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 Date : 20111221

Dossier : IMM-7214-10

Référence : 2011 CF 1511

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MANDAMIN

 

 

ENTRE :

 

ONICA EFURU NASHA RAGGUETTE

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Madame Onica Efuru Nasha Ragguette demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le 10 novembre 2010, qui a conclu que la demanderesse n’était ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[2]               Madame Ragguette est citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines; elle est arrivée au Canada à l’adolescence et a présenté une demande d’asile sur place parce que son ancien petit ami, qui a été expulsé à Saint-Vincent-et-les Grenadines, l’aurait menacée. La SPR a rejeté la demande parce que la demanderesse pouvait bénéficier d’une protection adéquate de l’État.

 

[3]               J’ai conclu que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie pour les motifs qui suivent.

 

Contexte

 

[4]               Madame Onica Efuru Nasha Ragguette est citoyenne de Saint-Vincent-et-les Grenadines (Saint-Vincent).

 

[5]               Elle est arrivée au Canada en 1999 alors qu’elle était âgée de 16 ans. En août 2003, elle a commencé à fréquenter M. Dabreo, également ressortissant de Saint-Vincent. En mars 2004, elle a appris qu’elle était enceinte de lui. M. Dabreo lui a dit de se faire avorter, ce qu’elle a refusé. Il est alors devenu violent; il l’a agressée physiquement et a menacée de la tuer.

 

[6]               Afin d’éviter M. Dabreo, la demanderesse a emménagé chez un ami. Lorsqu’elle est retournée à son appartement, M. Dabreo l’attendait. Il l’a forcée à entrer et l’a violée en tenant un couteau sous sa gorge, puis il l’a frappée à l’estomac. Il a menacé de la tuer si elle racontait à quiconque ce qui s’était passé; la demanderesse n’a jamais signalé l’incident à la police.

 

[7]               La demanderesse est retournée à l’appartement de son ami; plus tard, elle a déménagé dans un centre d’hébergement. M. Dabreo a continué de l’appeler sur son téléphone cellulaire.

 

[8]               Le fils de la demanderesse est né le 11 décembre 2004.

 

[9]               En juin 2005, la demanderesse et son fils ont croisé M. Dabreo dans la rue; il a pris leur fils dans ses bras et empoigné la demanderesse, menaçant de la pousser dans la circulation. La demanderesse a repris son fils et s’est enfuie. Elle n’a pas communiqué avec la police parce qu’elle craignait que M. Dabreo ou les amis de celui-ci s’en prennent à elle si elle le faisait.

 

[10]           La demanderesse a emménagé dans un nouvel appartement en septembre 2005. En décembre 2005, M. Dabreo s’est présenté chez elle et l’a de nouveau agressée physiquement. Ses voisins sont intervenus lorsqu’ils ont entendu du bruit, et M. Dabreo est parti. M. Dabreo a continué de téléphoner à la demanderesse et de lui laisser des messages menaçants.

 

[11]           En août 2006, la demanderesse a rencontré M. Dabreo par hasard, et il l’a menacée en public. Des étrangers sont intervenus pour l’aider et elle a été capable de s’enfuir.

 

[12]           En décembre 2006, M. Dabreo a téléphoné à la demanderesse depuis un centre de surveillance de l’Immigration. Il l’a accusée de l’avoir signalé aux autorités canadiennes et lui a dit qu’il était expulsé. Il a menacé de la tuer si jamais elle retournait à Saint-Vincent.

 

[13]           En mai 2007, M. Dabreo a téléphoné à la demanderesse depuis Saint-Vincent et lui a dit qu’il la décapiterait si elle retournait à Saint-Vincent; il lui a décrit le meurtre, récemment survenu dans ce pays, d’une femme ayant été décapitée par son ancien conjoint. Il l’a de nouveau appelée en décembre 2007, se plaignant qu’il n’y avait pas de travail à Saint-Vincent et l’accusant de l’avoir fait expulser du Canada. Il a menacé de la tuer une fois de plus si elle remettait les pieds à Saint-Vincent.

 

[14]           La demanderesse a présenté une demande d’asile parce qu’elle craignait pour sa vie si elle devait retourner à Saint-Vincent. Elle a aussi allégué que M. Dabreo a deux amis d’enfance qui sont policiers à Saint-Vincent, et qu’il serait donc en mesure de la trouver et de la tuer, et que la police ne la protégerait pas.

