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Date : 20111208

Dossier : IMM‑5039‑11

Référence : 2011 CF 1435

Ottawa (Ontario), le 8 décembre 2011

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MARTINEAU

 

ENTRE :

 

 

SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans la présente demande, la Cour est invitée à examiner la portée du contrôle judiciaire de textes réglementaires portant sur les consultants en immigration à la lumière de principes et de valeurs canadiennes aussi fondamentaux que la primauté du droit et la séparation des pouvoirs.

 

I.          INTRODUCTION

[2]               La Société canadienne de consultants en immigration (la SCCI), la demanderesse dans la présente demande de contrôle judiciaire, est une société sans capital‑actions qui a été constituée le 8 octobre 2003 sous le régime de la partie II de la Loi sur les corporations canadiennes, RCS 1970, c C‑32, en tant qu’organisme autonome sans but lucratif et sans lien de dépendance avec le gouvernement fédéral.

 

[3]               Les lettres patentes de la demanderesse prévoient qu’il s’agit d’un organisme chargé de réglementer les consultants en immigration dans l’intérêt du public et que, pour ce faire, elle doit établir un code de déontologie, un mécanisme régissant le traitement des plaintes et l’imposition de mesures disciplinaires, un programme de formation et un fonds d’indemnisation pour les actes et les omissions de ses membres.

 

[4]               Entre le 13 avril 2004 et le 30 juin 2011, la demanderesse était le seul organisme de réglementation des consultants en immigration au Canada dont les membres étaient légalement autorisés à conseiller, à recevoir et à représenter les personnes faisant l’objet d’une instance sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) et de ses règlements d’application (articles 2 et 13.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le RIPR) modifié par DORS/2004‑59 (le Règlement de 2004)).

 

[5]               La demanderesse conteste la légalité des textes suivants :

a)      le Décret fixant au 30 juin 2011 la date d’entrée en vigueur du chapitre 8 des Lois du Canada (2011) (TR/2011‑731) (le Décret);

b)      le Règlement modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2011‑129) (le Règlement de 2011);

c)      le Règlement désignant un organisme pour l’application de l’alinéa 91(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2011‑142) (le règlement ministériel).

 

[6]               Le 30 juin 2011, en même temps que l’entrée en vigueur (aux termes du Décret) de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2011, c 27, antérieurement connue sous le nom de projet de loi C‑35, la désignation de la demanderesse comme organisme chargé de réglementer les consultants en immigration a été révoquée (le Règlement de 2011) et le Conseil de réglementation des consultants en immigration du Canada (CRCIC) a été désigné comme nouvel organisme de réglementation (le règlement ministériel).

 

[7]               Bien que la demanderesse considère les textes contestés comme une seule et même « décision », strictement parlant, le Décret et le Règlement de 2011 ont été pris par le gouverneur en conseil (le cabinet), tandis que le règlement ministériel a été pris par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) le défendeur à l’instance. Plus particulièrement, les textes contestés ont respectivement été pris en vertu des pouvoirs censément conférés par l’article 7 du projet de loi C‑35 (le Décret), du paragraphe 5(1), de l’article 14 et de l’ancien article 91 de la Loi (le Règlement de 2011) et des nouveaux paragraphes 91(5) et 91(7) de la Loi, modifiée par l’article 1 du projet de loi C‑35 (le règlement ministériel).

 

[8]               Le Décret et le Règlement de 2011 ont tous les deux été publiés dans la partie II de la Gazette du Canada le 6 juillet 2011. Le règlement ministériel a, avec le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR), été publié dans la partie II de la Gazette du Canada le 20 juillet 2011 (le REIR de juillet). Aucun des textes contestés (TR/2011‑731, DORS/2011‑129 et DORS/2011‑142) n’a fait l’objet d’une publication préalable. Cela étant dit, le 19 mars 2011, des modifications réglementaires au RIPR qui auraient eu essentiellement le même effet que le Règlement de 2011 et le règlement ministériel ont fait l’objet d’une publication préalable dans la partie I de la Gazette du Canada. Elles étaient accompagnées d’un Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR de mars).

 

[9]               La demanderesse affirme que les textes révoquant la désignation de la SCCI (le Règlement de 2011) et désignant le CRCIC comme nouvel organisme de réglementation (le règlement ministériel) sont ultra vires et qu’ils vont au‑delà du pouvoir de réglementation prévu par (l’ancien ou le nouveau) article 91 de la Loi pour cause d’abus de pouvoir discrétionnaire, de mauvaise foi et de prise en compte de facteurs dénués de pertinence. La demanderesse affirme également que la prise du Règlement de 2011 et du règlement ministériel allait à l’encontre des attentes légitimes de la demanderesse et de son droit d’être entendue, et que les agissements du ministre et de son personnel de Citoyenneté et immigration Canada (CIC) soulèvent une crainte raisonnable de partialité. Enfin, la prise du Décret viole les exigences procédurales de l’article 9 de la Loi sur les textes réglementaires, LRC 1985, c S‑22 (la LTR), et le règlement ministériel est par ailleurs invalide en droit parce qu’il a été pris avant l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35.

