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Date : 20111215


Dossier : T-2175-04

Référence : 2011 CF 1480

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 15 décembre 2011

En présence de M. le juge Hughes

 

ENTRE :

 

JANSSEN INC. et DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

 

 

 

demanderesses

 

et

 

 

 

TEVA CANADA LIMITED

 

 

 

défenderesse

 

 

 

 

 

           MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée par les demanderesses en vue de constituer certaines entités en tant que parties codemanderesses à la présente action. Il s’agit de Janssen Ortho LLC (Janssen LLC), Johnson & Johnson, Janssen Pharmaceuticals Inc. (JPI) et OMJ Pharmaceuticals Inc. À l’audience, les avocats se sont désistés de leur requête visant à constituer comme codemanderesse la quatrième entité désignée dans la requête, en l’occurrence Janssen Distribution Services Inc. Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête avec dépens.

 

[2]               La présente action a été introduite au moyen d’une déclaration déposée le 6 décembre 2004. Dans sa déclaration, la demanderesse Daiichi Pharmaceutical Co. Ltd. alléguait qu’elle était propriétaire du brevet canadien no 1,304,080 (le brevet 080). La demanderesse Janssen-Ortho Inc. (maintenant désignée sous le nom de Janssen Inc.) alléguait qu’elle était titulaire d’une licence pour ce brevet. Les demanderesses alléguaient que la défenderesse Novopharm (maintenant désignée sous le nom de Teva) avait contrefait ce brevet en vendant au Canada un médicament sous la marque nominative Novo-Levofloxacin.

 

[3]               Le 3 mai 2005, notre Cour a prononcé de consentement une ordonnance de disjonction dont voici le texte :

                        [traduction] 

a) les questions touchant à la validité et à la contrefaçon du brevet canadien 1,304,080 ainsi que la question de l’injonction permanente seront instruites séparément de celles concernant les réparations pécuniaires de cette contrefaçon et seront examinées avant ces dernières;

 

b) la production de documents et les questions pertinentes aux fins de la communication préalable porteront uniquement sur les questions touchant à la validité et à la contrefaçon du brevet canadien 1,304,080 ainsi que sur les questions relatives à l’injonction permanente.

 

 

[4]               J’ai procédé en septembre et en octobre 2006 à l’instruction des questions touchant à la validité et à la contrefaçon du brevet 080 et à l’opportunité de prononcer l’injonction. Le 17 octobre 2006, j’ai rendu un jugement et des motifs (2006 CF 1234) dans lesquels j’ai déclaré que le brevet était valide et qu’il avait été contrefait, et qu’il y avait lieu de prononcer une injonction devant prendre effet trente (30) jours après la date du jugement. On trouvait les conditions suivantes dans le jugement :

4. Les demanderesses ont droit d’être indemnisées par la défenderesse de tous les dommages subis en raison des activités de la défenderesse qui constituent une contrefaçon de la revendication 4 du brevet. La Cour tiendra une instruction séparée, précédée d’une communication préalable si les parties en font la demande, pour déterminer le montant des dommages et des intérêts accordés par le présent jugement. Tout montant versé conformément au paragraphe 2 ci-dessus devra être pris en compte, par déduction ou autrement, dans le calcul définitif du montant des dommages‑intérêts.

 

 

[5]               Ce jugement a été confirmé par la Cour d’appel fédérale le 7 juin 2008.

 

[6]               Le 3 octobre 2008, j’ai rendu une ordonnance prescrivant que la partie de la présente action se rapportant aux réparations à accorder soit examinée dans le cadre d’un procès devant se dérouler devant moi. J’ai ordonné aux demanderesses de soumettre un énoncé des questions en  litige et à la défenderesse de soumettre un exposé des questions en litige en réponse, et j’ai ordonné que la communication préalable se poursuive et qu’elle fasse, au besoin, l’objet d’une procédure de gestion de l’instance.

 

[7]               Aux termes d’une ordonnance de consentement datée du 22 octobre 2008, la demanderesse initiale, Daiichi Pharmaceutical Co., Ltd a été remplacée par Daiichi Sankyo Company, Limited, et l’intitulé de la cause a été modifié en conséquence. Il a été ordonné à Daiichi Sankyo Company, Limited de poursuivre l’instance à la place de Daiichi Pharmaceutical Co., Ltd sous réserve du droit de la défenderesse de contester les droits de cette dernière lors de l’instruction des questions qu’il restait à examiner.

