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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20111221

Dossier : T-471-11

Référence : 2011 CF 1508

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2011

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

SAMER SAAD

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le demandeur) fait appel d’une décision, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, ch C-29 [la Loi], rendue le 21 janvier 2011 par le juge de la citoyenneté Thanh Hai Ngo qui a accueilli la demande de citoyenneté de Samer Saad (le défendeur). Pour les motifs suivants, l’appel est accueilli.  

 

I. Contexte

[2]               Le défendeur qui est citoyen de la Syrie est devenu résident permanent du Canada le 30 mars 2005. Il a fait une demande pour obtenir la citoyenneté canadienne le 16 octobre 2008. Au soutien de sa demande, il a déclaré avoir été absent du Canada durant 173 jours au cours de la période de référence de quatre ans prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.  

 

[3]               L’agente de citoyenneté qui a évalué le dossier du défendeur a renvoyé le dossier pour audition devant un juge de la citoyenneté. Dans une note qu’elle a adressée au juge de la citoyenneté, elle a notamment précisé que le défendeur n’avait pas retrouvé son passeport d’entrée et qu’elle n’était donc pas en mesure de vérifier ses absences du Canada avant le 3 septembre 2007. Elle a également noté d’autres éléments qui rendaient incertaines ses périodes de présence et d’absence du Canada.

 

 

[4]               Lors de l’audition, le juge de la citoyenneté a exigé que le défendeur soumette des documents supplémentaires, notamment une lettre des autorités des Émirats arabes unis attestant  ses entrées et sorties du pays, des preuves d’opérations de sa Société et des documents corporatifs afférant à la Société qu’il a incorporée au Canada.   

 

[5]               En réponse, le défendeur a fait parvenir au juge de la citoyenneté deux documents. D’abord, il a soumis une lettre assermentée accompagnée de divers documents démontrant les opérations de sa Société ainsi qu’une lettre de son ancien employeur. Il a également indiqué avoir fait, en vain, des démarches auprès de l’ambassade des Émirats arabes unis pour obtenir une attestation de ses entrées et sorties de ce pays. Il a aussi joint à sa lettre une déclaration assermentée indiquant ses périodes d’absence du Canada pendant la période de mars 2005 à septembre 2008.

 

II. Décision soumise au contrôle judiciaire

[6]               La décision du juge de la citoyenneté est rapportée sur le formulaire Avis au ministre de la décision du juge de la citoyenneté (l’avis de décision). Dans les cases appropriées, le juge a indiqué le nombre de jours de présence et d’absence du Canada revendiqués par le défendeur. Dans la section relative aux motifs, il a inscrit ce qui suit :

Wait for more docs to provide by Feb 10th, 2011- [illisible] Satisfying extra docs provided. Invoices – contracts home- ownership NOA (company).

 

[7]               Le juge de la citoyenneté a également préparé des notes manuscrites qui étaient annexées à l’avis de décision et qui semblent avoir été prises avant et pendant l’audition du défendeur. Ces notes indiquent le nombre de jours de présence et d’absence du Canada revendiqués par le défendeur et consistent, pour l’essentiel, en une liste de documents fournis par ce dernier au soutien de sa demande de citoyenneté, en quelques phrases résumant les circonstances du défendeur et en quelques questions à poser au défendeur lors de l’audition. Ces notes terminent avec une énonciation des documents additionnels que le juge de la citoyenneté a demandé au défendeur de fournir.

 

III. Question en litige

[8]               Le présent appel soulève la question relative au caractère raisonnable de la décision du juge de la citoyenneté.

 

IV. Norme de contrôle

[9]               Les parties ont toutes deux avancé que la décision d’un juge de la citoyenneté qui doit déterminer si un demandeur remplit les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec les parties et je pense que c’est la norme de contrôle reconnue par la très grande majorité des juges de la Cour : (El‑Khader c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 328 aux para 8-10 (disponible sur CanLII) [El-Khader]; Raad c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 256 aux para 20-22, 97 Imm LR (3d) 115; Hao c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 46 aux para 11-12, 383 FTR 125 [Hao]; Deshwal c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1248 aux para 10-11 (disponible sur CanLII); Cardin c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 29 au para 6, 382 FTR 164 [Cardin]; Chaudhry c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 179 aux para 18-20, 384 FTR 117; Chowdhury c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 709 au para 30, 347 FTR 76 [Chowdhury]; Pourzand c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 395 au para 19, 166 ACWS (3d) 222).

