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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20111213

Dossier : IMM-1482-11

Référence : 2011 CF 1412

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Rebecca Kathleena WILLIAMS

 

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qu’a présentée Rebecca Kathleena Williams (la demanderesse) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), relativement à une décision d’un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). Cette dernière a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi.

 

[2]               La demanderesse est née le 30 mars 1953 et elle est citoyenne de Saint-Vincent. Elle a quitté ce pays et est arrivée au Canada le 28 septembre 2004. Le 28 octobre 2009, elle a présenté une demande d’asile à titre de personne à protéger.

 

[3]               La demanderesse craint de retourner à Saint-Vincent parce qu’elle croit que son époux, Randolph Williams (Williams), dont elle est séparée depuis le 23 décembre 2001, lui fera du mal. Les deux se sont mariés le 2 août 1980.

 

[4]               Il est expliqué dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse qu’après octobre 1980 Williams a commencé à être violent physiquement, psychologiquement et verbalement envers elle et ses enfants. La demanderesse énumère une multitude d’incidents au cours desquels Williams l’a gravement battue, plusieurs fois jusqu’à ce qu’elle perde connaissance, et parfois avec des objets tels qu’une planche de bois de 2×4, ce qui lui a fait perdre l’ouïe de façon permanente.

 

[5]               En octobre 2001, Williams s’en est pris brutalement à la demanderesse et l’a menacée avec un couteau. Elle a pris la fuite, mais Williams a fini par la retrouver aux différents endroits où elle était et, chaque fois, il a menacé de la tuer et de s’enlever ensuite la vie.

 

[6]               En avril 2002, la demanderesse est arrivée au Canada et a vécu chez son fils jusqu’à ce qu’elle retourne à Saint-Vincent en mai 2003 pour assister aux funérailles de sa mère. Williams s’y est présenté, armé d’une machette et d’un couteau, et il l’a menacée. Il a continué de la suivre et de la menacer jusqu’à ce qu’elle parte de nouveau pour le Canada en 2004.

 

[7]               La demanderesse avait communiqué avec la police au sujet des actes de violence, mais elle n’avait obtenu aucune aide. La plainte la plus récente avait été portée en 2004 ou avant : la demanderesse n’était pas certaine de la date. Elle n’avait pas reçu d’aide après avoir porté plainte. La transcription n’indique pas clairement combien de fois la demanderesse a contacté la police, mais elle l’a fait à une occasion au moins, en 2004 ou avant.

 

* * * * * * * *

 

[8]               La Commission a reconnu que la demanderesse avait été longtemps victime de violence et que sa crédibilité ne suscitait pas de doute. Elle a souligné qu’elle ne disposait d’aucune information donnant à penser que la demanderesse souffrait d’un trouble de stress post‑traumatique.

 

[9]               La question déterminante était la protection de l’État. La Commission a cité un long extrait de la documentation sur Saint-Vincent. Cet extrait faisait état d’informations presque entièrement favorables sur la façon dont la police, le système judiciaire et la loi traitent la violence conjugale.

 

[10]           Vu le caractère mitigé de la documentation sur le pays, la Commission a fait remarquer qu’il serait problématique d’accorder l’asile dans ces circonstances. Elle a mentionné aussi qu’on n’avait pas donné à Saint-Vincent la chance de protéger la demanderesse en plus de six ans.

 

[11]           La Commission a fait remarquer que la demanderesse avait démontré qu’elle avait pu s’adresser à la police à au moins une occasion dans le passé, et cela l’a amenée à dire qu’il n’était pas « objectivement déraisonnable […] de conclure que la demandeure d’asile peut maintenant porter plainte à la police de Saint-Vincent et qu’elle pourrait le faire si elle retournait là-bas ».

 

[12]           La Commission a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle, à Saint-Vincent, les autorités feraient raisonnablement des efforts sérieux pour la protéger si elle y retournait.

 

* * * * * * * *

 

[13]           Il y a une seule question à trancher dans la présente demande, et la demanderesse présente deux arguments à l’égard de cette question :

a.       La décision de la Commission au sujet de la protection de l’État est-elle raisonnable?

                                                               i.      La Commission a-t-elle commis une erreur en n’expliquant pas en quoi la preuve favorable quant à l’existence de la protection de l’État l’emportait sur la preuve défavorable?

                                                             ii.      La Commission a-t-elle commis une erreur en insistant sur le temps depuis lequel la demanderesse a sollicité la dernière fois la protection de l’État?

 

[14]           Les questions relatives au caractère adéquat de la protection de l’État sont des questions mixtes de fait et de droit et elles sont susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité ( (Mendoza c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 119). Il faut donc que les conclusions que la Commission a tirées sur la question soulevée en l’espèce appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

* * * * * * * *

 

i.          La Commission a-t-elle commis une erreur en n’expliquant pas en quoi la preuve favorable quant à l’existence de la protection de l’État l’emportait sur la preuve défavorable?

