages S05108-S05112, S05113-S05117). L’effet maximal a été noté trois jours après une dose per os de 5 mg/kg. Les plaquettes des femelles se sont révélées un peu plus sensibles au SR 25990C que celles des mâles. L’effet antiagrégant de la ticlopidine a aussi été évalué pendant ces études, chez des animaux distincts (n = 5 rats femelles et 5 rats mâles). La ticlopidine était modérément efficace chez les femelles comme inhibiteur de l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par l’ADP à la dose administrée.

 

l.           De même, l’étude de l’effet de dose du SR 25990C administré par voie orale de façon répétée pendant trois jours à des rats mâles et femelles (n = 5 chacun) sur la vitesse de l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par le collagène a révélé que, à mesure que la dose de SR 25990C augmentait, passant de 0,625 à 5 mg/kg/jour pendant trois jours consécutifs, l’inhibition de l’agrégation plaquettaire était progressivement plus marquée (SA414, pages 24-25; SA111, pages S05108-S05112, S05113-S05117). L’effet maximal a été noté trois jours après une dose per os de 5 mg/kg. Comme c’était le cas dans l’étude précédente, les plaquettes des femelles se sont révélées un peu plus sensibles au SR 25990C que celles des mâles. L’effet antiagrégant de la ticlopidine a aussi été évalué pendant ces études, chez des animaux distincts (n = 5 rats femelles et 5 rats mâles). La ticlopidine était relativement inefficace comme inhibiteur de l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par le collagène à la dose administrée.

 

m.       L’étude de l’effet de dose du SR 25990C administré par voie orale de façon répétée pendant trois jours à des rats mâles et femelles (n = 5 chacun) sur l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par la thrombine a révélé que la dose la plus faible évaluée (0,625 mg/kg/jour pendant trois jours consécutifs) était très efficace pour inhiber l’agrégation plaquettaire ex vivo induite par la thrombine (SA414, pages 26-27; SA131, pages S05221-S05224, S05225-S05228). Les plaquettes des femelles se sont révélées beaucoup plus sensibles au SR 25990C que celles des mâles sur le plan de l’inhibition de l’agrégation plaquettaire induite par la thrombine. L’effet antiagrégant de la ticlopidine a aussi été évalué pendant ces études, chez des animaux distincts (n = 5 rats femelles et 5 rats mâles). La ticlopidine était relativement efficace comme inhibiteur de l’agrégation plaquettaire ex vivo induite la thrombine, mais pas autant que le SR 25990C.

 

n.         Une étude similaire à la précédente, dans laquelle la concentration de thrombine utilisée pour stimuler les plaquettes a été portée de 0,1 U/ml à 1,0 U/ml (hausse par un facteur de dix), a révélé que l’inhibition constatée dans l’étude précédente était maintenant complètement annulée par la concentration plus forte de thrombine, de sorte que le SR 25990C était totalement inefficace (SA414, page 28; SA131, pages S05225-S05228). Il appert donc que de fortes concentrations de thrombine peuvent neutraliser l’effet inhibiteur du SR 25990C, bien que la pertinence physiologique de ces données ne soit pas apparente.

 

o.        Les réponses à l’ADP sur le plan de l’agrégation plaquettaire ex vivo ont aussi été évaluées après l’administration in vivo à des rats (n = 5) de mélanges d’hydrogénosulfate de l’isomère lévogyre (SR 25989C) et d’hydrogénosulfate de l’isomère dextrogyre (SR 25990C) (SA414, page 30; SA111, pages S05169-S05178). Le SR 25989C n’avait pas d’incidence sur l’inhibition plaquettaire pharmacologique obtenue avec le SR 25990C (5 mg/kg) à des doses de SR 25989C allant jusqu’à 50 mg/kg.

 

p.        Le temps de saignement de rates (n = 5) a été évalué après l’administration par voie orale d’une dose unique de SR 25990C allant de 1,25 à 20 mg/kg (SA414, page 44; SA73, pages S05522-S05523). Le temps de saignement, évalué par section de la queue, augmentait proportionnellement à la dose chez tous les animaux. L’effet maximal sur le temps de saignement a été obtenu avec la dose de 10 mg/kg per os. L’allongement du temps de saignement est un résultat prévisible lorsqu’on utilise un agent antiplaquettaire. Toutefois, un allongement excessif peut présenter un danger et nécessite un ajustement de la dose et de la fréquence d’administration.

 

q.        L’effet du SR 25990C sur l’inhibition par l’ADP de l’activation par le PGE1de l’adénylate cyclase plaquettaire du rat et du lapin a aussi été évalué. Dans l’étude chez le rat (SA414, pages 64-65) et l’étude chez le lapin (SA414, pages 66-67), le SR 25990C, à des doses respectives de 25 mg/kg et 50 mg/kg per os, a neutralisé l’inhibition par l’ADP de l’activation par le PGE1de l’adénylate cyclase plaquettaire.

 

[462]       Chacune des études ci-dessus avait trait au fondement factuel de Sanofi.

 

(iii)  Les études in vivo du brevet 777

[463]       Le brevet 777 décrit aussi l’une des études in vivo menées par Sanofi pour apprécier l’activité antithrombotique des composés. L’étude décrite dans le brevet 777 est le test de la thrombose veineuse sur une vrille, décrit dans Toshihiko Kumada et al, « Experimental model of venous thrombosis in rats and effect of some agents » (1980), Thrombosis Research 18; 189-203, pièce 8.

 

[464]       À ce propos, le Dr Shebuski a témoigné que, bien que le modèle susmentionné soit principalement axé sur la thrombose veineuse, il renseigne aussi sur l’activité d’inhibition de l’agrégation plaquettaire d’un composé (Gheslain Defreyn et al, Pharmacology of Ticlopidine: A Review (1989), Seminars in Thrombosis and Hemostatis 15; 159-166, pages 163-164, pièce 15; J.M. Herbert et al, Clopidogrel, A Novel Antiplatelet and Antithrombotic Agent (1993), Cardiovascular Drug Review 11; 180, pièce 16; H. Gerhard Vogel & Wolfgang H. Vobel, eds., Drug Discovery and Evaluation: Pharmacological Assays (Berlin Heidelberg: Springer-Verlag, 1997) ch B: Activity on blood constituents, page 162, pièce 9).

 

[465]       La capacité du SR 25990C à prévenir la thrombose veineuse a été démontrée dans le modèle du rat décrit plus haut (rats femelles, n=10/groupe). Les résultats présentés au tableau III du brevet 777 (page 18) démontrent que le SR 25990C est efficace dans la marge posologique de 5‑10 mg/kg, p.o. pour prévenir la formation de caillots sanguins in vivo comme l’est le SR 25990E. Le racémate (PCR 4099) est tout aussi efficace. L’hydrogéno-sulfate de l’isomère lévogyre, SR 25989C, ne permet pas de prévenir la formation de caillots sanguins chez le rat.

 

                     (iv)          Études in vivo additionnelles

[466]       En plus du modèle animal décrit ci‑dessus, Sanofi a aussi mis à l’essai les composés chez d’autres modèles animaux, en particulier le modèle de shunt artéroveineux et le modèle de thrombose induite par la stase. Ces essais sont aussi résumés et expliqués dans le rapport de M. Shebuski, aux paragraphes 104 et suivants :

[traduction]

§         Le modèle de shunt artéroveineux ou modèle extracorporel est un modèle chirurgical dans lequel on connecte une artère à une veine afin de fournir au sang artériel une nouvelle voie de passage. Un fil de soie est placé dans le conduit afin de stimuler la formation d’un thrombus. Cette méthode a été décrite dans l’article de T. Umetsu et K. Sanai (1978) intitulé « Effect of 1-methyl-2-mercapto-5-(3-pyridyl)-imidazole (KC-6141), an antiaggregating compound, on experimental thrombosis in rats » [Effet du 1-méthyl-2-mercapto-5-(3-pyridyl)-imidazole (KC-6141), un composé antiagrégant, sur la thrombose expérimentale chez le rat] . Thromb. Haemost. 39:74, pièce 17. (Rapport de Shebuski, par. 105)

 

§         Selon certains, le modèle de shunt artéroveineux pourrait permettre de prédire l’utilité de substances qui peuvent être utilisées dans des circuits extracorporels chez l’humain (R.A. Shand et al. (1984) « Expression of the platelet procoagulant activity in vivo in thrombus formation in an extracorporeal shunt in the rat » [Expression de l’activité procoagulante plaquettaire in vivo dans le formation de thrombus dans un shunt extracorporel chez le rat]. Thromb. Res. 36:223, pièce 19). (Rapport de Shebuski, par. 108)

 

§         Le SR 25990C a été évalué dans le modèle rat (femelles, n = 5/groupe) de shunt artéroveineux. L’administration d’une dose unique de 1,25 à 20 mg/kg, per os, a entraîné une inhibition proportionnelle à la dose de la formation de thrombus dans le modèle animal, et la dose efficace de SR 25990C se situait entre 2,5 et 5 mg/kg per os (SA414, page 48; SA113, pages S05197-S05199). L’efficacité du SR 25990C a aussi été démontrée à l’aide du même modèle chez le rat mâle, avec des doses uniques de 5 à 20 mg/kg per os (SA113, pages S05194-S05195). (Rapport de Shebuski, par. 109)

 

§         La thrombose veineuse induite par la stase peut être obtenue simplement en ligaturant une veine pendant une certaine période. Une fois la ligature éliminée, la circulation sanguine ne reprend pas à cause de la présence d’un thrombus occlusif. Cette méthode a été décrite par I. Reyers et al. (1980) dans l’article « Failure of aspirin at different doses to modify experimental thrombosis in rats » [Échec de la modification par l’aspirine à différentes doses d’une thrombose expérimentale chez le rat]. Thromb. Res. 18: 669, pièce 21). (Rapport de Shebuski, par. 110)

 

§         L’évaluation du SR 25990C dans un autre modèle de thrombose veineuse (ligature de la veine cave inférieure chez des rates, n = 10/groupe) a donné des résultats similaires sur le plan de l’efficacité, avec le même intervalle de doses (SA414, pages 54-55; SA89, pages S05565-S05571), à ceux obtenus avec le modèle de shunt artéroveineux et le modèle de fil métallique décrits plus haut. (Rapport de Shebuski, par. 111)

 

[467]       Cumulativement, toutes les études décrites ci-dessus constituent de bons antécédents. Ces tests ont démontré ce qui suit :

§                le L-clopidogrel est inactif in vivo;

§                le D- clopidogrel est au moins aussi actif que le racémate;

§                le L-clopidogrel était toxique, mais le D ne l’était pas.

 

                     (iii)          Les inconvénients du fondement factuel

[468]       Le fondement factuel de la prédiction de Sanofi selon laquelle l’invention décrite dans le brevet 777 pourrait être utilisée chez l’humain doit, selon Apotex, être considéré à la lumière des conclusions positives et des conclusions négatives. En ce qui concerne ces dernières, Apotex s’est référé :

§                aux échecs que Sanofi a essuyés avec le PCR 3549 et le PCR 5235. Ces deux composés étaient « actifs » chez l’animal et « inactifs » chez l’humain;

§                aux convulsions chez les babouins.

 

[469]       La Cour examinera successivement chacun des éléments ci-dessus.

 

a)    Le PCR 3549 et le PCR 5325

[470]       Apotex affirme que Sanofi n’a pas été franche concernant ses antécédents « négatifs » dans le développement des composés ayant conduit au bisulfate de clopidogrel. Apotex signale notamment deux (2) composés qui étaient, à l’origine, actifs chez l’animal, mais dont on a constaté plus tard qu’ils étaient inactifs chez l’humain. Apotex fait valoir que, puisqu’il y avait lieu de croire que les énantiomères du PCR 4099 n’étaient probablement pas actifs chez l’humain, il n’y avait aucune prédiction valable selon laquelle l’activité constatée chez l’animal, relativement au bisulfate de clopidogrel, se retrouverait chez l’humain.

 

[471]       Le Dr Maffrand a indiqué, dans son témoignage, que des expériences avaient été faites avec deux autres composés : le PCR 3549 et le PCR 5325. Il a reconnu, en contre-interrogatoire, que ces deux composés étaient actifs chez l’animal, mais inactifs chez l’humain.

 

[472]       Le contre-interrogatoire a également révélé que le Dr Shebuski, qui, la Cour le rappelle, est l’un des témoins de Sanofi, n’était pas au courant des composés PCR 3549 et PCR 5325.

 

[473]       La Cour reconnaît avec Apotex que la conclusion de Sanofi concernant le PCR 3549 et le PCR 5325 constitue un « inconvénient » dans le fondement factuel. Cependant, la Cour est d’avis que l’existence d’un « inconvénient » dans la catégorie de composés que sont les thiénopyridines n’amoindrit pas véritablement les antécédents positifs évoqués précédemment que Sanofi avait par ailleurs établis.

 

b)    Convulsions et babouins

[474]       Apotex fait valoir qu’un bon nombre des résultats obtenus par Sanofi concernant les convulsions n’étaient pas dus à la toxicité du PCR 4099, mais uniquement à la prédisposition des babouins aux convulsions. Par conséquent, pour Apotex, le PCR 4099 n’était pas toxique, et il n’y avait aucun motif sérieux d’interrompre son développement en faveur de l’énantiomère dextrogyre.

 

[475]       Le Dr Sanders et le Dr Rodricks se sont exprimés sur la question des convulsions et des babouins.

 

[476]       La question des convulsions et des babouins est la suivante : les babouins sont-ils si enclins aux convulsions qu’un toxicologue ne se serait pas interrogé sur la toxicité du PCR 4099 ou du clopidogrel au point d’exclure les convulsions dans une étude d’une durée d’un an à des doses aussi faibles que 25 mg/kg?

 

[477]       Il est vrai que, selon le dossier, les scientifiques et toxicologues de Sanofi ont fait remarquer, dans des études, que les babouins sont sans doute prédisposés aux crises, mais le Dr Hirsh, un témoin expert d’Apotex, a exprimé l’avis que les babouins étaient un bon modèle pour des essais toxicologiques. En réalité, la preuve, considérée globalement, ne permet pas de conclure que les convulsions ou crises chez les babouins n’étaient en aucune façon liées au PCR 4099. La Cour a du mal à admettre l’idée qu’un toxicologue en exercice ne verrait pas la pertinence de telles convulsions pour une évaluation de la sécurité humaine, au point de n’en tenir aucun compte. Les scientifiques savent que les babouins sont une espèce particulièrement sensible aux convulsions, mais il n’est pas établi qu’ils ne présentent aucune valeur dans une étude scientifique. Si tel était le cas, jamais aucune étude ne serait menée sur des babouins. Il ne serait tout simplement tenu aucun compte des convulsions et des résultats de l’étude.

 

[478]       Passant à l’étude de six (6) mois menée par Sanofi sur des babouins, Apotex souligne que les convulsions constatées dans cette étude n’ont pas été considérées comme importantes. Apotex attire l’attention sur l’observation suivante concernant l’étude de six (6) mois sur des babouins – PCR 4099, à la page 15 :

[TRADUCTION]

 

Ces crises ne pouvaient pas être attribuées catégoriquement au PCR 4099, compte tenu de la prédisposition des babouins à ce genre de réactions (déjà observées dans des études antérieures).

 

[479]       La Cour considère que l’observation ci-dessus n’exclut pas totalement le lien entre les convulsions et le PCR 4099. Comme l’a expliqué le Dr Lacheretz, qui était responsable des études toxicologiques depuis l’administration in vivo jusqu’à l’autopsie, l’observation ci-dessus ne peut être interprétée comme une déclaration définitive. Le Dr Rodricks a lui aussi donné la même explication.

 

[480]       Par ailleurs, le Dr Lacheretz a expliqué que la prédisposition des babouins aux convulsions n’a pas le même effet dans les études de courte durée que dans les études de longue durée. De plus, le nombre cumulatif d’études menées par Sanofi entre 1983 et 1987 rend moins vraisemblable la conclusion selon laquelle les convulsions sont nécessairement le résultat de cette prédisposition des babouins, et le Dr Rodricks a confirmé l’explication du Dr Lacheretz :

[TRADUCTION]

 

R.      Et si l’on considère ces résultats, on voit que le nombre d’animaux en proie à des crises augmente en même temps que la dose. C’est de cela que je parle.

Q.      D’accord.

R.      Je crois qu’ils parlaient du moment où les doses ont été administrées en cours de traitement. On n’a constaté aucun schéma. Autrement dit, une forte dose a pu causer une convulsion plus tard, une faible dose a pu la causer plus tôt. Il n’y avait aucun schéma particulier dans l’apparition d’une convulsion chez tel ou tel animal. Mais ce qui est important, c’est la conclusion de la section 3.1.1, à la page 18, qui montre que le nombre total d’événements, quand ils se produisaient, augmente avec la dose. C’est ce que je voulais dire dans mon rapport, lorsque j’écrivais que c’est un effet lié à la dose, et le taux spontané – l’explication selon laquelle c’était simplement un événement spontané chez le babouin – ne tient plus lorsqu’on a des données comme celles-ci. Lorsque la dose augmente, on a de plus en plus d’événements, et il faut croire, à ce stade, que cela est dû au médicament.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Rodricks, T3582)

 

[481]       La Cour reconnaît donc, avec le Dr Lacheretz et le Dr Rodricks, que, selon la prépondérance des probabilités, il est vraisemblable que les convulsions avaient pour origine le médicament PCR 4099, et non la prédisposition des babouins aux convulsions, contrairement à ce qu’affirme Apotex.

 

[482]       Par conséquent la Cour ne croit donc pas que les convulsions observées chez les babouins soient un facteur ayant considérablement amoindri les antécédents positifs que Sanofi avait par ailleurs établis.

 

                     (iv)          Conclusion sur le fondement factuel

[483]       Sanofi a obtenu, dans des études de courte durée et des études de longue durée, des résultats l’autorisant à conclure qu’il y avait un fondement factuel dans sa prédiction selon laquelle l’invention pouvait être utilisée chez l’humain.

 

[484]       D’importantes étapes ont conduit à la conclusion selon laquelle, avant la date de dépôt de la demande de brevet, Sanofi disposait d’un fondement factuel solide établi par des centaines d’études faites sur la ticlopidine, le PCR 4099 et le clopidogrel. Ces études ont conduit à ce qui suit :

§                les travaux sur la ticlopidine;

§                le PCR 4099 était un racémate qui était actif dans des modèles animaux et des modèles humains;

§                le PCR 4099 était toxique dans une étude d’une année portant sur des babouins;

§                le L-clopidogrel était inactif;

§                le D-clopidogrel était au moins aussi actif que le racémate;

§                le L-clopidogrel était toxique, mais le D ne l’était pas.

 

[485]       La Cour est consciente que des « inconvénients » ont été mentionnés par Apotex. Cependant, ces « inconvénients » ne parviennent pas à convaincre la Cour que la preuve, considérée globalement, n’offre pas un fondement factuel prima facie autorisant Sanofi à conclure comme elle l’a fait. On s’est beaucoup attardé sur la question de savoir si les babouins sont prédisposés ou non aux convulsions, mais la preuve ne permet pas d’affirmer que les convulsions s’expliquaient directement par le fait que Sanofi avait choisi les babouins comme modèle animal. Les convulsions observées peuvent avoir une diversité de causes. Le choix du babouin pourrait être la cause principale de l’apparition de convulsions, mais, encore une fois, il pourrait ne pas l’être. Il n’y a tout simplement aucune preuve concluante sur ce point.

 

[486]       Se fondant sur la preuve, la Cour estime donc que (i) la durée de l’étude d’une année, c’est‑à‑dire d’avril 1986 à juin 1987, sur des babouins, (ii) le faible dosage de 25 mg/kg et (iii) le nombre d’études de toxicité aiguë conduites entre 1983 et 1987 – tout cela considéré globalement – donnaient à Sanofi le fondement factuel l’autorisant à conclure que des convulsions avaient été observées chez des animaux ayant reçu le PCR 4099 et l’énantiomère lévogyre, mais qu’aucune convulsion n’avait été observée chez des animaux ayant reçu du clopidogrel.

 

[487]       En outre, même s’il a été établi que Sanofi avait expérimenté un composé qui était actif chez l’animal, puis inactif chez l’humain, ce constat ne suffit pas à neutraliser les antécédents substantiels établis par Sanofi quand on les mesure aux autres données que Sanofi possédait à la date du dépôt de la demande.

 

[488]       Somme toute, la Cour conclut qu’il y avait un fondement factuel dans la prédiction selon laquelle l’invention pourrait être utilisée chez l’humain.

 

                     d)            Le raisonnement valable

[489]       La Cour examinera maintenant la question de savoir s’il existait un raisonnement valable rattachant le fondement factuel à la prédiction (Eli Lilly Canada Inc c Novopharm Ltd, 2011 CF 1288, [2011] ACF n° 1571).

 

[490]       Comme le juge Hughes le rappelait dans la décision Pfizer Canada Inc c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2011 CF 547, [2011] ACF n° 686, au paragraphe 242 : « il n’est pas nécessaire que le raisonnement en question donne lieu à une certitude” : il suffit qu’il exprime une inférence prima facie raisonnable” ».

 

[491]       Pour savoir s’il y avait un raisonnement valable, la Cour doit, dans la présente affaire, considérer les éléments suivants susceptibles d’apporter ce raisonnement aux scientifiques de Sanofi :

(i)             connaissance de la stéréochimie

(ii)           connaissance de la toxicologie

(iii)          connaissance de l’hématologie

(iv)         connaissance de la pharmacologie

(v)           connaissance de travaux antérieurs portant sur les composés thiénopyridine

(vi)         connaissance de l’extrapolation de l’animal à l’humain.

 

                        (i)         La stéréochimie

[492]       Le Dr Davies a produit devant la Cour un témoignage solide et perspicace sur la chimie et la stéréochimie. Les parties pertinentes de son témoignage, exposées dans son rapport d’expert, sont examinées ci-après (Rapport Davies, paragraphes 25 à 44, 53 à 59).

 

[493]       Par conséquent de principes premiers, les molécules (y compris les médicaments) sont composées d’atomes. Les atomes forment des molécules selon des règles précises de connectivité. Ces règles impliquent la jonction des atomes par des liens chimiques, qui sont représentés par une ligne droite (—). La plupart des liens chimiques sont formés quand les atomes partagent des électrons entre eux.

 

[494]       Suivant les règles de connectivité, les atomes de carbone peuvent adhérer à quatre (4) autres atomes. Si un atome de carbone forme quatre liens avec quatre atomes différents (ces quatre (4) unités distinctes sont représentées par différentes connectivités d’atomes), alors il y a deux (2) orientations spatiales possibles pour ces groupes. Dans le dessin ci-dessous, une tige compacte désigne un atome ou groupe orienté vers l’utilisateur, et une tige hachée désigne un atome ou groupe éloigné de l’utilisateur :

 

 

 

[495]       Ces molécules ont la même connectivité, mais il s’agit d’images miroirs non superposables. Cela signifie que, quand bien même tordrait-on ou tournerait-on ces molécules, il sera impossible de rendre l’une identique à l’autre sans rompre et réorganiser les connectivités. On appelle ces molécules des « énantiomères ».

 

[496]       Les chimistes caractérisent chaque énantiomère d’une paire donnée d’énantiomères selon l’arrangement spatial, ou configuration spatiale, des atomes autour d’un atome de carbone stéréogène au moyen des symboles « (S) » et « (R) ». Ces désignations s’appliquent à la configuration absolue (configuration réelle en trois dimensions) et sont conformes à des règles de nomenclature établies.

 

[497]       Le bisulfate de clopidogrel appartient à une classe générale de composés portant le nom de « thiénopyridines », d’après leur structure bicyclique contenant un atome de soufre (S) et un atome d’azote (N) :

 

 

 

[498]       La structure chimique du bisulfate de clopidogrel lui‑même est la suivante :

 

 

[499]       L’atome de carbone marqué d’un astérisque (*) est l’atome de carbone stéréogène. La molécule de clopidogrel a une configuration S et, dans une solution de méthanol, elle dévie la lumière polarisée vers la droite, raison pour laquelle elle est qualifiée d’énantiomère dextrogyre. Le HSO4- correspond à la portion bisulfate de la molécule de sel.

 

[500]       Dans la figure suivante, illustrée ci-après, le bisulfate de clopidogrel, qui apparaît à gauche, est comparé, à droite, à son énantiomère lévogyre correspondant :

 

 

[501]       Un aspect critique du raisonnement valable de Sanofi était sa compréhension de la relation structurelle et stéréochimique du bisulfate de clopidogrel avec les composés antérieurs qui avaient été synthétisés et expérimentés par Sanofi, dont le PCR 4099 et la ticlopidine.

 

(ii)   La toxicologie

[502]       Le Dr Sanders et le Dr Rodricks ont soumis à la Cour une documentation de base concernant la toxicologie. La documentation de base fournie par le Dr Rodricks portait sur la question de la toxicité, mais la Cour l’a jugée trop vaste et trop générale. Elle a trouvé que la documentation de base produite par le Dr Sanders était plus instructive. Le Dr Sanders a une maîtrise en pharmacologie, il est docteur en sciences vétérinaires et il détient un doctorat en toxicologie. Les portions pertinentes de son témoignage, qui figurent dans son rapport d’expert, sont examinées ci‑après (Rapport Sanders, pages 11 à 15).

 

[503]       La toxicologie est une branche de la biologie et de la médecine qui s’intéresse à l’étude des effets préjudiciables des produits chimiques sur les organismes vivants. C’est l’étude des symptômes, des mécanismes, des traitements et de la détection des empoisonnements.

 

[504]       Le Dr Sanders s’est référé au Dr Loomis et a fait observer que [TRADUCTION] « la toxicité d’un composé donné peut être sensiblement différente à l’intérieur des membres d’une espèce ou entre espèces si les systèmes enzymatiques appropriés entre les organismes tests ne sont pas identiques » (Rapport Sanders, page 15).

 

[505]       Les essais toxicologiques servent à définir la réaction toxicologique d’un sujet à un composé dans les conditions très précises de l’essai. En général, des essais toxicologiques précliniques sont effectués in vitro et dans des systèmes animaux multiples dans un large éventail de conditions. Dans l’industrie pharmaceutique, les résultats de tous ces essais précliniques sont compilés et analysés pour donner un profil de toxicité du candidat-médicament dans les conditions de l’essai préclinique. Ce profil sert alors à concevoir les essais cliniques qui permettront de dire si et comment le médicament peut être administré à l’humain, et selon un niveau qui soit sécuritaire, de sorte que les effets du composé chez l’humain puissent ensuite être étudiés.

 

[506]       La Cour observe qu’un aspect critique du raisonnement valable de Sanofi était la manière dont Sanofi considérait la relation toxicologique et le potentiel d’utilisation d’essais précliniques de toxicité pour prédire la toxicité clinique.

 

                 (iii)   L’hématologie

[507]       Le Dr Hirsh et le Dr Shebuski ont été admis par la Cour comme spécialistes de l’hématologie. Cependant, la Cour a préféré la documentation de base fournie par le Dr Hirsh à celle fournie par le Dr Shebuski. En effet, bien que le Dr Shebuski se soit exprimé sur l’hématologie, nombre de documents auxquels il s’est référé lui avaient été fournis par son avocat, et nombre de ces documents n’avaient jamais été auparavant cités par lui dans ses propres publications. La Cour a donc trouvé que la documentation de base sur l’hématologie fournie par le Dr Hirsh était plus convaincante. La partie pertinente de son témoignage, qui apparaît dans son rapport d’expert, est examinée ci-après (Rapport Hirsh, paragraphes 17 et 54).