 

[8]               Les demanderesses ont déposé le 30 octobre 2008 un exposé des questions en litige dont voici un extrait :

                        [traduction]

1.  Le présent exposé des questions en litige fait suite à un renvoi visant à établir le montant des dommages que la demanderesse, Janssen Ortho Inc. (« JOI ») et les sociétés apparentées ont subis ou subiront par suite de la contrefaçon du brevet canadien 1,304,080 (le « brevet 080 ») par la défenderesse, Novopharm Limited (« Novopharm »).

 

                                    […]

 

a)         Janssen-Ortho Inc.

 

6.  JOI est titulaire d’une licence portant sur le brevet 080. Depuis 1997, JOI commercialise et vend de la levofloxacine au Canada sous la marque LEVAQUIN®. JOI est une société canadienne dont le principal établissement est situé au 19, Greenbelt Drive, à Toronto (Ontario) M3C 1L9.

 

7. Ortho-McNeil Pharmaceuticals, Inc. (« Ortho-McNeil ») et Janssen Ortho LLC sont des sociétés apparentées à JOI qui ont subi des dommages par suite de la contrefaçon, par Novopharm, du brevet 080. JOI, Ortho-McNeil et Janssen Ortho LLC appartiennent toutes à Johnson & Johnson.

 

b)         Daiichi Pharmaceuticals co., Ltd.

 

8. Le brevet 080 appartient à la demanderesse Daiichi Sankyo Company, Limited (« Daiichi »). Daiichi est une société constituée sous le régime des lois du Japon et son siège social est situé au 14‑10, Nihonbashi 3-chrome, Chuo-ku, Tokyo, 103-8234, Japon.

[…]

 

E.         RAPPORTS ENTRE JOI ET LES SOCIÉTÉS APPARENTÉES

 

21. JOI, Ortho-McNeil et Janssen Ortho LLC appartiennent toutes à Johnson & Johnson et font partie d’un réseau international de production et de distribution. Les dommages subis par suite de la contrefaçon de Novopharm s’étendent donc non seulement à JOI mais également au groupe de sociétés Johnson & Johnson.

 

22. Ortho-McNeil est une société américaine (faisant partie du groupe Johnson & Johnson) qui achète de la levofloxacine en vrac à Daiichi pour ensuite conclure avec Janssen Ortho LLC des contrats en vue de la production de comprimés LEVAQUIN® étiquetés et emballés, destinés au marché international. Une partie de cette production est destinée au marché canadien. La contrefaçon dont Novopharm s’est rendue coupable a nui à la partie de cette production qui est destinée au Canada, ce qui a entraîné une perte de bénéfices pour Ortho-McNeil, Janssen Ortho LLC et Johnson & Johnson.

 

23. Le distributeur canadien est JOI. JOI reçoit les cargaisons de LEVAQUIN® de Janssen Ortho LLC, réemballe les comprimés en vue de leur distribution sur le marché local puis les vend et les livre à des clients.

 

 

[9]               La défenderesse a réclamé des précisions au sujet de ces assertions et a présenté une requête en radiation du paragraphe 1 (dans la mesure où il mentionne les « sociétés apparentées »), et des paragraphes 7, 21, 22 et 23. Aux termes de l’ordonnance que j’ai rendue le 18 mars 2009, j’ai ajourné cette requête sine die. Cette requête n’a pas été présentée de nouveau. Le même jour, j’ai rendu une ordonnance en réponse à une autre requête par laquelle les demanderesses réclamaient l’ajout comme codemanderesses de trois des mêmes entités qu’elles cherchent maintenant à constituer comme codemanderesses. (Les avocats de chacune des parties ont convenu à l’audience qui s’est déroulée devant moi que Janssen Ortho LLC et Johnson & Johnson sont une seule et même entité, que Janssen Pharmaceuticals Inc. et Ortho-McNeil-Janssen Inc. sont aussi une seule et même entité et que la présente requête visait aussi une nouvelle entité dont il n’avait pas été question dans la requête précédente, à savoir OMJ Pharmaceuticals Inc.) J’ai rejeté cette requête sous réserve du droit de la requérante de présenter une autre requête fondée sur de meilleurs éléments de preuve. Il semble que la présente requête soit une telle requête.