 

[10]           La suffisance des motifs fait également partie de l’analyse du caractère raisonnable d’une décision, lequel tient à la fois à sa justification, sa transparence, son intelligibilité et à son résultat final. Dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, 1 RCS 190, la Cour suprême a précisé les caractéristiques que doit posséder une décision pour être jugée raisonnable :

[…] La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

[11]           Dans le très récent arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 14 (disponible sur CanLII) [Newfoundland and Labrador Nurses’ Union], la Cour suprême a précisé les principes énoncés à cet égard dans Dunsmuir, précité. La juge Abella, qui a écrit pour la Cour, s’est exprimée comme suit :

14. […] Il s'agit d'un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c'est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si "la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité" (par. 47).

 

V. Analyse

[12]           Le juge de la citoyenneté devait déterminer si le défendeur respectait les critères énoncés à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, dont le critère de résidence qui est énoncé comme suit :

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

[…]

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

. . .

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

. . .

 

[13]           La Loi ne prévoit pas de définition du terme “résidence” et les juges de la citoyenneté n’appliquent pas tous la même interprétation. Certains juges adoptent une interprétation objective qui requiert une présence physique pendant la période de référence (Pourghasemi (Re) (1993), 62 FTR 122 au para 6, 39 ACWS (3d) 251 (CF 1re inst)). D’autres juges de la citoyenneté retiennent une approche moins exigeante au plan de la présence physique qui implique une analyse plus qualitative de la notion de résidence. Cette approche reconnait le test des liens d’attache suffisant avec le Canada (Papadogiorgakis (Re) (1978), [1978] 2 CF 208 aux para 15-16, 88 DLR (3d) 243 (CF 1re inst)) et celui, très semblable qui définit la résidence comme étant l’endroit où une personne centralise son mode d’existence (Koo (Re) (1992), [1993] 1 CF 286 au para 10, 59 FTR 27 (CF 1re inst) [Koo]). La jurisprudence de notre Cour a traditionnellement reconnu que ces différentes approches étaient toutes raisonnables et que les juges de la citoyenneté pouvaient endosser l’approche de leur choix, pourvu que leur application du test choisi soit raisonnable (Lam c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 FTR 177 (CF) au para 14, 87 ACWS (3d) 432 (CF 1re inst)); pour un bon résumé des trois tests, voir Mizani c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 698 aux para 10-13, 158 ACWS (3d) 879).

 

[14]           Dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Takla, 2009 CF 1120, 359 FTR 248 [Takla], le juge Mainville, alors qu’il était à la Cour fédérale, a tenté d’uniformiser la jurisprudence en privilégiant l’application d’un seul test, soit celui développé dans Koo, précité. Malgré cette tentative, certains juges de la Cour ont suivi l’approche proposée par le juge Mainville (Ghaedi c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 85 aux para 12-13, 332 DLR (4th) 169; Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Elzubair, 2010 CF 298 au para 13 (disponible sur CanLII); Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Salim, 2010 CF 975 aux para 20-21, 92 Imm LR (3d) 196; Dedaj c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 777 aux para 7-8, 372 FTR 61; Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Cobos, 2010 CF 903 au para 9, 92 Imm LR (3d) 61; Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abou-Zahra, 2010 CF 1073 aux para 19-20, (disponible sur CanLII)), mais d’autres juges continuent de reconnaître qu’en l’absence d’une intervention législative, les juges de la citoyenneté peuvent continuer d’adopter l’un ou l’autre des tests traditionnellement reconnus (Hao, précité, aux para 46-47; El-Khader, précité, au para 18; Alinaghizadeh c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 332 aux paras 28 et 33 (disponible sur CanLII); Abbas c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145 au para 7 (disponible sur CanLII); Cardin, précité, au para 12; Murphy c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 482 au para 6, 98 Imm LR (3d) 243); Martinez-Caro c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 640 aux para 20-21, 98 Imm LR (3d) 288. Pour ma part, je suis en accord avec ce second courant. Bien que je considère regrettable que le sort de certaines demandes de citoyenneté puisse dépendre en partie de l’identité du juge de la citoyenneté chargé de traiter la demande et de l’interprétation de la notion de résidence qu’il endosse, j’estime que les trois interprétations ayant traditionnellement été reconnues comme étant raisonnables le sont toujours et le demeureront en l’absence de toute intervention législative. J’endosse à cet égard les propos de la juge Snider dans El-Khader, précité, aux para 18‑22 :