 

[508]       L’hémostase et la thrombose représentent les deux extrêmes d’un spectre. L’hémostase est un processus physiologique vital mis en branle pour prévenir la perte excessive de sang à la suite de la rupture d’un vaisseau sanguin. Elle sert à conserver au sang sa nature liquide tout en faisant en sorte qu’il demeure dans les vaisseaux.

 

[509]       Les plaquettes sont des cellules sanguines sans noyau qui jouent un rôle essentiel dans l’hémostase normale : elles assurent l’intégrité des vaisseaux sanguins et aident à la coagulation du sang. Elles sont présentes chez tous les mammifères, mais ont des caractéristiques propres et variables chez chaque espèce animale.

 

[510]       Les plaquettes jouent un rôle important dans la thrombose artérielle en raison de leur capacité à adhérer aux vaisseaux sanguins lésés et à s’agréger aux sièges de lésion.

 

[511]       Lorsqu’un vaisseau est lésé, le sang liquide se transforme en un thrombus solide constitué de fibrine et de cellules sanguines.

 

[512]       La thrombose artérielle est définie comme la formation d’un thrombus dans une artère. Les plaquettes constituent le facteur le plus important de la thrombose artérielle. Elles adhèrent à la paroi vasculaire lésée (adhésion), sont activées (activation) puis s’agrègent entre elles (agrégation).

 

[513]       La thrombose veineuse est définie comme la formation d’un thrombus dans une veine. Dans des circonstances normales, la circulation sanguine dans les veines de la jambe se maintient par la contraction des muscles du mollet pendant la marche et d’autres activités. La plupart des thrombus veineux se forment dans des régions où la circulation est lente lorsqu’un autre stimulus de la coagulation sanguine est présent.

 

[514]       En février 1987, on savait que, bien que les inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire puissent réduire le risque de thrombose artérielle (mais non les risques de thrombose veineuse ni les troubles dus à des circuits sanguins extracorporels), cet effet ne pouvait être dissocié d’un risque accru de saignement. Un traitement efficace doit mettre en balance l’inhibition de l’agrégation plaquettaire et le risque de saignement.

 

[515]       Outre l’information ci-dessus, un aspect critique du raisonnement valable de Sanofi était la manière dont Sanofi voyait les relations hématologiques suivantes :

§                on savait que l’ADP intervenait dans l’activation des plaquettes;

§                l’ADP est commune à toutes les espèces.

 

[516]       Le Dr Hirsh a expliqué à la Cour que l’on savait, avant la date de dépôt, que l’ADP intervenait dans l’activité des plaquettes (Hirsh, T511) :

[TRADUCTION]

 

Q.   D’accord. Et l’on savait que l’ADP intervenait dans l’activation des plaquettes?

R.    Vous voulez dire dans ce contexte ou…

Q.   Généralement.

R.    Généralement, on savait que l’ADP intervenait dans l’activation des plaquettes, oui.

 

[517]       De plus, le Dr Hirsh a confirmé que l’ADP est commun à toutes les espèces :

[traduction]

Q.      « L’ADP est un agoniste plaquettaire général qui induit la réaction de base chez toutes les espèces de mammifères étudiées à ce jour ». [Transcription de lecture]

A.      C’est exact.

Q.      Cet énoncé est vrai?

A.      Je crois que oui.

Q.      Donc, l’ADP est commun au rat, à la souris, au babouin, à l’humain?

A.      Lorsque vous dites « commun », vous voulez dire qu’il est produit par eux. Oui.

 

(Hirsh, contre-interrogatoire T705-706)

 

                 (iv)   La pharmacologie

[518]       La pharmacologie soulève les trois points suivants :

§                Question préjudicielle : la pharmacocinétique est-elle pertinente?

§                Qu’est-ce que la pharmacologie? En quoi la pharmacocinétique se rattache-t-elle à la pharmacologie?

§                Que savons-nous du métabolisme du clopidogrel et comment une personne moyennement versée dans l’art saurait-elle que le métabolisme est pertinent à l’égard du clopidogrel?

 

Question préjudicielle : la pharmacocinétique est-elle pertinente?

[519]       Durant l’instruction, un désaccord a surgi sur la question de savoir si Apotex pouvait soulever la question du « métabolisme » auprès de ses témoins experts.

 

[520]       Un point critique est apparu durant l’instruction lorsque le Dr Maffrand, un chef de file de Sanofi à la date du brevet 777, a reconnu en contre-interrogatoire que les questions de métabolisme étaient importantes pour le brevet 777. Le Dr Maffrand savait en effet que le métabolite primaire « majoritaire » du PCR 4099 était inactif (Maffrand, T4936). Mais, qui plus est, dans un affidavit déposé devant un tribunal australien saisi d’une affaire se rapportant au brevet 777, le Dr Maffrand écrivait qu’il n’avait aucun moyen de prédire ce que serait l’activité de l’un ou l’autre des énantiomères, ni la mesure dans laquelle l’un ou l’autre serait toléré, même s’ils pouvaient être séparés. Le Dr Maffrand a admis qu’il lui était impossible de prédire les résultats, parce qu’il ne connaissait pas la structure du métabolite actif. Autrement dit, il ne savait pas ce que serait l’interaction des métabolites et des cibles :

[TRADUCTION]

 

Q.   Vous devriez encore avoir devant vous, docteur Maffrand, l’affidavit australien. C’est un simple document, non relié.

R.   Oui... Non, j’ai dit oui...

Oui, je l’ai.

Q.   Je voudrais vous demander d’aller au paragraphe 158 de cet affidavit. On peut y lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

« Me fondant sur mes connaissances de chimiste, j’étais également conscient du risque que, même si M. Badorc était en mesure de séparer les énantiomères du PCR 4099, l’énantiomère individuel puisse redevenir le conglomérat racémique dans l’organisme. C’était parce que la présence de la fonction ester dans le PCR 4099 pouvait produire le même effet, dans l’organisme, que celui que je décrivais au paragraphe 157 ci-dessus. Je n’avais aucun moyen de prédire ce que serait l’activité de l’un ou l’autre des énantiomères, ni la mesure dans laquelle l’un ou l’autre serait toléré, même s’ils pouvaient être séparés. Il m’était impossible de prédire ces résultats, parce que je ne connaissais pas :

a) la structure du métabolite actif;

b) les récepteurs cibles effectifs, dans l’organisme, sur lesquels agissaient ces composés pour produire des activités souhaitées ou non souhaitées;

c) les interactions des métabolites et des cibles. »

Vous avez produit ce témoignage sous serment en Australie, n’est-ce pas?

R.    Oui, j’ai fait la déclaration sous serment. Je ne sais pas si...

 

(Maffrand, T4932-4933)

 

 

Q.   You should still have before you, Dr. Maffrand, the Australian affidavit. It’s a single document, not bound.

A.   I have it now.

Q.   I want to ask you to turn to paragraph 158 of this affidavit. It reads as follows: 

“I was also aware, based on my knowledge as a chemist, of the risk that even if Mr. Badorc was able to separate the enantiomers of PCR 4099, the individual enantiomer might transform back into the racemic mixture in the body. This was because the presence of the ester function in PCR 4099 could cause the same effect, in the body, as I outlined in paragraph 157 above. I had no way of predicting what the activity of either enantiomer would be, or how well tolerated either enantiomer would be, even if they could be separated. I had no ability to predict these results because I did not know:

(a) the structure of the active metabolite;

(b) the actual target receptors in the body these compounds acted on to produce desired and undesired activities; and

(c) the interactions between the metabolites and the targets.”

You gave that evidence under oath in Australia, did you?

A.       Yes, I stated this under oath. 

(Maffrand, anglais RD7535)

 

 

[521]       Le Dr Maffrand a reconnu avoir produit ce témoignage sous serment en Australie. Devant la Cour, durant l’instruction, il a paru mal à l’aise à propos de son témoignage produit en Australie, et il a finalement déclaré que [TRADUCTION] « il n’était plus d’accord avec lui-même ». Néanmoins, l’échange entre le Dr Maffrand et l’avocat d’Apotex a donné l’impression à la Cour que la question du métabolite avait son importance pour le brevet 777 et qu’elle pouvait être pertinente dans l’équation.

 

[522]       La question de la pharmacologie, et surtout celle du métabolisme, doit donc être examinée par la Cour.

 

Qu’est-ce que la pharmacologie? En quoi la pharmacocinétique se rattache-t-elle à la pharmacologie?

[523]       Le Dr Levy a donné à la Cour une idée générale de la pharmacologie, et les parties pertinentes de son rapport d’expert sont reproduites ci-après.

 

[524]       Les définitions suivantes ont été fournies :

§                La pharmacologie est l’étude des effets des agents chimiques qui ont une valeur thérapeutique ou qui peuvent avoir des effets toxiques sur les systèmes biologiques. Elle inclut les disciplines de la pharmacodynamie et de la pharmacocinétique.

 

§                La pharmacodynamie est l’étude des effets moléculaires, biochimiques et physiologiques des médicaments sur le corps, y compris leur mécanisme d’action.

 

§                La pharmacocinétique est l’étude du devenir des médicaments dans l’organisme, soit leur absorption, leur distribution, leur métabolisme et leur excrétion (ADME) et de la relation entre ces processus, d’une part, et l’évolution temporelle et l’ampleur des effets pharmacologiques, thérapeutiques et toxiques, d’autre part.

 

[525]       Il existe des processus de base permettant de contrôler l’exposition aux médicaments chez l’animal ou chez l’humain. Le Dr Hirsh, le Dr Sanders et le Dr Shebuski ont tous évoqué la pharmacologie. Cependant, le Dr Levy a expliqué à la Cour le processus qui commande l’exposition aux médicaments chez l’animal ou chez l’humain, puisque l’exposition aux médicaments déterminera leurs effets. Ce processus est appelé ADME (absorption, distribution, métabolisme et élimination).

 

[526]       D’une manière générale, l’absorption concerne le taux et la mesure de la pénétration d’un composé pharmaceutique dans l’organisme; la distribution concerne la manière dont le composé se répand ensuite dans l’organisme; le métabolisme concerne la manière dont l’organisme agit sur le composé pour modifier le composé et produire des métabolites; l’élimination concerne le taux et la mesure de l’expulsion du composé de l’organisme (Rapport Levy, paragraphes 35 à 83).

 

[527]       Le métabolisme du médicament (appelé aussi biotransformation) résulte spécifiquement des effets d’enzymes ordinairement situées dans le réticulum endoplasmique lisse des hépatocytes. Les réactions métaboliques sont variées et comprennent l’oxydation, la conjugaison, la réduction et l’hydrolyse.

 

Que savons-nous du métabolisme du clopidogrel et comment une personne moyennement versée dans l’art saurait-elle que le métabolisme est pertinent à l’égard du clopidogrel?

 

[528]       Avant de passer à l’examen de la question du métabolisme, il importe de souligner que le clopidogrel est un promédicament plutôt qu’un médicament actif.

 

[529]       Le Dr Levy et le Dr Shebuski se sont tous deux exprimés sur cet aspect. Ils ont expliqué qu’un promédicament est un produit chimique tel qu’il existe avant d’être administré. Il n’est pas actif et il requiert d’être transformé. Le promédicament sera transformé – c’est-à-dire métabolisé – lorsqu’il sera administré, et il deviendra alors actif. En fait, il deviendra un autre produit chimique.

 

[530]       Le Dr Levy a expliqué qu’il existait différents types de promédicaments. Certains sont hydrolysés chimiquement dans le tube digestif, d’autres dans la membrane gastro‑intestinale, et d’autres dans le foie. Si un médicament est instable dans le tube digestif, il devient une source de variabilité entre les individus et donc une source de variabilité. Comme le promédicament doit se transformer en autre chose, le Dr Levy a expliqué que [traduction] « nous sommes à la merci de la façon dont ce processus est touché. Lorsqu’un médicament est actif en lui‑même, nous ne sommes à la merci que de sa dissolution et de son absorption ». Par conséquent, le composé devrait être métabolisé pour agir (Levy, T2134-2137).

 

[531]       Le Dr Levy et le Dr Shebuski ont tous deux indiqué aussi que les données de certains des tableaux du brevet 777, à savoir les tableaux I et II, étaient des données ex vivo. Pour être métabolisé, le composé devra être administré dans le sang de l’animal (rongeur).

 

[532]       La relation entre pharmacocinétique et pharmacodynamique est importante pour comprendre le rôle d’un médicament et celui d’un métabolite. Essentiellement, les médicaments peuvent être répartis en trois catégories.

 

[533]       Le premier groupe comprend la plupart des médicaments. Le médicament administré produira l’effet souhaité et tous les métabolites sont simplement des moyens d’élimination. Le deuxième groupe de médicaments comprend une minorité de médicaments et produit des métabolites. Les métabolites sont actifs. Par conséquent, les métabolites agissent et le médicament agit. Finalement, dans de rares cas, il y a le troisième groupe. C’est lorsque le médicament lui-même n’agit pas et s’en remet entièrement au métabolite. Le Dr Levy a déclaré que le clopidrogrel entre dans la troisième catégorie. Sa formation de métabolites était essentielle pour une compréhension de son activité. Ce « troisième métabolite » se situe au troisième degré. Le Dr Levy a expliqué qu’il crée automatiquement un [TRADUCTION] « pare-feu infranchissable » et toute prédiction de l’animal à l’humain est donc inconnue.

 

[534]       En fonction du raisonnement, Apotex fait valoir que chacun des composés est lui-même inactif et doit être métabolisé. La conséquence de la nécessité d’avoir un métabolisme dans l’organisme est la suivante : l’activité relative des composés dépendra de la manière dont ils sont traités par l’organisme (c’est-à-dire du moment où le métabolite actif est formé, de la manière dont il est distribué). Autrement dit, l’ADME (absorption, distribution, métabolisme et élimination) devient pertinent pour ces composés et pour leur activité relative.

 

[535]       Apotex soutient donc que la prédiction se rapporte à l’activité relative des composés – l’énantiomère dextrogyre et l’énantiomère lévogyre. Par exemple, l’énantiomère dextrogyre par opposition à la combinaison, le racémique. Il s’agit de composés qui diffèrent par leur orientation spatiale et qui, sur le plan pharmaceutique, se comporteront en fonction de cette orientation spatiale liée à la prédiction d’une pharmacocinétique stéréospécifique pour différentes espèces. Le brevet 777 fournit des données sur le rat et fait la promesse, parmi les espèces, que la pharmacocinétique stéréospécifique observée chez le rat sera nécessairement observée chez l’humain. Apotex fait valoir qu’il s’agit là d’une prédiction sans substance sur la preuve et qu’il ne fait aucun doute que les composés doivent être transformés – c’est-à-dire métabolisés – pour fonctionner.

 

[536]       Apotex soutient aussi que l’activité des composés dépend de l’ADME et que, par conséquent, la valeur prédictive de l’activité dépend de la valeur prédictive de l’ADME parmi les différentes espèces. Apotex affirme d’ailleurs que l’ADME est propre à chaque espèce et que la preuve permet de conclure que la manière dont les composés sont métabolisés chez le rat n’est pas prédictive de la manière dont ils seront métabolisés chez l’humain. Il est donc difficile de prédire la puissance relative.

 

[537]       Sanofi n’a pas avancé de réel contre-argument sur cette question précise, mais elle a exprimé son désaccord et a fait valoir que les métabolites ne sont pas nécessaires pour que soient franchis les obstacles réglementaires auxquels se heurtent les nouveaux médicaments. Cependant, Sanofi a indiqué que, même si le métabolisme était pertinent, il est établi qu’un rat de laboratoire et un humain absorbent et éliminent de nombreux produits chimiques de la même manière (The Laboratory Rat, Baker, 1980 – pièce D117 H).

 

[538]       La question soulevée par l’affirmation d’Apotex est donc la suivante : en ce qui a trait à la toxicité pour l’espèce humaine, et sauf à faire des essais sur l’humain, suffit-il d’avoir fait un essai sur le rat pour connaître les diverses fonctionnalités génétiques, les structures corporelles et les enzymes?

 

[539]       Les témoins experts étaient en désaccord sur cette question, mais il importe de comprendre la prévisibilité des modèles animaux pour saisir le raisonnement. Comme la Cour l’a rappelé plus haut, il n’est pas nécessaire que le raisonnement donne lieu à une « certitude », pourvu qu’il exprime une inférence prima facie raisonnable.

 

[540]       Cependant, les arguments d’Apotex semblaient tenir davantage de la « certitude » que de l’inférence prima facie raisonnable. Au moment de produire leurs témoignages, certains témoins experts ont également perdu de vue cette distinction. Par exemple, le Dr Levy a déclaré qu’il recherchait une conclusion raisonnable, pour admettre plus tard que cela représente bien davantage qu’une inférence (Levy, contre-interrogatoire, T2200). La Cour est d’avis que, ce faisant, le Dr Levy a produit son témoignage en ayant à l’esprit un seuil plus élevé (la certitude), et non pas l’exigence légale (l’inférence prima facie).

 

[541]       La Cour estime que, au vu de la preuve, il ne fait aucun doute qu’un composé de promédicament tel que le clopidogrel doit être métabolisé. Il était donc essentiel pour les scientifiques de Sanofi de reconnaître que le métabolisme était un obstacle de taille dans le raisonnement visant à prédire que l’invention pouvait être utilisée chez l’humain.

 

[542]       En fait, dans la présente affaire, le composé clopidogrel ne pouvait être considéré isolément. Il a un historique et une origine. Comme il est expliqué ci-après, le clopidogrel faisait partie d’une ligne de composés de la thiénopyridine – la ticlopidine et le PCR 4099. Par conséquent, eu égard à la preuve produite durant l’instruction, il est opportun d’apprécier les travaux antérieurs effectués par Sanofi sur les composés de la thiénopyridine, plus particulièrement sur la ticlopidine et le PCR 4099. Sanofi appelait ces travaux les [TRADUCTION] « antécédents ». Ces travaux antérieurs sont essentiels pour savoir plus tard si l’extrapolation de l’animal à l’humain est solide. Les travaux antérieurs de Sanofi sur la ticlopidine et le PCR 4099 ne sauraient être séparés du brevet 777 et doivent être considérés.

 

(v)   Les travaux antérieurs sur les composés de la thiénopyridine

La ticlopidine

[543]       Comme il est indiqué plus haut, la ticlopidine a été découverte en 1972, introduite en France en 1978, puis introduite aux États-Unis en 1991. Les témoins experts ont confirmé que la ticlopidine a été expérimentée à la fois sur des animaux et sur des humains.

 

[544]       L’effet inhibiteur de l’agrégation de la ticlopidine a été établi dans des études ex vivo très semblables aux méthodes utilisées pour le PCR 4099 chez l’humain. Par ailleurs, l’efficacité antithrombotique de la ticlopidine a été évaluée chez l’humain à la faveur d’études dose-réponse qui avaient été menées auparavant dans des modèles animaux de thrombose (Thebault et al, « Effects of ticlopidine, a new platelet aggregation inhibitor in man » (1975) (Clin. Pharmacol. Ther. 18: 485).

 

[545]       Cependant, parce qu’on avait découvert en 1985, 1986 et 1987 que la ticlopidine avait des effets secondaires, il fallait un médicament qui puisse être administré à des doses plus faibles permettant de supprimer les effets secondaires. Il fallait un autre inhibiteur de l’agrégation plaquettaire (Hirsh, contre-interrogatoire T543).

 

[546]       D’où les travaux effectués sur le PCR 4099.

 

Le PCR 4099

[547]       Comme il est expliqué plus haut, dans les présents motifs, à propos du fondement factuel, Sanofi a mené un grand nombre d’études sur le PCR 4099. Ces études, résumées dans une pièce jointe au rapport d’expert du Dr Shebuski, constituent l’annexe B des présents motifs.

 

[548]       En outre, les scientifiques de Sanofi ont produit plusieurs brochures d’investigation sur le PCR 4099.

 

1)    Brochure d’investigation sur le PCR 4099 (mai 1986)

[549]       La brochure d’investigation du 28 mai 1986, intitulée « Investigational Brochure of PCR 4099 – an Antithrombotic Agent », précisait ceci : [TRADUCTION] « Il est généralement admis que les plaquettes jouent un rôle essentiel dans la formation de la thrombose artérielle. On a donc pensé qu’un médicament qui prévenait l’adhésion plaquettaire ou l’agrégation plaquettaire préviendrait aussi la thrombose ». Le Dr Hirsh a admis que c’était là une hypothèse de travail raisonnable.

 

2)    Brochure d’investigation sur le PCR 4099 (janvier 1987)

[550]       La brochure d’investigation de janvier 1987 présente elle aussi de l’intérêt. Elle est intitulée « Investigation Brochure of PCR 4099 – an Antithrombotic Agent », et il s’agit de la troisième édition. On peut y lire que le PCR 4099 est au moins dix (10) fois plus puissant que le composé parent, la ticlopidine. Il est beaucoup plus puissant (dix fois) que l’aspirine, tout en étant efficace aussi sur les modèles animaux sur lesquels l’aspirine elle-même est inactive.

 

Sommaire des travaux antérieurs sur les composés de thiénopyridine

[551]       En 1988, Sanofi disposait d’un important savoir interne concernant le PCR 4099. Le PCR 4099 avait été expérimenté sur des animaux et sur des humains, et il présentait un effet inhibiteur de l’agrégation élevé chez le rat (et chez le babouin). Sanofi avait aussi procédé aux mêmes essais sur les animaux avec le PCR 4099 qu’avec le clopidogrel.

 

[552]       Compte tenu de ce qui précède, la Cour se voit obligée de conclure que les travaux antérieurs effectués par Sanofi sur la ticlopidine, le PCR 4099 et le clopidogrel ont été considérables.

 

[553]       La Cour rappelle aussi que le Dr Hirsh a reconnu que la similarité des composés autorisait une extrapolation. De même, le Dr Shebuski a témoigné que les études précliniques portant sur le PCR 4099 et sur la ticlopidine qui avaient été menées sur des rats étaient très prédictives d’une efficacité clinique chez l’humain. La preuve montre que les composés avaient une structure semblable et un métabolisme semblable, et la Cour est d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art penserait que le clopidogrel présenterait le même mécanisme d’action. En contre‑interrogatoire, le Dr Hirsh s’est exprimé ainsi :

[TRADUCTION]

 

Q.      D’accord, mais ce que cet abrégé semble nous dire, c’est que le mécanisme de la ticlopidine et celui du PCR 4099 paraissent très semblables?

R.      Oui, et je m’y attendrais.

Q.      Ils étaient tous deux des thiénopyridines?

R.      Exact.

Q.      Et cela vous permet de faire une légère corrélation, ou triangulation, je ne sais lequel de ces mots est le meilleur. Si l’on constate un effet similaire dans des composés structurellement similaires, il est plus facile de faire une extrapolation?

R.      Je pense que oui.

 

(Hirsh, contre-interrogatoire, T573-574)

 

[554]       Un aspect critique du raisonnement valable de Sanofi était donc la compréhension que Sanofi avait de l’historique faisant intervenir d’autres composés à base de thiénopyridine. Cela représentait pour Sanofi des antécédents qui pouvaient être comparés et mis en contraste avec l’invention décrite dans le brevet 777.

 

[555]       Gardant cela à l’esprit, la Cour passe maintenant à la question suivante : Y avait-il un raisonnement valable dans l’extrapolation des animaux aux humains?

 

(vi)  L’extrapolation des animaux aux humains

La valeur de l’expérimentation animale

[556]       Si banal que cela puisse être pour la question de la valeur de l’expérimentation animale, la Cour observe que des millions de dollars sont dépensés par les compagnies pharmaceutiques dans la recherche utilisant des animaux. On peut dire en général que les animaux ont une certaine valeur pour la science, mais les témoins étaient quelque peu en désaccord sur le niveau de prévisibilité des modèles animaux. La question capitale n’est donc pas tant la valeur de l’expérimentation animale (ils étaient d’accord sur ce point) que son inférence pour l’humain. Il s’agit de savoir dans quelle mesure on peut ajouter foi à une extrapolation des animaux aux humains.

 

[557]       Par exemple, le Dr Levy a émis l’avis que, d’après les résultats de l’expérimentation animale pour la ticlopidine, il était raisonnable de penser que la ticlopidine avait une utilisation possible chez l’humain. Le Dr Hirsh et le Dr Sanders ont reconnu qu’une corrélation avait été établie entre les modèles humains d’une part et la ticlopidine et le PCR 4099 d’autre part. Plus spécifiquement, le Dr Shebuski a indiqué que les modèles animaux de thrombose par formation d’agrégats plaquettaires sont extrêmement utiles dans les études précliniques pour déterminer la sécurité et l’efficacité d’inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire (Paul Didisheim, « Animal models useful in the study of thrombosis and antithrombotic agents » (1972) Prog. Hemost. Thromb. 1: 165).

 

[558]       Toutefois, bien que l’expérimentation animale présente sans aucun doute de l’intérêt, les témoins experts ont fait une mise en garde contre toute extrapolation automatique. Le Dr Sanders et le Dr Rodricks étaient notamment en désaccord sur la prévisibilité de l’expérimentation animale pour l’humain concernant la toxicité, et sur la question de savoir si le test LD50 était, dans ces conditions, le bon test (tableau IV du brevet 777).

 

[559]       La preuve soumise à la Cour montre que, sur les plans expérimental et scientifique, la ticlopidine et le PCR 4099 ont été développés à l’aide de modèles animaux (en particulier le rat). Sur cette question, la Cour se réfère à l’opinion du Dr Shebuski, pour qui [TRADUCTION] « [o]n voit une corrélation comme celle que l’on voit ici avec la ticlopidine et le PCR 4099 dans ces modèles, et nous sommes très confiants que, si nous expérimentons certains nouveaux composés, comme le D-énantiomère 25990C, nous disposerons alors de données qui seront très prédictives d’une efficacité clinique future chez l’humain ». (Shebuski, T5053).

 

[560]       Comme la Cour l’a rappelé plus haut, il n’est pas nécessaire qu’un raisonnement donne lieu à une « certitude », pour autant qu’il exprime une inférence prima facie raisonnable.

 

[561]       La Cour reconnaît donc avec Sanofi que des antécédents reflétant une perspective historique sur des événements avaient été établis. La ticlopidine et le PCR 4099 avaient montré efficacité et sécurité chez le rat. Les modèles animaux utilisés par Sanofi avaient servi à expérimenter deux composés similaires, la ticlopidine et le PCR 4099, avant 1988. Ces deux composés étaient actifs à la fois chez l’animal et chez l’humain. Nombre des mêmes essais ont été utilisés pour le PCR 4099 et le clopidogrel. Compte tenu de cette corrélation observée, il était raisonnable de penser que, puisque le clopidogrel était actif dans les mêmes modèles animaux, il le serait aussi chez l’humain. Il était donc raisonnable d’inférer, au vu des antécédents, que les modèles animaux étaient prédictifs et que la corrélation avait été établie avant 1988. On pouvait dès lors conclure que les essais faits sur des rongeurs offriraient un raisonnement valable qui autoriserait une extrapolation à l’humain (arrêt Lundbeck Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2010 CAF 320, 88 CPR (4th) 325). L’arrêt Lundbeck ne concernait pas un brevet de sélection comme l’a fait valoir Apotex, mais la Cour est néanmoins d’avis que les principes généraux exposés dans ce précédent s’appliquent à la présente affaire.