[10]           La présente requête est appuyée par l’affidavit souscrit par M. Odil Ganopolsky le 11 août 2011. M. Ganopolsky a été contre-interrogé le 3 novembre 2011 et une transcription a été déposée. M. Ganopolsky est administrateur fiscal principal pour Janssen Pharmaceuticals Inc., une société affiliée à la demanderesse Janssen Inc. (précédemment connue sous le nom de Janssen-Ortho Inc.). Il a témoigné au sujet des rapports existants entre cette demanderesse et les entités qu’on cherche à constituer comme codemanderesses.

 

[11]           La défenderesse a déposé l’affidavit de Me Brian Norrie, un des associés du cabinet d’avocats de la défenderesse. Me Norrie a annexé à son affidavit des copies des pièces produites à l’appui et à l’encontre de la requête précédente présentée par les demanderesses en vue de constituer certaines entités comme parties à l’instance. J’ai tranché cette requête aux termes de mon ordonnance du 18 mars 2009. Me Norrie n’a pas été contre-interrogé.

 

[12]           Par la présente requête, les demanderesses cherchent, plus de deux ans plus tard, à constituer les mêmes entités comme codemanderesses à la présente action en plus de réclamer l’ajout d’une entité additionnelle comme codemanderesse.

 

I.          Questions en litige

 

[13]           La question essentielle est celle de savoir s’il y a lieu à ce moment-ci de constituer comme codemanderesses à la présente action Janssen Ortho Inc., Johnson & Johnson, Janssen Pharmaceuticals Inc. et OMJ Pharmaceuticals Inc., ou l’une quelconque d’entre elles.

 

[14]           La défenderesse s’oppose à la requête en soulevant les questions suivantes :

1.         Les trois entités en question peuvent-elles être constituées comme parties à l’instance maintenant, compte tenu du fait qu’elles n’étaient pas parties à la première phase de l’action qui portait sur la contrefaçon, la validité du brevet et l’injonction?

 

2.         La réclamation de ces entités est-elle prescrite?

 

3.         La requête devrait-elle être rejetée pour cause de retard?

 

4.         La requête a-t-elle été présentée en vertu de la bonne disposition des Règles?

 

5.         Les entités en question sont-elles des « personnes se réclamant du breveté »?

 

6.         Un préjudice a-t-il été causé à la défenderesse ou à l’une des entités en question?

 

 

II.        Principes généraux régissant la constitution de parties

[15]           En règle générale, toute personne physique ou morale ayant une cause d’action valable à faire valoir peut introduire une instance dès lors que celle-ci n’est pas prescrite. Une défense au fond peut être invoquée, des délais de prescription peuvent être plaidés et divers moyens permettant de trancher l’affaire tels que la radiation de l’action, une instruction sommaire ou un procès en bonne et due forme peuvent être réclamés. Les articles 101 à 107 des Règles portent sur la réunion de causes d’action et sur l’adjonction de parties à une instance déjà introduite. L’article 104 nous intéresse particulièrement en l’espèce :

104. (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

a) qu’une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;

b) que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

Directives de la Cour

(2) L’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) contient des directives quant aux modifications à apporter à l’acte introductif d’instance et aux autres actes de procédure.

 

104. (1) At any time, the Court may:

(a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or

 

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

Directions

(2) An order made under subsection (1) shall contain directions as to amendment of the originating document and any other pleadings.

 

 

[16]            Dans la présente requête, le consentement des entités que l’on cherchait à constituer comme parties à l’instance a été déposé auprès de la Cour dans un document daté du 30 août 2011. Les présentes demanderesses affirment que les entités dont on demande la constitution comme parties à l’instance possèdent chacune une réclamation en dommages‑intérêts contre la défenderesse, étant donné que chacune d’entre elles est une « personne se réclamant du breveté » au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P‑4, dont voici le libellé :

 (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

 

 (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

 

[17]           Les modifications qui ont été apportées à la Loi sur les brevets et qui concernent les brevets visés par toute demande déposée après le 1er octobre 1989 (la « nouvelle » Loi sur les brevets) n’ont eu aucune incidence sur cet article.