18        Depuis qu'a été rendue la décision Takla, toutefois, un second courant jurisprudentiel s'est dégagé, tout aussi ferme que le précédent (se reporter, par exemple, à Abbas, précitée; Sarvarian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 1117, [2010] A.C.F. no 1433 (QL)). Les juges dans ces cas ont continué de juger raisonnable le recours tant à l'interprétation qualitative qu'à l'interprétation quantitative de l'alinéa 5(1)c).

 

19        La Cour suprême du Canada a fait ressortir le fondement de ce second courant dans les remarques qu'elle a formulées dans les arrêts Celgene et Alliance Pipeline, précités. Elle y a aussi affermi le principe selon lequel, même avant Dunsmuir, la norme de raisonnabilité s'appuyait toujours "sur l'idée qu'une disposition législative peut donner lieu à plus d'une interprétation valable, et un litige, à plus d'une solution", de telle sorte "que la cour de révision doit se garder d'intervenir lorsque la décision administrative a un fondement rationnel" (Dunsmuir, au paragraphe 41; Alliance Pipeline, aux paragraphes 38 et 39).

 

20        Le fondement de l'argumentation du demandeur c'est que le juge de la citoyenneté aurait commis une erreur de droit en ne suivant pas le critère énoncé dans la décision Takla, précitée. L'argumentation ne tient toutefois que si cette dernière décision a infirmé la décision Lam. Or, selon moi, la conclusion d'un juge de la Cour fédérale dans Takla n'a pas écarté, ni ne pouvait écarter, la conclusion d'un autre juge de la Cour dans Lam. Le droit demeure ainsi inchangé de sorte que, dans la mesure où un juge de la citoyenneté adopte et applique correctement l'un ou l'autre critère, sa décision doit être maintenue.

 

21        Cette conclusion est étayée par le juge Mainville lui-même dans la décision Takla, qui y reconnaît (au paragraphe 47) que "le critère de la présence physique pendant trois ans [...] est conforme au texte de la loi". On donne avec le critère de la présence physique une interprétation raisonnable aux expressions "résident" et "résidence" à l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Autrement dit, la décision d'un juge de la citoyenneté de dégager de cette disposition l'obligation d'être physiquement présent constitue une interprétation raisonnable étayée par le libellé de la loi et par une longue suite de décisions de la Cour. Contrairement à ce qu'a allégué le demandeur, le juge de la citoyenneté n'a pas commis d'erreur sur cette question.

 

22        Le demandeur soutient que, par courtoisie judiciaire, je devrais suivre la décision de mon ancien collègue le juge Mainville, et des autres juges qui dans sa foulée ont rejeté le critère de la présence physique. Je ferai écho, pour lui répondre, au raisonnement suivant (exposé aux paragraphes 49 et 50) du juge Mosley dans la décision Hao, précitée :

 

Au nom de la courtoisie judiciaire, j'ai examiné la question de savoir si je devais suivre l'analyse de mes collègues qui sont en faveur du critère établi dans Koo. Selon le principe de la courtoisie judiciaire, les décisions de la Cour doivent concorder les unes avec les autres, de manière à assurer aux parties en litige une certaine prévisibilité : Abbott Laboratories c. Canada (Ministre de la Santé), 2006 CF 120, infirmée en appel pour d'autres motifs : 2007 CAF 73, 361 N.R. 90. Je note que, dans la décision Ghaedi, précitée, le juge Barnes a refusé d'appliquer le principe au contexte de l'espèce, quoique en référence au courant jurisprudentiel établi dans Lam.