 

(vii)    Conclusion sur le raisonnement

[562]       S’appuyant sur son examen de la preuve, la Cour conclut que la compréhension qu’avait Sanofi des éléments suivants était un élément prépondérant de son raisonnement valable :

§                stéréochimie : la structure du bisulfate de clopidogrel et sa relation stéréochimique avec les composés qui avaient été précédemment synthétisés et mis à l’essai par Sanofi, y compris le PCR 4099 et la ticlopidine;

§                toxicologie : la possibilité d’utiliser des épreuves de toxicité précliniques pour prédire la toxicité clinique (la relation toxicologique);

§                hématologie : l’ADP est commun à toutes les espèces, et son rôle dans l’activation des plaquettes était connu;

§                métabolisme : le clopidogrel comme « promédicament »;

§                les travaux antérieurs sur les thiénopyridines : les antécédents;

§                extrapolation : les rongeurs sont un bon modèle pour l’extrapolation chez l’humain.

 

[563]       Eu égard à la preuve examinée plus haut, qui montre que la ticlopidine et le PCR 4099 étaient actifs chez l’animal comme chez l’humain, la Cour arrive à la conclusion que Sanofi a établi des « antécédents », qui constituaient, pour leur part, un raisonnement valable permettant de prédire que le clopidogrel avait des propriétés inhibitrices de l’agrégation plaquettaire. Ces propriétés n’étaient pas présentes dans l’autre énantiomère, et le clopidogrel était mieux toléré et moins toxique que l’autre énantiomère et racémate et, en outre, le L-clopidogrel n’était pas actif.

 

e)    La divulgation

(i)    La contrepartie – les principes

[564]       Dans la décision Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, 63 CPR (4th) 406, [la décision Raloxifène], le juge Hughes a mis en relief l’importance du principe de divulgation pour une prédiction valable :

[163]  Cependant le troisième critère est celui de la divulgation. Il est clair que le brevet 356 ne divulgue pas l’étude décrite dans le sommaire de Hong Kong. Le brevet ne divulgue pas plus de choses que l’article Jordan. La personne versée dans l’art n’a obtenu, au moyen de la divulgation, rien de plus que ce qu’elle avait déjà. Aucun « prix » n’a été payé pour le monopole demandé. Par conséquent, étant donné l’absence de divulgation, il n’y avait pas de prédiction valable.

 

[164]  Eli Lilly fait valoir qu’une telle divulgation n’est pas nécessaire. Premièrement, elle fait valoir que le sommaire de Hong Kong était déjà connu du public lorsque le dépôt a été effectué au Canada et qu’il s’agissait d’une divulgation suffisante pour satisfaire au troisième élément des conditions préconisées dans l’arrêt AZT, précité. Je ne suis pas d’accord. Une lecture réfléchie du paragraphe 70 de l’arrêt AZT, précité, nous amène à conclure que la divulgation doit figurer dans le brevet, et non ailleurs. On ne devrait pas laisser le public dépouiller les articles publiés partout au monde dans l’espoir de trouver quelque chose de plus en vue de compléter la divulgation qui est faite dans le brevet. Comme la Cour suprême l’a dit au paragraphe 70 de l’arrêt AZT, précité, la divulgation est la contrepartie offerte pour le monopole. Cette divulgation doit figurer dans le brevet.

[Non souligné dans l’original.]

 

[565]       En appel, la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 97, 78 CPR (4th) 388 [l’arrêt Raloxifène], donnait d’autres précisions sur le principe de divulgation :

[13]  L’importance de l’obligation de divulgation lors d’une demande de brevet a été soulignée par la Cour suprême du Canada à plusieurs reprises au cours des dernières années (Pioneer Hi Bred Ltd. c. Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 R.C.S. 1623, paragraphe 23; Cadbury Schweppes Inc. c. FBI Foods Ltd., [1999] 1 R.C.S. 142, paragraphe 46; Free World Trust c. Électro Santé Inc. 2000 CSC 66, [2000] 2 R.C.S. 1024, paragraphe 13; Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, paragraphe 37 (communément appelé l’arrêt AZT et désigné ainsi ci‑après).

 

[14]  L’arrêt AZT de la Cour suprême est particulièrement important à l’égard de l’issue du présent appel. Selon l’arrêt AZT, les exigences de la règle de la prédiction valable sont au nombre de trois : la prédiction doit avoir un fondement factuel; à la date de la demande de brevet, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et valable qui permette d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité; et, enfin, il doit y avoir une divulgation suffisante (arrêt AZT, précité, paragraphe 70). Comme il a été dit dans l’arrêt : « la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet ». Dans les décisions en matière de prédiction valable, l’obligation de divulguer les faits sous-jacents et le raisonnement est plus élevée pour les inventions contenant la prédiction.

 

[15]  En toute déférence, j’estime que le juge de la Cour fédérale s’est fondé sur le principe approprié lorsqu’il a conclu, en s’appuyant sur l’arrêt AZT, que lorsqu’un brevet est fondé sur une prédiction valable, la divulgation doit inclure la prédiction.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[566]       On s’est demandé, au cours des plaidoiries, si les prononcés du juge Hughes, dans la décision Raloxifène, à propos de l’importance du principe de divulgation pour une prédiction valable, avaient depuis été infirmés par la Cour d’appel fédérale, ou s’ils étaient encore valides en droit.

 

[567]       Dans l’arrêt Novopharm Ltd c Eli Lilly and Co, 2011 CAF 220, 94 CPR (4th) 95, [l’arrêt Novopharm], rendu après la fin de l’instruction dans la présente affaire, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’analyse du juge Hughes, dans la décision Raloxifène, à propos de l’importance du principe de divulgation pour une prédiction valable, demeurait valide en droit. Le juge Evans s’exprimait ainsi, aux paragraphes 46 à 51 :

(v)    Prédiction de l’utilité et obligation de divulguer

[46] Après avoir conclu que Teva avait démontré que l’atomoxetine n’est pas utile parce qu’il n’avait pas été prouvé qu’elle constitue un traitement efficace du THADA, le juge a considéré la question de savoir si une personne versée dans l’art serait en mesure de prédire valablement l’utilité revendiquée. Il a fait valoir que Lilly ne pouvait pas s’appuyer sur le principe de la prédiction valable parce qu’elle n’avait pas divulgué dans le brevet l’étude du MGH qui constituait le fondement factuel de la prédiction.

[47] Lilly fait valoir que ni la Loi sur les brevets, ni la jurisprudence de la Cour suprême n’exigent une telle divulgation dans le brevet comme condition nécessaire pour invoquer avec succès la prédiction valable comme fondement de l’utilité de l’invention revendiquée. Cependant, bien que le juge Binnie n’ait peut-être pas tranché cette question de manière définitive dans l’arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 2002 CSC 77, [2002] 4 R.C.S. 153, au par. 70, il a été décidé en Cour fédérale, et confirmé par notre Cour, qu’un breveté doit divulguer dans le brevet une étude qui fournit un fondement factuel à la prédiction valable : Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 C.P.R. (4th) 406, confirmée par 2009 CAF 97, 78 C.P.R. (4th) 388 (Eli Lilly Canada).

[48] L’avocat a fait valoir que Lilly avait déposé une demande internationale pour le brevet 735. Il s’est appuyé sur le paragraphe 27(4) du Traité de coopération en matière de brevets, 1970, 28 U.F.T 7647 (Traité), qui prévoit, en ce qui concerne les exigences de forme ou de contenu des demandes nationales, que le déposant peut demander que les exigences pertinentes du Traité et du règlement d’exécution soient appliquées à la demande internationale.

[49] J’estime que cet argument n’est d’aucune aide pour Lilly. Le paragraphe 27(5) du Traité prévoit que rien dans le Traité ou dans le règlement d’exécution ne peut être compris comme pouvant limiter la liberté d’un État contractant de prescrire toutes conditions matérielles de brevetabilité qu’il désire. Se prononçant au nom de notre Cour dans Eli Lilly Canada, le juge Noël a déclaré (au par. 19) :

L’appelante affirme également que le fait d’exiger la divulgation complète du fondement factuel de la prédiction valable est incompatible avec le Traité de coopération en matière de brevets […] Toutefois, ce Traité indique précisément que la législation nationale a primauté en matière d’établissement des règles régissant les conditions matérielles de brevetabilité (voir le paragraphe 27(5) du Traité). Ce sont les conditions matérielles de brevetabilité qui nous intéressent en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[50] Je ne vois aucune raison en l’espèce de ne pas suivre la pratique normale de notre Cour, qui consiste à suivre ses propres décisions. La décision de la Cour dans Eli Lilly Canada était loin d’être « manifestement erronée », dans l’un quelconque des sens envisagés dans Miller c. Canada (Procureur général), 2002 CAF 370, 220 D.L.R. (4th) 149, au par. 10. Au vu de sa décision sur l’applicabilité du paragraphe 27(5), le fait que le juge Noël ne se soit pas référé au paragraphe 27(4) dans ses motifs n’est pas pertinent.

[51] De fait, si la divulgation du fondement factuel de la prédiction d’utilité dans le brevet n’était pas nécessaire pour la prédiction valable, il serait difficile de déterminer ce que Lilly pourrait avoir donné au public en échange du monopole qu’elle n’avait pas déjà donné. Quand l’utilité est fondée sur la prédiction valable, la divulgation de son fondement factuel touche à l’essence du marché conclu avec le public, qui sous-tend la brevetabilité.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[568]       La Cour passe maintenant à la divulgation.

 

(ii)   Le fondement factuel

[569]       Sanofi affirme que le fondement factuel, divulgué dans le brevet 777, est le fait que le clopidogrel inhibe l’agrégation plaquettaire. Sanofi affirme que ce fait a été établi dans les études pharmacologiques exposées dans le brevet 777, notamment les passages suivants :

[TRADUCTION]

§                Une description sera maintenant donnée des résultats de cette étude, qui démontre un autre avantage de l’invention, […] (page 12)

 

§                Ils démontrent que l’isomère lévogyre est inactif et que l’isomère dextrogyre est au moins aussi actif que le racémate. (page 13)

 

§                Les résultats présentés dans le tableau II démontrent encore une fois que seul l’isomère dextrogyre est actif, alors que les sels ont une activité comparable. (page 15)

 

§                Les résultats qui figurent au tableau III montrent que l’isomère lévogyre est inactif dans cet essai, contrairement à l’isomère dextrogyre et au racémate. (page 17)

 

§                [C]es résultats montrent, d’une part, que la toxicité du conglomérat racémique est semblable à celle de l’isomère lévogyre, tandis que l’isomère dextrogyre est nettement moins toxique, et, d’autre part, que la toxicité dépend de la nature de l’acide utilisée pour former le sel. (page 18)

 

§                L’étude pharmacologique qui vient d’être présentée a démontré les intéressantes propriétés du composé Id, quant à l’inhibition de l’agrégation plaquettaire, et l’absence de toute activité de son isomère Il. (page 20)

 

[570]       Cependant, la Cour est d’avis que, après lecture du brevet 777, celui-ci ne dit pas à la personne moyennement versée dans l’art qu’il y avait un fondement factuel et un raisonnement pour la prédiction selon lequel les études animales menées sur des rats pouvaient déboucher sur la prédiction selon laquelle le composé – le clopidogrel – avait une utilisation chez l’humain. La divulgation du brevet 777 est insuffisante.

 

(iii)  La divulgation insuffisante – l’absence d’éléments essentiels du fondement factuel

 

[571]       La Cour est d’avis que le brevet 777 ne divulgue pas suffisamment le fondement factuel ni un raisonnement valable, pour les raisons suivantes :

§                il n’y a aucune référence aux travaux effectués sur la ticlopidine;

§                il n’y a aucune référence aux travaux effectués sur le PCR 4099;

§                il n’y a aucune référence aux modèles animaux multiples utilisés;

§                il n’y a aucune référence à la connaissance de convulsions;

§                il n’y a aucune reconnaissance de l’importance du métabolisme.

 

[572]       Les essais divulgués dans le brevet 777 concernent une seule souche animale, d’un seul genre (femelle), n’utilisant qu’un seul point temporel. Il n’y avait aucune divulgation du fondement factuel ni du raisonnement pour la prédiction. Il n’y avait rien qui permettait à la personne moyennement versée dans l’art de faire « le saut » et de prédire une utilisation chez l’humain.

 

[573]       Les antécédents sont essentiels pour aider la personne moyennement versée dans l’art à faire le saut et prédire une utilisation du composé chez l’humain, mais ils sont absents du brevet 777.

 

1.       L’information manquante

(a)   Aucune référence aux travaux effectués sur la ticlopidine

[574]       Les travaux effectués sur la ticlopidine, un volet des antécédents, faisaient partie de l’information et de l’avantage connus des scientifiques de Sanofi. Ces travaux guideraient plus tard les travaux sur le PCR 4099, lesquels à leur tour conduiraient finalement à des travaux sur le clopidogrel. Les résultats de la ticlopidine – ou l’exemple montrant que l’énantiomère dextrogyre était trente (30) fois plus puissant que la ticlopidine – sont absents du brevet 777. Il n’est tout simplement pas fait état de la ticlopidine dans le brevet 777. On ne voit donc nulle part une prise en compte des résultats de la ticlopidine dans le brevet 777 en ce qui concerne l’activité (Shebuski, contre-interrogatoire, T5278-5282).

 

(b)   Aucune référence aux travaux effectués sur le PCR 4099

[575]       Le PCR 4099 était un nouvel agent inhibiteur de l’agrégation dérivé de la ticlopidine.

 

[576]       La Cour relève que, bien qu’il soit vrai que le PCR 4099 a été publié dans divers abrégés (discutés plus loin dans les sections de la présente décision qui concernent l’antériorité et l’évidence), ses propriétés ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes. Les circonstances sont semblables à celles de la décision Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, [2008] ACF n° 171, où des études appelées [TRADUCTION] « études de Hong Kong » étaient absentes du brevet. Le juge Hughes écrivait ceci : « On ne devrait pas laisser le public dépouiller les articles publiés partout au monde ». Il n’en va pas différemment dans la présente affaire pour autant que soit concerné le PCR 4099.

 

[577]       Plus précisément, un certain nombre d’éléments d’information pertinents concernant le PCR 4099, qui permettraient à la personne versée dans l’art de comprendre la progression du ticlopidine vers le PCR 4099 et le clopidogrel, sont absents du brevet 777. Ainsi :

§                Le PCR 4099 est totalement inactif in vitro et l’agrégation plaquettaire est pratiquement inexistante après l’administration intraveineuse.

§                L’effet antiagrégant du PCR 4099 est associé aux plaquettes.

§                Le PCR 4099 est très puissant chez le rat contre le principal agoniste.

§                L’effet antiagrégant chez le babouin.

§                Les trois modèles de thrombose utilisés avec le PCR 4099 : i) le modèle de shunt artéroveineux, ii) le modèle de fil métallique et iii) le modèle de thrombose induite par la stase.

§                L’activité du PCR 4099 pourrait être médiée par un métabolite, mais, pour l’heure, aucun métabolite actif n’a été identifié.

§                La toxicité aiguë du PCR 4099 a été évaluée chez deux espèces de rongeurs : le rat et la souris.

§                Une différence liée au sexe a été observée chez les rongeurs qui ont reçu le composé par voie orale.

§                Des études de toxicité à long terme après une administration par voie orale ont été réalisées chez le rat et le babouin.

 

(Hirsh, réexamen T721-728)

 

(c)     Aucune référence aux modèles animaux multiples utilisés ni à la connaissance de convulsions

 

[578]       En plus de ce qui précède, la Cour observe que la personne moyennement versée dans l’art ne saurait pas que le PCR 4099 a été expérimenté sur des babouins et des lapins. Mais, qui plus est, cette personne n’aurait aucun moyen de savoir que les convulsions constatées chez les babouins avaient, semble-t-il, été à l’origine de la décision d’interrompre les travaux sur le PCR 4099 et de poursuivre la séparation des énantiomères. Cette connaissance était privée. Elle n’était pas publique. La personne moyennement versée dans l’art n’aurait aucune raison de savoir que le PCR 4099 pose un problème de toxicité différentielle. En fait, les abrégés eux-mêmes relatifs au PCR 4099 indiquent que le racémate ne pose aucun problème. Ainsi, la personne moyennement versée dans l’art ne serait pas en mesure de déduire que, sachant que le L-énantiomère était toxique, la toxicité constatée dans l’étude d’une année sur les babouins était vraisemblablement due au L-énantiomère, qui représente 50 p. 100 du PCR 4099.

 

[579]       Sur ce point, la Cour rappelle que la « note Simon » du 16 avril 1987, envoyée par M. Pierre Simon, directeur de la recherche-développement à la Division de la recherche de Sanofi, mentionne que les études menées sur le PCR 4099 seront interrompues, apparemment à cause des convulsions observées. On peut alors s’interroger : si la question des convulsions était importante au point qu’il soit mis fin, si tard et après un investissement considérable de Sanofi, aux études portant sur le PCR 4099, ne serait-il pas important pour le lecteur de savoir que le PCR 4099 présentait un risque important de toxicité? Cette information n’apparaît pas dans le brevet 777.

 

(d)     Aucune reconnaissance de l’importance du métabolisme

 

[580]       La personne moyennement versée dans l’art lisant le brevet 777 saurait que le clopidogrel est un promédicament, et elle comprendrait donc l’importance du métabolisme et du [TRADUCTION] « pare‑feu infranchissable » évoqué par le Dr Levy. De même, le Dr Maffrand, qui a compris le rôle vital joué par le métabolite, a confirmé son importance. Or, nulle part dans le brevet 777 n’est-il question de métabolite. Il eût fallu aborder la question pour divulguer cet obstacle et permettre à la personne moyennement versée dans l’art de faire le saut.

 

2.         La divulgation : une référence dans le brevet 777

[581]       Dans sa plaidoirie finale, Sanofi a soutenu qu’il y avait, dans le brevet 777, une référence à la ticlopidine et au PCR 4099. Plus précisément, Sanofi affirmait que le brevet 777 se référait au document Kumada et que la ticlopidine était l’un des composés étudiés dans ce document. Par conséquent, pour Sanofi, la mention du test Kumada signifie qu’il s’agissait d’un test qui était mesuré sur la ticlopidine. En outre, Sanofi soutient que le brevet 777 faisait référence au PCR 4099. Sanofi a aussi invoqué la page 1 du brevet 777 et prétendu qu’elle se rapportait au brevet français du racémate, c’est-à-dire à la demande française 2530247.

 

[582]       La Cour ne peut souscrire sur ce point aux prétentions de Sanofi. L’argument de Sanofi étire la référence à la ticlopidine dans le brevet 777, ce qui implique une dilution de l’obligation de divulgation. Si un élément est essentiel – et la Cour croit que le fait de passer de la ticlopidine au PCR 4099, et finalement au brevet 777, est essentiel – cet élément devrait figurer dans le brevet lui‑même, et non un peu plus loin dans une référence à un autre document (Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2008 CF 142, [2008] ACF n° 171; Eli Lilly Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 97, [2009] ACF n° 404). Cette question a été examinée récemment par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Apotex Inc c Pfizer Canada Inc, 2011 CAF 236, [2011] ACF n° 1234, aux paragraphes 43 et 44, où l’importance, dans le droit des brevets, du compromis inhérent à l’obligation de divulgation était ainsi soulignée :

[43]  Lors de l’audience, l’avocat de Pfizer a soutenu que le raisonnement se trouvait dans les études dont la liste se trouve à la section des « Références » du brevet (Brevet 132, aux pages 30 et 31). Pfizer a également fait valoir qu’il serait possible pour la personne versée dans l’art d’inférer, en tenant compte de l’état global de l’art antérieur, que la prise de doses multiples de latanaprost donnerait le même résultat que ceux figurant dans les études à dose unique.

 

[44]  Cette prétention semble incompatible avec la notion de divulgation appartenant au droit des brevets. Dans Wellcome AZT, le juge Binnie a déclaré que si la preuve de l’utilité n’est pas faite à la date de dépôt, la prédiction valable est, jusqu’à un certain point, la contrepartie que le demandeur offre pour le monopole conféré par le brevet (Welcome AZT, au paragraphe 70). Vu que la demanderesse est la partie qui bénéficiera du monopole, je suis d’avis qu’elle est la seule, et non les auteurs ou les inventeurs des réalisations antérieures, à pouvoir s’acquitter de l’obligation de divulgation qui lui incombe. En outre, notre Cour a jugé dans Eli Lilly Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 97, au paragraphe 17, qu’un brevet dont la divulgation n’offre pas davantage que ce qui était connu dans l’art antérieur ne fournit pas de fondement valable à la prédiction.

 

[583]       La Cour ne peut donc prendre en compte une divulgation, en particulier une référence au brevet, qui ne satisfait pas à la contrepartie naturelle de l’obligation de divulgation imposée par le droit des brevets.

 

(4)   Conclusion sur la divulgation

[584]       En conclusion, quant à la divulgation, la Cour estime qu’il y a divulgation insuffisante dans le brevet 777, parce que celui‑ci ne divulgue pas les faits sous-jacents (par exemple les travaux menés sur les thiénopyridines et le PCR 4099) ni un raisonnement valable (par exemple la ticlopidine, PCR 4099, convulsions, métabolisme). Le fondement factuel sous-jacent et le raisonnement sur lequel reposait la prétendue prédiction de l’inventeur n’ont donc pas été divulgués.

 

F.         Conclusion sur la prédiction valable

[585]       Apotex a persuadé la Cour que, selon la prépondérance des probabilités, la divulgation du brevet 777 était insuffisante. Pour ce motif, les revendications du brevet 777 sont déclarées invalides pour absence de prédiction valable. En effet, « […] il serait difficile de déterminer ce que [Sanofi] pourrait avoir donné au public en échange du monopole qu’elle n’avait pas déjà donné […] » (arrêt Novopharm, précité, paragraphe 51).

 

[586]       Vu cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres motifs d’invalidité, mais la Cour exposera néanmoins ses vues sur le reste des arguments avancés par Apotex, dans l’espoir qu’elles seront utiles.

 

VIII     L’évidence

A.        Les principes généraux

[587]       La position générale de Sanofi sur l’évidence peut être résumée ainsi : il est admis par les témoins des deux parties qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de prédire les propriétés du clopidogrel avant que le racémate, le PCR 4099, n’ait d’abord été séparé et que ses énantiomères, dont l’un est le clopidogrel, n’aient été expérimentés. Par ailleurs, le clopidogrel présente des avantages manifestes inattendus sur les autres membres du genre, avantages qui appuient clairement la brevetabilité de cette invention de sélection.

 

[588]       Quant à Apotex, elle soutient que l’invention décrite dans le brevet 777 était évidente.

 

[589]       Dans l’arrêt Plavix, la Cour suprême du Canada exposait une approche en quatre étapes pour l’appréciation de l’évidence, aux paragraphes 67 à 69 :

[67]  […]

[TRADUCTION]

(1)   a) Identifier la « personne versée dans l’art ».

  b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous‑tend la revendication ou son interprétation;

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [...]

La question de l’« essai allant de soi » se pose à la quatrième étape de la démarche établie dans les arrêts Windsurfing et Pozzoli pour statuer sur l’évidence.

i. Dans quels cas la notion d’« essai allant de soi » est‑elle pertinente?

[68]  Dans les domaines d’activité où les progrès sont souvent le fruit de l’expérimentation, le recours à la notion d’« essai allant de soi » pourrait être indiqué. Dans ces domaines, de nombreuses variables interdépendantes peuvent se prêter à l’expérimentation. Par exemple, certaines inventions du secteur pharmaceutique pourraient justifier son application étant donné l’existence possible de nombreuses compositions chimiques semblables pouvant donner lieu à des réponses biologiques différentes et être porteuses de progrès thérapeutiques notables.

ii. « Essai allant de soi » : éléments à considérer

[69]  Lorsque l’application du critère de l’« essai allant de soi » est justifiée, les éléments énumérés ci‑après doivent être pris en compte à la quatrième étape de l’examen de l’évidence. Tout comme ceux pertinents pour l’antériorité, ils ne sont pas exhaustifs et s’appliquent selon la preuve offerte dans le cas considéré.

1. Est‑il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux?  Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes versées dans l’art?

2. Quels efforts — leur nature et leur ampleur — sont requis pour réaliser l’invention?  Les essais sont‑ils courants ou l’expérimentation est‑elle longue et ardue de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

3. L’antériorité fournit‑elle un motif de rechercher la solution au problème qui sous‑tend le brevet?

 

[590]       La Cour suprême du Canada donnait aussi les indications additionnelles suivantes pour l’évaluation de l’évidence, aux paragraphes 70 et 71 :

[70]  Les mesures concrètes ayant mené à l’invention peuvent constituer un autre facteur important.  Il est vrai que l’évidence tient en grande partie à la manière dont l’homme du métier aurait agi à la lumière de l’antériorité. Mais on ne saurait pour autant écarter l’historique de l’invention, spécialement lorsque les connaissances des personnes qui sont à l’origine de la découverte sont au moins égales à celles de la personne versée dans l’art.

[71]  Par exemple, le fait pour l’inventeur et les membres de son équipe de parvenir à l’invention rapidement, facilement, directement et à relativement peu de frais, compte tenu de l’antériorité et des connaissances générales courantes, pourrait étayer une conclusion d’évidence, sauf lorsque leurs efforts et leurs connaissances se sont révélés plus grands que ceux attribués à la personne versée dans l’art. Leur démarche tendrait à indiquer qu’une personne versée dans l’art, grâce à ses connaissances générales courantes et à l’antériorité aurait agi de même et serait arrivée au même résultat. Par contre, lorsque temps, fonds et efforts ont été consacrés à la recherche ayant finalement mené à l’invention, et ce, avant que l’inventeur ne se mette à la recherche de l’invention ou qu’on ne lui enjoigne de le faire, y compris les démarches qui se sont révélées vaines et inutiles, une conclusion de non‑évidence pourrait être fondée. On pourrait en déduire que la personne versée dans l’art n’aurait pas fait mieux en s’appuyant sur ses connaissances générales courantes et sur l’antériorité. En fait, lorsque les intéressés, y compris l’inventeur et les membres de son équipe, avaient de grandes compétences dans le domaine technique en cause, la preuve pourrait indiquer que la personne versée dans l’art aurait obtenu des résultats bien pires et ne serait vraisemblablement pas parvenue à l’invention. Il ne lui aurait pas paru évident d’emprunter le parcours ayant mené à l’invention.

 

B.         La date de l’invention

[591]       La Cour observe que, pour l’appréciation de l’évidence aux termes de l’ancienne Loi, la date à retenir est la date de l’invention (Xerox of Canada Ltd et al c IBM Canada Ltd (1977), 33 CPR (2nd) 24 (CF 1re inst); arrêt Plavix, au paragraphe 52). Il appartient à la Cour de déterminer la date de l’invention.

 

[592]       Comme il est indiqué dans la section I, il n’y a dans le brevet 777 qu’une seule invention, et l’invention se rapporte aux sels ainsi qu’à leurs avantages. La Cour rappelle qu’il n’y a aucun désaccord entre Apotex et Sanofi sur l’idée originale du brevet 777.

 

[593]       La Cour rappelle aussi que l’idée originale du brevet 777 était décrite ainsi, au paragraphe 78 de l’arrêt Plavix :

[78]  En l’espèce, il est clair que l’idée originale à la base des revendications du brevet 777 est un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir.

 

[594]       Cependant, les parties sont en désaccord sur la date de l’invention.

