Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date: 20111221

Dossier : IMM-3159-11

Référence : 2011 CF 1507

Montréal (Québec), le 21 décembre 2011

En présence de madame la juge Tremblay-Lamer

 

ENTRE :

 

MICHELLE PATRICIA FRANCIS

 

 

 

Applicant

and

 

 

THE MINISTER OF CITIZENSHIP

AND IMMIGRATION

 

 

 

Respondent

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (la Loi), à l’égard d’une décision datée du 15 avril 2011 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal) a déterminé que la demanderesse n’avait pas la qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               La demanderesse est citoyenne de Trinité et Tobago. Elle a quitté son pays afin d’échapper aux agressions sexuelles qui lui ont été infligées à plusieurs reprises par ses deux demi-frères.

 

[3]               La demanderesse est arrivée au Canada en octobre 2000 à l’aide d’un visa de visiteur. Ayant peur de retourner dans son pays, elle a déposé une demande d’exemption de visa sur la base de motifs humanitaires, demande qui fut rejetée en mai 2008. Peu après et suite à la recommandation d’une travailleuse sociale, elle a déposé une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être victime d’agressions sexuelles par ses demi-frères.

 

[4]               Le tribunal a conclu qu’il était satisfait que la demanderesse avait été victime de ces abus. Il a considéré que la question déterminante était celle de la protection étatique.

 

[5]               Le tribunal a noté que la demanderesse n’avait fait aucun effort pour obtenir la protection de l’État, malgré son niveau de maturité et d’indépendance. Bien que le fait de ne pas avoir sollicité la protection de l’État peut mettre fin à une demande d’asile, le tribunal a préféré examiner si une protection adéquate serait présentement accessible à la demanderesse.

 

[6]               Le tribunal reconnaît qu’il existe de sérieux problèmes; cependant, la preuve documentaire démontre que les autorités continuent à faire des efforts considérables pour combattre la violence contre les femmes, incluant l’adoption de lois qui obligeraient la police à agir lorsque des plaintes sont déposées. En fait, ces efforts produisent déjà des résultats positifs : la police a subi une réforme pour mieux gérer les cas d’abus domestiques, le nombre de plaintes a augmenté entre 2004 et 2008, et les cours commencent à imposer des sentences plus sévères. De plus, des organisations non gouvernementales ont mis sur pied plusieurs services afin de porter secours aux femmes victimes de violence.

 

[7]               Lors de l’audience, la demanderesse a mentionné qu’elle devait s’occuper de son fils, de nationalité canadienne, qui requiert des soins spéciaux, ce qui l’obligerait de vivre dans la résidence de sa mère décédée avec ses demi-frères. Par conséquent, l’État ne serait pas en mesure de la protéger. Le tribunal a jugé qu’il était invraisemblable que les autres membres de la famille qui habitent à Trinité et Tobago soient insensibles à sa situation, considérant que sa demi-sœur lui a permis d’habiter avec elle pendant plusieurs années au Canada. De toute façon, la demanderesse a été en mesure de se trouver un emploi dans le passé afin de subvenir à ses besoins, et il existe des organisations qui offrent un refuge et des services pour les femmes victimes de violence.

 

[8]               Le tribunal a-t-il erré en concluant que la protection étatique était raisonnablement disponible pour la demanderesse?

 

[9]               En résumé, bien que le tribunal reconnaisse que la protection des autorités n’était pas parfaite, il concluait que cette protection était efficace. Pour ce faire, il s’appuyait particulièrement sur une preuve documentaire qui faisait état d’une législation spécifique relative à la violence conjugale, de la possibilité pour les magistrats de prononcer des ordonnances de protection, de la création d’une ligne d’urgence à l’attention des femmes victimes de violence ainsi que de l’existence de quelques refuges pour femmes où plusieurs de ces documents relataient les problèmes encourus par les femmes victimes de violence ainsi que l’inefficacité de la protection qui leur est accordée.

 

[10]           Le tribunal citait principalement le document P-7 « A critical analysis of the efficacity of law as a tool to achieve gender equality and to address the problem of domestic violence : the Case of Trinidad and Tobago, by Nathalie Renée Beulah Persadie, October 2007 ».

 

[11]           Or, ce même document contient plusieurs éléments qui vont à l’encontre de ces conclusions. Sur la législation, le document mentionne que la loi semble fonctionner mieux « en théorie qu’en pratique ». Quant aux ordonnances de la protection offerte aux femmes victimes de violence, il souligne que « This piece of paper cannot in reality stop the abuser from abusing » pour conclure que la réponse institutionnelle est en réalité très pauvre :

Institutionally, as mentioned previously, the response seems equally poor. State institutions, such as the Magistracy and the Police service, are poorly equipped and funded to deal with domestic violence and this is a mere reflection of TT’s lack of concern with the “softer” issues, such as protection of women. Government’s alleged commitment to dealing with domestic violence is not reflected in the amount of funding made available to state institutions to address the problem in a real way. The necessary human resource training for those who deal directly with women victims of domestic violence has been sporadic at best causing women to appear to prefer the least possible personally interactive route to protection - applying for a protection order. Insensitivity and apathy on the part of government officials have been general response, however, this would be due to their experience in dealing with family situations.

 

[12]           Ainsi, le tribunal a mené un examen fragmentaire de la preuve, omettant de mentionner les éléments contradictoires qui soutenaient la position de la demanderesse sur l’inefficacité de la protection étatique, ce qui constitue une erreur justifiant l’intervention de la Cour (Cepeda‑Gutierrez c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 157 F.T.R. 35).

 

[13]           De plus, quant à la possibilité pour la demanderesse de trouver un refuge adéquat, il était à mon avis déraisonnable pour le tribunal de spéculer sans preuve à l’appui que la famille de la demanderesse accepte d’accueillir une mère monoparentale avec son fils qui souffre des troubles autistiques nécessitant des soins particuliers ou que celle-ci pourrait trouver protection dans un refuge lorsque la preuve au dossier indique que ces refuges sont soumis à des restrictions importantes relativement à l’âge et au sexe des enfants qui peuvent y être accueillis.

 

[14]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné pour une redétermination devant un tribunal différemment constitué.

 

 


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est retourné pour une redétermination devant un tribunal différemment constitué.

 

 

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3159-11

 

INTITULÉ :                                       MICHELLE PATRICIA FRANCIS

                                                            and  MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 15 décembre 2011

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DES MOTIFS :                      le 21 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annick Legault

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Anne-Renée Touchette

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Myles J. Kirvan 

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.