 

Décision visée par le contrôle

 

[15]           La SPR n’a pas remis en question la crédibilité de la demanderesse. Elle a plutôt conclu que la question déterminante était celle de la protection de l’État et que la demanderesse n’avait pas réussi à réfuter la présomption que l’État pourrait lui assurer une protection adéquate.

 

[16]           La SPR a résumé la jurisprudence portant sur la protection de l’État, faisant observer que la présomption à cet égard peut être réfutée au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants et qu’il n’est pas nécessaire que la protection soit parfaite, elle doit seulement être adéquate.

 

[17]           La SPR a conclu que Saint-Vincent est un pays démocratique, et que son gouvernement a pris des mesures au cours des dernières années pour lutter contre la violence conjugale. Elle a fait état de la preuve voulant que la violence conjugale demeure un problème de taille à Saint- Vincent, mais a conclu que le gouvernement faisait des progrès pour régler ce problème et qu’il était possible d’obtenir l’aide de la police et de recourir à la justice.

 

[18]           La SPR a ensuite estimé nécessaire d’examiner ce que la demanderesse avait fait pour se prévaloir de la protection de l’État de Saint-Vincent. Elle a observé que l’on ne saurait conclure qu’un État n’a pas offert sa protection lorsqu’un demandeur ne l’a pas demandée, et qu’en l’absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État dans le pays d’origine sera généralement fatal pour le demandeur d’asile.

 

[19]           La SPR a rejeté l’argument de la demanderesse selon lequel le fait que M. Dabreo avait des amis policiers l’empêchait de demander la protection des autorités, faisant observer que la demanderesse n’avait pas précisé quel était leur grade ni où ils travaillaient. Elle a ajouté que Saint-Vincent compte près de 850 agents de police et qu’il n’était pas plausible qu’en raison de son amitié avec deux de ces policiers, M. Dabreo pourrait l’attaquer impunément ni que ces policiers mettraient leur carrière en jeu pour lui.

 

[20]           La SPR a reconnu que la preuve présentée par la demanderesse voulant que la police ait refusé d’intervenir dans la relation de violence que vivait sa mère alors que la demanderesse était enfant. Elle a toutefois conclu que la preuve documentaire l’emportait sur ce refus antérieur, et elle a répété qu’il n’était pas nécessaire que la protection soit parfaite.

 

[21]           Enfin, la SPR a reconnu les conséquences négatives que continuaient d’avoir sur la demanderesse les mauvais traitements infligés par M. Dabreo, mais elle a conclu qu’elle pourrait avoir accès à des traitements à Saint-Vincent si elle en ressentait le besoin.

 

Dispositions législatives pertinentes

 

[22]           La Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, prévoit ce qui suit :

 

18.1 (4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue

que l’office fédéral, selon le cas:

 

 

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1 (4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

 

 

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

 

 

[23]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (LIPR), prévoit ce qui suit :

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

 

Question en litige

 

[24]           En l’espèce, la Cour doit déterminer si la conclusion de la SPR concernant la protection de l’État est raisonnable.

 

Norme de contrôle

 

[25]           Les conclusions de fait de la SPR et les conclusions sur les questions mixtes de fait et de droit doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190. Comme les questions portant sur le caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit, elles doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable : Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 282 DLR (4th) 413, au paragraphe 38.

 

Analyse

 

[26]           La demanderesse fait valoir que le fait que la SPR n’ait pas mentionné dans ses motifs les trois lettres de la présidente de l’Association de défense des droits humains de Saint‑Vincent‑et‑les-Grenadines (SVGHRA) qu’elle a présentées en preuve rend la décision concernant la protection de l’État déraisonnable. Elle soutient que ces lettres contredisent directement les conclusions de la SPR et que cette dernière devait les examiner et expliquer pourquoi elle les avait rejetées. La demanderesse invoque la décision de la Cour dans Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n1425, 157 FTR 35 [Cepeda-Gutierrez].