 

[595]       Sanofi allègue deux dates possibles d’invention. La première, avril 1986, correspond à la date à laquelle M. Badorc est parvenu à résoudre le PCR 4099. La deuxième, décembre 1986, est la date à laquelle le Dr Fréhel a rédigé une première ébauche manuscrite de la revendication de priorité pour le brevet 777.

 

[596]       Apotex, pour sa part, affirme que la date de l’invention se situe entre mai 1987 et novembre 1987, car les propriétés des sels ont été établies durant cette période.

 

[597]       Après examen de la preuve, la Cour ne peut souscrire à aucune des deux dates avancées par Sanofi, parce que ni la première, avril 1986, ni la deuxième, décembre 1986, ne font référence aux sels, lesquels faisaient partie intégrante de l’invention décrite dans le brevet 777. Il est vrai que la date d’avril 1986 correspond à la date à laquelle le PCR 4099 fut résolu la première fois, mais les propriétés des sels à cette date devaient encore être établies. En ce qui a trait à la date de décembre 1986, elle trouve appui dans un document manuscrit qui parle de tolérabilité. Dans ce document, le Dr Fréhel écrit qu’il a été découvert inopinément que l’énantiomère dextrogyre présente l’activité d’inhibition de l’agrégation plaquettaire et que l’énantiomère lévogyre est inactif. En outre, l’énantiomère lévogyre, qui est l’énantiomère inactif, est le moins bien toléré des deux énantiomères. Cependant, là encore, le document ne parle pas de sels.

 

[598]       La Cour fait remarquer que la date de découverte de l’invention est la date à laquelle l’inventeur peut établir qu’il a formulé l’invention pour la première fois. Ce principe a été énoncé dans l’arrêt Rice c Christiani & Nielson, [1930] RCS 443, dans l’interprétation que faisait le juge Rinfret de l’arrêt du Conseil privé, Canadian General Electric Co v Fada Radio Ltd, [1930] AC 97, 47 RPC 69, [1930] 1 DLR 449 :

[TRADUCTION]

 

[...] la date de découverte de l’invention est réputée être la date à laquelle l’inventeur peut établir qu’il a formulé pour la première fois, oralement ou par écrit, une description qui offre le moyen de fabriquer ce qui est inventé. Une divulgation au public n’est pas nécessaire. Si l’inventeur souhaite obtenir un brevet, il devra donner la contrepartie au public; mais, s’il ne souhaite pas obtenir un brevet et s’il ne présente aucune demande de brevet, il courra le risque de ne jouir d’aucun monopole, mais néanmoins, s’il a communiqué son invention à [TRADUCTION] « autrui », il sera le premier et véritable inventeur aux yeux du droit canadien des brevets tel qu’il existe aujourd’hui, de telle sorte que toute autre personne sera empêchée d’obtenir un brevet canadien portant sur la même invention.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[599]       À ce titre, sans les sels, il est impossible de dire que l’invention a été présentée sous une forme certaine et pratique. Ni la date d’avril 1986 ni celle de décembre 1986 ne peuvent donc être la date de l’invention. La preuve montre que les propriétés des sels ont été établies entre mai 1987 et novembre 1987. Après examen de la preuve, la Cour reconnaît donc avec Apotex que la date de l’invention doit être le 6 novembre 1987.

 

[600]       La Cour examinera donc la question de l’évidence au 6 novembre 1987, date de l’invention.

 

C.        Les connaissances générales courantes

[601]       La Cour doit maintenant déterminer les connaissances générales communes au 6 novembre 1987.

 

[602]       Il convient de considérer ici les éléments suivants pour circonscrire les connaissances générales courantes :

1.       l’état de la science en 1987

2.       le brevet 875

3.       les abrégés et affiches lors des conférences de 1985 et de 1986

4.       la Politique de 1987 de la FDA

5.       l’article Ariëns

6.       le PCR 4099

 

 

[603]       L’état antérieur de la science est-il recevable pour les connaissances générales courantes? Pour être recevable, l’état antérieur de la science doit avoir été publiquement disponible à la date de l’invention – c’est-à-dire au 6 novembre 1987 – et il doit aussi pouvoir être localisé au moyen de recherches raisonnablement diligentes. C’est à la partie qui invoque l’état antérieur de la science, en l’occurrence à Apotex, qu’il appartient d’établir que l’état antérieur de la science pouvait être trouvé au moyen de recherches raisonnablement diligentes (Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, 2006 CF 1234, 57 CPR (4th) 6).

 

[604]       La Cour fait aussi observer que les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède la personne moyennement versée dans l’art (Eli Lilly & Co c Apotex Inc, précité, aux paragraphes 95 à 100).

 

(1)   L’état antérieur de la science

[605]       La preuve a démontré que, en 1987, un meilleur inhibiteur de l’agrégation plaquettaire était cliniquement nécessaire. Les seuls médicaments du genre qui existaient en 1987 étaient l’aspirine et la dipyridamole. À l’époque, Sanofi avait divulgué la ticlopidine, qui fait partie de la famille des composés de thiénopyridine.

 

[606]       Dans son exposé introductif, Apotex a donné des indications utiles sur ce en quoi consistait l’état de la science. De l’avis de la Cour, plusieurs aspects évoqués par Apotex devraient être considérés comme faisant partie de l’état de la science.

 

[607]       En termes généraux, l’état de la technique comprend les concepts suivants :

§                l’hémostase (y compris la fonction des plaquettes);

§                les principes de stéréochimie;

§                la pharmacologie et la pharmacocinétique des médicaments chiraux;

§                les essais pharmacologiques et toxicologiques précliniques et leurs limites;

§                les méthodes de fabrication de composés homochiraux;

§                la fabrication de sels d’addition d’acides utiles dans les études de préformulation;

§                la formulation de composés destinés à l’humain.

 

(2)   Le brevet 875

[608]       Sanofi concède que le brevet 875 faisait partie des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art. Le Dr Byrn a témoigné en ce sens.

 

[609]       Cependant, Sanofi fait valoir que le brevet 875 ne divulgue pas explicitement, ni n’explique (i) l’hydrogéno-sulfate de clopidogrel, ni la manière d’obtenir l’énantiomère dextrogyre, ni leur combinaison particulière et précieuse de propriétés, ou (ii) l’existence d’avantages associés à un énantiomère donné ou à un sel d’une forme particulière.

 

[610]       Sur ce point, Apotex soutient que le brevet 875 affirmait que ses composés, y compris le PCR 4099 et chacun de ses deux énantiomères ainsi que leurs sels acceptables sur le plan pharmaceutique (y compris le sel de bisulfate), étaient des inhibiteurs de l’agrégation/des antithrombotiques utiles présentant une excellente tolérance et une faible toxicité, ce qui les rendaient très utiles pour des applications thérapeutiques chez l’humain.

 

[611]       Il importe de rappeler que le brevet 875 concerne un genre énorme comprenant 9,5 millions de composés différents. La Cour relève notamment que le brevet 875 présentait le PCR 4099 comme le composé tête de série. Sur les nombreux composés mentionnés dans le brevet, seuls vingt et un (21) sont illustrés. Le tout premier, le dérivé 1, est le PCR 4099. Les résultats de quatre (4) essais pharmacologiques menés sur dix-sept (17) des composés exemplifiés sont donnés dans le brevet 875. Le PCR 4099 et le dérivé 10 sont les seuls composés testés dans chaque expérience. Par ailleurs, le PCR 4099 est le composé le plus puissant de chaque essai, un composé qui présente une activité plus forte à des doses moindres que les doses auxquelles les autres composés ont été expérimentés. En supposant qu’un chimiste ait choisi l’exemple 1 du brevet 875 et décidé de le séparer, étant donné que la revendication 1 du brevet 875 mentionne [TRADUCTION] « sont séparés si cela est souhaité », alors, selon la preuve produite par le Dr Byrn et le Dr Davies, il aurait été difficile de séparer le PCR 4099 sans contraintes indues. Le brevet 875 n’enseignait pas au lecteur expert la manière de le séparer ni ce que seraient les avantages de la séparation.

 

[612]       Après lecture du brevet 875, et compte tenu de la preuve, la Cour est d’avis que le brevet 875 n’annonce pas, directement ou indirectement, le PCR 4099 ni le clopidogrel.

 

[613]       Il n’est pas contesté que le PCR 4099 et le clopidogrel sont compris dans le brevet 875, mais le clopidogrel et son bisulfate ne sont pas explicitement divulgués ni revendiqués dans le brevet 875. D’ailleurs, le brevet 875 (i) n’enseigne pas la méthode permettant de séparer ou d’isoler l’énantiomère; (ii) ne donne pas d’exemples de la manière de préparer les énantiomères; (iii) ni n’enseigne que le clopidogrel sera moins toxique et mieux toléré et présentera une meilleure activité.

 

[614]       Cependant, la Cour est d’avis que le composé PCR 4099 (et non ses propriétés), le dérivé 1 du brevet 875, ferait partie des connaissances générales courantes qu’une personne moyennement versée dans l’art pourrait trouver en faisant une recherche raisonnablement diligente dans les demandes de brevet.

 

(3)   Les abrégés et les affiches à la conférence de San Diego de juillet 1985 et à la conférence de Jérusalem de juin 1986

 

[615]       Deux des abrégés et affiches de Sanofi ont été longuement débattus durant l’instruction. Il s’agit de l’abrégé de la conférence de San Diego de juillet 1985 et de l’abrégé de la conférence de Jérusalem de juin 1986.

 

[616]       Les scientifiques de Sanofi ont présenté des exposés lors de ces deux conférences, à San Diego et à Jérusalem, et ont désigné le PCR 4099 comme le composé tête de série de Sanofi. Les abrégés se rapportant au Xe Congrès international sur la thrombose et l’hémostase, tenu à San Diego, ont été publiés dans Thrombosis and Haemostasis en 1985. Les abrégés se rapportant à la réunion conjointe du Comité international de la thrombose et de l’hémostase; 32e assemblée annuelle, et à la Ligue méditerranéenne contre les maladies thromboemboliques; 9e Congrès, tenu à Jérusalem, ont été publiés dans Thrombosis Research en 1986.

 

[617]       La Cour observe que, pour être utiles à la question de l’évidence, les affiches et les abrégés doivent être des choses qui, d’après la preuve, étaient accessibles à une personne moyennement versée dans l’art ou dont on peut raisonnablement penser qu’une telle personne aurait eu connaissance en 1987 (Mahurkar c Vas-Cath of Canada Ltd (1988), 18 CPR (3d) 417 (CF 1re inst), aux pages 432 à 436, conf. par (1990), 32 CPR (3d) 409 (CAF)).

 

[618]       Le Dr Hirsh a expliqué que, en général, les scientifiques envoient un abrégé avant la tenue d’une conférence. Il s’agit de documents peu volumineux qui sont ensuite examinés et notés par un comité scientifique en prévision de la conférence en question. Les abrégés qui sont notés au-dessus d’un certain niveau minimum sont acceptés en vue d’un exposé ou en vue d’une présentation par affiches.

 

[619]       Le Dr Colman a expliqué qu’un participant à une conférence, comme les conférences de San Diego ou de Jérusalem au milieu de la décennie 1980, aurait reçu le recueil d’abrégés avant la tenue de la conférence. Les abrégés sont publiés dans un recueil, et le recueil est en général envoyé à l’avance aux délégués à la conférence et peut être acheté à la conférence. Le recueil d’abrégés contiendra un nombre important d’abrégés. À la conférence, les participants désireux d’en savoir davantage sur tel ou tel abrégé pourront assister à une présentation par affiches.

 

[620]       Durant ces conférences, des salles de conférence avaient été réservées pour les présentations par affiches. L’affiche était exposée dans une salle de conférence durant quelques jours, en général fixée à l’aide de punaises sur le mur. Elle contenait l’exposé tout entier, avec toutes les données, et la personne chargée de diriger le débat concernant l’affiche se trouvait là durant une brève période de temps (Hirsh, T555). Les affiches pouvaient être distribuées au cours de la réunion. Le Dr Colman et le Dr Hirsh ont indiqué que, à moins que les affiches ne soient distribuées aux participants durant la présentation par affiches, les participants n’en obtenaient pas une copie. Les affiches ne faisaient pas partie du recueil d’abrégés.

 

[621]       Sur cette toile de fond, la Cour rappelle qu’Apotex fait valoir que les abrégés étaient publiés dans des revues faisant autorité et qu’ils étaient couramment examinés par des personnes du métier. Sanofi est cependant d’avis que les abrégés n’étaient pas accessibles à une personne moyennement versée dans l’art.

 

[622]       Après examen de la preuve, la Cour, partageant l’avis de Sanofi, estime qu’Apotex n’a pas prouvé que les abrégés ou les affiches pouvaient être trouvés au moyen d’une recherche raisonnablement diligente.

 

[623]       En ce qui concerne les abrégés en particulier, la preuve, et notamment le témoignage du Dr Colman, n’a pas été concluante sur la question de savoir s’ils pouvaient être trouvés au cours d’une recherche ou à l’aide de mots clés à partir des index de revues à l’époque pertinente.

 

[624]       Qui plus est, la Cour rappelle que, au milieu de la décennie 1980, les recherches se faisaient dans les bibliothèques. Il n’y avait pas d’internet permettant de se renseigner instantanément par voie électronique. La preuve produite sur ce point par Apotex, fondée sur une recherche récente faite dans PubMed en 2011, bien qu’intéressante, n’a pas persuadé la Cour.

 

[625]       D’ailleurs, l’outil de recherche par internet PubMed, présenté durant l’instruction, n’existait tout simplement pas à la date pertinente. Tout au plus, Apotex a simplement établi que les revues pouvaient être trouvées à l’aide de l’internet en 2011. En outre, la présentation visuelle faite par Apotex durant l’instruction, montrant que les abrégés sont actuellement répertoriés en ligne, par mot clé, dans Science Citation Index (une version papier de Science Citation Index était un outil utilisé durant les années 80 par les chercheurs et bibliothécaires professionnels) ne convainc nullement la Cour qu’une recherche raisonnable et diligente aurait permis de trouver les abrégés à la date pertinente. Au vu de la preuve, la Cour ne partage pas l’avis des témoins experts d’Apotex pour qui les abrégés étaient connus de la personne qualifiée ou auraient été facilement localisés par la personne moyennement versée dans l’art qui se serait intéressée à l’état de la science concernant les inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire.

 

[626]       En ce qui concerne les affiches, la preuve produite par Sanofi établit clairement qu’elles n’étaient pas publiées et n’auraient pas été accessibles ni même localisées au moyen d’une recherche raisonnable et diligente. Le simple fait que des affiches concernant le PCR 4099 avaient été exposées lors des conférences de San Diego et de Jérusalem ne suffit pas à convaincre la Cour qu’elles avaient fini par devenir partie intégrante des connaissances générales courantes. D’ailleurs, comme l’écrivait la Cour dans la décision Janssen-Ortho Inc c Novopharm Ltd, au paragraphe 57 :

[57]  […] Un affichage public pendant trois heures lors d’une réunion scientifique ne signifie pas que cette affiche fait partie de la somme des antériorités qu’une personne versée dans l’art serait supposée posséder ou serait supposée acquérir elle-même au moyen de recherches raisonnablement diligentes.

 

[627]       En outre, bien que le Dr Colman et le Dr Hirsh aient témoigné que des milliers de participants, d’intellectuels, de compagnies pharmaceutiques ayant un intérêt particulier dans les inhibiteurs de l’agrégation plaquettaire, d’étudiants et de cliniciens s’intéressant à la recherche clinique avaient participé aux conférences de San Diego et de Jérusalem, il se trouve que beaucoup moins de participants avaient décidé de participer aux présentations par affiches et d’en discuter avec le représentant de Sanofi qui se trouvait là. Sanofi n’était pas la seule compagnie pharmaceutique à organiser une présentation par affiches lors de ces conférences. Beaucoup d’autres présentations par affiches avaient lieu dans bien d’autres salles de conférence. Les affiches avaient sans doute été distribuées en petits nombres, mais la preuve montre aussi qu’elles ne faisaient pas partie du recueil d’abrégés et qu’elles n’étaient pas publiées.

 

[628]       La Cour estime donc que les abrégés et les affiches de la conférence de San Diego de juillet 1985 et de la conférence de Jérusalem de juin 1986 ne font pas partie d’une somme d’antériorités qui était connue en 1987 d’une personne moyennement versée dans l’art, ou qui aurait pu raisonnablement être trouvée en 1987 par une telle personne.

 

(4)   Les directives de fabrication de 1987 de la FDA

[629]       Un autre document a été largement débattu : les Directives de fabrication de 1987 de la Food and Drug Administration, aux États-Unis (les directives de 1987 de la FDA).

 

[630]       Les directives de 1987 de la FDA précisaient que les nouveaux médicaments racémiques devraient idéalement être séparés et étudiés avant d’être présentés pour approbation et que des renseignements physiques/chimiques devraient être fournis ou pouvaient être demandés. Conformément aux directives de 1987 de la FDA, la politique officielle de la FDA sur la question des stéréo-isomères allait être établie quelques années plus tard, en 1992 – c’est-à-dire après la date pertinente. La question est la suivante : les directives de 1987 de la FDA pouvaient-elles être considérées comme ayant fait partie des connaissances générales courantes à la date de l’invention, c’est-à-dire en novembre 1987?

 

[631]       La position de Sanofi en ce qui concerne les directives de 1987 de la FDA est qu’aucun témoin n’a identifié ce document, alors qu’Apotex fait valoir que, en février 1987, la FDA avait diffusé les directives.

 

[632]       Pour autant que la Cour soit concernée, l’origine du document et l’ampleur de sa diffusion demeurent un mystère. Ni les dépositions des témoins ni la preuve connexe n’ont permis d’éclaircir ce mystère. Le Dr Wainer a même témoigné que c’étaient les avocats d’Apotex qui lui avaient remis le document (Wainer, contre-interrogatoire, T1328). Il ne savait pas d’où venait le document et il a reconnu qu’il ne venait pas d’une publication. Le Dr Wainer, qui a travaillé pour la FDA mais qui avait déjà quitté l’organisation en 1987, a confirmé qu’il ne siégeait pas au comité sur les stéréo‑isomères qui avait élaboré la politique de 1992.

 

[633]       Pour sa part, la Dre Weissinger, qui avait présidé le comité de la FDA sur les stéréo-isomères, avait rédigé la Politique de 1992 et avait occupé, dans l’organisation hiérarchique de la FDA, une position supérieure à celle du Dr Wainer. La Dre Weissinger a témoigné qu’elle n’avait vu qu’en 1989 les directives de 1987 de la FDA, après la mise sur pied du comité sur les stéréo-isomères. Elle a aussi témoigné qu’elle avait eu des échanges à propos des directives avec l’un de ses collègues, M. De Camp, lorsqu’elle siégeait au comité de la FDA sur les stéréo-isomères.

 

[634]       La Cour rappelle aussi que, en contre-interrogatoire, le Dr Davies s’est vu remettre, par l’avocat d’Apotex, une copie de la transcription du Dr Davies provenant de la procédure introduite aux États-Unis (D-190). Dans cette transcription figurait un document censé être les directives de 1987 de la FDA. On avait ainsi l’impression que les directives de 1987 de la FDA avaient sans doute été diffusées cette année-là. Cependant, la preuve établit que le document que le Dr Davies avait vu au cours de la procédure introduite aux États-Unis était un autre document contenant une pagination différente de celle des directives de 1987 de la FDA. Ce document renferme ce qui suit :

[TRADUCTION]

 

Note : Cette directive a été rédigée par le Dr Arthur Shaw, de la Food and Drug Administration, en vue d’un cours offert par le Centre de la promotion professionnelle en mars 1994. Aucun changement n’a été apporté au texte par rapport à la version imprimée de la directive. Cependant, le texte a été restructuré de manière à réduire le nombre de pages. La table des matières rend compte de la nouvelle pagination. L’ancienne pagination est indiquée dans la directive.

 

(D-190)

 

[635]       Par conséquent, le document est daté de mars 1994 et il n’était donc pas disponible avant cette date.

 

[636]       La Cour estime que la preuve se rapportant à la diffusion et à l’accessibilité des directives de 1987 de la FDA demeure non convaincante. Il subsiste une incertitude considérable concernant la diffusion des directives ainsi que la question de savoir si elles ont été publiées et, dans l’affirmative, quand elles l’ont été. Au mieux, les directives de 1987 de la FDA étaient un document interne de la FDA avant de devenir une politique en 1992. À la mise sur pied, en 1989, du comité de la FDA sur les stéréo‑isomères, le comité a commencé ses travaux, et les directives sont logiquement devenues un point de départ. Trois (3) ans plus tard, les directives de 1987 de la FDA étaient devenues la politique de 1992 de la FDA.

 

[637]       Il convient aussi de noter que les directives de 1987 de la FDA étaient également invoquées dans la décision Novo Nordisk Canada Inc c Cobalt Pharmaceuticals Inc, 2010 CF 746, 86 CPR (4th) 161. Cependant, la preuve présentée à la juge Mactavish dans cette affaire contraste vivement avec la preuve produite dans la présente affaire. Par ailleurs, la date de l’invention dans l’affaire Novo était le 21 juin 1991, une date comprise dans une période différente (et même dans une décennie différente) de celle de la présente affaire. Vu ces différences, il est difficile d’établir un parallèle avec l’affaire Novo.

 

[638]       Par conséquent, se fondant sur la preuve, la Cour conclut que le document intitulé [TRADUCTION] « directives de 1987 de la FDA » n’aurait pu être trouvé au moyen d’une recherche raisonnablement diligente et qu’il ne peut être considéré comme ayant fait partie des connaissances générales courantes en novembre 1987. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de débat à propos du changement de paradigme portant sur la manière de considérer les médicaments racémiques. Cette question sera abordée plus loin dans la présente décision.

 

(5)   L’article Ariëns

[639]       L’article Ariëns, publié en 1984, a été mentionné à plusieurs reprises au cours de l’instruction, et de nombreux témoins experts ont dit avoir connaissance de cet article.

 

[640]       Le Dr Ariëns, qui aimait susciter la réflexion, avait exprimé l’avis que, en raison des divers effets pharmacologiques et toxicologiques associés aux divers énantiomères d’une molécule, c’était commettre une [TRADUCTION] « absurdité très poussée » que de ne pas tenir compte de la stéréochimie d’un composé donné. Le Dr Wainer a fait un résumé complet et utile de l’approche du Dr Ariëns.

 

[641]       Le Dr Ariëns était un toxicologue et un pharmacologue qui menait ses activités en Europe. Il s’est mis à faire savoir que les énantiomères n’étaient sans doute pas tous les mêmes. C’est à partir de là qu’il a entrepris de quantifier, codifier et examiner ces différences.

 

[642]       Le Dr Ariëns a notamment publié un document intitulé « Stereochemistry, a Basis for Sophisticated Nonsense in Pharmacokinetics and Clinical Pharmacology », European Journal of Pharmacology (1984) 26: 663-668. Dans ce document, il examine la manière dont un médicament est absorbé, métabolisé et excrété. L’idée du Dr Ariëns était que la stéréochimie donne un portrait complet et qu’elle devait être prise en considération. Selon lui, l’organisme est chiral et le travail doit être effectué dans un environnement chiral.

 

[643]       Le Dr Ariëns a proposé l’idée du rapport eudismique. Des deux configurations de la molécule (les énantiomères), une seule sera active. La molécule active sera mesurée et mise à l’essai dans le corps. Si la molécule est celle qui a été choisie, elle sera appelée eutomère. L’étude sera répétée avec une autre molécule pour voir si elle est toxique ou si elle agit dans le corps. Une fois l’étude terminée, un rapport sera établi. L’utilité du médicament sera alors déterminée par une mesure de ses aspects positifs et de ses aspects négatifs. Ce rapport eudismique pourra ensuite être utilisé pour orienter le développement des médicaments.

 

[644]       La Cour croit également que l’article Ariëns aurait pu être trouvé à la faveur d’une recherche raisonnablement diligente et qu’il faisait donc partie des connaissances générales courantes en novembre 1987.

 

(6)   Le PCR 4099

[645]       En ce qui concerne l’appréciation de ce qu’étaient les connaissances générales courantes en 1987, une autre question à trancher est de savoir si les propriétés du PCR 4099 étaient généralement connues. Apotex n’a pas convaincu la Cour sur ce point. Il y a, en fait, deux aspects à cette question : (1) le PCR 4099 faisait-il partie des connaissances générales courantes et (2) les propriétés du PCR 4099 auraient-elles été découvertes au moyen d’une recherche raisonnablement diligente? Parmi tous les témoins experts d’Apotex, le Dr Hirsh était sans aucun doute le mieux à même de savoir ce qu’il en était du développement de nouveaux composés antithrombotiques au milieu de la décennie 1980, puisqu’il travaillait dans ce domaine à l’époque. Il a témoigné n’avoir appris l’existence du PCR 4099 que bien après 1987. Un autre des témoins experts d’Apotex, le Dr Adger, a témoigné que ce n’est qu’en 1990 qu’il a appris l’existence du PCR 4099. Les propriétés du PCR 4099 ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes. Cela ne signifie pas cependant que le composé PCR 4099 ne faisait pas partie des connaissances générales courantes.

 

[646]       La Cour observe que, à supposer que les affiches et abrégés aient fait partie des connaissances générales courantes, hypothèse que la Cour a exclue, ces affiches et abrégés faisaient référence au formidable potentiel du PCR 4099 et promettaient un médicament racémique offrant une bonne activité et une faible toxicité. Cet énoncé, plus particulièrement dans les abrégés, ne laissait apparaître aucun problème relativement au PCR 4099, et donc aucune raison, aucune incitation ni aucune motivation devant conduire à une séparation du PCR 4099.

 

[647]       La Cour conclut donc que le PCR 4099 faisait bien partie des connaissances générales courantes, mais que ses propriétés n’auraient pas été trouvées au moyen d’une recherche raisonnablement diligente.

 

D.        Le critère de l’évidence

[648]      La Cour appliquera maintenant le critère de l’analyse en quatre étapes décrit par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Plavix.

 

(1)   Identifier l’hypothétique « personne versée dans l’art »

[649]       Les capacités des personnes moyennement versées dans l’art sont décrites plus haut, aux paragraphes 64 à 80. On parle ici d’un groupe de personnes, plutôt que d’une seule personne, détenant un doctorat en chimie pharmaceutique, et justifiant de plusieurs années d’expérience dans les domaines de la pharmacologie et de la toxicologie, outre une bonne connaissance générale de l’hématologie et de la médecine.

 

(2)   Déterminer les connaissances générales courantes de cette personne

[650]       Sanofi soutient que les parties sont essentiellement en accord en ce qui concerne les connaissances générales courantes pertinentes de la personne versée dans l’art en 1986-1987. Ces connaissances comprendraient les éléments suivants :

§               une compréhension des principes de chimie sous‑jacents, notamment la chiralité, les énantiomères, les stéréo‑isomères, les racémiques et l’activité optique;

§               des connaissances et de l’expérience relativement aux méthodes générales de dédoublement des mélanges racémiques.

 

[651]       Cependant, les parties ne s’accordent pas sur deux (2) aspects qui, selon Apotex, feraient partie des connaissances générales courantes d’une personne moyennement versée dans l’art. Ces aspects sont (i) les directives de 1987 de la FDA alléguées et (ii) la prise de conscience des propriétés du PCR 4099 en tant que possible agent antithrombotique d’après les abrégés et les affiches.