 

[18]           Dans l’arrêt Merck & Co c Apotex Inc, 2003 CAF 488, [2004] 2 RCF 459, la Cour d’appel fédérale a expliqué de quelle manière il convient d’aborder la question des modifications. J’estime que la constitution d’une personne comme partie à l’instance est une modification. Chaque cas est un cas d’espèce et on ne peut dégager de principe général d’une décision judiciaire particulière. La Cour a écrit ce qui suit, aux paragraphes 33 et 34, sous la plume du juge Décary :

[33] La nature, le moment choisi et les circonstances varient d’une modification à l’autre et on doit faire attention à ne pas généraliser des prononcés judiciaires faits dans des contextes précis. Le protonotaire ou le juge saisi d’une requête en modification a l’obligation d’examiner tous les facteurs pertinents. En effet, comme l’a fait remarquer lord Griffiths dans l’arrêt Ketteman, à la page 62, il existe [traduction] « une claire distinction entre les modifications ayant pour but de rendre plus claires les questions en litige, et celles qui permettent de soulever une défense différente pour la première fois ». Il existe aussi une différence claire entre le fait d’autoriser des modifications au procès et le fait de le faire avant l’instruction de l’affaire (voir les arrêts Glisic c. Canada, [1988] 1 C.F. 731 (C.A.), à la page 740; Ketteman, précité). J’estime qu’il existe également une différence claire entre le fait d’autoriser des modifications qui équivalent à une rétractation d’aveu et d’autoriser des modifications qui ne le font pas, et une différence claire entre le fait de permettre des modifications qui équivalent à la rétractation d’un aveu important et entraînent une modification de la cause d’action et une modification portant sur une simple admission de fait.

[34]Tout cela pour dire que, pour reprendre les termes utilisés par le juge Bowman dans la décision Continental Bank Leasing, précitée, à la page 2310:

On doit accorder à [chaque modification] le poids qui lui revient dans le contexte de l’espèce. Il s’agit, en fin de compte, de tenir compte de la simple équité, du sens commun et de l’intérêt qu’ont les tribunaux à ce que justice soit faite.

Flexibilité et ouverture, qui sont la règle pour les requêtes en modification, ne doivent pas être confondues avec complaisance. Plus tôt une modification non justifiée sera rejetée, mieux ce sera pour le système judiciaire.

 

[19]           Il est donc nécessaire d’examiner les arguments invoqués par la défenderesse pour contester la constitution des entités en question comme parties à l’instance.

 

QUESTION No 1 :     Les trois entités en question peuvent-elles être constituées comme parties à l’instance maintenant, compte tenu du fait qu’elles n’étaient pas parties à la première phase de l’action qui portait sur la contrefaçon, la validité du brevet et l’injonction?

 

[20]           Dans les motifs que j’ai rendus à la suite de la première instruction de la présente action (2006 CF 1234), j’ai conclu que Daiichi Pharmaceutical Co., Inc. était propriétaire du brevet 080 (au paragraphe 2) et que Janssen-Ortho Inc. était titulaire d’une licence à l’égard de ce brevet (au paragraphe 3). J’ai conclu que chacune de ces entités avait droit à des dommages-intérêts, mais non à la restitution des bénéfices, et que le montant des dommages‑intérêts devait être calculé à une date ultérieure (aux paragraphes 128, 130 et 132). Le droit aux dommages‑intérêts de ces deux parties a donc été tranché lors de la première instruction.

 

[21]           La présente requête présente quatre nouvelles entités qui souhaitent également faire valoir qu’elles ont droit à des dommages-intérêts en tant que « personnes se réclamant du breveté ». Certains éléments de preuve ont été présentés à l’appui de cette affirmation dans l’affidavit souscrit par M. Ganopolsky et lors du contre-interrogatoire de ce dernier. Toutefois, aucune cour de justice n’a encore déclaré que ces personnes étaient, en fait et conformément à la jurisprudence, des « personnes se réclamant du breveté ».

 

[22]           Une telle décision ne peut être prise qu’au terme d’un procès ou, si cette façon de procéder convient, par voie d’instruction sommaire ou d’instruction portant cette une question déterminée. Pour ce faire, il peut être nécessaire d’ordonner une communication préalable, de présenter d’autres éléments de preuve, de faire témoigner des experts et d’exiger un débat en bonne et due forme ainsi que la présentation d’arguments sur la preuve et la jurisprudence.