 

[10]           Le défendeur soutient en revanche que les textes contestés sont autorisés par le législateur fédéral et qu’il n’appartient pas à la Cour d’examiner le caractère raisonnable de textes réglementaires ou de critiquer les choix d’orientation générale du législateur ou du gouvernement. En tout état de cause, il n’y a aucune preuve de mauvaise foi, de motifs illégitimes ou de partialité concrète. Qui plus est, les règles d’équité procédurale ne s’appliquent pas à l’adoption des lois, et les droits de participation que la demanderesse pouvait posséder ont été amplement respectés. Enfin, toutes les exigences procédurales énoncées dans la LTR ont été respectées, et l’article 7 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, c I‑21 permet de prendre le règlement avant l’entrée en vigueur du texte législatif habilitant. Les textes contestés sont donc valides en droit.

 

[11]           Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, les dispositions législatives applicables ainsi que la jurisprudence pertinente, la Cour estime que la présente demande doit être rejetée. La Cour conclut que les textes contestés sont autorisés par la Loi et qu’ils sont valablement entrés en vigueur le 30 juin 2011. En principe, les règlements et les décisions d’orientation générale ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en cas d’excès de pouvoir ou d’omission de respecter les exigences législatives ou réglementaires. Pour ce qui est de l’obligation de consulter, la Cour estime qu’elle a été respectée en l’espèce. Le processus suivi pour choisir le nouvel organisme de réglementation – processus auquel la demanderesse a été autorisée à participer – était juste et transparent. Il ne s’agit pas d’un « cas flagrant » qui justifierait l’intervention de la Cour pour faire respecter la primauté du droit.

 

II.        GENÈSE DE L’INSTANCE ET RAPPEL DES FAITS

[12]           La présente demande est en quelque sorte la suite du litige qui est né au printemps 2011 lorsque le gouvernement a annoncé son intention de supprimer le nom de la demanderesse de la liste des « représentants autorisés » définis à l’article 2 du RIPR, modifié par le Règlement de 2004, et de le remplacer par le CRCIC. Mais avant d’examiner les faits survenus au printemps et à l’été 2011, il est nécessaire de remonter au début des années 2000, époque à laquelle on a décidé de soumettre la profession de consultant en immigration à la réglementation fédérale.

 

            Le Règlement de 2004

[13]           Les professions autonomes existent depuis longtemps au Canada. Les professions d’avocat, de notaire et de médecin existaient déjà avant la Confédération, mais jusqu’au tournant du siècle, l’idée que les consultants en immigration formaient un groupe de professionnels qui pouvaient être légalement autorisés à faire concurrence aux membres de la profession juridique et à se réglementer eux‑mêmes dans le meilleur intérêt du public n’avait pas encore émergé.

 

[14]           Les faits à l’origine de la création d’un organisme autonome chargé de régir l’activité des consultants en immigration au Canada et la prise du règlement de 2004 sont largement non contestés et sont appuyés par la preuve présentée ainsi que par la jurisprudence pertinente (International Association of Immigration Practitioners c Canada, 2004 CF 630, aux paragraphes 3 à 10; Barreau du Haut‑Canada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 243, aux paragraphes 4 à 35 (Barreau du Haut‑Canada) et Onuschak c Société canadienne de consultants en immigration, 2009 CF 1135, aux paragraphes 11 à 19 (Onuschak).

 

[15]           En octobre 2002, le ministre a mis sur pied un comité d’experts chargé de le conseiller au sujet de la réglementation des consultants en immigration (le comité consultatif). À la suite de la recommandation formulée par ce comité en mai 2003, le ministre a accepté de créer un organisme autonome, étant donné que cette mesure ne nécessitait aucune modification à la loi.

 

[16]           Même s’il existait déjà deux associations, le ministre (ou le cabinet) a préféré créer un nouvel organisme pour réglementer les consultants en immigration. Il semble que l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration (l’ACCPI) et l’Organisation des conseillers d’immigration professionnels (l’OCIP) n’avaient pas été en mesure de faire respecter des conditions d’adhésion ou des normes professionnelles strictes. Elles ont d’ailleurs appuyé la création de la SCCI en tant que nouvel organisme de réglementation.