 

[652]       La Cour a déjà résumé comme suit ce qui faisait partie et ce qui ne faisait pas partie des connaissances générales courantes :

§                une connaissance de l’hématologie/pharmacologie/toxicologie, de la chiralité, des énantiomères, des stéréo‑isomères, des racémiques et de l’activité optique; et une connaissance des méthodes générales de dédoublement des mélanges racémiques et l’expérience de l’application de ces méthodes;

§                une connaissance du brevet 875 (mais le brevet 875 ne divulgue pas le clopidogrel);

§                les résumés et affiches présentés aux conférences de San Diego et de Jérusalem n’étaient pas bien connus et ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes;

§                les lignes directrices de 1987 de la FDA ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes;

§                les propriétés du PCR 4099 ne faisaient pas partie des connaissances générales courantes, mais le composé de PCR 4099 en faisait partie.

 

(3)   Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation

 

[653]       Dans l’arrêt Plavix, au paragraphe 78, la Cour suprême du Canada a défini l’idée originale, et il n’y a aucune raison de s’écarter de cette définition :

[78]  En l’espèce, il est clair que l’idée originale à la base des revendications du brevet 777 est un antiplaquettaire à l’effet thérapeutique supérieur et à la toxicité moindre comparativement aux autres composés couverts par le brevet 875, et les méthodes permettant de l’obtenir.

 

(4)   Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la science » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

 

[654]       La preuve produite dans la présente affaire démontre que l’état antérieur de la science ne décrit nulle part le clopidogrel, le bisulfate de clopidogrel, un procédé de fabrication du clopidogrel ou de son bisulfate, ou les vertus du clopidogrel et de son bisulfate.

 

[655]       La preuve s’accorde donc avec la conclusion tirée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Plavix, aux paragraphes 79 et 80 :

[79]  Le brevet 875 divulgue plus de 250 000 composés possibles dont il prédit l’effet antiplaquettaire.  Vingt et un ont été synthétisés et analysés.  Rien ne distingue le racémate visé en l’espèce des autres composés divulgués ou analysés quant à leur effet thérapeutique ou à leur toxicité.  Je rappelle que le brevet 875 ne divulgue aucun avantage particulier associé à l’isomère dextrogyre de ce racémate, une fois isolé, ni aucun avantage découlant de l’utilisation du bisulfate de l’isomère dextrogyre.  Il n’établit aucune différence entre les propriétés du racémate, celles de l’isomère dextrogyre et celles de l’isomère lévogyre, non plus qu’entre les avantages des autres composés synthétisés, analysés ou dont il prédit l’efficacité.

 

[80]  En revanche, le brevet 777 revendique l’invention de l’isomère dextrogyre du racémate, le clopidogrel et de son bisulfate, divulgue leurs avantages par rapport à l’isomère lévogyre et au racémate, et énonce expressément le procédé de séparation des isomères du racémate.

 

[656]       Il est donc clair que le brevet 777 contient davantage que ce qui faisait partie des connaissances générales courantes.

 

(5)     Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent-elles des étapes qui auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art, ou dénotent-elles quelque inventivité?

 

[657]       La Cour rappelle que c’est à cette étape de l’approche de l’évidence que se pose la question de l’« essai allant de soi ».

 

E.         L’« essai allant de soi » : les éléments à considérer

[658]       Concernant les éléments à considérer dans l’« essai allant de soi », il convient de noter d’emblée que l’« essai allant de soi » ne signifie pas « essai valant d’être tenté ». La Cour reconnaît avec Sanofi que la Cour suprême du Canada a appliqué le critère de l’« essai allant de soi », qui signifie qu’il va de soi que l’essai sera fructueux. Ce critère constitue une norme différente, et plus élevée, que le critère de l’« essai valant d’être tenté ».

 

[659]       Dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, 2009 CAF 8, 72 CPR (4th) 141, aux paragraphes 45 et 46, la Cour d’appel fédérale, après examen du critère de l’« essai allant de soi » et du critère de l’« essai valant d’être tenté », a clairement récusé ce dernier :

[45]  Au contraire, le critère qu’applique le juge Laddie apparaît rempli si l’état de la technique indique que quelque chose peut fonctionner et s’il existe une motivation telle qu’elle puisse faire que cette voie [traduction] « valait la peine » d’être explorée (décision Pfizer Ltd., au paragraphe 107, citée au paragraphe 42 ci-dessus). À cet égard, on peut dire d’une solution qu’elle [traduction] « valait la peine » d’être explorée même si elle n’est pas un « essai allant de soi » ou, pour reprendre les mots du juge Rothstein, même si elle n’« allait [pas] plus ou moins de soi » (Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 66). À mon avis, cette approche fondée sur la chance que quelque chose puisse fonctionner a été expressément rejetée par la Cour suprême dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo, au paragraphe 66.

 

[46]  Le juge de la Cour fédérale a rendu sa décision en posant qu’il fallait plus que de simples possibilités. Il a conclu à partir de la preuve dont il était saisi qu’Apotex n’avait pas établi davantage que de simples possibilités. Il a donc appliqué le bon critère.

 

[660]       Le critère juridique est donc le critère de l’« essai allant de soi ».

 

[661]       Dans l’arrêt Plavix, l’application du critère de l’« essai allant de soi » s’imposait, et la Cour examinera les facteurs suivants :

§                Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe‑t‑il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes du métier?

§                Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue, de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

§                Les antériorités donnent-elles une motivation à trouver la solution figurant dans le brevet?

§                Quelle fut la ligne de conduite effective qui a mené à l’invention?

 

[662]       La Cour examinera maintenant successivement chacune de ces quatre questions.

 

(1)   Est-il plus ou moins évident que l’essai sera fructueux? Existe-t-il un nombre déterminé de solutions prévisibles connues des personnes du métier?

 

[663]       Le point de savoir « s’il était plus ou moins évident que l’essai sera fructueux » est pertinent à l’égard des questions relatives a) aux méthodes possibles de séparation des énantiomères du PCR 4099 et b) aux méthodes possibles d’obtention des sels. La Cour doit se demander s’il aurait été évident, pour une personne moyennement versée dans l’art, que le choix d’une méthode de séparation des énantiomères et d’une méthode d’obtention des sels serait fructueux.

 

a)    Les méthodes de séparation des énantiomères

[664]       Pour savoir si l’essai allait de soi – c’est-à-dire s’il était évident que la résolution du composé racémique serait fructueuse – la Cour doit d’abord considérer les méthodes connues de séparation des énantiomères, et se demander lesquelles existaient en 1987.

 

[665]       La preuve démontre que, en 1987, la personne versée dans l’art ne disposait que de quatre (4) méthodes :

§                la séparation mécanique des cristaux;

§                la méthode de Pasteur (dédoublement par formation de diastéréomères);

§                la fabrication d’énantiomères purs par synthèse asymétrique ou transformation asymétrique;

§                la chromatographie liquide à haute performance (CLHP) chirale.

 

[666]       Sur ces quatre (4) méthodes, deux (2) ont fait l’objet d’un débat durant l’instruction : la méthode Pasteur et la méthode de CLHP chirale.

 

(i)    Qu’est-ce que la « méthode de Pasteur »?

[667]       La méthode de Pasteur, aussi appelée méthode de dédoublement par formation de sels diastéréomériques, ou méthode « classique », a été mise au point par le chercheur français Louis Pasteur dans les années 1850. Cette méthode est utilisée pour dédoubler des composés racémiques par formation et cristallisation fractionnée de diastéréomères. Les Drs Adger et Davies ont convenu qu’il s’agit d’une méthode décrite dans les principaux ouvrages didactiques, qui est enseignée aux étudiants de premier cycle en chimie et qui est largement utilisée depuis plus de 100 ans. M. Badorc a informé la Cour qu’il avait appris cette méthode pendant ses deux (2) années d’étude en France.

 

[668]       Apotex soutient que la personne versée dans l’art comprendrait que le PCR 4099 était un composé présentant des caractéristiques qui le rendaient particulièrement apte à une résolution au moyen de la méthode Pasteur (de même qu’au moyen de la méthode de CLHP chirale, décrite ci‑après). Apotex affirme notamment que le composé serait reconnu comme faiblement basique (et donc formerait facilement un sel présentant une forte acidité chirale) et qu’il présentait une similarité structurelle avec la phénylglycine, un composé connu pour être résolu par la méthode classique.

 

[669]       Comme l’ont expliqué les Drs Adger et Davies, la méthode de Pasteur comporte trois (3) étapes :

§           Premièrement, on dissout le mélange racémique dans un solvant et on le mélange avec un agent de dédoublement chiral. Pour les composés basiques, comme le PCR 4099 (à cause du N dans le cycle pyridine), l’agent de dédoublement chiral sera un acide optiquement actif (énantiomère unique). Une réaction se produit alors entre l’acide et la base (c.‑à‑d. le PCR 4099) et il y a formation de deux sels distincts appelés diastéréomères.

 

§           Deuxièmement, on sépare les diastéréomères l’un de l’autre, normalement en exploitant leur différence de solubilité et en retirant les cristaux du diastéréomère qui sont moins solubles et qui précipitent donc les premiers à l’extérieur de la solution.

 

§           Troisièmement, on mélange chaque diastéréomère avec une base pour libérer l’énantiomère dédoublé.

 

[670]       S’appuyant sur les propos des Drs Adger et Davies, Apotex soutient de plus que la personne versée dans l’art aurait adopté une approche systématique pour choisir l’acide chiral, approche qui était bien décrite, même dans les ouvrages didactiques de l’époque. Cette approche consistait à a) choisir un certain nombre d’acides chiraux disponibles comme agents de dédoublement; b) choisir un solvant pour la réaction; c) fabriquer les diastéréomères avec chacun de ces acides dans des expériences parallèles; d) surveiller et évaluer les résultats de la réaction.

 

[671]       Apotex invoque aussi les publications et fait valoir que, si une personne versée dans l’art suit cette approche rationnelle, la résolution de composés organiques peut être effectuée avec une forte probabilité de succès.

 

[672]       De plus, Apotex fait valoir que, comme le PCR 4099 est faiblement basique, la personne versée dans l’art aurait su qu’elle devait choisir des acides chiraux forts comme agents de dédoublement pour le tri. Ces agents comprendraient assurément l’acide L ou D-camphre-10-sulfonique et peut‑être l’acide tartrique et l’acide maléique parce que ce sont des acides peu coûteux, trouvés couramment dans les laboratoires et reconnus comme des acides forts. Les travaux de Jacques, Collet et Wilen corroborent l’opinion du Dr Adger à cet égard. En particulier, le texte identifie l’acide l ou d-camphre-10-sulfonique parmi ceux qui ont déjà été utilisés avec succès pour le dédoublement d’amines par formation de sels diastéréomériques.

 

[673]       La méthode Pasteur était notoirement connue et il existait quatre (4) méthodes de séparation des énantiomères, mais le Dr Davies a expliqué que, en 1987, avant la séparation des énantiomères simples, il n’était pas possible de prédire les propriétés (c’est-à-dire les propriétés physiques, les propriétés pharmacologiques de l’activité, l’absorption, le métabolisme et l’excrétion, ou le profil de toxicité) des énantiomères séparés en se fondant sur les propriétés du racémate. Ce n’est qu’après l’expérimentation des énantiomères que l’on peut savoir si un énantiomère isolé présenterait des avantages par rapport au racémate et à l’autre énantiomère, et posséderait toutes les propriétés requises pour être utile comme médicament (E.J. Ariëns, W. Soudijn, P.B. Timmermans, « Stereochemistry and Biological Activity of Drugs » (Oxford: Blackwell Scientific Publications 1983), pages 89 à 102).

 

[674]       Le Dr Davies a aussi expliqué qu’il y a plusieurs raisons à cette absence de prévisibilité. Les énantiomères peuvent différer dans leur efficacité pharmacologique, parce qu’ils peuvent être absorbés différemment, métabolisés différemment, excrétés différemment, et qu’ils peuvent interagir de plusieurs façons avec divers récepteurs biologiques. Nul ne peut être raisonnablement certain des récepteurs qui seront concernés dans ces processus, ni de la manière dont les divers énantiomères interagiront avec eux. On ne pourra jamais être raisonnablement assuré à l’avance que l’une de ces propriétés différera au point d’être cliniquement pertinente.

 

[675]       Le Dr Davies a mentionné que la personne versée dans l’art pourrait être dissuadée de résoudre le PCR 4099, parce que la présence de la fonction ester à proximité de l’azote (le groupe amine) pourrait faire que l’énantiomère séparé redevienne le racémate PCR 4099 en la présence d’acide gastrique. Cependant, le Dr Shebuski a émis l’avis que la racémisation pourrait être évitée avec un revêtement entérique. Le Dr Davies n’avait jamais entendu parler de revêtement entérique. Il a aussi expliqué que, bien que le choix d’un bon agent résolvant reste le plus souvent une question de flair ou de perspicacité, il y a néanmoins des cas où le chimiste pourra opérer moins à l’aveuglette que par le passé (Samuel H. Wilen et al, « Strategies in Optical Resolutions » (1977) Tetrahedron 38, pages 2725-2736).

 

[676]       S’appuyant sur la preuve produite, la Cour souscrit à l’opinion de Sanofi que, avant d’avoir dédoublé pour la première fois le PCR 4099 en ses énantiomères, la personne versée dans l’art n’aurait pas pu mettre à l’essai les énantiomères dédoublés et ce n’est qu’après les avoir mis à l’essai qu’elle aurait pu apprendre que :

§                le clopidogrel avait une activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire;

§                l’énantiomère lévogyre ne possédait pas une telle activité;

§                le clopidogrel était mieux toléré que l’énantiomère lévogyre;

§                le bisulfate de CL était plus stable que les autres sels.

 

[677]       La Cour reconnaît néanmoins avec Apotex que la personne moyennement versée dans l’art serait amenée à choisir la méthode Pasteur plutôt que les trois autres méthodes possibles. Mais Apotex n’a pas convaincu la Cour que la séparation des énantiomères était simple dans tous les cas, en particulier au milieu de la décennie 1980. En somme, Apotex n’a pas convaincu la Cour que l’ancienne méthode Pasteur aurait fonctionné.

 

(ii)   Des personnes moyennement versées dans l’art s’en remettraient-elles à la méthode de CLHP chirale?

[678]       La deuxième méthode possible de séparation du racémate était la méthode de CLHP chirale.

 

[679]       Apotex affirme que, en 1986-1987, une personne versée dans l’art aurait également su comment résoudre le PCR 4099 à l’aide de la méthode de CLHP chirale, sans difficulté ni esprit inventif.

 

[680]       Qu’est-ce que la CLHP chirale? Le Dr Wainer a expliqué que, dans la CLHP chirale, le mélange racémique à dédoubler est dissous dans un liquide appelé « phase mobile ». La phase mobile passe dans une colonne remplie de matière chirale qu’on appelle « phase stationnaire chirale ». Les deux énantiomères du mélange interagissent de façon différente avec la phase stationnaire chirale et, en conséquence, l’un parcourt la colonne plus rapidement que l’autre. Des échantillons successifs des constituants élués de la colonne sont prélevés pendant la période de séparation. Des échantillons de l’éluant, prélevés pendant la période où le premier énantiomère est élué, contiendront cet énantiomère. De même, des échantillons d’éluant prélevés pendant la période où le deuxième énantiomère est élué contiendront cet énantiomère. Les échantillons similaires peuvent être combinés et les énantiomères individuels peuvent en être extraits.

 

[681]       Le Dr Wainer estimait que la personne versée dans l’art en 1987 aurait dédoublé le PCR 4099 par la méthode de CLHP chirale et aurait choisi la CLHP chirale et une colonne d’alpha‑1 glycoprotéine acide (AGP) pour la séparation des énantiomères en raison des propriétés chimiques connues du PCR 4099 :

§                un centre stéréogène très près d’un groupement ester;

§                le centre chiral flanqué d’un cycle phényle et d’un cycle pyridine;

§                une fonction amine tertiaire;

§                sa petite taille.

 

[682]       La preuve produite a établi que des colonnes CLHP existaient en 1986-1987 et pouvaient être utilisées à deux fins : analyse et préparation. La question est de savoir si, à l’époque pertinente, les colonnes CLHP étaient efficaces.

 

[683]       Le Dr Davies a témoigné que, en 1986-1987, les colonnes CLHP n’étaient utiles en pratique que comme technique d’analyse, et non comme technique de préparation. Par conséquent, bien qu’il soit possible de séparer un matériel racémique avec des colonnes CLHP analytiques, les quantités séparées seraient extrêmement faibles (microgrammes plutôt que grammes) et ne pourraient pas être utilisées à l’échelle industrielle. Le Dr Davies a aussi témoigné que, si la CLHP était utilisée comme technique d’analyse, elle ne l’était pas énormément. Il y avait quelques colonnes commerciales, mais elles étaient très coûteuses et fragiles. Dans son témoignage, M. Badorc a, pour sa part, déclaré que les colonnes CLHP préparatives étaient tout simplement inexistantes chez Sanofi à l’époque pertinente.

 

[684]       Apotex fait état d’un document dont les auteurs sont William H. Pirkle et Thomas C. Pochapsky, « Chiral Stationary Phase for the Direct LC Separation of Enantiomer in Advance » (1987) 27 Chromatography, où l’on peut lire que la CLHP avait acquis une certaine importante dans la séparation tant analytique que préparative des énantiomères. Le Dr Davies était d’avis que le mot [TRADUCTION] « préparative » tenait davantage d’une promesse. Il n’avait pas souvenir d’avoir vu une compagnie pharmaceutique ou l’un de ses confrères se servir de la colonne CLHP préparative à l’époque pertinente (Davies, T4621). À la lumière de l’ensemble de la preuve concernant l’utilisation de colonnes analytiques ou préparatives pour la séparation d’énantiomères, la Cour accepte sur ce point le témoignage du Dr Davies.

 

[685]       Cependant, alors qu’il travaillait pour Smithkline en 1984-1985, le Dr Adger avait obtenu des quantités suffisantes d’énantiomère simple pour des essais pharmacologiques utilisant la CLHP (Adger, T1694-1695). Mais cet événement reste un événement isolé, et la preuve ne confirme pas que, en 1986-1987, la colonne CLHP préparative était devenue très répandue.

 

[686]       Au vu de la preuve, la Cour n’a donc pas été persuadée que les colonnes CLHP étaient devenues courantes et très répandues pour la séparation préparative des énantiomères. Tout au plus, la preuve démontre que des colonnes CLHP existaient à l’époque pertinente, mais se limitaient à une capacité analytique produisant des quantités insuffisantes d’un certain matériel racémique séparé. La Cour estime donc que la personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas choisi cette méthode en novembre 1987 pour séparer les énantiomères.

 

(iii)  Conclusion sur les méthodes d’obtention d’une séparation

 

[687]       La question est donc de savoir s’il allait de soi pour une personne moyennement versée dans l’art que le choix de l’une des quatre (4) méthodes de séparation serait fructueux.

 

[688]       La preuve montre qu’il n’existait que quatre (4) méthodes de dédoublement des énantiomères :

§                la séparation mécanique des cristaux;

§                la méthode de Pasteur (dédoublement par formation de diastéréomères);

§                la fabrication d’énantiomères purs par synthèse asymétrique ou transformation asymétrique;

§                la CLHP chirale.

 

[689]       La Cour convient avec Apotex que la personne versée dans l’art aurait écarté la séparation mécanique des cristaux, car il s’agit d’une méthode fastidieuse qui ne s’applique qu’au cas précis où le mélange racémique est un conglomérat. De même, la synthèse asymétrique n’aurait pas constitué un premier choix parce qu’il s’agit d’une méthode difficile qui ne produit qu’un seul énantiomère dans des circonstances où les deux énantiomères sont requis pour les essais.

 

[690]       Il resterait deux (2) méthodes possibles pour la séparation des énantiomères : la méthode Pasteur (formation saline diastéréomérique) et la méthode de CLHP chirale. Même s’il existait un petit nombre de méthodes s’offrant à la personne moyennement versée dans l’art, Apotex n’a pas convaincu la Cour que, selon la prépondérance des probabilités, il allait de soi que ces méthodes [TRADUCTION] « seraient fructueuses ».

 

[691]       D’ailleurs, le fait que la méthode Pasteur existe depuis plus de 100 ans ne garantit aucunement un résultat particulier, surtout si le composé est séparé pour la première fois, ce qui était le cas du PCR 4099. Quant à la méthode de CLHP chirale, il est clair que, à l’époque pertinente, elle ne permettait pas de produire les quantités nécessaires pour d’autres essais.

 

[692]       De plus, ce n’est qu’après la mise à l’essai des énantiomères qu’on peut savoir si un énantiomère isolé a des avantages par rapport au racémique et à l’autre énantiomère et s’il possède toutes les propriétés suivantes :

§                le clopidogrel avait une activité inhibitrice de l’agrégation plaquettaire;

§                l’énantiomère lévogyre ne possédait pas une telle activité;

§                le clopidogrel était mieux toléré que l’énantiomère lévogyre;

§                le bisulfate de CL était plus stable que les autres sels.

 

[693]       Ainsi, même s’il existait un nombre restreint de méthodes offertes à la personne moyennement versée dans l’art et même si cette personne devait s’en remettre à deux (2) méthodes en particulier, il n’allait pas pour autant de soi que ces méthodes de séparation seraient fructueuses.

 

b)    Les méthodes d’obtention d’une formation saline

[694]       Cependant, dans le cas de la sélection des sels, la Cour est d’avis que c’était à l’époque une méthode connue et bien établie et qu’il serait allé de soi que la méthode d’obtention des sels serait fructueuse.

 

[695]       Un sel se forme lorsqu’une réaction se produit entre un acide et une base. Si un composé est basique, il faut choisir un acide. Si le composé est faiblement basique, il faut choisir un acide plus fort, et ainsi de suite. Des sels se forment lorsqu’un acide réagit avec une base. Habituellement, la sélection d’un sel consiste à produire des sels avec différents acides en parallèle de sorte que les sels de la solution qui cristallisent peuvent être rapidement identifiés.

 

[696]       En l’espèce, la preuve démontre que le clopidogrel est faiblement basique. Par conséquent, il faudrait utiliser un acide fort pour produire un sel. L’acide sulfurique et l’acide bromhydrique sont des acides forts et seraient utilisés pour produire des sels. M. Adger a expliqué que cette méthode est connue comme la règle du pKa de 2.

 

[697]       Plus précisément, le pKa est la constante de dissociation d’un acide à l’échelle logarithmique. Il désigne la tendance d’une molécule donnée à donner un proton ou un groupement hydrogène. Plus son pKa est bas, plus un acide est fort. Lorsque la différence de pKa entre un acide et une base dépasse 2, on peut s’attendre à la formation d’un sel fort (Byrn, contre‑interrogatoire T3041; rapport de Byrn, par. 28-29). Le pKa du clopidogrel est de 4,55 (Byrn, contre‑interrogatoire T3076).

 

[698]       Le Dr Adger et le Dr Byrn ont reconnu que l’acide sulfurique aurait été le premier acide, ou l’un des premiers acides, à figurer dans le criblage durant la fabrication de sel pharmaceutique en 1987.

 

[699]       M. Badorc a aussi reconnu que, si des acides forts étaient choisis, c’était parce qu’ils offraient une bonne chance de former des sels cristallins (Badorc, contre-interrogatoire, T4192‑4195).

 

[700]       Le Dr Adger a émis l’avis que la fabrication de sels était un volet courant du développement pharmaceutique et que des sels couramment utilisés, acceptables sur le plan pharmaceutiques, étaient mentionnés dans les publications depuis 1977, année où fut publié un article intitulé « Pharmaceutical Salts », 66 J. Pharm. Sci 1-19 (1977), également appelé la liste de Berge.

 

[701]       Cependant, le Dr Byrn a déclaré que la formation d’un sel était toujours inédite et toujours inventive, parce qu’elle est [TRADUCTION] « totalement imprévisible » :

[TRADUCTION]

 

[…] Mais c’est imprévisible, et l’on ne peut être sûr que cela fonctionnera. On ne peut donc pas simplement le circonscrire. On ne peut pas dire : « Oh, j’ai une base forte, je ne vais donc utiliser qu’un acide faible ». On doit utiliser tous les acides et toutes les bases possibles, et Berge est celui qui est utilisé pour cela en général, et il énumère 80 différents acides et bases comme possibles formeurs de sel – et il y en a donc beaucoup – excusez-moi, il énumère 80 acides. Le clopidogrel est une base, donc Berge énumère 80 acides. Si le clopidogrel se trouvait à être un acide, nous serions intéressés par les bases, parce que, rappelez-vous, un sel est la réaction d’un acide et d’une base, de sorte que, puisque le clopidogrel est une base, nous le faisons réagir avec l’un des 80 acides.

 

(Byrn, T2852-2853).

 

[702]       Par ailleurs, se fondant sur des articles qui concernent le domaine des sels, le Dr Byrn a émis l’avis que la sélection du sel demeure un choix difficile (voir Stephen M. Berge, Lyle D. Bighley & Donald C. Monkhouse, « Pharmaceutical Salts » (1977) 66 Journal of Pharmaceutical Sciences; Philip L. Gould, « Salt selection for basic drugs » (1986) 33 Int’l Journal of Pharmaceutics; P. Heinrich Stahl & Camille G. Wermuth, eds, Handbook of Pharmaceutical Salts, Properties, Selection, and Use (Zurich: Verlag Helvetica Chimia Acta, 2002)).

 

[703]       Dans l’ensemble, la Cour préfère l’approche du Dr Adger à celle du Dr Byrn. La preuve démontre clairement que la sélection des sels était évoquée dans les publications. Plus exactement, la liste de Berge énumère quatre-vingts (80) acides pour des formations salines avec des composés qui sont basiques, et vingt et une (21) bases pour des formations salines avec des composés qui sont acides. Le fait que le clopidogrel soit une base faible conduirait la personne moyennement versée dans l’art à choisir un acide fort, et les deux experts ont reconnu que l’acide sulfurique serait au sommet de la liste.

 

[704]       M. Badorc a lui‑même indiqué en témoignage que les méthodes utilisées pour obtenir des sels étaient bien établies. En effet, M. Badorc a affirmé avoir connu la règle du pKa de 2 lorsqu’il a décidé de produire des sels de clopidogrel. Il a aussi admis s’être appuyé sur la liste bien connue de Berge pour choisir les acides en vue de la formation de sels.

 

[705]       M. Badorc a par ailleurs témoigné que le bisulfate ne figurait pas sur la liste de la FDA, mais qu’il figurait sur la liste non-FDA. Il a aussi admis qu’il avait connaissance de la liste non-FDA et que cette liste était approuvée en France à l’époque pertinente et qu’il avait accès à cette liste.

 

[706]       Pour tous ces motifs, la Cour estime donc que les quelques méthodes permettant d’obtenir une formation saline étaient des méthodes connues et bien établies à l’époque pertinente.

 

c)     Conclusion : « l’essai serait fructueux »

[707]       La Cour estime donc que, à l’époque pertinente, la méthode Pasteur ne pouvait pas garantir un résultat précis et que la méthode de CLHP chirale ne pouvait pas produire de quantités suffisantes du matériel racémique séparé et n’était pas encore très répandue. Cependant, compte tenu des témoignages d’expert et des propres aveux de l’inventeur, la Cour conclut que les méthodes employées pour les formations salines étaient immédiatement applicables et communément employées pour fabriquer des sels acceptables sur le plan pharmaceutique.

 

[708]       La Cour est donc d’avis que, bien qu’il n’ait pas été clair qu’il allait de soi pour la personne moyennement versée dans l’art que les méthodes de séparation des énantiomères seraient fructueuses, il était clair que la méthode de préparation saline fonctionnerait.

