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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111214

Dossier : IMM-797-11

Référence : 2011 CF 1419

Ottawa (Ontario), ce 14e jour de décembre 2011

En présence de l’honorable juge Pinard

ENTRE :

Pritchard Ernst JEROME

 

Demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

Défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]          Il s’agit ici d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (le tribunal), présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi) par Pritchard Ernst Jerome (le demandeur). Le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger et a donc rejeté sa demande d’asile.

[2]          Le demandeur est un citoyen haïtien. Il est arrivé au Canada le 23 octobre 2007 avec son oncle; ils ont formulé leur demande d’asile sous les articles 96 et 97 de la Loi en raison de crainte pour leur vie, laquelle fut entendue le 27 octobre 2010, alors que le demandeur avait 15 ans. En raison de l’incapacité du tribunal d’établir leur identité, le tribunal a rejeté la demande de vive voix, concluant que le demandeur et son oncle n’avaient pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention », ni celle de « personnes à protéger » au sens de la Loi.

 

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[3]          Dans sa décision, le tribunal précise que, selon les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), il est tenu de considérer la demande d’asile sur la base des documents disponibles le jour de l’audience. Compte tenu que l’acte de naissance est un document insuffisant en soi pour établir l’identité d’une personne, il se déclare insatisfait de l’identité des personnes devant lui et rejette leur demande sans se prononcer sur la question de leur crainte de retour en Haïti.

 

[4]          Suite à cette décision, le demandeur a intenté la présente demande de contrôle judiciaire le 8 février 2011 car, selon lui, lors de l’audience, il y avait clairement des problèmes entre son avocate et le commissaire : l’audience a été brève, les motifs ont été rendus de vive voix et des démarches ont été entreprises par son avocate pour que cette dernière ne soit plus obligée d’agir devant le commissaire au dossier, Youssoupha Diop, ayant formulé deux plaintes contre ce dernier.

 

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[5]          Les dossiers du demandeur et de son oncle sont séparés, le demandeur résidant maintenant avec sa tante. La présente demande de contrôle judiciaire ne porte donc que sur la demande d’asile de Pritchard Ernst Jerome et soulève les questions suivantes :

          1.            Le tribunal a-t-il erré en droit et a-t-il basé sa décision sur des conclusions de fait erronées ou tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve à sa disposition?

          2.            La conduite du tribunal lors l’audience soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

 

 

[6]          La norme de contrôle applicable aux conclusions de faits du tribunal est celle de la décision raisonnable : un haut degré de déférence est accordé au tribunal, ce dernier étant spécialisé et le mieux placé pour évaluer la crédibilité du demandeur et ainsi apprécier la preuve (voir, par exemple, Kante c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 525 (1re inst.) au para 2; Sinnathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n742 (1re inst.) au para 14; Encinas c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 61 au para 17).

 

[7]          Le caractère raisonnable est évalué eu égard à la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 au para 47 [Dunsmuir]).

 

[8]          La norme de contrôle applicable à l’appréciation de la preuve d’identité du demandeur par le tribunal est donc celle de la décision raisonnable : la question de savoir si le demandeur a fourni suffisamment de documents pour établir son identité est une question de fait (Jin c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2006 CF 126 au para 16 [Jin]; Saleem c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 389 au para 13 [Saleem]). La décision du tribunal de rejeter la demande d’asile du demandeur sur la base de preuve insuffisante pour établir son identité est reliée à son appréciation de la crédibilité de ce dernier (Jin au para 14 et Saleem au para 14). Cette cour doit donc exercer un haut degré de retenue et ne devrait intervenir que si la décision du tribunal a été prise en se fondant sur des conclusions de fait erronées ou en ignorant la preuve au dossier (Singh c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 62 au para 11; Jin au para 14).

 

[9]          Inversement, la norme de contrôle applicable à toute question de droit, d’équité procédurale et de violation des principes de justice naturelle est celle de la décision correcte (Dunsmuir).

 

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          1.            Le tribunal a-t-il erré en droit et a-t-il basé sa décision sur des conclusions de fait erronées ou tirées de façon abusive ou arbitraire, sans tenir compte des éléments de preuve à sa disposition?

 

[10]      Bien qu’il soit vrai qu’il existe une présomption de véracité quant aux allégations contenues dans un témoignage (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 au para 5), le tribunal, à mon avis, n’a pas erré en décidant qu’il y avait une insuffisance de preuve pour établir l’identité du demandeur. Sa conclusion était raisonnable compte tenu du dossier devant lui. Les erreurs suivantes soulignées par le demandeur ne rendent pas la décision du tribunal pour autant déraisonnable et ne justifient pas l’intervention de cette cour :

a.       d’abord, même si la conclusion du tribunal à l’effet que le demandeur n’a jamais été invité à se présenter au consulat d’Haïti est erronée, cette erreur n’est pas déterminante;

b.      ensuite, l’erreur du tribunal de dire qu’il devait rendre sa décision sur la preuve disponible le jour de l’audience, ignorant l’existence du délai supplémentaire possible en vertu de l’article 37 des Règles, est sans conséquence, aucun délai supplémentaire n’ayant été refusé au demandeur.