 

[15]           La demanderesse soutient que, en l’espèce, la Commission a commis la même erreur que le décideur dans la décision James c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2010 CF 546 [James]. Cependant, la décision James peut-être distinguée de la présente affaire. Dans James, la Commission n’avait pas tenu compte de la preuve contenue dans la documentation sur Saint-Vincent à propos de l’absence de protection de la part de l’État dans ce pays. De plus, un aspect particulièrement important dans cette décision était la conclusion de la Cour selon laquelle le décideur avait trouvé « dérangeant » d’imposer à une enfant l’obligation de demander la protection aux autorités de l’État au cours de la période où elle était molestée sexuellement.

 

[16]           En l’espèce, la Commission n’a pas été sélective et n’a pas fait abstraction de la preuve défavorable concernant l’existence de la protection de l’État à Saint-Vincent. Au paragraphe 8 de sa décision, la Commission incorpore par renvoi les aspects défavorables cités dans James et, au paragraphe 9, elle souscrit à ces derniers. Elle mentionne ensuite au paragraphe 11 que les informations sont mitigées. Le paragraphe 12 expose le raisonnement de la Commission :

À mon avis, la notion auxiliaire de la protection des réfugiés est des plus problématiques si cette protection est accordée à la lumière d’éléments de preuve aussi mitigés à l’égard de la protection de l’État et dans des circonstances où la dernière chance de protéger la demandeure d’asile a été accordée à l’État  il y a si longtemps – soit il y a plus de six ans.

 

 

[17]           La demanderesse se fonde sur la décision Lewis c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2009 CF 282, laquelle est citée dans James :

[…] À mon avis, la Commission était tenue d’expliquer pourquoi elle a conclu que les éléments favorables contenus dans la preuve l’emportaient sur les éléments défavorables. En l’absence d’une telle explication, je conclus que la décision de la Commission était déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartenait pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. […]

 

 

[18]           La Commission, au paragraphe 12 de sa décision, se livre à cette analyse en tenant compte à la fois des éléments défavorables et des éléments favorables concernant l’existence de la protection de l’État. La demanderesse n’ayant pas donné à l’État la chance de la protéger depuis plus de six ans, la preuve ne suffit pas pour établir qu’elle ne serait pas protégée à son retour à Saint-Vincent. Comme le soutient le défendeur, la Commission a examiné la totalité de la preuve et a conclu que la demanderesse n’avait pas réfuté la présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens. La Commission dit (quoique en des termes différents de ceux que l’on emploie dans James) qu’elle préfère les éléments favorables parce qu’il n’y a pas assez d’éléments défavorables pour établir que la demanderesse ne bénéficierait pas d’une protection de l’État.

 

ii.          La Commission a-t-elle commis une erreur en insistant sur le temps depuis lequel la demanderesse a sollicité la dernière fois la protection de l’État?

 

[19]           La demanderesse soutient également que la Commission a été obnubilée par le temps depuis lequel elle a demandé la dernière fois à la police de Saint-Vincent de la protéger.

 

[20]           À mon avis, la Commission a tiré une conclusion raisonnable au sujet du temps depuis lequel la demanderesse a demandé la dernière fois d’être protégée. Au paragraphe 3 de sa décision, la Commission reconnaît que la demanderesse s’est plainte à la police en 2004 ou avant, mais qu’elle n’a obtenu aucune protection. Toutefois, cette conclusion ne veut pas dire que la Commission a laissé entendre que la demanderesse se devait de solliciter périodiquement la protection de la police. Elle laisse plutôt entendre, au paragraphe 12, que cette preuve, même si elle est admise, date d’il y a si longtemps qu’elle ne reflète pas l’existence actuelle de la protection de l’État à Saint-Vincent. Autrement dit, comme le fait valoir le défendeur, la Commission a conclu que la tentative faite par la demanderesse pour solliciter la protection de l’État était insuffisante.

 

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[21]           Dans l’ensemble, la décision de la Commission, à savoir que la demanderesse bénéficierait raisonnablement d’une protection de l’État à Saint-Vincent, est raisonnable. Elle a analysé convenablement la preuve dont elle disposait, elle a appliqué le droit approprié et elle est arrivée à une décision raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[22]           Je conviens avec les avocats des parties qu’il n’y a pas lieu en l’espèce de certifier une question.

 


 

 

JUGEMENT

 

 

            La demande de contrôle judiciaire concernant la décision par laquelle un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que la demanderesse n’avait ni la qualité de réfugiée ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 est rejetée.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1482-11

 

INTITULÉ :                                       REBECCA KATHLEENA WILLIAMS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 12 OCTOBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE PINARD

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aadil Mangalji                                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

Margherita Braccio                                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Long Mangalji LLP                                                                        POUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

 

Myles J. Kirvan                                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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