 

(2)   Quels efforts – leur nature et leur ampleur – sont requis pour réaliser l’invention? Les essais sont-ils courants ou l’expérimentation est-elle longue et ardue, de telle sorte que les essais ne peuvent être qualifiés de courants?

 

a)    Que signifie le mot « courants » dans la séparation des énantiomères du PCR 4099 et dans l’obtention des sels

 

[709]       La Cour estime que la personne moyennement versée dans l’art aurait été dirigée vers la méthode Pasteur classique pour séparer les énantiomères. En ce qui concerne cette méthode, la Cour est d’avis que, selon la preuve, la méthode était courante.

 

[710]       Sanofi soutient que la définition du mot « courant » ne comprend pas le travail inventif, lequel consiste à fabriquer un composé nouveau pour la première fois. Sanofi affirme aussi que, la première fois qu’une expérience est faite, le résultat est incertain, parce que l’on ne sait pas si l’expérience fonctionnera comme on l’espérait, ni quel sera le résultat. C’est l’opposé de ce qui est véritablement courant, à savoir une expérience qui a été faite de nombreuses fois auparavant avec les mêmes composés et dans les mêmes conditions, et qui chaque fois donne le même résultat (par exemple, essais réglementaires du contrôle de la qualité).

 

[711]       Sanofi soutient également que sa définition du mot « courant » s’accorde avec le sens donné à cette notion dans l’arrêt Plavix par la Cour suprême du Canada. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada écrivait qu’il existait des méthodes connues de séparation des racémates et des méthodes connues d’expérimentation des propriétés des énantiomères et des sels. Cependant, elle a considéré que cette expérimentation n’était pas courante. Ainsi, pour Sanofi, l’emploi de techniques connues pour identifier une chose qui était auparavant inconnue n’est pas évident.

 

[712]       Plus précisément, d’après Sanofi, la preuve établit clairement qu’il n’allait pas de soi que l’on pouvait avec succès séparer le PCR 4099. Même si le PCR 4099 pouvait être séparé, il était loin d’être évident que des avantages résulteraient de la séparation. Fréquemment, on n’obtiendra aucun avantage, par exemple lorsque l’activité et la toxicité sont les mêmes qu’entre les énantiomères, ou lorsqu’il y a racémisation in vivo.

 

[713]       Le Dr Adger a généralement reconnu que la découverte d’un médicament n’est jamais certaine. Cependant, un processus d’obtention d’un médicament sera parfois plus facile que d’autres. Selon le Dr Adger, ce n’est jamais quelque chose de banal.

 

[714]       Le Dr Byrn a expliqué que les sels, y compris le criblage de sels, comportent un niveau de difficulté et, dans certains cas, ne donneront pas nécessairement de résultats.

 

[715]       Sur cette toile de fond, la Cour observe que Sanofi semble dire que la fabrication d’un composé nouveau pour la première fois équivaut à une invention. Ce n’est pas le cas. La fabrication d’un composé nouveau pour la première fois ne peut être une invention tout le temps. Cela reste une question de fait qui doit être appréciée au cas par cas.

 

[716]       Plus précisément, d’après la preuve produite, la Cour ne peut être d’accord avec Sanofi parce que les travaux de Jean Jacques, André Collet et Samuel H. Wilen relatés dans une publication de 1981 intitulée Enantiomers, Racemates, and Resolutions [Énantiomères, racémates, et dédoublements] (p. 384) indiquent que l’éthanol, le méthanol et l’acétone étaient les solvants le plus couramment utilisés pour le dédoublement par formation de sels diastéréomériques (méthode de Pasteur).

 

[717]       La Cour partage l’avis d’Apotex selon lequel les publications confirment que l’acide camphre-10-sulfonique et l’acide tartrique avaient été employés pour dédoubler la phénylglycine et son ester méthylique. Il y a en effet des précédents dans la littérature. Par exemple, dès 1925, A. W. Ingersoll a signalé le dédoublement de la phénylglycine par formation de sels diastéréomériques au moyen d’acide camphre-10-sulfonique. De même, en 1976, John C. Clark a réussi à dédoubler les esters méthylique et isopropylique de la phénylglycine au moyen d’acide tartrique. La Cour note que M. Davies n’a pas contesté les commentaires de M. Adger au sujet des précédents relatifs au dédoublement par formation de sels diastéréomériques.

 

[718]       La preuve démontre aussi que l’ester méthylique de la phénylglycine a une structure analogue à celle du PCR 4099 (P-154) :

 

 

[719]       On imagine que la personne versée dans l’art saura de quoi il s’agit. D’ailleurs, le Dr Davies a exprimé l’avis qu’un chimiste [TRADUCTION] « doit connaître tout ce qui, dans les publications, se rapporte au domaine dans lequel il travaille », et le Dr Adger a rappelé la simple réalité selon laquelle [TRADUCTION] « le fait de passer une journée à la bibliothèque peut vous épargner une semaine au laboratoire » (Adger, T1561-1562).

 

[720]       La personne versée dans l’art aurait donc examiné les publications et, s’appuyant sur d’autres expériences, aurait jugé qu’il existait un « guide ». Sur la foi des publications existantes et des travaux antérieurs sur la phénylglycine, la Cour est convaincue que la personne versée dans l’art aurait accompli le dédoublement du PCR 4099 par formation de sels diastéréomériques et que ce dédoublement aurait été un essai courant.

 

(3)   Les antériorités donnent-elles une motivation à trouver la solution figurant dans le brevet?

 

[721]       Pour savoir si une motivation était donnée dans les antériorités, la Cour se demandera s’il y a sur ce point davantage qu’une simple possibilité. Cette approche a été expliquée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Pfizer Canada Inc c Apotex Inc, précité.

 

a)    La motivation à séparer les énantiomères : les « balbutiements » du milieu de la décennie 1980

 

[722]       Existait-il une motivation à séparer les énantiomères du PCR 4099 en 1987? Cette question a suscité un intéressant débat entre les parties.

 

[723]       Il y a sans aucun doute eu un débat sur la question de la séparation des énantiomères parmi les scientifiques au milieu de la décennie 1980, mais la question véritable est de savoir si ce débat avait atteint un niveau tel que la personne moyennement versée dans l’art et travaillant dans le domaine en 1987 aurait été incitée à séparer les énantiomères. Était-il acquis que les instances réglementaires avaient des attentes et/ou des exigences à cet égard? Ces attentes sont-elles devenues des politiques?

 

[724]       À ce propos, la Cour doit considérer, en ordre chronologique, jusqu’à la date pertinente, les événements clés qui ont constitué les « balbutiements » entourant la séparation des énantiomères, puis se demander si l’intensité des « balbutiements » était telle qu’il a pu en résulter une motivation à séparer les énantiomères du PCR 4099.

 

Événement 1 : le désastre de la thalidomide

[725]       Le thalidomide était un composé homologué et administré en Europe et au Royaume-Uni à la fin des années 1950. Il était largement utilisé en Europe chez les femmes enceintes qui avaient des nausées matinales. Cependant, un des isomères moins actifs du thalidomide avait une action tératogène. Par conséquent, de nombreux bébés présentaient des anomalies graves à la naissance parce que leur mère avait pris ce médicament. Le Dr Sanders a qualifié de « désastre » l’affaire du thalidomide. Il a affirmé en témoignage que, en conséquence, les principes de la stéréochimie dans les systèmes biologiques étaient bien connus des toxicologues avant 1988 et que ceux disposaient d’exemples de stéréo‑isomères dont l’action pharmacologique et toxicologique différait de façon marquée (p. ex. thalidomide).

 

[726]       Le Dr Wainer a expliqué que des demandes portant sur la thalidomide avaient été présentées aux États-Unis. Cependant, la Dre Frances Oldham Kelsey, une pharmacologue de la FDA, avait refusé d’autoriser la thalidomide aux États-Unis et en avait bloqué la vente. Le Dr Wainer a témoigné que la Dre Kelsey avait pris cette décision en se fondant sur les publications, après avoir trouvé que [TRADUCTION] « quelque chose clochait avec la thalidomide ». La thalidomide a donc été interdite d’accès au marché américain.

 

Événement 2 : les Directives japonaises de 1985

[727]       Le Dr Wainer a témoigné que, en 1985, les instances réglementaires japonaises avaient adopté et publié des directives de fabrication des produits pharmaceutiques qui priaient les auteurs des demandes portant sur des médicaments racémiques de séparer et de caractériser les énantiomères (Rapport Wainer, onglet 23). Ces directives mentionnent que [TRADUCTION] « en fonction du genre de substances pharmaceutiques, il arrive que les résultats d’autres tests antigéniques additionnels soient nécessaires. Par conséquent, si l’on sait que la substance pharmaceutique a des propriétés antigéniques spéciales ou qu’elle produit des effets indésirables en raison de telles propriétés antigéniques, un examen de ces propriétés devrait à tout le moins être effectué ».

 

[728]       Le Dr Davies a déclaré qu’il ne savait pas si les directives japonaises avaient été publiées, mais il savait qu’elles existaient et il a reconnu, sur la base d’une déclaration antérieure faite au cours d’une procédure introduite aux États-Unis, qu’il avait été question du document japonais dans la communauté scientifique en 1985 (Davies, contre-interrogatoire, T4565).

 

Événement 3 : le discours de 1986 du Dr Kumkumian

[729]       Le Dr Wainer a indiqué que, en 1986, la FDA en était venue à compter que les promoteurs de médicaments racémiques allaient devoir résoudre et caractériser les propriétés pharmacologiques et toxicologiques des médicaments racémiques, et l’excuse selon laquelle c’était là une tâche difficile ne serait plus acceptée.

 

[730]       En mars 1986, des milliers de personnes travaillant dans le domaine du développement de médicaments avaient participé à une importante rencontre internationale – la 133e assemblée annuelle de l’Association pharmaceutique américaine, à San Francisco, en Californie. Le Dr Kumkumian, à l’époque directeur adjoint de la Division de la chimie à la FDA, y avait déclaré, dans un discours prononcé devant une très large audience, que les auteurs de demandes portant sur des médicaments racémiques aux États-Unis devaient débattre les résultats d’études entreprises pour examiner les propriétés physiques, chimiques et biologiques d’énantiomères simples. Le Dr Wainer, qui travaillait à la FDA à l’époque et avait participé à la conférence, a décrit pour la Cour le contexte entourant le discours du Dr Kumkumian.

 

[731]       Dans son discours, le Dr Kumkumian a déclaré ce qui suit :

[traduction]

 

De nombreux composés chimiques renferment des stéréo‑isomères, et des différences biochimiques ont été observées entre ces isomères. Dans l’acide glutamique, par exemple, seul l’isomère dextrogyre possède la propriété aromatisante bien connue. Dans l’asparagine, seul l’isomère dextrogyre est sucré. En ce qui concerne le médicament bien connu qu’est le chloramphénicol, un seul des quatre isomères a des propriétés antibiotiques. Les différences de comportement des énantiomères dans la matière vivante s’expliquent par le fait que les réactions y sont catalysées principalement par des enzymes optiquement actives ou visent la liaison à des récepteurs stéréospécifiques […]

 

Comme nous le savons, des isomères spécifiques ne présentent pas toujours seulement des différences quantitatives sur le plan de l’activité avec leurs isomères « opposés », mais présentent, dans certains cas, des différences qualitatives sur les plans pharmacologique, thérapeutique et pharmacocinétique. Sur les quatre stéréo-isomères du propoxyphène, seul l’isomère dextrogyre du racémique alpha a des propriétés analgésiques, alors que la forme lévogyre est commercialisée à titre d’agent antitussif.

(page 7)

 

Comme le montrent ces exemples, les stéréo-isomères individuels peuvent avoir des effets différents de ceux de leurs isomères correspondants dans une molécule pharmaceutique de type racémique. Ces éléments devraient être pris en considération lors de l’évaluation de l’innocuité, de l’efficacité et de la qualité du produit médicamenteux.

(page 9)

 

Lorsque le promoteur d’un nouveau médicament de recherche décide de choisir un isomère particulier ou un racémique, il devrait clairement le définir dans la présentation. Les données sur les substances qui existent ou peuvent exister sous forme de stéréo-isomères devraient comprendre une analyse des isomères qui pourraient être produits par la méthode de fabrication et les résultats des études menées pour évaluer les propriétés physiques, chimiques et biologiques de ces isomères.

(page 12)

 

(Kumkumian, Charles. « Regulating the Enantiomeric Purity of Pharmaceuticals: The FDA’s Point of View » [Réglementation de la pureté énantiomérique des produits pharmaceutiques : point de vue de la FDA], présenté lors de la 133e rencontre annuelle de l’American Pharmaceutical Association, à San Francisco, en Californie, le 19 mars 1986).

 

          [Non souligné dans l’original.]

 

[732]       La déclaration susmentionnée du directeur adjoint de l’Office of Drug Research and Review de la FDA était censée envoyer un message à un large public : la FDA voulait que les médicaments racémiques soient résolus et leurs énantiomères caractérisés. Par ces remarques, la FDA donnait des indications sur son orientation future. Cette orientation, enchâssée dans les directives de 1987 de la FDA, allait finalement se cristalliser pour devenir la politique de la FDA en 1992.

 

Événement 4 : les directives de 1987 de la FDA et le Comité sur les stéréo-isomères

[733]       La Dre Weissinger a témoigné que, en raison d’une certaine confusion à propos de la politique des stéréo-isomères, elle avait été priée de coprésider un comité avec le Dr Kumkumian et de rédiger une politique pour la FDA concernant ces composés. Le Comité sur les stéréo-isomères fut mis sur pied en 1989. La même année, la Dre Weissinger avait rédigé un document informant les milieux pharmaceutiques [TRADUCTION] « que la FDA allait proposer une politique et que nous nous rencontrions à cette fin, et nous avions un nouveau comité et ce en quoi consistait le mandat du comité » (Weissinger, T2580-2582).

 

[734]       Le Comité sur les stéréo-isomères avait procédé à une appréciation et la Dre Weissinger avait finalement rédigé ce qui allait devenir la politique de 1992 de la FDA.

 

Événement 5 : l’article de 1989 de la revue Nature et l’appel au développement de nouveaux médicaments

 

[735]       Il est utile de mentionner que, en 1989 (deux ans avant la date pertinente en l’espèce), dans la prestigieuse revue scientifique Nature (vol. 342, no 6250), le Dr Davies a écrit que [traduction] « il est maintenant bien établi que les deux énantiomères des molécules chirales ont des effets pharmacologiques différents ». Il ajoute que [traduction] « [n]ous sommes à l’aube de la synthèse asymétrique – dans un proche avenir, ce sera pratique courante que de synthétiser tous les nouveaux médicaments potentiels sous forme d’énantiomères uniques, et les organismes de réglementation exercent déjà des pressions en ce sens » [non souligné dans l’original]. Cet énoncé reprend en grande partie les éléments du discours du Dr Kumkumian.

 

[736]       De plus, la Cour convient avec le Dr Davies que, globalement, les publications n’indiquaient pas au chimiste ordinaire comment obtenir les énantiomères en 1987. Les écrits du Dr Davies en 1986 et 1987 semblent indiquer une connaissance du fait que les énantiomères d’une molécule pouvaient avoir des effets différents. Ainsi, le Dr Davies a écrit en 1986 que [traduction] « il est maintenant généralement admis que les deux énantiomères d’une molécule peuvent avoir un effet différent in vivo. Pour cette raison, la recherche de nouvelles méthodes plus efficientes et, plus important encore, plus générales de synthèse de composés organiques énantiomériquement purs s’intensifie » (Asymetric synthesis – Prospects for industry: Stereoselective synthesis via arene chromium tricarbonyl complexe [Synthèse asymétrique – perspectives pour l’industrie : Synthèse stéréosélective au moyen de complexes arènes chrome tricarbonyle], 1986, p, 173) [non souligné dans l’original]. Il a également écrit en 1987 qu’on [traduction] « perçoit de plus en plus les effets biologiques différents des molécules énantiomériques ».

 

[737]       Eu égard à ce qui précède, et étant donné que les documents ou articles publiés sont généralement présentés de six (6) mois à un an avant leur publication, la Cour conclut que des chimistes de renom dans le domaine de la découverte de médicaments savaient en 1989, ou avant, que [TRADUCTION] « les instances réglementaires font déjà pression [en faveur d’une séparation des énantiomères] ». [Non souligné dans l’original.]

 

Événement 6 : un partenaire de coentreprise s’enquiert des données sur les énantiomères

 

[738]       Au milieu de la décennie 1980, Sanofi était partenaire d’une coentreprise constituée avec certaines sociétés japonaises. Il convient de faire état d’une lettre interne de Sanofi, en date du 29 septembre 1986, qui fut envoyée à des personnes de haut rang, dont M. Pierre Simon. Cette lettre, qui renfermait une demande de la coentreprise japonaise, concerne en particulier les énantiomères du PCR 4099. On peut y lire ce qui suit, à la page 2, section B, sous la rubrique [TRADUCTION] « Autorités sanitaires » : [TRADUCTION] « dans le contexte de la coentreprise japonaise, nous avons été priés de “séparer et étudier les énantiomères”, sans plus de détails ». [Non souligné dans l’original.]

 

[739]       Cette même lettre fait aussi référence à une demande semblable de la FDA :

[TRADUCTION]

 

MEIJI-SEIKA et TAISHO se sont fait dire que les travaux étaient en cours sur ces énantiomères. Mais ils n’ont pas reçu de rapport. Concernant la FDA, le télex de A. URDANG (16 sept. 1986), interrogé sur ce sujet par W. CAUTREELS, est dans la même veine.

 

[740]       Au cours de l’instruction, le Dr Maffrand n’a pas donné d’autres explications concernant le paragraphe ci-dessus. En contre-interrogatoire, il a dit qu’il ne connaissait pas A. Urdang et que le télex mentionné dans la lettre avait été demandé dans la procédure introduite aux États-Unis, mais n’avait jamais été trouvé.

 

Événement 7 : la politique de 1992 de la FDA en vigueur

 

[741]       La Dre Weissinger a témoigné que la politique de la FDA sur les stéréo-isomères avait pris effet le 1er mai 1992 et que, avant 1992, il n’existait aucune politique coordonnée sur la manière de traiter les stéréo-isomères.

 

[742]       La politique de 1992 de la FDA signalerait donc un changement à long terme du paysage pharmaceutique, car cette nouvelle politique exigeait de manière générale que l’on expérimente désormais tous les nouveaux médicaments chiraux pour savoir si une forme isomère pure éliminerait les effets secondaires indésirables.

 

b)    Résumé

[743]       Au vu de la preuve, les « balbutiements » se rapportant aux énantiomères et à leurs divers effets ont débuté au début de la décennie 1980 et se sont clairement intensifiés au milieu de cette même décennie. Il est vrai que la politique de la FDA s’est cristallisée à la faveur de sa diffusion en 1992, néanmoins les stéréo-isomères étaient un sujet d’intérêt au milieu de la décennie 1980. La politique de 1992 de la FDA constitue le résultat final de discussions et de modifications qui étaient bien engagées durant la décennie 1980. Par conséquent, la Cour est d’avis que la politique de 1992 de la FDA ne représente pas le début d’une connaissance et d’une prise de conscience. Avant 1992, d’importantes étapes avaient été franchies et il était manifeste que le paysage se transformait déjà.

 

[744]       Dès 1985, les instances réglementaires japonaises avaient publié des directives de fabrication de produits pharmaceutiques. La même année, Sanofi apprenait, dans une lettre reçue d’un partenaire de la coentreprise, que les mêmes instances japonaises s’intéressaient à la séparation des énantiomères. Cette même lettre faisait aussi référence à une demande semblable de la FDA. Le télex concernant cette lettre n’a pu être trouvé, mais il reste qu’un document de Sanofi parle des requêtes d’instances administratives du Japon et des États-Unis concernant la séparation des énantiomères.

 

[745]       Également en 1986, le Dr Kumkumian s’était exprimé devant un large public et avait décrit les attentes de la FDA pour les années à venir – c’est-à-dire le fait que les propriétés des énantiomères allaient probablement devenir une exigence du processus de réglementation. Le Dr Wainer, qui avait travaillé à la FDA jusqu’en 1986, a évoqué le changement de culture et les attentes au sein de la FDA au milieu de la décennie 1980.

 

[746]       La preuve montre que, au milieu de la décennie 1980, il y avait eu clairement des discussions et des débats animés sur la séparation des énantiomères. Dans un article publié en 1987, les auteurs écrivaient dans le Journal of Medicinal Chemistry qu’on [TRADUCTION] « s’intéressait vivement à l’étude des énantiomères » (P-178). De même, le Dr Maffrand a attesté qu’il n’existait aucune réglementation officielle, mais qu’il y avait un débat sur le sujet au sein des autorités sanitaires des États-Unis. Il a ajouté que, bien que ce ne fût pas un élément majeur dans la décision de séparer les énantiomères du PCR 4099, ce débat avait néanmoins été pris en compte. Le Dr Maffrand a déclaré aussi que le débat avait eu lieu au sein de la communauté scientifique avant que ne soit prise la décision de séparer les énantiomères du PCR 4099 (Maffrand, T4928) :

[TRADUCTION]

 

Q.   Et ces discussions au sein de la communauté scientifique existaient à la date où vous avez pris la décision de séparer les énantiomères du PCR 4099. Est-ce exact?

R.    Oui, c’est ce que j’ai dit. Mais elles existaient déjà depuis plusieurs années.

 

 

Q.   And those discussions in the scientific community were ongoing at the time you made the decision to separate the enantiomers of 4099. Is that correct?

A.   Yes, that’s what I said. They existed for a number of years already. They had been going on for a number of years.

 

[747]       Le Dr Davies a laissé entendre que les compagnies pharmaceutiques s’abstenaient de résoudre les racémates de peur de trouver un meilleur composé, mais, eu égard à l’ensemble de la preuve, la Cour n’accepte pas le témoignage du Dr Davies sur ce point. Il convient de signaler que ce témoignage ne s’accorde pas avec le fait que Sanofi résolvait déjà des énantiomères durant cette période – c’est-à- dire le PCR 1033 et le PCR 3549.

 

[748]       Il est donc difficile de conclure qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas été au courant des discussions qui avaient lieu sur la question au milieu de la décennie 1980, sauf à choisir délibérément de ne pas en tenir compte. À tout le moins, en 1986-1987, il était clair que la séparation des énantiomères pouvait se faire et il était donc important de procéder à des expérimentations afin d’anticiper ce qui s’annonçait.

 

[749]       Il s’ensuit que, bien que la politique officielle de la FDA ait été diffusée en 1992 et que le document intitulé [TRADUCTION] « Directives de 1987 de la FDA » n’ait jamais été publié ou distribué, la preuve indique que les publications, le discours du Dr Kumkumian, les attentes des instances réglementaires japonaises, enfin les « balbutiements » grandissants autour des stéréo-isomères, tout cela rendait compte du contenu et de l’esprit des directives de 1987 de la FDA à l’époque en cause. Les discussions et les attentes de la communauté scientifique étaient arrivées au point où l’on ne pouvait plus revenir en arrière. À la date pertinente, il y avait eu changement de paradigme.

 

c)    Conclusion sur la motivation

[750]       Pour tous ces motifs, la Cour estime que la personne moyennement versée dans l’art aurait donc été motivée à séparer les énantiomères du PCR 4099. En arrivant à cette conclusion, la Cour sait qu’elle ne doit pas oublier que l’« évidence » ne constitue pas un frein à l’innovation (arrêt Plavix, paragraphes 64 et 65).

 

[751]       La Cour examinera maintenant ce que fut la ligne de conduire effective qui a abouti à l’invention.

 

(4)   La ligne de conduite effective qui a mené à l’invention

 

[752]       Le Dr Maffrand n’était pas désigné comme l’un des inventeurs dans le brevet, mais l’idée de séparer les énantiomères du PCR 4099 était l’idée du Dr Maffrand. Il avait prié M. Badorc et le Dr Fréhel de séparer les énantiomères (Maffrand, T4792-T4793).

 

[753]       La question n’a pas été posée dans la présente affaire, mais la Cour s’interroge si le Dr Maffrand n’aurait pas dû être désigné comme l’un des inventeurs dans le brevet 777. Cependant, la Cour n’est pas saisie de la question et elle ne l’examinera pas ici.

 

[754]       M. Badorc a obtenu un diplôme universitaire de technologie, option chimie, en 1972, à l’Université de Rennes, en France, où il a appris la méthode de séparation des sels diastéréomériques. La séparation des énantiomères du PCR 4099 ne fut pas la première séparation d’un composé faite par M. Badorc. Il avait déjà séparé d’autres composés – à savoir le PCR 1033.

 

Le PCR 1033

[755]       En 1975, on avait procédé à des essais pour savoir si le PCR 1033 présentait des propriétés inhibitrices d’agrégation plaquettaire, et il était apparu qu’il pouvait se prêter à un développement comme inhibiteur d’agrégation plaquettaire. Cependant, d’après les études pharmacologiques, la toxicité observée avait semblé pire que celle de la ticlopidine. Il fut donc décidé que le PCR 1033 ne justifiait pas un développement plus poussé.

 

Les énantiomères du PCR 1033 : le PCR 3071 et le PCR 3072

[756]       En 1978, le Dr Maffrand a demandé à M. Badorc de séparer les énantiomères du PCR 1033 au moyen de la technique de dédoublement par formation de sels diastéréomériques. Il s’agissait de la première fois qu’il utilisait cette technique, qu’il avait apprise à l’Université de Rennes, et, dès sa première tentative, il a réussi à séparer les énantiomères du PCR 1033. Ses travaux ont débuté le 16 juin 1977 et se sont terminés le lendemain. L’énantiomère lévogyre a été appelé PCR 3071 et l’énantiomère dextrogyre, PCR 3072. Il s’est avéré plus tard que le PCR 3071 était moins bien toléré que la ticlopidine et ne pouvait pas être administré à l’humain. La mise au point du PCR 3071 a donc été interrompue.

 

Le PCR 3549

[757]       Également en 1978, M. Badorc a synthétisé l’analogue éthylique de la ticlopidine, qui a été nommé PCR 3233. Le PCR 3233 était une base huileuse, mais M. Badorc a pu fabriquer un nitrate (sel) cristallin, qui a été baptisé PCR 3549. Le Dr Maffrand a demandé à M. Badorc de séparer les énantiomères du PCR 3549. M. Badorc n’a cependant pas réussi à le faire au moyen de la technique de formation de sels diastéréomériques, la même qu’il avait employée avec le PCR 1033. M. Badorc a donc décidé d’essayer une autre technique appelée synthèse asymétrique. Deux énantiomères (PCR 3620 et PCR 3621) ont été obtenus à partir du PCR 3549 par synthèse asymétrique.

 

[758]       Constatant un rapport activité/toxicité apparemment favorable, le Dr Maffrand avait estimé que le PCR 3549 devrait être développé comme candidat-médicament. Cependant, vu les problèmes de toxicité chez l’animal et l’absence d’une activité thérapeutique suffisante, le développement du PCR 3549 fut abandonné.

 

La résolution du PCR 4099

[759]       M. Badorc a déclaré que le Dr Maffrand avait pris la décision – peut-être avec la Division de la recherche de Sanofi – de séparer les énantiomères du PCR 4099. Il y a eu en tout trois (3) tentatives de résoudre le PCR 4099.