 

[17]           Le ministre a écarté la recommandation du comité consultatif qui souhaitait que le nouvel organisme de réglementation soit constitué par le gouvernement et qu’il soit composé d’un conseil d’administration formé de représentants de CIC, de consultants en immigration et de membres du public. Le nouvel organisme de réglementation serait plutôt tout simplement une société sans capital‑actions constituée sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, RCS 1970, c C‑32 et dont les administrateurs seraient choisis par les membres de la société en question. Cela étant dit, CIC assurerait un appui financier (sous forme d’ententes de contribution) et offrirait des conseils pour aider la société en question au cours de ses premières années d’activité.

 

[18]           L’autonomie administrative du nouvel organisme de réglementation comportait deux aspects essentiels : le pouvoir de délivrer des permis et la capacité d’infliger des mesures disciplinaires. On craignait toutefois que ce modèle ne permette pas de régler le problème des consultants « fantômes ». Comme il n’avait compétence que sur ces membres, l’organisme d’autoréglementation nouvellement créé serait impuissant à intervenir dans la zone grise que constituaient les activités des consultants en immigration. Quoi qu’il en soit, CIC a promis de « surveiller de près la situation » ce qui, avec le temps, s’est avéré insuffisant comme nous l’expliquerons plus loin.

 

[19]           Le gouvernement était également conscient du fait que le conseil d’administration du nouvel organisme de réglementation pourrait par la suite modifier le code de déontologie et son règlement administratif de manière à rendre les normes professionnelles moins rigoureuses, ce qui aurait une incidence sur la protection des consommateurs. Le gouvernement s’est d’ailleurs fermement engagé envers les intervenants à prendre des mesures pour retirer sa reconnaissance à la SCCI pour le cas où cette dernière ne s’acquitterait pas de sa mission principale de protéger les consommateurs et de maintenir des normes professionnelles élevées.

 

[20]           En mars 2005, un an après la désignation de la demanderesse comme organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration, les autorités gouvernementales ont manifesté leur appui envers les mesures prises par la demanderesse : [traduction] « Dans l’ensemble, la SCCI exerce ses activités avec succès et respecte l’objectif du gouvernement canadien de protéger les gens vulnérables qui sont engagés dans le processus d’immigration ».

 

[21]           Avec le temps, on a toutefois assisté à une érosion graduelle de la confiance d’une partie des membres de la demanderesse, du public et du gouvernement, et ce, indépendamment de l’influence que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, les opinions partisanes ont pu avoir. Il semble qu’en 2010, des pressions extérieures ont été exercées en vue d’obtenir la destitution de M. John Ryan, qui avait été nommé quelques années auparavant comme président‑directeur général de la demanderesse. Des pressions ont également été exercées en vue d’obtenir la révocation de M. Imran Qayyum du conseil d’administration de la demanderesse et de l’Institut canadien de la migration (ICM), une filiale à cent pour cent de la SCCI.

 

[22]           Quoi qu’il en soit, dès 2007, une enquête menée par le Toronto Star laissait entendre que le régime réglementaire auquel les consultants en immigration étaient assujettis continuait à décevoir le public. En outre, l’Association du Barreau canadien (l’ABC), qui n’était pas au courant à l’époque des audiences disciplinaires visant des membres de la SCCI, avait exprimé des préoccupations semblables au ministre. D’ailleurs, l’ABC encourageait [traduction] « le gouvernement à procéder à une évaluation plus large pour déterminer si la SCCI s’acquitte de son mandat de réglementer les consultants, à la lumière notamment d’allégations persistantes de mauvaise conduite fiscale formulées par d’anciens membres du conseil d’administration de la SCCI lui‑même ».

 

            L’enquête et les recommandations du Comité permanent

[23]           En avril 2008, en réponse aux doléances et à l’insatisfaction exprimée par le public et par les membres de la profession au sujet de pratiques inacceptables des consultants en immigration, le Comité permanent du Parlement sur la citoyenneté et l’immigration (le Comité permanent) a entrepris d’étudier les problèmes soulevés en la matière et de recommander des mesures propres à assurer la bonne réglementation de la profession. Le Comité permanent n’a pas enquêté formellement sur les plaintes déposées contre la SCCI, mais les représentants de la SCCI se sont cependant vus offrir la possibilité de témoigner et de formuler leurs observations sur les recommandations faites par la suite. Cette façon de procéder relevait parfaitement des prérogatives du Comité permanent du Parlement.