 

[23]           Il n’y a aucun doute – et les avocats de la défenderesse l’ont admis – que, si les quatre entités en question ou l’une quelconque d’entre elles souhaitent introduire une nouvelle action à ce moment‑ci en vue d’obtenir des dommages-intérêts, il leur est loisible de le faire. Il y aurait alors une communication préalable, la défenderesse admettrait peut-être la contrefaçon comme elle l’a fait lors de l’instruction précédente, et les conclusions tirées au sujet de la contrefaçon et de la validité du brevet qui ont été tirées lors de l’instruction précédente lieraient la défenderesse par application notamment du principe de l’autorité de la chose jugée ou de la préclusion ou autrement. Toutes ces questions, y compris surtout celle des droits des « personnes se réclamant du breveté », seraient susceptibles d’être jugées.

 

[24]           Dans la présente action, les parties actuelles ont progressé. Le droit des demanderesses actuelles à des dommages-intérêts a été reconnu et il ne reste qu’à en fixer le montant et à trancher la question des droits de la nouvelle demanderesse Daiichi. L’examen de cette dernière question a toutefois été reporté à plus tard, de consentement. En l’espèce, les parties n’ont pas donné de consentement à ce sujet.

 

[25]           Par conséquent, l’instruction qui n’a pas encore eu lieu porte essentiellement sur le montant des dommages-intérêts à accorder aux présentes demanderesses. Si les nouvelles demanderesses proposées introduisaient une nouvelle action et que leur droit était établi ou que l’examen de la question était suffisamment avancé, cette action pourrait peut‑être être instruite conjointement avec celle portant sur les questions en litige qu’il reste à examiner dans le cadre de la présente action. Cette possibilité ne pourrait toutefois être examinée que plus tard.

 

[26]           La présente espèce est différente, par exemple, de l’affaire McIntosh c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2004 CAF 57, dans laquelle la Cour d’appel fédérale avait permis que plusieurs personnes soient constituées comme codéfenderesses dans l’action. Le juge Létourneau écrit ce qui suit au paragraphe 26, au nom de la Cour :

[26] On a fait une allégation sérieuse, à savoir que la preuve qui venait d’être découverte révélait que d’autres personnes étaient peut-être responsables de la violation des droits d’auteur, soit isolément soit avec la défenderesse elle-même, Landmark. La protonotaire aurait simplement pu rejeter la requête visant à faire ajouter de nouveaux défendeurs. Toutefois, compte tenu de son expérience, elle savait qu’un rejet n’aurait pas empêché la SOCAN d’intenter des actions contre les présumés nouveaux contrefacteurs sans avoir à obtenir une autorisation. Ce geste aurait de son côté entraîné avec le temps la présentation d’une requête visant la réunion des causes d’action. En d’autres termes, beaucoup plus tard dans le processus, la cour aurait fait face à une requête visant la réunion des causes d’action mettant en cause tous les défendeurs actuels, alors qu’elle faisait face à ce moment-ci à une demande de jonction des mêmes défendeurs dans une action qui était déjà en cours. Sur le plan des coûts, de l’efficacité et de la célérité, à condition bien sûr que la jonction des parties fût justifiée, il était préférable d’ajouter immédiatement les nouveaux défendeurs plutôt que d’avoir à faire face à de multiples nouvelles procédures au même effet qui auraient par la suite abouti à la réunion des causes d’action.

 

 

[27]           Dans cette affaire, il n’y avait pas encore eu d’instruction et l’instance en était encore à ses débuts, de sorte qu’on pouvait aisément prévoir la tenue d’une autre communication préalable. La Cour a estimé qu’au lieu d’intenter une nouvelle action, les intéressés pouvaient être joints à l’action comme codéfendeurs. Cette affaire est nettement différente de la présente espèce, dans laquelle une instruction a déjà eu lieu et où les questions qu’il reste à trancher portent essentiellement sur le calcul des dommages-intérêts.

 

[28]           J’estime donc qu’il ne convient pas de constituer les entités en question comme codemanderesses pour ce qu’il reste de la présente action.

 

 

QUESTION No 2 :     La réclamation de ces entités est-elle prescrite?

 

 

[29]           Les avocats des parties conviennent que l’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, s’applique en ce qui concerne les délais de prescription, étant donné que le brevet 080 fait suite à une demande déposée avant le 1er octobre 1989 et qu’il y a lieu de tenir compte de « l’ancienne » Loi sur les brevets. Cette version de la Loi sur les brevets ne renfermait aucune disposition expresse au sujet des délais de prescription. Il est acquis aux débats que le délai de prescription prévu par la Loi sur la Cour fédérale est de six (6) ans.

