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Cour fédérale

 

Federal Court

 


 

Date : 20111212

Dossier : IMM-2925-11

Référence : 2011 CF 1446

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Zinn

 

ENTRE :

 

 

REHAB BADAWY

 

   

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Badawy, sollicite en l'espèce un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Elle souhaite faire infirmer la décision par laquelle un agent d'immigration a conclu qu'elle n'avait pas droit à un visa de résidence permanente à titre de personne appartenant à la catégorie du regroupement familial pour raisons d'ordre humanitaire (CH). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

Le contexte

[2]               La demanderesse est citoyenne de l'Égypte, le pays où elle vit présentement. Elle a épousé le répondant, M. Elgizy, en octobre 1997 et, en août 1998, ils ont eu leur premier enfant. Ils ont toutefois eu des problèmes conjugaux et, après trois années de mariage, ils se sont séparés. La demanderesse est ensuite allée vivre chez ses parents.

 

[3]               Lors de cette séparation, le répondant a demandé le statut de résident permanent au Canada dans la catégorie des travailleurs qualifiés. Suite au conseil d'un ami, il a faussement déclaré être célibataire et n'avoir aucun membre de famille à sa charge; sa demande a été acceptée.

 

[4]               Les problèmes conjugaux du couple se sont réglés, mais le répondant a tout de même décidé de venir au Canada. Il a quitté son enfant et son épouse enceinte et est arrivé ici en février 2002. Au mois de septembre suivant, le couple a eu son second enfant.

 

[5]               Depuis ce temps, le répondant a passé de nombreuses vacances en Égypte. Le 27 mars 2007, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente et M. Elgizy y a joint la demande visant à parrainer sa famille et demandant la prise en considération de motifs CH. La demande de résidence permanente a été refusée et, le 2 avril 2009, la Cour a autorisé la demanderesse à présenter une demande de contrôle judiciaire. Avant la tenue d'une audience sur le fond, le défendeur a consenti à ce que l'affaire soit renvoyée à un agent différent en vue d'une nouvelle décision. Dans la première décision, l'agent n'a pas expliqué pourquoi il n'y avait pas assez de motifs CH pour faire droit à la demande de la demanderesse.

 

[6]               Lors du second examen de la demande - celui sur lequel porte le présent contrôle - l'agent a conclu que les motifs invoqués par la demanderesse n'étaient pas suffisants pour justifier une exception CH. Il a souligné que le répondant, lors du traitement de sa demande de résidence permanente, avait eu plusieurs fois l’occasion de révéler son mariage mais qu'il ne l'avait pas fait. Plus précisément, il a conclu que le répondant était résident permanent du Canada depuis 2002 mais qu'il n'avait rien fait pour parrainer la demanderesse ou les enfants avant 2007. Il a souligné également que c'était le répondant qui avait décidé de laisser sa famille et de ne pas prendre les dispositions nécessaires pour qu'elle le rejoigne. La preuve indiquait que le répondant souffre aujourd'hui d'une maladie chronique du foie; l'agent a toutefois souligné que la demanderesse n'a pas parlé de ce problème de santé lors de son entretien, quand on lui a demandé pour quelle raison elle voulait rejoindre le répondant. L'agent a conclu que la demanderesse et ses enfants bénéficiaient d'un solide soutien en Égypte et que leur situation n’était pas du tout difficile.

 

[7]               En bref, l'agent a conclu que la relation qu'entretenait la demanderesse avec le répondant n'était pas solide et que les motifs CH invoqués n’étaient pas suffisants pour justifier que l’on prenne une mesure spéciale. La demande de résidence permanente a été refusée.

 

Les questions en litige

[8]               La demanderesse soulève trois questions :

a)      L'agent a‑t‑il commis une erreur en ne tenant pas compte des motifs d'ordre humanitaire convaincants parce qu’il a mis indûment l'accent sur le fait que le répondant n'avait pas révélé l'existence de son épouse et de son enfant à charge?

b)      L'agent a‑t‑il commis une erreur en se fondant sur des conjectures pour tirer une conclusion de crédibilité défavorable à propos de l'authenticité de la relation et des déclarations de la demanderesse, tout en ne tenant pas compte de la preuve documentaire et en ne donnant pas à la demanderesse l’occasion de répondre aux doutes de l'agent?

c)      Y a-t-il lieu d’adjuger des dépens dans cette affaire?