 

[27]           La demanderesse fait aussi valoir que la SPR a commis une erreur en s’arrêtant au fait qu’elle n’avait pas communiqué avec la police à Saint-Vincent parce que les événements ayant motivé sa demande d’asile se sont passés au Canada. Elle signale que sa demande a été présentée sur place, et qu’elle ne pouvait pas communiquer avec les autorités à Saint-Vincent parce que ces événements n’ont commencé qu’après qu’elle eut quitté le pays.

 

[28]           Le défendeur soutient que la décision Cepeda-Gutierrez ne s’applique pas lorsque les éléments de preuve contradictoires non mentionnés sont des éléments de preuve documentaire de nature générale. Il fait valoir que le conseil a mentionné plusieurs fois les lettres de la présidente de SVGHRA dans ses observations et que la SPR avait déclaré avoir tenu compte de ces observations.

 

[29]           Le défendeur a aussi fait valoir qu’une demande d’asile s’attache au risque futur, même dans le cas des demandes présentées sur place. Il soutient que la SPR a eu raison d’apprécier les allégations de la demanderesse quant à son incapacité à s’adresser aux services de police de Saint-Vincent, et qu’une décision portant que l’État offre une protection insuffisante doit reposer sur autre chose qu’une simple croyance subjective de la demanderesse d’asile. Le défendeur fait valoir que la SPR a de toute évidence tenu compte du fait que la demanderesse avait présenté sa demande sur place et qu’elle a en fait examiné les allégations de cette dernière, à savoir qu’elle ne pourrait s’adresser aux services de police de Saint-Vincent, et non son défaut de ne pas l’avoir fait avant de solliciter l’asile. Le défendeur insiste sur l’emploi par la SPR du conditionnel plutôt que du passé.

 

[30]           Le témoignage d’un demandeur fait sous serment doit être considéré comme crédible, sauf s’il y a une bonne raison de le mettre en doute : Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CAF), au paragraphe 5. En l’espèce, la SPR ne conteste pas la crédibilité du témoignage de la demanderesse. Elle a tenu pour avérées les allégations de la demanderesse, de même que les menaces concernant son retour à Saint-Vincent. La SPR devait donc se pencher sur l’existence et le caractère adéquat de la protection de l’État en fonction de la situation personnelle de la demanderesse. Une analyse générale sur la protection de l’État qui ne tient pas compte de la situation de la demanderesse est insuffisante : Flores Alcazar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 173, 97 Imm LR (3d) 21, aux paragraphes 21 et 22.

 

[31]           Le juge Evans (maintenant juge de la Cour d’appel fédérale) a déclaré ce qui suit dans la décision Cepeda-Gutierrez fréquemment citée :

 

[15]      La Cour peut inférer que l’organisme administratif en cause a tiré la conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " du fait qu’il n’a pas mentionné dans ses motifs certains éléments de preuve dont il était saisi et qui étaient pertinents à la conclusion, et en arriver à une conclusion différente de celle de l’organisme. Tout comme un tribunal doit faire preuve de retenue à l’égard de l’interprétation qu’un organisme donne de sa loi constitutive, s’il donne des motifs justifiant les conclusions auxquelles il arrive, de même un tribunal hésitera à confirmer les conclusions de fait d’un organisme en l’absence de conclusions expresses et d’une analyse de la preuve qui indique comment l’organisme est parvenu à ce résultat.

 

[16]      Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd. Une simple déclaration par l’organisme dans ses motifs que, pour en venir à ses conclusions, il a examiné l’ensemble de la preuve dont il était saisi suffit souvent pour assurer aux parties, et au tribunal chargé du contrôle, que l’organisme a analysé l’ensemble de la preuve avant de tirer ses conclusions de fait.

 

[17]      Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée " sans tenir compte des éléments dont il [disposait] " : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[32]           La SPR ne fait nul renvoi aux lettres de la présidente de la SVGHRA que la demanderesse a présentées. Dans la lettre de 2010, la présidente de la SVGHRA a expressément déclaré que l’État n’offrait aucune protection aux victimes de violence conjugale et que le pays ne comptait aucun établissement ou maison d’hébergement sûr, ce qui est manifestement à l’opposé des conclusions tirées par la SPR. La SPR n’était pas tenue de mentionner tous les éléments de preuve dont elle disposait. Cependant, elle devait considérer tous ceux qui contredisaient sa conclusion finale. Cette exigence a été analysée dans la décision Peter c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 778, [2011] ACF no 977 dans laquelle le juge O’Keefe a déclaré ce qui suit :

 

[45]      Il existe une présomption selon laquelle les commissaires ont tenu compte de l’ensemble de la preuve portée à leur attention (voir Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 157 FTR 35 (C.F. 1re inst.)). La Commission n’est pas tenue de faire le résumé de toute la preuve dans sa décision dans la mesure où elle tient compte des éléments de preuve susceptibles de contredire ses conclusions et que sa décision se situe dans les limites de la raisonnabilité (voir Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Rachewiski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 244, au paragraphe 17).

