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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 Date : 20111213


Dossier : IMM-8849-11

Référence : 2011 CF 1470

Ottawa, Ontario, le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

JEAN-BERNARD DEVILMÉ

 

 

 

demandeur

 

and

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Au préalable

[1]               Il est sans équivoque que le demandeur ne se présente pas à la Cour avec les mains propres. Sa conduite est loin d’être irréprochable et fait en sorte qu’elle constitue un obstacle majeur pour obtenir le recours en equity qu’il sollicite :

[4]        Le droit est bien fixé : un sursis à l'exécution d'un renvoi est un recours en equity qui ne sera accordé que si le demandeur qui se présente devant la Cour n'a rien à se reprocher. Voir Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] 4 C.F. 661, au paragraphe 20; Basu c. Canada, [1992] 2 C.F. 38; Ksiezopolski c. M.C.I. & S.G.C., [2004] A.C.F. no 1715.

 

[5]        En l'espèce, la conduite de la demanderesse est loin d'être irréprochable. Elle a fait preuve d'une négligence constante et persistante envers le droit de la famille, le droit criminel et le droit de l'immigration du Canada. Si sa demande était accueillie, la Cour encouragerait l'illégalité, servirait une cause nuisible et irait à l'encontre de l'intérêt public.

 

[6]        Par conséquent, compte tenu des circonstances en l'espèce, la Cour n'exercera pas sa compétence en equity envers la demanderesse. [La Cour souligne].

 

(Brunton c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 33).

 

II. Introduction

[2]               Le demandeur, un citoyen de Haïti, présente devant cette Cour une requête afin d’obtenir le sursis d’une mesure de renvoi émise contre lui, laquelle doit être exécutée le 15 décembre 2011. Il sera renvoyé vers les États-Unis.

 

[3]               Cette requête en sursis est l’accessoire d’une demande d’autorisation et demande de contrôle judiciaire [DACJ] attaquant la décision d’une mesure de renvoi, rendue le 2 décembre 2011, par un agent du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, conformément au paragraphe 44(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

 

III. Amendement de l’intitulé

[4]               Le demandeur n’a entrepris son recours qu’à l’encontre du « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ». Comme le « Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile » est le Ministre responsable de l’exécution des mesures de renvoi, il devrait aussi être désigné à titre de défendeur. En conséquence, l’intitulé est amendé afin d’ajouter comme défendeur le Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en plus du Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

IV. Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Jean-Bernard Devilmé, est citoyen d’Haïti et résident permanent des États-Unis.

 

[6]               La Cour reprend le résumé concernant le demandeur au Canada de la décision de l’Examen des risques avant renvoi [ÉRAR] :

Historique d’immigration au Canada

 

Le 10 août 1989, monsieur Devilmé devient résident permanent des États-Unis.

 

Le 29 janvier 1994, le demandeur tente de rentrer au Canada, un rapport est établi au terme du paragraphe 20, car l’agent n’est pas convaincu de la bonne foi de sa visite.

 

Le 16 octobre 2002, un rapport 44 est rédigé, indiquant que monsieur Devilmé fût admis au Canada vers le 1er décembre 2001 est(sic) serait resté au-delà de la période permise. Le rapport indique également que le demandeur exerçait un emploi illégal dans une ferme depuis septembre 2002.

 

Le 08 janvier 2003, un rapport 44 est rédigé pour interdiction de territoire en vertu de l’article 36(2)a de la LIPR, indiquant que le demandeur a été reconnu coupable pour avoir volontairement entravé un agent de la paix agissant dans l’exercice de ses fonctions, infraction décrite à l’article 129)a)e du code criminel canadien. Le même jour, il est également reconnu coupable d’omission de se conformer à une condition, infraction décrite à l’article 145)3 b du code criminel canadien.

 

Le 16 juin 2003, reconnu coupable d’avoir en sa possession des biens criminellement obtenu(sic). Le dossier indique que monsieur Devilmé ne s’est pas présenté en Cour le 13 juin 2003.

 

Le 26 mai 2005, un mandat d’arrestation est émis par l’agence des services frontaliers du Canada.

 

Le 05 avril 2007, monsieur Devilmé est arrêté par la police.

 

Le 16 mai 2007, monsieur Devilmé revendique le statut de réfugié.

 

Le 17 décembre 2008, déclaré coupable à Drummonville(sic) d’un vol de moins de 5000 $, acte criminiel passible d’un emprisonnement maximal de 2 ans, infraction décrite à l’article 334)b du code criminel canadien. Également déclaré coupable de « supposition intentionnelle de personne » acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de dix ans infraction décrite à l’article 403)a du code criminel canadien.

 

Le 17 février 2010, l’agence des services frontaliers du Canada confirme que le demandeur a toujours un statut légal aux États-Unis.

 

Le 16 août 2010, la section de la protection des réfugiés (SPR) détermine que le demandeur d’asile est exclu de l’application de la définition de réfugié au sens de la Convention et de la qualité de personne à protéger aux termes de l’article 1E de la Convention.

 

La demande d’asile est rejetée, la SPR ne reconnaît pas à monsieur Devilmé, la qualité de réfugié ou de personne à protéger.

 

Le 01 juin 2011, la demande d’examen des risques avant renvoi est offerte à monsieur Devilmé.

 

[7]               Le demandeur n’a pas présenté de DACJ à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] et de la décision d’ÉRAR.