 

Analyse

[9]               La Loi et le Règlement disposent qu’une personne n'est considérée comme un membre de la famille aux fins de l'immigration que si elle est inscrite par la personne qui entre au Canada et qui fait l'objet d'un examen en tant que membre de la famille au moment de son entrée. Dans le cas présent, comme le demandeur n'a pas révélé à l'agent des visas l'existence de la demanderesse et de l'enfant aîné, ces derniers ne peuvent être admis au Canada comme membres de la famille que si le ministre renonce à l'application de cette disposition. Selon le paragraphe 25(1) de la Loi, une personne qui ne satisfait pas aux exigences de la Loi peut solliciter une exemption des dispositions applicables et celle-ci sera accordée si le ministre « estime que des considérations d'ordre humanitaire relatives à l'étranger le justifient, compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché ».

 

1. Le défaut allégué de prendre en considération les motifs d'ordre humanitaire convaincants

[10]           La demanderesse soutient que l'agent n'a pas pris en considération les motifs d'ordre humanitaire convaincants qu'elle a invoqués. Les notes que l'agent a consignées dans le Système de traitement informatisé des dossiers d'immigration [STIDI] indiquent [traduction] : « Requérante interrogée aujourd'hui. N'a rien révélé de nouveau qui étayerait un examen CH ». Au dire de la demanderesse, ce raisonnement donne lieu à deux erreurs susceptibles de contrôle. Premièrement, l'agent n'a examiné que les éléments de preuve produits après que la demande a été représentée en vue d'une nouvelle décision et il a fait abstraction des éléments de preuve qui avaient été produits antérieurement. Deuxièmement, l'énoncé montre que l'agent a omis de prendre en considération les quatre documents justificatifs qui figuraient dans la documentation ultérieure et qui contenaient de nouveaux éléments de preuve :

a)      une lettre d'un médecin disant que l'on avait diagnostiqué chez le répondant une maladie chronique du foie;

b)      une preuve de l'incapacité du répondant de payer les frais médicaux connexes en Égypte;

c)      le soutien affectif et financier que le répondant assurait de manière constante à la demanderesse et aux enfants;

d)      des déclarations personnelles décrivant les difficultés subies par le répondant et les enfants.

 

[11]           En ce qui concerne l'observation selon laquelle l'agent n'a pas pris en considération les facteurs CH qui avaient été relevés dans la documentation initiale, la demanderesse souligne précisément la preuve relative à l'établissement du répondeur au Canada et à l'intérêt supérieur des enfants. Elle soutient que l'agent n'a pas fait mention des effets affectifs que la séparation prolongée a eus sur les enfants, pas plus qu'il n'a posé de questions sur ces effets.

 

[12]           La demanderesse soutient que rien ne remplace l'amour et le soutien que procure la présence d'un parent biologique, indépendamment de l’appui que les enfants ont reçu en Égypte. Au vu du cheminement procédural de l'affaire, ajoute-t-elle, la décision de l'agent est insuffisante et n'analyse pas en détail les conclusions tirées. Cette décision, considère-t-elle, est donc déraisonnable.

 

[13]           À mon avis, les notes consignées dans le STIDI et la décision rendue n'étayent pas l'observation selon laquelle l'agent n'a pas pris en considération les éléments de preuve soumis à l’examen du premier agent. Ses notes disant : « Requérante interrogée aujourd'hui. N'a rien révélé de nouveau qui étayerait un examen CH » ne dénotent pas qu’il y a des éléments de preuve qui n'ont pas été pris en considération. Je préfère l'interprétation que fait le défendeur, à savoir que l'agent, par ses notes, disait qu’à l'entretien du 3 octobre 2010 la demanderesse n'avait fourni aucun élément de preuve nouveau à l’appui de la demande CH. Elle avait soumis antérieurement, le 26 octobre 2009, des arguments écrits à l'appui de la demande et, à mon avis, l'agent faisait une comparaison entre ces observations écrites et les observations qu'elle lui avait faites de vive voix en 2010.