 

[760]       Tout d’abord, M. Badorc et le Dr Fréhel ont convenu que les chances de réussir la séparation des énantiomères du PCR 4099 seraient meilleures avec une technique de synthèse asymétrique similaire à celle employée pour obtenir les énantiomères du PCR 3549 qu’avec la technique de formation de sels diastéréomériques employée avec le PCR 1033. M. Badorc a indiqué que ce choix découlait d’une crainte de racémisation (Badorc, T3936-3940). Toutefois, la Cour a constaté que, dans un rapport rédigé par M. Badorc et le Dr Fréhel et daté du 12 juin 1986 (PCR 4099 Resolution of R and S Enantiomers of PCR 4099 [PCR 4099Dédoublement des énantiomères R et S du PCR 4099]) (P-161), il n’y a aucune mention d’une crainte quelconque de racémisation avec la méthode de formation de sels diastéréomériques. En outre, il n’est non plus nullement question de racémisation dans l’affidavit canadien de M. Badorc de juin 2003 dans la partie qui décrit le dédoublement du PCR 4099.

 

[761]       Quoi qu’il en soit, la synthèse asymétrique a été choisie plutôt que le dédoublement par formation de sels diastéréomériques. M. Badorc a décidé de synthétiser uniquement un énantiomère d’un composé intermédiaire appelé OCBATH (cyclisation au lieu de dédoublement) en prenant une molécule précurseur énantiomériquement pure et en convertissant ce composé intermédiaire en l’un des énantiomères du PCR 4099 par la réaction d’alkylation suivante :

 

 

[762]       Le 12 novembre 1985, M. Badorc a synthétisé pour la première fois l’énantiomère dextrogyre du méthyl-2-chlorophényl-glycinate. Il a ensuite synthétisé l’énantiomère lévogyre. Les deux synthèses ont été effectuées grâce à la réaction de condensation suivante :

 

 

[763]       Ce produit énantiomériquement pur a ensuite été utilisé dans la réaction suivante :

 

 

[764]       Ces expériences ont produit le composé OCBATH. Cependant, les résultats analytiques montraient que la réaction d’alkylation avait conduit à une racémisation, donnant à M. Badorc le composé racémique OCBATH, au lieu des énantiomères simples qu’il recherchait. Ce mode de synthèse fut donc abandonné.

 

[765]       Par la suite, M. Badorc a décidé de synthétiser les énantiomères du PCR 4099 en dédoublant le composé racémique OCBATH par formation d’un sel diastéréomérique avec un acide chiral, puis en procédant à une recristallisation fractionnée. M. Badorc a réussi à produire un sel d’un des énantiomères de l’OCBATH. Cependant, il a expliqué que, lorsqu’il a tenté de cycliser les énantiomères de l’OCBATH afin d’obtenir les énantiomères correspondants du PCR 4099, il a obtenu le racémique PCR 4099 dans les deux cas. Cette approche a aussi été abandonnée.

 

[766]       M. Badorc s’est alors tourné vers un précurseur du PCR 4099, le PCR 3068, mais la séparation n’a pas réussi. Il s’est alors tourné à nouveau vers le PCR 4099 pour une troisième tentative.

 

[767]       Après l’échec de ses deux tentatives de synthèse asymétrique avec le PCR 4099, M. Badorc a décidé de séparer les énantiomères par la technique de formation de sels diastéréomériques, la même qu’il avait employée avec succès pour dédoubler le PCR 1033, mais avait d’abord écartée pour le PCR 4099. M. Badorc a affirmé que la décision d’avoir recours à un acide était risquée, car l’acide peut racémiser les énantiomères (Badorc, T3950-3952). La combinaison d’un acide et de solvants donne une gomme. M. Badorc a expliqué qu’il avait installé une série de tubes contenant différentes quantités d’acide camphre-10-sulfonique dextrogyre avec différents solvants. Il a ensuite scellé les tubes et attendu un mois avant que des cristaux ne se forment. Il a ensuite ajouté 0,4 équivalent d’acide camphre-10-sulfonique dextrogyre, et, après 48 heures, quelques cristaux sont apparus. Après d’autres manipulations, le 15 avril 1986, M. Badorc a réussi à obtenir les énantiomères du PCR 4099.

 

[768]       Le Service de biologie a vérifié si les énantiomères individuels présentaient une activité. Les essais ont révélé que l’énantiomère dextrogyre du PCR 4099 était complètement actif et que l’énantiomère lévogyre était inactif. L’énantiomère lévogyre s’est également révélé plus toxique que l’énantiomère dextrogyre (c’est-à-dire le clopidogrel).

 

[769]       Ensuite, Sanofi s’est penchée sur la fabrication du clopidogrel à titre de sel pharmaceutiquement acceptable. Le 3 juillet 1987, Sanofi disposait de trois (3) sels : le camphosulfonate, l’hydrogénosulfate et le bromhydrate, les trois étant candidats au développement. Le 11 août 1987, Sanofi a mis à l’essai les sels et déterminé que l’hydrogénosulfate et le camphosulfonate avaient une stabilité physique et chimique analogue et que leurs propriétés étaient plus avantageuses que celles du bromhydrate et du chlorhydrate.

 

[770]       La Cour a eu l’avantage d’écouter M. Badorc durant deux (2) jours. Durant ces deux (2) jours, il a semblé rectifier constamment son témoignage. Des parties essentielles de son témoignage sont demeurées incomplètes, incohérentes, et, dans une certaine mesure, elles ont laissé la Cour perplexe. Il y a plusieurs divergences entre le récit fait par M. Badorc à la Cour et la preuve documentaire, plus précisément son carnet de laboratoire.

 

[771]       Les divergences les plus importantes qui sont apparues au cours de l’instruction se trouvent dans le carnet de laboratoire de M. Badorc se rapportant aux criblages in vitro (que l’on appelle aussi le « jardin secret » du chimiste).

 

Les essais in vitro

[772]       Selon les cahiers de laboratoire de M. Badorc, le 4 mars 1986, un équivalent d’acide camphre sulfonique a été ajouté au PCR 4099 dans l’éthanol. Une gomme a été obtenue pendant l’expérience, mais aucun cristal ne s’est formé (Badorc, T4115). Le 18 mars 1986, 0,4 équivalent d’acide camphre sulfonique a été ajouté au PCR 4099 dans l’acétone, et, le 21 mars 1986, des cristaux ont été obtenus, ce que confirme l’entrée du 24 mars 1986 (Badorc, T4135).

 

[773]       M. Badorc a témoigné avoir mené une série de criblages in vitro. Le problème que pose le témoignage de M. Badorc est que ces criblages in vitro n’ont pas été consignés dans son carnet de laboratoire et n’ont pas été soumis à la Cour dans d’autres documents. Les criblages in vitro sont déterminants pour attester la difficulté des travaux alléguée par M. Badorc, mais son témoignage sur ce point n’a pas été persuasif.

 

[774]       M. Badorc a dit à la Cour que, s’il n’avait pas consigné dans son carnet les expériences infructueuses in vitro, c’est parce qu’il avait finalement réussi. Il a dit que son carnet de laboratoire faisait état de la réussite finale. Il a aussi donné une explication étrange au fait que les criblages in vitro n’apparaissaient pas dans le carnet de laboratoire : le « jardin secret » du chimiste (Badorc, T4117). D’après ce concept, le chimiste est dispensé de consigner ses tentatives infructueuses. Or, dans d’autres cas, le carnet de laboratoire fait état de tentatives infructueuses dans la formation de sels diastéréomériques pour le PCR 4099. N’est donc pas convaincante l’explication donnée par M. Badorc pour justifier le fait que, si ses expériences n’avaient pas été consignées, c’est parce qu’elles avaient été des échecs avant que finalement une expérience ne soit couronnée de succès. Cette explication est contredite par le fait qu’il avait consigné son expérience du 4 mars 1986, qui avait été un échec. Elle est aussi contredite par le fait que l’expérience infructueuse avec l’acide tartrique a été consignée pour la tentative de séparation du PCR 3549 avant que ne soient consignées les expériences infructueuses avec d’autres acides. En somme, M. Badorc semblait appliquer des critères subjectifs variables aux expériences qui finiraient par être consignées dans son carnet. L’explication qu’il a donnée pour justifier ce manque de cohérence n’a pas convaincu la Cour.

 

[775]       Finalement, il est pris note incidemment que la déposition de M. Badorc aux États-Unis ne fait pas état des essais in vitro, et, selon le témoignage produit par M. Badorc durant l’instruction, ces expériences avaient débuté en février 1986. Cependant, d’après le témoignage qu’il a produit devant la juridiction canadienne dans l’affaire relative à l’avis de conformité, témoignage qui fut repris dans son affidavit australien, ces expériences avaient été tentées en mars 1986. C’est là une autre divergence qui affaiblit ici la crédibilité de M. Badorc en tant que témoin.

 

[776]       La Cour est également d’accord avec Apotex pour dire que les souvenirs très précis de M. Badorc au sujet d’expériences dans des tubes qui n’ont pas été consignées, de même qu’au sujet des agents de dédoublement, de leurs quantités et des solvants, ne cadrent nettement pas avec ses troubles de mémoire en ce qui concerne la tentative de dédoublement du PCR 3549. Contrairement aux essais dans des tubes dans le cas du PCR 4099, les expériences de dédoublement du PCR 3549 ont été consignées dans les notes de laboratoire de M. Badorc. Néanmoins, en 2003, sous serment, M. Badorc avait tout simplement oublié qu’il avait tenté le dédoublement par formation de sels diastéréomériques et avait réussi à séparer les énantiomères pas synthèse asymétrique. Il a oublié le dédoublement du PCR 3549, bien qu’il se fût agi de sa toute première tentative de synthèse asymétrique d’un énantiomère. La Cour n’admet pas que ces incongruités soient banales. Elles sont plutôt liées à une série de points matériels litigieux en l’espèce.

 

[777]       M. Badorc a aussi mentionné qu’il avait intégré dans l’expérience du 18 mars 1986 des cristaux provenant du deuxième des deux criblages. Cela non plus n’était pas consigné dans son carnet de laboratoire pour les expériences du 18 mars. Si ce fait avait été consigné, il aurait sans doute pu confirmer l’existence des expériences in vitro.

 

[778]       Une question se pose aussi à propos du temps consacré à la séparation des énantiomères du PCR 4099. M. Badorc a dit que cette opération avait occupé la plus grande partie de son temps durant cinq (5) mois. Il a aussi témoigné qu’il avait attendu un mois – de la mi-février à la mi‑mars 1986 – avant d’obtenir les premiers cristaux. Les cinquante-cinq (55) jours de travail de M. Badorc, hormis les criblages in vitro, ne figurent pas dans le carnet de laboratoire, ni dans un autre document. Aucune liste de numéros de page du carnet de laboratoire n’a été produite, qui permettrait à la Cour de calculer les cinquante-cinq (55) jours de travail allégués par M. Badorc. L’explication approximative et vague donnée par M. Badorc sur ce point n’a pas été convaincante.

 

[779]       M. Badorc a aussi confirmé avoir utilisé des acides camphre sulfoniques, suivant les travaux de Jacques et Collet, acides qui étaient disponibles commercialement. À l’époque où M. Badorc a procédé au dédoublement du PCR 4099, il croyait que l’acide camphre sulfonique était l’acide le plus fort :

[traduction]

 

Q.   Merci. Nous avons parlé de certains des acides chiraux hier, et je crois que vous avez aussi fait mention de Jacques et Collet hier pendant votre témoignage. Ai‑je raison de dire que, au moment où vous vous apprêtiez à dédoubler le 4099, il existait une liste d’acides optiquement actifs disponibles, une liste de produits commerciaux?

R.    Oui, oui, dans tous les catalogues qui peuvent exister, Aldrich, Sigma, j’en passe, il y a la liste d’acides chiraux commercialement disponibles.

Q.   D’accord. Et parmi cette liste, diriez‑vous qu’il y avait peut‑être une dizaine d’acides optiquement actifs que vous pouviez vous procurer?

R.    Je dirais, à l’époque, peut être bien à l’époque oui, même peut être plus ou peut être moins, je ne sais pas.

Q.   D’accord.

R.    Mais il y avait des acides chiraux disponibles commercialement, qu’on voyait dans tous les catalogues, disponibles dans tous les laboratoires.

Q.   D’accord. Et aurais-je raison de dire que, parmi tous les acides auxquels vous aviez accès, le plus fort à l’époque où vous effectuiez des séparations était l’acide camphre sulfonique?

R.    Non.

Q.   Avez-vous encore – je vous ai demandé de le mettre de côté, je suis désolé, mais le document numéro 7, le procès aux États‑Unis, je voudrais que vous alliez à la page 1817. Je voudrais que vous alliez – l’avez-vous, 1817? Je crois que vous l’avez, car vous semblez lire. 1817, je voudrais que vous alliez à la ligne 11. La cour vous a posé la question suivante à cette occasion :

« Grosso modo, avec combien d’acides optiquement actifs débutez‑vous? Combien y en a‑t-il dans cette liste ou dans les listes auxquelles vous faites référence? »

Vous dites à la ligne 14 :

« Je dirais qu’il y avait environ une dizaine d’acides optiquement actifs, et le plus fort est – je parle du plus fort au moment où nous faisions cela – était l’acide camphre sulfonique. » [Transcription de lecture]

Est-ce que la Cour vous a posé cette question, et avez-vous répondu ainsi à la Cour le 7 février 2007 au cours du procès aux États‑Unis?

R.    C’est la réponse que j’ai donnée au tribunal, oui, parce que je pensais, j’avais mis l’acide toluyl tartrique et dibenzoyl tartrique dans la série de tubes, et c’est vrai que je pensais que le camphre sulfonique était le plus fort. Et c’est qu’après que j’aie regardé, j’ai vu de que l’acide toluyl tartrique, que je pensais un peu plus faible que l’acide camphre sulfonique, ne l’était pas. En fait, c’était le toluyl tartrique qui était le plus fort. Mais à l’époque où j’ai témoigné ça aux États‑Unis, je pensais que l’acide camphre sulfonique, oui, était plus fort que l’acide dibenzoyl tartrique. Et j’ai contrôlé après, et c’est en fait, l’inverse. C’est le toluyl tartrique qui est plus fort, après le dibenzoyl tartrique et après l’acide camphre sulfonique.

Q.   Donc, après le procès, vous avez appris ou découvert que l’acide camphre sulfonique n’était pas l’acide le plus fort. Vous avez appris cela après le procès; est‑ce exact?

R.    Après le procès, oui. Je savais que les autres étaient des acides forts, mais je pensais que l’acide camphre sulfonique, innocemment, était plus fort que l’acide dibenzoyl tartrique. J’étais un peu surpris, mais en fait, le plus fort, c’est le dibenzoyl tartrique.

Q.   Donc, jusqu’au procès, vous pensiez que l’acide camphre sulfonique était le plus fort à ce moment‑là, parce que c’est ce que vous avez répondu à la Cour?

R.    Je le pensais, oui, je savais que les autres étaient des acides forts, mais je pensais que l’acide camphre sulfonique était plus fort.

Q.   Lorsque vous avez effectué le dédoublement du 4099, vous pensiez que l’acide camphre sulfonique était l’acide le plus fort; est‑ce exact?

R.    C’est exact.

 

(Badorc, contre‑interrogatoire RD7532)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

Q.   Thank you. We talked about some of the chiral acids yesterday, and I think you mentioned also Jacques and Collet yesterday in your evidence. Am I right that at the time you were going to separate 4099, there was a list of optically active acids that was available, a list of commercial products?

R.    Yes. In all the catalogues which can exist, there is – there is a list of chiral – commercially available chiral acids.

Q.   Okay. And of that list, would you say perhaps there were about a dozen optically active acids that would have been available to you?

R.    At the time, I’d say perhaps even more or even less. I wouldn’t know.

Q.   Okay.

R.    There were chiral acids which were commercially available, which we could see in all of the catalogues, which were available in all labs.

Q.   Okay. And would I be correct that of those that were available to you, the strongest at the time that you were doing the separation was camphorsulfonic acid?

R.    No.

Q.   Do you still have - I told you to put it away, so I’m sorry, but document number 7, the US trial, I would like you to go to page 1817. I would like you to go - do you have it, 1817? I think you have it, because it looks like you are reading. 1817, I would like you to go to line 11. You were asked the question by the Court on that occasion:

“What is the universe that you start with of optically-active acids? How many are in this list or lists that you are referring to?”

You say at line 14:

“I would say that perhaps there are about a dozen optically-active acids, and the strongest being - now, I’m talking about the strongest at the time that we were doing this, was camphorsulfonic acid.” [As read]

Were you asked that question by the Court and did you give that answer to the Court on February 7th, 2007 in the US trial?

R.    That is the question I gave the Court, because I thought I had to put ticlopidine acid in the series of tubes, and it is true that I thought that camphorsulfonic was the strongest. And it is only after I looked at it that I noticed that the tartaric acid, which I thought weaker than camphorsulfonic, was not so. In fact, it was toluoyl tartaric which was the strongest. But at the time when I testified in the United States, I thought that the camphorsulfonic acid, yes, was stronger than the dibenzoyl tartaric acid in a control afterwards, and it was in fact toluoyl (ph.) tartaric acid was the strongest and, after, camphorsulfonic acid.

Q.   So after the trial, you learned or discovered that the camphorsulfonic acid was not the strongest acid. You learned that after the trial; correct?

R.    After the trial, yes. I know that the other was strong acid, but I thought that camphorsulfonic acid was stronger than the dibenzoyl (inaudible) tartaric acid, and I was surprised but in fact the strongest is the dibenzoyl tartaric acid.

Q.   So up until the trial, your belief that the camphorsulfonic acid was the strongest acid, then, because that is the answer you gave to the Court?

R.    Yes, I thought so. I thought the camphorsulfonic was stronger.

Q.   When you did the separation of 4099, your belief was that the camphorsulfonic acid was the strongest acid; correct?

R.    That is correct.

 

(Badorc, anglais RD7532)

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[780]       La Cour observe que le souvenir de M. Badorc concernant les solvants utilisés semble s’être amélioré entre la présente affaire et les affaires antérieures. Ainsi, M. Badorc a indiqué durant l’instruction qu’il avait utilisé de l’acétone et de l’alcool éthylique avec les acides, alors qu’il n’avait pu, dans une affaire antérieure, donner une réponse sur cet aspect (Badorc, T4035).

 

[781]       Il convient aussi de noter que M. Badorc a décidé de mener ses travaux sur le PCR 4099 en recourant à la synthèse asymétrique, plutôt qu’à la résolution de sels diastéréomériques. Cette décision vient du fait que la résolution de sels diastéréomériques qui avait été couronnée de succès avec le PCR 1033 s’était révélée infructueuse avec le PCR 3549. Cela avait conduit M. Badorc à faire un détour et à s’efforcer de séparer le PCR 4099 en se servant de la technique de la synthèse asymétrique. C’est là un détour que la personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas fait.

 

[782]       Lorsque M. Badorc a fini par revenir à la technique de séparation par formation de sels diastéréomériques, il a réussi à séparer les énantiomères du PCR 4099. Le dédoublement du PCR 1033, du PCR 3549 et, ultérieurement, du PCR 4099 peut donc être perçu comme un continuum. Pendant ses travaux sur le PCR 4099, M. Badorc semble avoir consacré la majeure partie de son temps à la synthèse asymétrique. En effet, M. Badorc a choisi la technique de formation de sels diastéréomériques pour dédoubler le PCR 1033 et a réussi à toutes les étapes (Badorc, T4014). Comme il a été mentionné, ce sont les travaux qu’a exécutés M. Badorc sur le PCR 3549 qui l’ont amené à prendre un « détour » en se servant de la technique de synthèse asymétrique. Cependant, après deux (2) tentatives de synthèse asymétrique, il a fini par revenir à la technique de dédoublement par formation de sels diastéréomériques qu’il avait déjà utilisée avec succès pour dédoubler le PCR 1033 et il a réussi à séparer les énantiomères du PCR 4099. La personne versée dans l’art n’aurait pas été amenée dès le départ à avoir recours à la synthèse asymétrique pour obtenir les énantiomères du PCR 4099. Par conséquent, selon la preuve au dossier, la Cour conclut que la marche qu’a suivie M. Badorc ne posait pas de difficulté majeure.

 

(5)   Conclusion sur l’évidence

[783]       En fin de compte, la Cour estime que le composé PCR 4099, mais non ses propriétés, faisait partie des connaissances générales courantes et figurait dans le brevet de genre 875; la personne moyennement versée dans l’art aurait été dirigée vers la méthode classique Pasteur; les solvants pertinents les plus couramment utilisés dans la résolution de sels diastéréomériques (méthode Pasteur) étaient connus; la sélection de sels était une méthode établie et notoirement connue à l’époque pertinente; il existait à la date pertinente une motivation à séparer les énantiomères du PCR 4099.

 

[784]       Prenant tous les facteurs en compte, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’invention décrite dans le brevet 777 résultait d’un « essai allant de soi » et que le brevet 777 ainsi que ses revendications sont donc invalides.

 

IX        Conclusions générales

[785]       En conclusion, l’action en invalidation intentée par Apotex dans le dossier n° T-644-09 est donc accueillie. En conséquence, l’action intentée par Sanofi dans le dossier T-933-09 est rejetée.

 

[786]       En résumé, la Cour juge que chacune des revendications du brevet 777 est invalide pour cause d’absence d’utilité. Plus précisément, la Cour juge que le brevet 777 ne remplit pas les conditions d’une prédiction valable.

 

[787]       Par ailleurs, dans le cas où le brevet 777 remplirait les conditions d’une prédiction valable, la Cour juge, au vu du dossier qui lui a été soumis, et selon la prépondérance des probabilités, que les revendications étaient évidentes à la date à retenir pour l’évidence.

 

[788]       En ce qui a trait aux dépens, les parties se verront accorder un délai pour tenter de résoudre elles‑mêmes cette question. La protonotaire Tabib a informé la Cour qu’elle se mettrait à la disposition des parties pour régler cet aspect. La Cour est sûre que les parties y parviendront.

 

[789]       Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront signifier et déposer des observations écrites sur les dépens au plus tard le vendredi 13 janvier 2012. Ces observations ne devraient pas dépasser dix (10) pages. Des réponses ne dépassant pas cinq (5) pages pourront être signifiées et déposées au plus tard le vendredi 27 janvier 2012.

 

[790]       Finalement, la Cour remercie de nouveau les avocats des parties pour leur professionnalisme, leur attitude respectueuse et leur courtoisie les uns envers les autres ainsi qu’envers la Cour.

 

POST-SCRIPTUM

[1]       Les présents motifs publics sont une version expurgée des motifs confidentiels, qui ont été délivrés le 6 décembre 2011, conformément à la directive portant la même date. Les parties ont informé la Cour le 13 décembre 2011 que certains passages des motifs confidentiels devraient être retranchés.

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


ANNEXE A

 

Liste des témoins

 

A.        Les témoins experts d’Apotex

 

(1)        Le Dr Jack Hirsh

Le Dr Jack Hirsh est un médecin en titre s’occupant de recherche clinique, et un hématologue spécialisé dans les anticoagulants, les plaquettes et les thromboses, qu’il s’agisse de recherche ou de thérapie, ainsi que dans le diagnostic, la prévention et le traitement des thromboses artérielles et veineuses chez l’humain.

 

Le Dr Hirsh s’est exprimé sur l’hémostase et la thrombose. Il a expliqué comment fonctionnent les plaquettes et comment se forment les thromboses artérielles et veineuses. Il s’est aussi exprimé sur les essais qui étaient couramment utilisés pour mesurer l’agrégation plaquettaire et/ou les propriétés d’inhibition de l’agrégation plaquettaire, et il a évoqué les essais utilisés dans le brevet 777. Il a aussi parlé des modèles animaux, des différences entre les espèces et de l’extrapolation de l’animal à l’humain. Finalement, il s’est exprimé sur les abrégés concernant le PCR 4099.

 

(2)        Le Dr James E. Sanders

Le Dr James Sanders est un toxicologue spécialisé dans la toxicologie vétérinaire, la pathologie toxicologique et vétérinaire, la sécurité, la pharmacologie et l’évaluation des risques. Il a une compétence particulière dans l’application des connaissances de ces domaines à la conception, à la conduite, à l’évaluation, et aux conclusions qui peuvent être tirées, d’études animales ou humaines en tant que prédicteurs de réactions toxicologiques humaines dans le contexte du développement de produits pharmaceutiques à usage humain et d’exigences réglementaires portant sur la diffusion de l’information toxicologique pour les produits pharmaceutiques destinés à l’usage humain et sur la présentation de données toxicologiques à la FDA, y compris de mémoires concernant les nouveaux médicaments de recherche.

 

Le Dr Sanders s’est exprimé sur des questions de toxicologie. Il a fourni des renseignements généraux sur les principes de l’ADME, les essais d’évaluation de la DL50 et de la DE50 (dose efficace 50 %) et le calcul de l’indice thérapeutique. Il a aussi parlé des études de toxicité du PCR 4099, des études du brevet 875 et de celles présentées au tableau IV du brevet 777. Son témoignage a aussi porté sur les essais chez l’humain et sur l’extrapolation à l’humain des données sur la toxicité chez le rat.

 

(3)        Le Dr Irving Wainer

Le Dr Irving Wainer est un spécialiste de la chimie médicinale et de la pharmacologie stéréospécifique des médicaments chiraux, y compris de leurs propriétés stéréochimiques et pharmacologiques, de leur synthèse et de leurs résolutions, ainsi que de leur comportement métabolique et pharmacologique. Il est aussi un spécialiste des exigences et pratiques réglementaires des compagnies pharmaceutiques en ce qui concerne les médicaments racémiques et leurs énantiomères, leur développement et les mémoires présentés aux instances réglementaires.

 

Le Dr Wainer a offert un témoignage sur la chimie et les composés chiraux. Il a donné des renseignements de base sur l’histoire de la chromatographie chirale (CLHP) et a décrit les techniques employées pour séparer les énantiomères. Plus particulièrement, il a parlé de la colonne de type Pirkle, de la colonne d’ADG et de la colonne de cyclodextrine. Le Dr Wainer a expliqué la différence entre un médicament chiral et une propriété chirale. Il a aussi exposé les raisons d’ordre réglementaire qui motivent la séparation des énantiomères (politique de la FDA de 1992).

 

(4)        Le Dr Brian M. Adger

Le Dr Brian Adger est un expert en chimie pharmaceutique, notamment en synthèse de molécules pharmaceutiques chirales, en formation de sels de molécules pharmaceutiques, en séparation des molécules pharmaceutiques antimères d’un mélange racémique, en synthèse directe de molécules pharmaceutiques énantiomériques et en mise au point chimique de nouveaux médicaments dans l’industrie pharmaceutique, y compris la mise au point de nouveaux médicaments chiraux et médicaments comportant un seul énantiomère.

 

Le Dr Adger a parlé de l’isolement d’un seul énantiomère. Il a fourni des renseignements sur la séparation par formation de sels diastéréomériques et la synthèse asymétrique.

 

(5)        Le Dr Rene H. Levy

Le Dr Rene Levy est un expert en pharmacologie qui possède une expertise particulière dans les domaines de la biopharmaceutique, du métabolisme, de l’élimination, de la pharmacocinétique et de la pharmacodynamie des produits médicamenteux et de leurs métabolites.

 

Le Dr Levy s’est exprimé sur la pharmacodynamique et la cinétique des médicaments racémiques. Il a abordé la question des métabolites (secondaires et tertiaires) et la question de leurs rôles dans le métabolisme. Plus précisément, il a abordé la question des différences inter-espèces en ce qui concerne le métabolisme. Finalement, il a témoigné à propos d’études en double aveugle menées sur les humains.