 

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[33]           En l’espèce, la déclaration générale faite par la SPR dans le dernier paragraphe de sa décision, à savoir qu’elle a tenu compte de l’ensemble de la preuve et des observations du conseil, sans mention des éléments suggérant une conclusion contraire, est insuffisante.

 

[34]           Le défendeur soutient que la décision Cepeda-Gutierrez ne s’applique pas lorsque les éléments de preuve passés sous silence sont des éléments de preuve documentaire de nature générale; il invoque les décisions Shen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1001, [2007] ACF no 1301 [Shen], et Quinatzin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 937, [2008] ACF no 1168 [Quinatzin].

 

[35]           Dans la décision Shen, le juge Pinard de la Cour a conclu que l’affaire Cepeda-Gutierrez était différente de celle dont il était saisi. Il a conclu que la preuve dans l’affaire Cepeda‑Gutierrez était spécifique au demandeur, tandis que la preuve que le demandeur dans Shen prétend avoir été écartée était une preuve documentaire de nature générale : Shen, aux paragraphes 4 à 6. Dans la décision Quinatzin, le juge O’Keefe a souscrit au raisonnement suivi dans la décision Shen. Au paragraphe 29, le juge O’Keefe a dit ce qui suit :

 

Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en omettant de mentionner expressément la preuve documentaire qui contredisait sa conclusion relative au caractère adéquat de la protection de l’État. L’argument du demandeur est fondé sur la décision Cepeda-Gutierrez, précitée. Dans la décision Shen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 1301, le juge Pinard a conclu que l’obligation qu’a la Commission de mentionner expressément une preuve qui contredit ses conclusions principales, comme l’a établi la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, ne s’applique pas lorsque la preuve en question se révèle être une preuve documentaire de nature générale. Je suis convaincu que l’affaire Cepeda-Gutierrez, précitée, peut être également considérée inapplicable en l’espèce. Alors que dans cette affaire la preuve en question concernait particulièrement et personnellement le demandeur, en l’espèce, la preuve documentaire est de nature générale.

 

 

[36]           Après avoir examiné la preuve, je conclus qu’il y a lieu d’établir une distinction entre la présente affaire et les affaires Shen et Quinatzin. La preuve que la demanderesse prétend avoir été écartée par la SPR en l’espèce n’est pas une preuve documentaire de nature générale. Les lettres ont été rédigées expressément à l’intention de la demanderesse. Bien qu’elles contiennent certains éléments sur les conditions générales au pays, elles précisent également qu’elles visent à répondre directement aux questions et préoccupations que soulève le cas particulier de la demanderesse. Par exemple, la présidente de la SVGHRA a divisé sa lettre de 2010 en plusieurs rubriques qui témoignent d’une connaissance de la situation personnelle de la demanderesse. Voici certaines des rubriques : [traduction] « Violence conjugale et viol à Saint‑Vincent‑et‑les-Grenadines », « Services d’aide sociale offerts aux mères monoparentales de Saint-Vincent-et-les-Grenadines sans famille pour les accueillir », et « Comment la cliente forcée de retourner à Saint-Vincent-et-les-Grenadines peut-elle se débrouiller? ». Ces rubriques démontrent que les renseignements contenus dans la lettre concernent le cas particulier de la demanderesse et qu’ils ne sont pas de nature générale.

 

[37]           Étant donné que les lettres ne constituent pas une preuve documentaire de nature générale, j’ai décidé de suivre les décisions Cepeda-Gutierrez et Peter. La SPR a commis une erreur en écartant les éléments de preuve présentés par la demanderesse qui contredisaient les conclusions auxquelles elle est finalement arrivée. Il s’agit donc d’une décision déraisonnable.