 

[14]           La preuve documentaire à laquelle la demanderesse fait référence ne contredit directement aucune des conclusions importantes que l'agent a tirées, pas plus qu'il n'est allégué que c’est le cas. Il n'est pas nécessaire qu'un décideur administratif fasse mention de tous les éléments de preuve reçus, et l’on présume que tous les éléments de preuve soumis à l'agent ont été pris en compte : Florea c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) et Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2010 CF 417, au paragraphe 26. Il suffit que le décideur fasse référence aux éléments de preuve qui contredisent carrément une conclusion importante.

 

[15]           Il ressort des notes consignées dans le STIDI et des motifs de l'agent que celui-ci a tenu compte à différents endroits de l'intérêt des enfants. À titre d'exemple, l'extrait suivant, tiré des notes du STIDI, en fait état :

                        [traduction]

À l'évidence, le répondant n'avait pas grand besoin de sa famille (requérante et enfant) à l’époque où il a migré au Canada, il y a plus de huit ans. Aujourd'hui, principalement à cause de problèmes de santé non documentés (et qui, semble‑t‑il, ne l'empêchent pas de faire le long voyage vers l'Égypte) il les veut à ses côtés. Pas persuadé que cela est au mieux des intérêts de la requérante ou de l'enfant. Il les a abandonnés une fois et a vécu séparé d'eux durant plusieurs années. Qu'est‑ce qui l'empêcherait de recommencer? En Égypte, la requérante et l'enfant ont bénéficié d'un solide soutien de la part de la famille de cette dernière. Cela serait impossible au Canada.

[Non souligné dans l'original.]

 

[16]           Un décideur différent ne serait peut-être pas arrivé à la même conclusion que celle de cet agent, mais cette dernière était certes logique au vu de la preuve, et on ne peut pas dire qu'elle soit déraisonnable. Le couple avait des antécédents de problèmes conjugaux. Les deux s’étaient séparés une première fois, et au cours de cette période le répondant avait présenté sa demande de résidence permanente, de même qu’une seconde fois, quand il était parti pour le Canada. L'agent a fait remarquer qu'à part les vacances annuelles en Égypte, la famille est séparée depuis plus de huit ans. Il lui était loisible de conclure qu'il était possible que les deux époux se séparent de nouveau au Canada – et à ce moment les enfants n'auraient pas le soutien essentiel dont ils bénéficiaient en Égypte. Quoi qu'il en soit, la déclaration et l'analyse de l'agent prouvent de manière claire et convaincante que ce dernier a bel et bien pris en considération l'intérêt des enfants.

 

2. Le recours présumé à des conjectures

[17]           La demanderesse soutient que l'agent a commis une erreur en analysant sa preuve favorable sous l'optique de la conduite que le répondant avait eue au moment où il avait présenté sa propre demande. Plus précisément, elle soutient que l'agent s’est trompé en considérant les facteurs CH dans le contexte de la demande de résidence permanence initiale du répondant. Cette optique, soutient‑elle, a entaché l'évaluation de l'agent et l’a amené à faire des conjectures, non étayées par les faits, à propos de l'état de santé du répondant ainsi que de l'authenticité et de la solidité de la demande.

 

[18]           Dans sa décision, l'agent indique que [traduction] « rien n’a été dit au sujet des prétendus problèmes de santé », ce qui démontre, de l'avis de la demanderesse, qu’il n'a pas pris en considération la preuve documentaire, soit une lettre faisant état du diagnostic de maladie chronique du répondant. La demanderesse relève le commentaire de l'agent selon lequel l'état de santé du répondant permet quand même à ce dernier de retourner par avion en Égypte. Elle soutient que l'agent n'avait aucune expertise médicale en la matière et qu'il était tenu de l'informer de tout doute possible au sujet de cette question. Elle prétend qu'on lui a refusé la possibilité de traiter de cette question à l'entrevue et elle allègue de plus que si l'agent avait des doutes au sujet de l'état médical du répondant, il était tenu de l'en informer afin qu'elle puisse avoir une chance de les dissiper. Il s’agit là, selon elle, d'un manquement à l'équité procédurale.