 

Je conviens qu'une uniformité du critère à appliquer pour déterminer la résidence serait préférable, mais plusieurs juges de notre Cour, y compris moi-même, ont conclu que, si l'on se fie au texte de la loi, l'interprétation de la résidence physique est appropriée. En outre, la Cour a pendant plus de onze ans traité avec déférence les décisions des juges de la citoyenneté de privilégier cette interprétation plutôt qu'une autre comme étant un exercice raisonnable de leur pouvoir discrétionnaire. Bien que l'application non uniforme de la loi soit malheureuse, on ne peut pas dire que tous les exemples de ce manque d'uniformité dans le présent contexte sont déraisonnables. Si la situation est "scandaleuse", comme l'a laissé entendre le juge Muldoon il y a de cela bon nombre d'années dans Harry, c'est au législateur que revient le rôle de corriger le problème.

 

[15]           Les juges de la citoyenneté ont par ailleurs, le devoir de motiver leurs décisions, et ce, quel que soit le test qu’ils ou elles choisissent d’appliquer.

 

[16]           Dans VIA Rail Canada Inc c Office national des transports (2000), [2001] 2 CF 25 aux para 19, 22 et 24, 193 DLR (4th) 357 (CA), le juge Sexton qui écrivait au nom de la Cour d’appel fédérale, s’est exprimé comme suit sur l’obligation de motiver les décisions des tribunaux administratifs :

19        De plus, les motifs permettent aux parties de faire valoir tout droit d'appel ou de contrôle judiciaire à leur disposition. Ils servent de point de départ à une évaluation des moyens d'appel ou de contrôle possibles. Ils permettent à l'organisme d'appel ou de révision d'établir si le décideur a commis une erreur et si cette erreur le rend justiciable devant cet organisme. Cet aspect est particulièrement important lorsque la décision est assujettie à une norme d'examen fondée sur la retenue.

 

[…]

 

22        On ne s'acquitte pas de l'obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur10 et l'examen des facteurs pertinents.

 

[…]

 

24        Par conséquent, j'estime que, pour statuer que les motifs fournis par l'Office sont suffisants, la présente Cour doit conclure que ces motifs indiquent sur quoi repose la conclusion de l'Office selon laquelle l'existence du tarif constituait un obstacle, qu'ils rendent compte du raisonnement suivi par l'Office pour décider que l'obstacle était indu et qu'ils comprennent un examen des principaux facteurs pertinents à une telle décision.

 

[17]           Dans Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, précité au para 16, la Cour suprême s’est exprimée comme suit quant à la suffisance des motifs :

16        […] En d'autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

 

 

[18]           Dans le contexte plus précis de l’obligation pour les juges de la citoyenneté de motiver les décisions, je souscris aux propos de mon collègue le juge de Montigny dans Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Jeizan, 2010 CF 323 aux para 17-18 (disponible sur CanLII) [Jeizan] :

18        Les motifs qui appuient la décision d'un juge de la citoyenneté devraient à tout le moins préciser quel critère de résidence a été appliqué et en quoi il a été ou non satisfait à ce critère : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Behbahani, 2007 CF 795, [2007] A.C.F. No 1039, paragraphes 3 et 4; Eltom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1555, [2005] A.C.F. No 1979, paragraphe 32; Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 605, [2003] A.C.F. No 790, paragraphe 22; Gao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 736, [2008] A.C.F. No 1030, paragraphe 13.

 

 

[19]           J’ai moi-même cassé une décision d’un juge de la citoyenneté dans Baron, précité, au para 17, au motif que le « juge de la citoyenneté n’[avait] pas indiqué la méthode et les critères qu’il a retenus pour déterminer que le défendeur avait rempli son obligation de résidence. »

 

[20]           Le demandeur soutient que ces principes doivent s’appliquer en l’espèce et que les motifs du juge de la citoyenneté sont nettement insuffisants. Le défendeur soutient, pour sa part, que les motifs de la décision, combinés avec les notes prises par le juge, sont suffisants. Le défendeur infère de l’avis de décision et des notes du juge de la citoyenneté, qu’il a appliqué le test de la présence physique et qu’il a été satisfait des documents additionnels que le défendeur a soumis après l’audition.

 

[21]           Avec égards, je ne partage pas l’opinion du défendeur. Je considère que les motifs du juge de la citoyenneté sont insuffisants et qu’ils ne satisfont pas aux critères de justification et d’intelligibilité requis pour que sa décision soit considérée comme étant raisonnable. D’abord, le juge ne précise aucunement le test qu’il a choisi d’appliquer. Je ne vois rien dans ses notes qui peut permettre d’inférer qu’il a retenu le test de la présence physique. Les notes du juge renvoient à certains éléments qui sont pertinents aux fins d’appliquer le test de la présence physique, mais également plusieurs autres éléments qui sont pertinents aux fins d’application des deux autres tests.