 

[38]           Cette conclusion, que la décision rendue par la SPR est déraisonnable, est renforcée par les propos de la SPR sur le fait que la demanderesse n’a pas cherché à obtenir la protection de Saint-Vincent. La demanderesse a précisé qu’elle avait fait sa demande sur place et qu’elle n’aurait pu communiquer avec les autorités à Saint-Vincent parce que les événements à l’origine de sa demande d’asile sont survenus après qu’elle eut quitté Saint-Vincent.

 

[39]           Selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié des Nations Unies (le Guide du HCR), la personne « qui n’était pas réfugiée lorsqu’elle a quitté son pays, mais qui devient réfugiée par la suite » a qualité de réfugié sur place.

 

[40]           En l’espèce, les événements ayant incité la demanderesse à demander l’asile, exposés ci‑dessus, se sont tous produits après qu’elle soit arrivée au Canada. Par conséquent, nous aurions tort d’exiger qu’elle cherche à obtenir la protection de l’État de Saint-Vincent. Après avoir examiné la décision de la SPR, je ne sais pas si cette dernière a dûment tenu compte du caractère sur place de la demande d’asile présentée par la demanderesse.

 

[41]           Dans sa décision, la SPR a déclaré qu’elle devait examiner ce que la demanderesse avait fait pour obtenir la protection de Saint-Vincent et qu’elle devait également tenir compte de la réponse de la police. Elle a en outre déclaré ceci :

 

Il ne peut être conclu qu’un État a omis d’offrir sa protection lorsqu’un demandeur d’asile ne l’a pas demandée. Le caractère adéquat de la protection de l’État ne peut reposer sur la crainte subjective d’un demandeur d’asile, et ce dernier ne peut réfuter la présomption de la protection de l’État dans un pays où le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question en affirmant simplement qu’il a une réticence subjective à solliciter la protection de l’État. Il incombe à la demandeure d’asile de fournir des éléments de preuve clairs et convaincants qui illustrent que le service de police n’assurerait pas sa protection. En l’absence d’une explication convaincante, le fait de ne pas solliciter la protection de l’État au sein du pays d’origine sera habituellement fatal pour une demande d’asile, du moins si, dans l’État en question, le fonctionnement de la démocratie n’est pas remis en question et si cet État est disposé à assurer un certain degré de protection à ses citoyens et possède les ressources nécessaires à cette fin. Dans son FRP et à l’audience, la demandeure d’asile a indiqué que Brent avait deux amis au sein du service de police de Saint‑Vincent et que ce lien empêcherait celle-ci d’obtenir la protection des policiers. Elle n’a pas fourni d’information concernant ces deux policiers, comme leur grade, leur nom ou leur lieu de travail. Étant donné que Saint-Vincent compte quelque 850 policiers, j’estime qu’il n’est pas plausible que l’amitié qui s’est établie avec deux de ces policiers permettrait à quelqu’un de contrevenir à la loi impunément ni que ces deux policiers mettraient leur carrière en jeu pour satisfaire la vengeance d’un ami.

 

[Non souligné dans l’original]

 

 

[42]           La décision de la SPR est troublante en ce qu’elle donne à penser que la situation particulière de la demanderesse n’a pas été prise en considération ou qu’il y a eu confusion au sujet de sa demande. Il est impossible de dire si la SPR a analysé ou tenu compte du caractère sur place de la demande de la demanderesse. Bien que la SPR ait eu raison de douter de la réponse de la police à une éventuelle demande de protection par l’État, elle aurait eu tort d’exiger de cette demanderesse en particulier qu’elle ait déjà tenté d’obtenir la protection de l’État.

 

Conclusion

 

[43]           Dans sa décision, la SPR a commis une erreur en omettant de tenir compte des éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions. Nous ne savons pas non plus si la SPR a tenu compte du caractère sur place de la demande de la demanderesse. Je conclus donc que la décision rendue par la SPR est déraisonnable.

 

[44]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

[45]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et je n’en certifie aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE comme suit :

 

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il procède à un nouvel examen.

 

2.      Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-7214-10

 

 

INTITULÉ :                                                  ONICA EFURU NASHA RAGGUETTE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          Le 25 août 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                         LE JUGE MANDAMIN

 

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                                        Le 21 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Katherine Ramsey

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Bradley Bechard

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Katherine Ramsey

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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