 

[19]           La demanderesse dit de plus qu'elle entretient une relation authentique avec le répondant. Ce dernier, ajoute-t-elle, respecte son engagement envers la répondante et les enfants, il subvient financièrement à leurs besoins et il passe avec eux tout le temps possible dont il dispose. Elle soutient que la conclusion de l'agent sur l'authenticité de la relation n'est qu’une pure conjecture et n'est pas étayée par la preuve. De plus, aucune preuve dans le dossier ne pourrait raisonnablement mener à une conclusion d'« abandon » de la part du répondant.

 

[20]           L'affidavit établi sous serment par la demanderesse dans le cadre de la présente demande est incontesté. Elle déclare :

                        [traduction]

Je ne saisis pas pourquoi l'agent soutient dans ses notes que, lors de l’entretien,  je n'ai pas parlé des problèmes de santé de mon époux. En réponse à l’unique question posée sur le sujet, j'ai commencé à expliquer les antécédents médicaux de Tarek et les soins médicaux constants dont il avait besoin. J'ai dit aussi que ses soins physiques et psychologiques m’inquiétaient [...] J'avais l'intention de discuter en détail de l'état de Terek (sic) mais on ne m'en a jamais donné la possibilité.

 

[21]           Dans ses motifs, l'agent écrit : [traduction] « [l]orsqu'on vous a demandé pourquoi vous vouliez le rejoindre maintenant au Canada, vous avez dit que vous souhaitiez réunir la famille. Rien n'a été dit au sujet des prétendus problèmes de santé de votre répondant ».

 

[22]           Ces déclarations, à la lecture de ces passages, sont contradictoires. Cependant, il est possible de les interpréter de manière à ce qu’elle ne le soient pas. La demanderesse dit avoir parlé des problèmes de santé du répondant lors de l'entretien, tandis que l'agent déclare que la demanderesse n’a rien dit au sujet des problèmes de santé quand il lui a demandé pourquoi elle souhaitait rejoindre le répondant, ce qui ne veut pas forcément dire qu'il n'a été aucunement question de ces problèmes à l'entretien.

 

[23]           Quoi qu'il en soit, la Cour d'appel fédérale a décrété que même si la décision d'un tribunal administratif comporte des erreurs, elle ne sera pas annulée s'il y avait suffisamment d'éléments de preuve pour permettre au décideur de conclure comme il l’a fait : Kathiripillai c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] ACF no 889 (CAF) et Luckner c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] ACF no 363 (CAF). À mon avis, en l'espèce, l'agent aurait pu arriver à la conclusion qu'il a tirée même sans considérer que la demanderesse avait omis de mentionner le problème de santé de son époux. Je m'appuie à cet égard sur le fait que l'agent a accordé un certain poids aux aspects suivants :

a)      le répondant n'a pas révélé son mariage les diverses fois où il a eu la possibilité de le faire durant le processus d'immigration;

b)      le répondant a décidé d'immigrer au Canada en raison de ses problèmes conjugaux mais, à son départ, ces problèmes étaient réglés;

c)      le répondant avait le droit de parrainer la demanderesse depuis 2002, mais il n’a rien fait en ce sens avant 2007.

 

[24]           Je ne souscris pas à l'allégation selon laquelle l'agent s’est trompé en considérant les facteurs CH sous l'optique de la conduite du répondant à l'époque où il a présenté sa propre demande. Cette conduite était parfaitement pertinente, tant à l’égard de la détermination de l'authenticité de la relation qu’à l’égard de la question de l'intérêt supérieur des enfants.

 

            3. Les dépens et la question certifiée

[25]           Vu ma décision concernant la présente demande, la question de l’adjudication de dépens en faveur de la demanderesse ne se pose pas.

 

[26]           Ni l'une ni l'autre des parties n'ont proposé une question à certifier.

 

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE : la présente demande est rejetée, et aucune question n'est certifiée.

                                                                                               

« Russel W. Zinn »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2925-11

 

INTITULÉ :                                       REHAB BADAWY c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 28 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 12 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Bahman Motamedi

POUR LA DEMANDERESSE

 

Monmi Goswami

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GREEN AND SPIEGEL LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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