 

[11]      Ainsi, malgré ces deux erreurs, la décision demeure néanmoins justifiée, transparente et intelligible (Dunsmuir au para 47). En effet, l’appréciation de la preuve d’identité est laissée au tribunal et constitue une question préliminaire déterminante. Le demandeur n’a simplement pas réussi par son témoignage et la production d’un acte de naissance à établir son identité (article 106 de la Loi; Jin aux para 13 et 15). Il était raisonnable pour le tribunal de douter de la crédibilité du demandeur compte tenu qu’il était au Canada depuis 2007 avec son oncle et que ces derniers n’avaient entrepris aucune démarche pour obtenir une preuve d’identité additionnelle. Le tribunal a donné l’occasion au demandeur d’expliquer pourquoi aucune démarche n’avait été entreprise après tant d’années. Cependant, ce dernier n’a pas démontré de justification valable. De plus, un document dans le Cartable national de documentation sur Haïti souligne l’existence de fraude en matière d’identité, en Haïti, ce qui a aussi influencé le tribunal.

 

[12]      Il importe en outre de souligner que, préalablement à l’audition et conformément aux Directives 7 (concernant la préparation et la tenue des audiences à la SPR), l’examen initial du dossier de la SPR a été communiqué au demandeur (en février 2008) et que la question d’identité y était notée comme question en litige. Le demandeur devait donc savoir que la preuve de son identité était problématique.

 

[13]      Le tribunal, contrairement aux allégations du demandeur, n’a donc pas simplement écarté son témoignage sans raisons valables : il doutait de la véracité de la preuve fournie pour les motifs contenus dans sa décision, y inclus son manque de crédibilité. En effet, en raison de l’article 106 de la Loi, pour apprécier la crédibilité du demandeur, le tribunal pouvait tenir compte de l’absence de documents d’identification (Saleem au para 27). Pour toutes ces raisons je trouve la décision du tribunal raisonnable sur cette question et il n’y a aucune erreur de droit qui justifie l’intervention de cette cour.

 

          2.            La conduite du tribunal lors l’audience soulève-t-elle une crainte raisonnable de partialité?

 

[14]      S’appuyant sur la notion de partialité telle que définie dans Bande indienne Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259 [Wewaykum] et Committee for Justice and Liberty et al. c. L’Office national de l’énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369 [Office national de l’énergie], le demandeur soulève en outre une crainte raisonnable de partialité en raison de la manière dont le tribunal a conduit son audience du 27 octobre 2010. Le demandeur allègue notamment :

-         qu’il y avait des tensions évidentes entre son avocate et le tribunal, son avocate ayant antérieurement déposé deux plaintes contre le tribunal;

-         que le tribunal semblait vouloir se débarrasser de sa demande rapidement, l’audience n’ayant duré que trente minutes et la demande d’asile elle-même n’ayant pas été considérée;

-         que lorsque l’oncle tentait de répondre aux questions du tribunal, celui-ci lui coupait la parole; et

-         que le tribunal a rendu ses motifs de vive voix, après avoir refusé de permettre au demandeur et à son oncle d’être interrogé à tour de rôle.

 

 

[15]      Le défendeur, pour sa part, bien qu’en accord avec la définition et le test applicable pour évaluer la crainte raisonnable de partialité, s’en remet au principe que le demandeur avait l’obligation de soulever sa crainte de partialité à l’audience devant le tribunal, sinon plus tôt, compte tenu des plaintes déjà formulées par son avocate contre le commissaire du tribunal (Zaroud c. Canada (Secrétaire d’État), [1995] A.C.F. no 1326 (1re inst.); Chamo c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1219 [Chamo]). De plus, le défendeur soutient que le tribunal était en droit d’interrompre le demandeur, un questionnement énergique n’étant pas interdit (Chamo au para 12; Ithibu c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2001 CFPI 288 [Ithibu]; Sanchez et al. c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 68). Le défendeur plaide aussi que la courte durée de l’audience n’établit pas la partialité du tribunal (Blanco c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 280). Enfin, le défendeur soumet que, malgré les problèmes antérieurs entre l’avocate du demandeur et le tribunal, le demandeur n’a pas démontré que le tribunal a manqué à son devoir d’impartialité.

 

[16]      Il incombe au demandeur de présenter des preuves concrètes qui démontrent qu’« une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique », croirait que, « selon toute vraisemblance, [le tribunal], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste » (Wewaykum au para 60 et Ithibu au para 41).

 

[17]      En l’espèce, je considère déterminant le fait que l’avocate du demandeur, celle qui le représentait devant le tribunal et qui a aussi préparé le Dossier du demandeur devant cette cour, n’ait pas soulevé la question de la crainte raisonnable de partialité devant le tribunal, ou même plus tôt. L’avocat qui a remplacé cette avocate pour l’audition devant moi a honnêtement admis qu’il ne pouvait expliquer pourquoi cela n’avait pas été fait, référant plutôt à ses autres arguments.

 

[18]      Dans Chamo, la cour est claire : « une allégation de partialité doit être rejetée si elle n’a pas été soulevée à la première occasion raisonnable, à savoir pendant l’audience […]. L’omission de soulever une crainte raisonnable de partialité à la première occasion empêche [le demandeur] de soulever cette allégation par la suite devant la Cour » (au para 9). L’argument du demandeur sur la crainte raisonnable de partialité est donc sans mérite.

 

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[19]      Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[20]      Je suis d’accord avec les procureurs des parties qu’il n’y a pas ici matière à certification.

 

 


 

JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-797-11

 

INTITULÉ :                                       Pritchard Ernst JEROME c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Karkar                            POUR LE DEMANDEUR

 

Me Diane Lemery                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

Myles J. Kirvan                                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

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