 

[8]               Dans sa lettre envoyée à l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] le 30 novembre 2011, pour demander le report de son renvoi, le demandeur indique d’entrée de jeu qu’il n’a pas encore déposé de demande de résidence permanente [DRP] au Canada pour motifs d’ordre humanitaires [CH], mais qu’il entend le faire sous peu.

 

[9]               Lors de sa rencontre le 23 novembre 2011 avec l’agent d’exécution de la loi, le demandeur fut informé de son choix : il pouvait retourner aux États-Unis ou à Haïti. 

 

[10]           Le demandeur a indiqué qu’il souhaitait retourner aux États-Unis et l’agent a alors fixé la date de son renvoi vers ce pays au 15 décembre 2011.

 

V. Analyse

[11]           La Cour est d’accord avec la position des défendeurs que le demandeur n’a pas les mains propres.

 

[12]           Il est établi qu’une requête en sursis est un recours discrétionnaire, et que selon les règles d’equity, celui qui s’adresse à la Cour afin d’obtenir un remède discrétionnaire doit ne rien avoir à se reprocher (Chavez c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 830 au para 13; également, Adams c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 256 au para 2).

 

[13]           Le défendeur soumet que cette Cour devrait rejeter la requête du fait que le demandeur a contrevenu au droit criminel et a démontré également un manque flagrant de respect des lois et obligations en matière d’immigration.

 

[14]           Par exemple et tel qu’il appert de la décision de la SPR :

·        le demandeur a admis avoir été en cavale de 2003 à 2007, soit jusqu’à la date de son arrestation par les autorités canadiennes;

·        Il a travaillé illégalement au Canada;

·        Il s’est fait passer à deux reprises pour une autre personne;

·        Il a été trouvé coupable de plusieurs infractions criminelles selon le Code criminel du Canada.

 

[15]           Ainsi, la présente situation justifie que la Cour utilise sa discrétion afin de refuser d’entendre la présente requête ou, à tout le moins, la rejeter. Le demandeur a eu plusieurs occasions de faire valoir ses droits. Malgré cela, il a agi au mépris des lois et du système au cours de son séjour au Canada.

 

[16]           La Cour d’appel fédérale a réitéré récemment ce principe dans Moore c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 803 :

[1]        Un demandeur sollicitant une mesure de redressement en equity doit lui-même être sans reproche.

 

Le principe bien établi voulant que « celui qui a contrevenu aux règles d’equity [...] ne peut bénéficier de l’application de ces règles », Jones c. Lenthal (1669), 1 Ch. Ca. 154, doit être appliqué en l’espèce. Compte tenu des actes du demandeur, je ne vois aucune raison d’étendre l’application des règles d’equity au demandeur. Il s’ensuit logiquement que lorsque le demandeur ne se présente pas en cour en n’ayant rien à se reprocher, la prépondérance des inconvénients ne penche pas en sa faveur.

 

Il est évident, à mon sens, que la Cour doit, en exerçant sa compétence, tenir compte de nombreux facteurs, dont le moindre n'est pas l'intérêt public. Des considérations d’ordre public m’obligent à repousser la demande. La maxime « on ne doit pas tirer avantage d’un délit » a été adoptée et suivie depuis des siècles. Ce principe a été énoncé assez succinctement dans l’arrêt Cleaver c. Mutual Reserve Fund Life Association [...], par le lord juge Fry :

 

[TRADUCTION]

Il me semble qu’aucun système de droit ne peut à raison inclure dans les droits dont il assure le respect ceux que la personne qui les revendique tire directement de son délit [...] Cette règle d’ordre public, comme tous les principes de cette nature, doit être appliquée dans tous les cas où cela est possible sans égard à la nature particulière du droit revendiqué ou à la forme de cette revendication.

 

(Les décisions Khalil c. Canada (Secrétaire d’état), [1999] 4 C.F. 661, [1999] A.C.F. no 1093 (QL) (C.A.); Ksiezopolski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1402, [2004] A.C.F. no 1715 (QL); Basu c. Canada, [1992] 2 C.F. 38, [1991] A.C.F. no 1272 (QL) (1ère inst.) sont citées.)

 

[...]

 

[4]        M. Moore n’a pas droit à ce que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire de statuer sur le fond de l’affaire en l’espèce, puisqu’il ne s’est pas présenté à la Cour en n’ayant rien à se reprocher, comme en témoignent sa grande criminalité et son non-respect des lois du Canada en matière d’immigration.

 

[17]           Ainsi, cette Cour n’exerce pas sa compétence en equity envers le demandeur.

 

[18]           Permettre au demandeur de bénéficier d’un sursis porterait davantage atteinte à l’intégrité du système.

 

VI. Conclusion

[19]           Compte tenu de tout ce qui précède, comme le demandeur n’a pas les mains propres, cette Cour n’exerce pas sa compétence en equity envers le demandeur, et, donc, sa demande en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande en sursis de l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur soit rejetée

 

“Michel M.J. Shore”

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8849-11

 

INTITULÉ :                                       JEAN-BERNARD DEVILMÉ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTE CONSIDÉRÉE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 13 DÉCEMBRE 2011 ENTRE OTTAWA, ONTARIO ET MONTRÉAL, QUÉBEC

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT:                               LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 13 décembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Vincent Desbiens

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Édith Savard

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Monterosso Giroux, avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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