 

[22]           Il appert également des notes du juge qu’à la fin de l’audition, il n’était pas complètement satisfait de l’information obtenue du défendeur puisqu’il lui a demandé de fournir des documents additionnels. Les notes ne précisent toutefois pas en quoi et pourquoi le juge était insatisfait de la preuve qui lui avait été présentée jusqu’alors. De plus, certains des documents qu’il a demandé au défendeur de fournir étaient pertinents aux fins de l’application du test de la présence physique alors que d’autres l’étaient à l’égard d’une interprétation plus qualitative selon l’un ou l’autre des deux autres tests.

 

[23]           Dans son avis de décision, le juge s’est déclaré satisfait des documents fournis par le défendeur, mais encore là, on ne sait pas quel test il a appliqué ni quels sont les documents qui l’ont convaincu que le défendeur satisfaisait aux critères de résidence. Lors de l’audience, le procureur du défendeur a bien tenté d’inférer de la décision et des notes du juge de la citoyenneté qu’il avait appliqué le test de la présence physique, que la preuve secondaire du demandeur pour suppléer à l’absence de passeport était satisfaisante et que les documents requis lors de l’audience et ayant trait à la Société du défendeur étaient pertinents pour confirmer que celui-ci était toujours résident même après l’échéance de la période de référence, mais ce faisant il a, à mon avis, suppléé à la décision du juge. Comme l’a indiqué le juge de Montigny dans Jeizan, précité, au para 20 :  

20        Le raisonnement du décideur ne devrait pas requérir d'autres explications. En l'espèce, c'est l'avocate de la défenderesse qui explique le raisonnement du juge de la citoyenneté dans son exposé des faits et du droit, mais des suppositions faites par le biais des arguments d'un avocat ne diffèrent pas de suppositions faites par le biais de l'affidavit d'une partie : Alem c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 148, [2010] A.C.F. No 176, paragraphe 19.

 

[24]           J’estime que la conclusion à laquelle je suis arrivée dans Baron, précité, au para 18, s’applique tout à fait au présent dossier :

18        La décision du juge de la citoyenneté n'est pas suffisamment motivée. Le raisonnement n'est pas clair. Elle n'est pas transparente et il est impossible d'en saisir le fondement. Compte tenu de cette situation, je ne suis pas en mesure de déterminer si elle appartient aux issues possibles acceptables eu égard aux faits et au droit. L'intervention de la Cour est donc justifiée.

 

[25]           Je considère donc que la décision du juge de la citoyenneté ne possède par les attributs qui pourraient la rendre raisonnable.

 

[26]           Le défendeur m’a demandé, à titre d’argument subsidiaire, d’utiliser ma discrétion judiciaire pour confirmer sa citoyenneté, malgré l’insuffisance des motifs rendus par le juge de la citoyenneté, et ce, sur la base de la preuve qui, à son avis, est largement suffisante pour confirmer la citoyenneté en appliquant l’un ou l’autre des tests reconnus par la jurisprudence. Il a appuyé cette demande sur Seiffert c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1072, 227 FTR 253. Bien que je sois sensible aux inconvénients que devra subir le défendeur, qui n’est pas responsable des erreurs commises par le juge qui a traité sa demande de citoyenneté, je considère que ce n’est pas le rôle de la Cour d’analyser la demande de citoyenneté du défendeur. Ce rôle a clairement été dévolu aux juges de la citoyenneté et je ne vois aucune raison qui m’inciterait à prendre la décision à la place d’un juge de la citoyenneté. Je considère qu’il n’existe pas en l’espèce de circonstances extraordinaires qui justifieraient que la Cour rende la décision à la place du juge de la citoyenneté.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est accueilli. La décision du 21 janvier 2011 rendue par le juge Thanh Hai Ngo est cassée et le dossier est renvoyé devant un autre juge de la citoyenneté pour un nouvel examen.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

                           


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-471-11

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c SAMER SAAD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 5 décembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 21 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Catherine Brisebois

 

POUR LE DEMANDEUR

Patrick Claude Caron

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DEMANDEUR

CARON AVOCATS SENC

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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