 

La Cour a également admis que le Dr Levy avait une expérience dans le domaine des molécules chirales, y compris la façon dont la réponse à ces produits pharmaceutiques varie d’une espèce animale à l’autre, dont l’humain.

 

B.         Les témoins factuels d’Apotex

 

(1)        Donald John Barber

M. Donald Barber est actuellement directeur des nouveaux produits et du développement de formulations chez Apotex Inc. M. Barber a travaillé pour Apotex Inc., au sein du groupe du développement de formulations, tout au long de la période considérée.

 

M. Barber s’est exprimé sur la nature du travail requis dans le développement de formulations de dosage, y compris sur la nature du travail requis d’abord pour l’évaluation et la définition des caractéristiques physicochimiques de l’ingrédient actif, puis pour les diverses étapes comprises dans le processus de développement de préformulations et de formulations, ainsi que dans la préparation et l’évaluation des lots de la forme dosifiée finale qui sont soumis à l’approbation des instances réglementaires.

 

(2)        Galina Ayyoubi

Mme Galina Ayyoubi est responsable de l’assurance de la qualité du processus de fabrication chez Apotex Inc. Elle est chargée d’élaborer et d’appliquer les protocoles et procédures de contrôle de la qualité régissant l’utilisation et la manutention du matériel servant à la préparation de produits pharmaceutiques.

 

Mme Ayyoubi s’est exprimée sur la nature des procédures et protocoles de contrôle de la qualité d’Apotex, et sur leur application en ce qui concerne la réception et l’utilisation de clopidogrel et de sels de clopidogrel.

 

(3)        John Hems

M. John Hems était auparavant directeur, Affaires réglementaires, chez Apotex Inc. Il a travaillé pour Apotex Inc., au sein du groupe des affaires réglementaires, tout au long de la période considérée.

 

M. Hems s’est exprimé sur l’élaboration des documents réglementaires relatifs à l’Apo‑clopidogrel. Il a précisé l’information requise devant figurer dans les documents de cette nature, notamment dans ceux qui concernent le clopidogrel. Il a aussi témoigné à propos des caractéristiques et des propriétés de l’ingrédient actif utilisé dans les formulations pharmaceutiques, et à propos des formulations pharmaceutiques elles-mêmes, et il a indiqué les extraits des documents réglementaires d’Apotex qui concernaient l’utilisation du clopidogrel à ces fins par Apotex. Il s’est aussi exprimé sur la question des limitations.

 

(4)        Jose Miguel Lazcano Seres

M. Miguel Lazcano Seres est le directeur technique de […].

 

M. Seres a parlé de la méthode employée pour fabriquer le clopidogrel vendu à Apotex.

 

(5)        Edson Sanchez

M. Edson Sanchez est le directeur d’usine de […].

 

M. Sanchez s’est exprimé sur la méthode employée pour fabriquer le clopidogrel vendu à Apotex.

 

(6)        Antoniette Walkom

Mme Antoniette Walkom est vice-présidente de l’assurance de la qualité et des affaires réglementaires chez Apotex Pharmachem. Elle s’est exprimée sur les opérations d’Apotex Pharmachem en général, et plus particulièrement sur ses activités de recherche-développement se rapportant au clopidogrel, y compris sur les documents réglementaires déposés par Apotex Pharmachem.

 

(7)        Le Dr Bernard Sherman

Le Dr Bernard Sherman est le président d’Apotex Inc.

 

Le Dr Sherman s’est exprimé sur l’organisation et l’historique des sociétés Apotex, sur l’approvisionnement en ingrédients pharmaceutiques actifs, y compris le clopidogrel, et sur le développement de l’Apo-clopidogrel.

 

Le Dr Sherman a aussi expliqué le litige canadien se rapportant à l’Apo-clopidogrel, la vente de l’Apo-clopidogrel, y compris les termes de l’échange concernant ce produit, le litige aux États-Unis se rapportant à l’Apo-clopidogrel, les circonstances entourant la conclusion des accords de règlement de mars et mai 2006, la question des limitations et la question de l’utilisation expérimentale.

 

(8)        Le Dr Robert W. Colman

Le Dr Robert Colman est professeur émérite à l’Université Temple.

 

Le Dr Colman a parlé du Xe Congrès international sur la thrombose et l’hémostase, ainsi que du Congrès conjoint de la Société internationale de la thrombose et de l’hémostase. Il a aussi dit ce qu’il savait des abrégés et des affiches présentés durant ces conférences, ainsi que de leur publication.

 

(9)        Gordon Eli Fahner

M. Gordon Fahner est actuellement vice-président de la Chaîne d’approvisionnement chez Apotex Inc. Il a occupé chez Apotex divers postes à responsabilités croissantes dans le domaine de la comptabilité.

 

M. Fahner était très au fait des systèmes et procédures internes utilisés chez Apotex pour enregistrer et suivre la réception et l’utilisation ultérieure des matières servant à l’élaboration de formules pharmaceutiques et à la mise en œuvre des procédés de fabrication d’Apotex.

 

M. Fahner a témoigné à propos des quantités de clopidogrel qui étaient utilisées par Apotex à toutes les fins expérimentales et réglementaires, et il a expliqué comment ces quantités étaient calculées.

 

M. Fahner a évoqué aussi l’organisation des sociétés Apotex, l’approvisionnement en ingrédients pharmaceutiques actifs, y compris le clopidogrel, la fourniture et l’utilisation d’excipients, y compris les excipients liés à l’Apo-clopidogrel, le développement de l’Apo‑clopidogrel. Il a aussi expliqué la vente de l’Apo-clopidogrel, y compris les termes de l’échange concernant ce produit, le litige aux États-Unis se rapportant à l’Apo-clopidogrel, la question des limitations et la question de l’utilisation expérimentale.

 

C.        Les témoins experts de Sanofi

 

(1)        Le Dr Stephen R. Byrn

Le Dr Stephen Byrn est un expert en chimie médicinale, chimie organique et chimie des solides qui possède de l’expérience dans les domaines de la stéréochimie et des composés chiraux, de l’utilisation et de la caractérisation des sels pharmaceutiques, notamment la formulation de produits pharmaceutiques (y compris l’utilité d’éviter l’hygroscopicité, l’hydrosolubilité et la cristallinité), de même qu’une certaine expérience de la recherche de publications scientifiques datant du milieu jusqu’à la fin des années 1980.

 

Le Dr Byrn s’est exprimé sur les diverses méthodes de séparation des énantiomères. Concernant la séparation, il a réagi au témoignage du Dr Wainer. Le Dr Byrn a abordé la question des sels. Plus précisément, il a parlé des listes de sels, des propriétés des sels et du criblage des sels. Il a aussi comparé le procédé utilisé par Apotex pour fabriquer le clopidogrel avec le procédé correspondant de Sanofi (revendication 6 du brevet 777).

 

(2)        Le Dr Joseph V. Rodricks

Le Dr Joseph Rodricks est un toxicologue connaissant bien l’utilisation de données toxicologiques dans la sécurité et l’évaluation des risques, la capacité d’extrapoler à partir de données animales, ainsi que le processus réglementaire et le processus d’approbation des médicaments.

 

Le Dr Rodricks s’est exprimé sur la toxicologie. Il a réagi au témoignage du Dr Sanders. Le Dr Rodricks a parlé des essais précliniques ainsi que des effets indésirables des médicaments. Il a aussi parlé des études internes de Sanofi sur la toxicologie pour le brevet 777.

 

(3)        Le Dr Stephen G. Davies

Le Dr Stephen Davies est un spécialiste de la chimie médicinale et organique connaissant bien la stéréochimie et les composés chiraux, les méthodes employées pour obtenir des énantiomères individuels ainsi que l’incidence biologique de différences chirales. Il sait dans quelle mesure les ouvrages scientifiques étaient accessibles durant la deuxième moitié de la décennie 1980, et il sait également s’il existait, durant cette période, des politiques réglementaires se rapportant aux médicaments pourvus d’un atome chiral.

 

Le Dr Davies s’est exprimé sur la séparation des énantiomères. Plus précisément, il a estimé que ce n’était pas une tâche facile et qu’elle devait être accomplie [TRADUCTION] « à partir de rien ». Il a parlé de la motivation à séparer les énantiomères et il a donné une brève description de l’intérêt grandissant pour les énantiomères. Il a aussi témoigné à propos du PCR 4099. Finalement, il a évoqué les propriétés de composés et l’importance de leur quantité.

 

(4)        Le Dr Ronald J. Shebuski, SR

Le Dr Ronald Shebuski est un pharmacologue cardiovasculaire qualifié qui possède de l’expérience dans les domaines de l’hémostase et de la thrombose, de la pharmacologie des agents antithrombotiques et antiplaquettaires, de la mise au point de tels agents et des techniques in vivo, in vitro et ex vivo employées pour évaluer leur activité biologique. Il est également capable d’extrapoler d’après les résultats de ces techniques et possède une certaine expérience de la recherche de publications scientifiques datant du milieu jusqu’à la fin des années 1980.

 

Le Dr Shebuski s’est exprimé sur l’hématologie. Il a réagi au témoignage du Dr Hirsh. Plus précisément, il a évoqué la question des métabolites et celle de l’extrapolation à l’humain. Il a parlé des métabolites et de leur rôle à ce chapitre. Finalement, il a donné son avis sur la prédiction valable du brevet 777.

 

D.        Les témoins factuels de Sanofi

 

(1)        Le Dr Thierry Saugier

Le Dr Thierry Saugier est vice-président des alliances et des partenariats chez Sanofi-Aventis.

 

Le Dr Saugier a décrit l’organisation de la demanderesse, Bristol-Myers Squibb Sanofi Pharmaceuticals Holding Partnership (la Société), et le rôle de la Société dans la commercialisation du Plavix® (bisulfate de clopidogrel). Le Dr Saugier a aussi évoqué des accords se rapportant à la licence, par Sanofi-Aventis à la Société, de droits de propriété intellectuelle, y compris le brevet canadien 1,336,777.

 

(2)        La Dre Judith Lynn Weissinger

La Dre Judith Weissinger est présidente et première dirigeante de Weissinger Solutions Inc.

 

La Dre Weissinger s’est exprimée sur l’approche adoptée par la Food and Drug Administration des États-Unis pour l’approbation des racémates entre le milieu de la décennie 1980 et le début de la décennie 1990. Elle s’est exprimée aussi sur ses expériences en tant que présidente du Centre pour l’évaluation et la recherche en matière de médicaments, au sein du Comité sur les stéréo-isomères.

 

(3)        Le Dr Frédéric Lacheretz

Le Dr Frédéric Lacheretz est toxicologue et docteur en médecine vétérinaire. Il s’est joint à Sanofi-Aventis (ou à ses prédécesseurs) vers 1983 et il est resté chez Sanofi-Aventis durant plus de vingt ans. En tant que chef des études toxicologiques à l’époque pertinente, le Dr Lacheretz a supervisé des études toxicologiques portant sur les composés de thiénopyridine, en particulier le PCR 4099 et le clopidogrel, études menées durant la décennie 1980 par Sanofi-Aventis.

 

(4)        M. Alain Badorc

M. Alain Badorc est un chimiste à la retraite de Sanofi-Aventis. Il est l’un des inventeurs désignés dans le brevet canadien n° 1,336,777 (le brevet 777). Avant de prendre sa retraite, M. Badorc était directeur du laboratoire du Service thrombose et angiogenèse de Sanofi-Aventis, à Toulouse, en France. Il a témoigné à propos de ses travaux sur les thiénopyridines.

 

(5)        Le Dr Jean-Pierre Maffrand

Le Dr Jean-Pierre Maffrand est un scientifique à la retraite et ancien dirigeant de Sanofi-Aventis. Il a supervisé les inventeurs à l’origine du brevet canadien n° 1,336,777 (le brevet 777), M. Alain Badorc et le Dr Daniel Fréhel. Avant de prendre sa retraite, le Dr Maffrand était premier vice‑président et directeur de la recherche chez Sanofi-Aventis, à Toulouse, en France.

 

Le Dr Maffrand s’est exprimé sur la recherche qu’il avait menée et/ou supervisée concernant les thiénopyridines, et en particulier les composés suivants : le PCR 1033, le PCR 3549, le PCR 4099, le clopidogrel, l’énantiomère lévogyre, les composés 875. Le Dr Maffrand a aussi évoqué le développement du PCR 4099, la séparation du PCR 4099 en ses énantiomères, les tests d’activité effectués sur le clopidogrel, l’énantiomère lévogyre et le PCR 4099, la décision d’interrompre le développement du PCR 4099, enfin les résultats de la phase I des essais cliniques du clopidogrel menés sur des volontaires humains sains.


ANNEXE B

 

PIÈCE 22

 

[traduction]

 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

Étude d’agrégation plaquettaire ex vivo

ADP

Rat

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; dose à l’essai (mg/kg) : 25; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 48 h après le traitement

 

  • Rapport : SA241

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 2,5, 10; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 72 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 8)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05135-S05148)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 2,5, 10; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 6 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 17)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05135-S05141)

 

 

 

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 2,5 à 17,9; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Rapports : SA324, SA331 (p. S276403-S276404), SA353, SA363, SA389, SA390

 

 

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 1,25 à 25; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Cahiers de labo : SA94 (p. S16214-S16218); SA109 (p. S13796-S13798)

 

  • Rapports : SA324, SA331 (p. S276403-S276404), SA353, SA363, SA389, SA390

 

  • Voir aussi : cahier de labo SA111 (p. S05085-S05088)

 

 


 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

 

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀ et ♂; dose à l’essai (mg/kg) : 25; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Cahier de labo : SA94 (p. S16208-S16213)

Études d’administration par voie orale d’une dose unique; doses à l’essai ♀ (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10; doses à l’essai ♂ (mg/kg) : 2,5, 5, 10, 20; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 10)

 

  • Cahiers de labo : SA110 (p. S05035-S05052), SA111 (p. S05089-S05095)

 

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours; doses à l’essai (mg/kg/jour) : variables, de 1 à 25

 

  • Brevet 875

 

  • Rapports : SA305 (p. S65205-S65206), SA340 (p. S09782)

 

Étude d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours; doses à l’essai ♀ (mg/kg/jour) : 0,625, 1,25, 2,5, 5; doses à l’essai ♂ (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10

 

  • Rapport : SA414 (p. 22-23)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05108-S05117)

 

Étude d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 5 jours ♀; dose à l’essai (mg/kg/jour) : 2,5

 

  • Cahier de labo : SA131 (p. S05205-S05208)

 

 

 

Babouin

Études d’administration par voie orale de doses répétées ♀ et ♂ sur une période de 6 jours; doses à l’essai (mg/kg/jour) : variables, de 3,7 à 30

 

  • Résumé (SA457)

 

  • Brochures expérimentales : SA340 (p. S09872), SA305 (p. S65206-S65207)

 

 

 

Étude d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 7 jours; doses à l’essai (mg/kg/jour) : 25, 100, 400

 

  • Rapport : SA397

 

 


 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

Collagène

Rat

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; dose à l’essai (mg/kg) : 25; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 48 h après le traitement

 

  • Rapport : SA241

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 2,5, 10; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 72 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 9)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05135-S05148)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 2,5, 10; essais réalisés à intervalles réguliers sur une période de 6 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 17)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05135-S05141)

 

 

 

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 2,5 à 17,9; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Rapports : SA324, SA331 (p. S276403-S276404), SA353, SA363, SA389, SA390

 

 

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 1,25 à 25; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Cahier de labo : SA94 (p. S16214-S16218)

 

 

  • Rapports : SA324, SA331 (p. S276403-S276404), SA353, SA363, SA389, SA390

 

  • Voir aussi : cahier de labo SA111 (p. S05085-S05088)

 


 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

 

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀ et ♂; dose à l’essai (mg/kg) : 25; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Cahier de labo : SA94 (p. S16208-S16213)

Études d’administration par voie orale d’une dose unique; doses à l’essai ♀ (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10; doses à l’essai ♂ (mg/kg) : 2,5, 5, 10, 20; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Rapport : SA414 (p. 11)

 

  • Cahiers de labo : SA110 (p. S05035-S05052), SA111 (p. S05089-S05095)

 

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours; doses à l’essai (mg/kg/jour) : variables, de 1 à 25.

 

  • Brevet 875

 

  • Rapports : SA305 (p. S65205-S65206), SA340 (p. S09782)

 

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours; doses à l’essai ♀ (mg/kg/jour) : 0,625, 1,25, 2,5, 5; doses à l’essai ♂ (mg/kg/jour) : 1,25, 2,5, 5, 10

 

  • Rapport : SA414 (p. 24-25)

 

  • Cahier de labo : SA111 (p. S05108-S05121)

 

Étude d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 5 jours ♀; dose à l’essai (mg/kg/jour) : 2,5

 

  • Cahier de labo : SA131 (p. S05205-S05208)

 

 

Thrombine

Rat

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 5, 12,5, 15; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Rapport : SA449 (p. SR78584-SR78585)

 

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique; doses à l’essai ♂ (mg/kg) : 2,5, 5, 10, 20; doses à l’essai ♀ (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10; essai réalisé 2 h après le traitement

 

  • Rapport : SA414 (p. 12)
  • Cahier de labo : SA111 p. S05098-S05107)

 

 


 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

 

 

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours ♀; doses à l’essai (mg/kg/jour) : 1, 2,5, 5

 

  • Résumé (SA457)

 

  • Brochures expérimentales : SA340 (p. S09872), SA305 (p. S65205-S65206)

 

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 3 jours; doses à l’essai ♀ (mg/kg/jour) : 0,625, 1,25, 2,5, 5; doses à l’essai ♂ (mg/kg/jour) : 1,25, 2,5, 5, 10

 

  • Rapport : SA414 (p. 26-27)

 

  • Cahier de labo : SA131 (p. S05221-S05228)

 

Modèle de shunt artéroveineux (extracorporel)

Rat

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 10, 12,5, 25

 

  • Cahier de labo : SA50 (p. S05715-S05716, S05719-S05720)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10, 20

 

  • Rapport : SA414 (p. 48)
  • Cahier de labo : SA113 (p. S05197-S05199)

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 8,97 à 35,9

 

  • Cahiers de labo : SA50 (p. S05717-S05718, SA113 (p. S05194-S05195)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; doses à l’essai (mg/kg) : 5, 10, 20

 

  • Cahier de labo : SA113 (p. S05194-S05195)

 

Voir aussi :

 

  • Brevet 875
  • Rapports : SA305 (p. S65209-S65211), SA340 (p. S09784)

 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

Modèle de thrombose avec fil métallique

Rat

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 4,48 à 50

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Rapports : SA389, SA390

 

  • Cahiers de labo : SA90 (p. S05609-S05610, S05615- S05616, S05629- S05630, S05638-S05642), SA49 (p. S05690)

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 1,25 à 20

 

  • Brevet 777 (SA1)

 

  • Rapports : SA414 (p. 51), SA389, SA390

 

  • Cahier de labo : SA90 (p. S05638-S05642, S05647- S05648, S05651- S05652, S05653-S05654)

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 8,97 à 35,9

 

  • Rapports : SA313, SA331 (p. S276403, S276405), SA353, SA363

 

  • Cahier de labo : SA90 (p. S05643-S05644)

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 2,5 à 25

 

  • Rapports : SA313, SA331 (p. S276403, S276405), SA353, SA363

 

  • Cahier de labo : SA90 (p. S05643-S05644)

 

Voir aussi :

  • Rapports : SA305 (p. S65209-S65211), SA340 (p. S09784)

 

  • Cahiers de labo : SA72 (p. S16656), SA114 (p. S59049)

 

Voir aussi :

 

  • Cahiers de labo : SA72 (p. S16649-S16655), SA90 (p. S05623-S05624)

Modèle de stase veineuse

Rat

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 4,46 à 53,8

 

  • Cahier de labo : SA89 (p. S05556-S05557-S05561, S05567)

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10, 20, 30

 

  • Rapport : SA414 (p. 54-55)

 

  • Cahier de labo : SA89 (p. S05567-S05575)

 

 


 

 

ÉTUDE

ESPÈCE

PCR 4099

CLOPIDOGREL

 

 

Voir aussi :

 

  • Rapports : SA305 (p. S65209-S65211), SA340 (p. S09784)

 

 

Étude du temps de saignement

Rat

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : variables, de 2,5 à 25

 

  • Cahier de labo : SA73/112 (p. S05502-S05504, S05507-S05508, S05510-S05511, S05518-S05519)

 

Études d’administration par voie orale d’une dose unique ♀; doses à l’essai (mg/kg) : 1,25, 2,5, 5, 10, 20

 

  • Cahier de labo : SA73/112 (p. S05522-S05523)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; dose à l’essai (mg/kg) : 25

 

  • Rapport : SA245

 

  • Cahier de labo : SA73/112 (p. S05520-S05521)

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique ♂; dose à l’essai (mg/kg) : 2,5

 

  • Cahier de labo : SA73/112 (p. S05526-S05527)

 

Voir aussi :

 

  • Rapports : SA305 (p. S65208-S65209), SA340 (p. S09783)

 

Activité de l’adénylate cyclase plaquettaire

Rat

n/a

 

Étude d’administration par voie orale d’une dose unique; dose à l’essai (mg/kg) : 25

 

  • Rapport : SA414 (p. SR78476-SR78477)

 

Lapin

n/a

Études d’administration par voie orale de doses répétées sur une période de 5 jours; dose à l’essai (mg/kg/jour) : 50

 

  • Rapport : SA414 (p. SR78478-SR78479)

 


ANNEXE C

 

 

Date

Événement

1972

Synthèse de la ticlopidine

1975

Synthèse du PCR 1033

1978

La ticlopidine arrive sur le marché français

16 juin 1977

Résolution des énantiomères du PCR 1033 – PRC 3071, PCR 3072

Septembre 1978

Le PCR 3071 et le PCR 3072 sont soumis à des essais pour une mesure de leur activité et de leur toxicité

Novembre 1978

Synthèse du PCR 3233

Mars 1979

Synthèse du PCR 3549

Mars 1979

La résolution réussie d’intermédiaires du PCR 3549 servira dans une synthèse asymétrique

Avril 1979

Énantiomères du PCR 3233 (3549) obtenus – PCR 3620, PCR 3621

Mai 1979

Le PCR 3620 et le PCR 3621 sont soumis à des essais pour une mesure de leur activité et de leur toxicité

Juillet 1980

Synthèse du PCR 4099

Mars 1983 – avril 1987

Des convulsions chez les babouins sont signalées pour le PCR 4099 (étude de toxicité sur 12 mois)

8 juillet 1983

Date du dépôt de la demande concernant le brevet 875

Fin 1983 – avril 1987

PCR 4099, études sur des humains

1985

Directive japonaise concernant la séparation des énantiomères

Du 14 au 19 juillet 1985

Conférence de San Diego et abrégés et affiches de Sanofi

Novembre 1985

Le Dr Maffrand décide d’obtenir les énantiomères du PCR 4099

21 mars 1986

M. Badorc obtient un énantiomère du PRC 4099

7 avril 1986

Fabrication du sel de chlorhydrate de l’énantiomère L

8 avril 1986

M. Badorc obtient l’énantiomère D du PRC 4099

15 avril 1986

Fabrication du sel de chlorhydrate de l’énantiomère D

Du 1er au 6 juin 1986

Conférence de Jérusalem et abrégés et affiches de Sanofi

29 septembre 1986

Note de service de Vallée à LeFur et al. concernant [TRADUCTION] « Les énantiomères du PCR 4099 », avec section B [TRADUCTION] « Autorités sanitaires », et demande de la coentreprise japonaise pour [TRADUCTION] « une séparation et une étude des énantiomères »

19 mars 1986

Adresse du Dr Kumkumian à l’APA

Janvier 1987

Une brochure d’expert clinique indiquait que le PCR 4099 était très puissant et bien toléré, avec une très bonne marge de sécurité

Février 1987

Politique d’orientation de la FDA concernant les [TRADUCTION] « Directives à suivre pour la présentation de documents justificatifs appuyant les demandes d’agrément de fabrication de médicaments »

17 février 1987

Première demande prioritaire française pour le brevet 777

31 mars 1987

Note de service du Dr Maffrand à MM. LeFur et Simon intitulée [TRADUCTION] « Ma perception du PCR 4099 aujourd’hui », faisant état des [TRADUCTION] « Autorités sanitaires » et de la coentreprise japonaise

16 avril 1987

Note de service de M. Simon intitulée [TRADUCTION] « Le développement du PCR 4099 », faisant état de la décision d’interrompre le développement du PCR 4099

12 mai 1987

SR 25990C, préparation du bisulfate (hémisulfate)

18 mai 1987

Rapport sur les essais de toxicité pour le PCR 4099 et les sels de chlorhydrate de 25990 et 25989.

20 mai 1987

SR 25990D, préparation du sel de chlorhydrate

Juin 1987

Rapport d’étude; Recherche sur les sels cristallins stables du SR 25990

14 septembre 1987

Rapport sur les essais de toxicité des sels du SR 25990

6 novembre 1987

SR 25990E, préparation du sel de taurocholate

27 novembre 1987

Deuxième demande prioritaire française pour le brevet 777

Décembre 1987

Début de l’essai de l’énantiomère D chez l’humain, achèvement en mars 1988

8 février 1988

Date de dépôt de la demande concernant le brevet 777


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-644-09

 

 

INTITULÉ :                                       Apotex Inc. c Sanofi-Aventis

                                                           

 

DOSSIER :                                        T-933-09

 

INTITULÉ :                                       Sanofi-Aventis et Bristol-Myers Squibb Sanofi

                                                            Pharmaceuticals Holdings Partnership

                                                            c Apotex Inc, Apotex Pharmachem Inc

                                                            et Signa Sa de CV

 

 

 

LIEUX DES AUDIENCES :             Toronto (Ontario)

                                                            Ottawa (Ontario)

 

 

DATES DES AUDIENCES :            Les 18, 19, 20, 21, 26, 27, 28 et 29 avril,

                                                            les 3, 4, 5, 9, 10, 11, 16, 17, 18, 19,

                                                            24, 25, 30 et 31 mai ainsi que

                                                            les 1er, 13, 14 et 15 juin 2011

 

 

MOTIFS PUBLICS

DU JUGEMENT :                             LE JUGE BOIVIN

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 décembre 2011

 

 

 

 

 


 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Harry Radomski

Richard Naiberg

Andrew Brodkin

Nando De Luca

Benjamin Hackett

David Scrimger

Sandon Shogilev

Belle Van

 

 

POUR LA DEMANDERESSE,

APOTEX INC.

 

Anthony G. Creber

Cristin A. Wagner

Marc Richard

Rick Dearden

Isabel Rassch

Livia Aumand

 

POUR LES DÉFENDERESSES,

SANOFI-AVENTIS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Goodmans LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gowling Lafleur Henderson LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 



[1] Dans les présents motifs, la Cour désignera sous l’appellation « Sanofi » la société Sanofi-Aventis et la société Bristol-Myers Squibb Sanofi Pharmaceuticals Holdings Partnership.

[2] Dans les présents motifs, la Cour désignera sous l’appellation « Apotex » la société Apotex Inc. et la société Apotex Pharmachem Inc.

[3] La Cour relève que, au départ, l’action en contrefaçon avait aussi été intentée contre Signa, mais qu’il y a eu désistement de l’action contre Signa le 14 septembre 2009.

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