 

[30]           La réparation réclamée par les entités dont on propose la constitution comme codemanderesses est l’octroi de dommages-intérêts en vertu d’une loi, une réparation prévue par la loi. Comme il s’agit d’une réparation prévue par la loi et non d’une réparation en equity, il n’est pas nécessaire d’appliquer rigoureusement les considérations fondées sur l’equity. Je cite, à ce propos, le jugement Seward c Seward Estate (1996), 67 ACWS (3d) 903, au paragraphe 71 (le juge Ritter) :

[traduction]

71. C’est ici qu’intervient également la deuxième maxime d’equity selon laquelle l’equity respecte la loi :

           

Lorsqu’un principe qui tire son origine de la common law ou d’un texte de loi s’applique carrément à une affaire ou à une question déterminée, le tribunal d’equity est tout autant tenu de le respecter qu’un tribunal de common law, et il ne saurait pas plus que ce dernier s’en écarter (Story, Equity Third English Edition, (1920), p 34).

 

En conséquence, si le demandeur dispose d’un recours suffisant en vertu de la loi, il n’est pas nécessaire que j’examine servilement les recours en equity qui pourraient également lui être ouverts.

 

 

[31]            La période au cours de laquelle il n’était pas interdit à la défenderesse de vendre son produit au Canada a commencé le 29 novembre 2004, date à laquelle elle a reçu un avis de conformité, et elle a pris fin le 17 novembre 2006, date à laquelle l’injonction a pris pleinement effet. La présente requête visant à constituer les quatre nouvelles entités comme codemanderesses a été déposée le 30 août 2011.

 

[32]           L’avocat des demanderesses fait valoir que je devrais considérer que la date applicable en ce qui concerne la constitution d’au moins trois des entités en question comme parties à l’instance est celle à laquelle a été déposée la première requête en constitution comme codemanderesses, en l’occurrence, le 9 février 2009. J’écarte cet argument, étant donné que j’ai rejeté cette requête aux termes de mon ordonnance du 18 mars 2009. Le délai applicable, s’il en est, a cessé de courir à cette date. Aucun des éléments de preuve présentés par les demanderesses ne m’a convaincu qu’il existait une excuse valable justifiant le retard.

 

[33]           Les avocats des demanderesses affirment également à titre subsidiaire que la date applicable est celle à laquelle l’exposé des questions en litige a été produit, le 30 octobre 2008, étant donné que cet exposé informait la défenderesse de la réclamation présentée par au moins trois des entités en question. Je rejette cet argument. Un exposé des questions en litige ne marque pas le début d’une nouvelle action; il constitue une mesure procédurale de plus dans le cadre de l’action en instance. Il ne suffit pas de « laisser entendre » qu’il y a lieu de joindre de nouvelles parties à l’instance; il est nécessaire de présenter une requête à cette fin.

 

[34]           Par conséquent, si je devais constituer les nouvelles entités, ou l’une d’entre elles, comme parties à la présente action ¾ ce que je refuse de faire ¾, leur demande de dommages-intérêts se limiterait à la période maximale de six (6) ans précédant le dépôt de la requête en constitution comme parties à l’instance. Or, cette requête a été déposée le 30 août 2011; par conséquent, la demande de dommages-intérêts se limiterait aux réclamations nées après le 30 août 2005.

 

[35]           L’avocat des demanderesses a cité plusieurs décisions dans lesquelles la Cour a constitué des personnes comme parties à une action, ce qui avait eu pour effet d’allonger le délai de prescription par ailleurs applicable, notamment Pateman c Flying Tiger Line Inc, [1987] 3 CF 613, et Philipp Brothers c Torm A/S, 109 DLA (3rd) 763, (CF). L’avocat de la défenderesse, a cité, en réponse, des décisions comme Société canadienne de la Croix-Rouge c Air Canada, 2001 CFPI 1012, et Apotex Inc c Shire Canada Inc, 2011 CF 1159.

 

[36]           Dans ces décisions, la Cour a insisté pour dire que chaque cas était un cas d’espèce. Dans les cas des demanderesses, il semble que la défenderesse était bien au courant des réclamations des personnes dont on demandait la constitution en tant que parties à l’instance tandis que, dans les cas de la défenderesse, les prétentions des personnes dont on cherchait à obtenir la constitution comme parties auraient modifié considérablement la nature de l’action.

 

[37]           En l’espèce, aucune des personnes dont on cherche à obtenir la constitution comme partie n’était présente lors de la première instruction au cours de laquelle la question des droits des demanderesses à l’époque a été tranchée. Trois des quatre entités en question se sont présentées devant le tribunal en mars 2009 en vue d’être constituées comme parties à l’instance, mais elles ont été déboutées de leur requête. L’affaire est demeurée inactive jusqu’à la fin du mois d’août 2011, lorsque ces trois entités ainsi qu’une entité de plus ont présenté une nouvelle requête en vue d’être constituées comme parties à l’instance. Je ne vois aucune raison de rédiger une ordonnance qui aurait pour effet de fixer, dans leur cas, l’expiration du délai de prescription applicable à une date antérieure au 30 août 2006 pour le cas où j’aurais autorisé leur constitution comme parties à l’instance, ce que je n’ai pas fait.

 

QUESTION No 3 :     La requête devrait-elle être rejetée pour cause de retard?

 

[38]            Comme je l’ai déjà précisé au sujet de la question précédente, les réparations réclamées sont fondées sur la loi et non sur l’equity. Le retard est un facteur dont on tient compte en equity. Comme je l’ai déjà expliqué au sujet de la question précédente, si je devais faire droit à la requête ¾ ce que je ne ferai pas ¾, je ne la rejetterais pas pour cause de retard, mais je retiendrais comme date celle à laquelle la requête a été déposée, le 30 août 2011, et le délai de prescription de six (6) ans applicable expirerait à cette date.

 

QUESTION No 4 :     La requête a-t-elle été présentée en vertu de la bonne disposition des Règles?

 

[39]           J’ai rejeté cet argument du revers de la main à l’audience. Dans leur avis de requête, les demanderesses citent les articles 3 et 101 à 105 des Règles de la Cour. La défenderesse était amplement au courant des motifs invoqués à l’appui de cette requête et elle était amplement préparée pour la contester.

 

QUESTION No 5 :     Les entités en question sont-elles des « personnes se réclamant du breveté »?

 

[40]            J’ai déjà examiné cette question dans les présents motifs. Les demanderesses ont déposé certains éléments de preuve susceptibles de démontrer l’existence d’une cause défendable. Il y a lieu d’examiner plus à fond ces éléments de preuve et il sera peut-être nécessaire de les compléter. Le droit canadien évolue à ce sujet. Compte tenu de la décision que j’ai rendue au sujet de la présente requête et qui est susceptible de reporter l’examen de cette question dans le cadre d’une action distincte, il ne convient pas que je m’attarde plus longuement sur cette question à ce moment‑ci.

 

QUESTION No 6 :     Un préjudice a-t-il été causé à la défenderesse ou à l’une des entités en question?

 

[41]            La question du préjudice se pose lorsqu’une réparation en equity est sollicitée. En l’espèce, la réparation demandée est fondée sur la loi. De toute évidence, la défenderesse risque de subir un préjudice si la période au cours de laquelle elle est susceptible de subir des dommages se prolonge. Les entités dont on demande la constitution comme parties à l’instance ont le droit d’introduire une action et elles ont toujours eu ce droit. Tout retard à introduire une action ne peut être imputé qu’à elles.

 

III.       Dispositif et dépens

[42]           En conséquence, la requête est rejetée. Les parties ont convenu que la défenderesse avait droit aux dépens, peu importe l’issue de la cause, et les dépens en question ont été fixés à la somme de 10 000 $.

 

 


ORDONNANCE

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS,

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         la requête est rejetée;

 

2.         la défenderesse a droit aux dépens, fixés à la somme de 10 000 $, peu importe l’issue de la cause.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-2175-04

 

INTITULÉ :                                       JANSSEN INC. ET DAIICHI SANKYO

                COMPANY, LIMITED c. TEVA CANADA

                 LIMITED

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 13 décembre 2011

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 15 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Belmore

Greg Beach

 

POUR LES DEMANDERESSES

Marcus Klee

David Aitken

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Belmore Neidrauer LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Osler, Hoskin et Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

 

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