 

[24]           En juin 2008, le Comité permanent a publié son rapport, intitulé « Réglementation des consultants en immigration ». Le Comité recommandait notamment que le gouvernement du Canada présente une loi distincte pour rétablir la Société canadienne de consultants en immigration en qualité de société sans capital‑actions et qu’il facilite le rétablissement du nouvel organisme de réglementation et continue d’intervenir dans ses affaires jusqu’à ce que celui‑ci soit pleinement fonctionnel. Dans son rapport, le Comité permanent constatait que beaucoup de consultants en immigration étaient insatisfaits parce que la cotisation à la SCCI était trop élevée, que la SCCI n’avait pas de plan d’ensemble, qu’il n’y avait ni transparence ni démocratie dans le processus décisionnel de la SCCI et que les indemnisations et les dépenses des membres du conseil de la SCCI étaient excessives.

 

[25]           Bien que le Comité permanent n’ait pas formulé de conclusion de fait spécifique – ce que le représentant du ministre a admis au cours de la présente instance – il a relevé de façon générale plusieurs lacunes que le législateur fédéral devait néanmoins aborder à son avis :

Ces griefs ont différentes causes et nul doute que bon nombre d’entre eux sont attribuables au fait que la SCCI est une organisation relativement jeune, qui cherche encore à trouver un juste équilibre dans sa façon de réglementer une profession qui jusqu’ici ne l’était pas. Le Comité est toutefois d’avis que les problèmes à la SCCI ne sont pas que passagers. Au départ, la Société n’a pas été dotée des outils nécessaires pour pouvoir bien s’acquitter de son mandat d’organisme de réglementation. À titre d’entité constituée en vertu d’une loi fédérale, la SCCI n’est pas habilitée à sanctionner les consultants en immigration qui n’en sont pas membres et elle n’a pas le pouvoir de demander l’exécution judiciaire des mesures disciplinaires qu’elle impose à ses membres. De plus, parce que la compétence de la SCCI n’est pas régie par une loi, il est impossible aux membres insatisfaits ou à quiconque d’autre d’exercer une quelconque influence sur le fonctionnement interne de la Société par le biais d’un examen judiciaire. De l’avis du Comité, il faudrait légiférer pour remédier à ces lacunes.

 

[26]           Le gouvernement du Canada n’a pas suivi la recommandation du Comité permanent concernant l’adoption d’une loi distincte pour « rétablir » la SCCI. Le gouvernement a plutôt décidé deux ans plus tard de déposer le projet de loi C‑35 devant le Parlement, ainsi que nous l’expliquerons plus loin.

 

            Réponse du ministre

[27]           Avant de proposer au Parlement d’apporter des modifications à la Loi, CIC et le ministre ont envisagé diverses options.

 

[28]           En 2009, Les Linklater, directeur général de la Direction de l’immigration de CIC (maintenant sous‑ministre adjoint, Politiques stratégiques et de programmes de CIC) a retenu les services d’un groupe‑conseil, Sussex Circle, pour procéder notamment à un examen et pour soumettre [traduction] « une analyse et une évaluation des conditions minimales à respecter pour pouvoir conclure de façon déterminante que le niveau de gouvernance de l’organisme sans but lucratif s’est détérioré au point où le gouvernement pourrait, sans courir trop de risques sur le plan légal, retirer son mandat au conseil d’administration ».

 

[29]           Sussex Circle a examiné les méthodes de gouvernance et de reddition de comptes de la SCCI. Il a relevé de nombreuses lacunes importantes et a proposé diverses solutions, allant de l’absence de toute intervention jusqu’à la liquidation de la SCCI, notamment par la modification du RIPR de manière à constituer un nouvel organisme qui remplacerait la SCCI (l’option réglementaire). Parmi les autres options envisagées, il y avait celles consistant à modifier la loi ou le règlement pour prévoir le pouvoir de désigner des « administrateurs chargés de défendre l’intérêt public » et de forcer la SCCI (ou tout autre organisme désigné) à produire les renseignements exigés par le ministre pour qu’il les examine et les approuve, ou à prévoir des exigences contraignantes en matière de gouvernance et de reddition de comptes en contrepartie du monopole accordé (ou maintenu) dans ce domaine.

 

[30]           L’option de réglementation offrait certaines caractéristiques intéressantes (en particulier parce qu’elle n’exigeait pas de modifications législatives), mais il semble que ce n’était pas l’option privilégiée par Sussex Circle en raison des coûts élevés associés à la période de transition. Sussex Circle estimait qu’une solution réglementaire minimale dépendait largement de la collaboration de la SCCI tandis qu’une méthode plus large et plus contraignante constituerait une solution de repli. Toutefois, à long terme, il serait de loin préférable de ne procéder qu’à une seule série de modifications législatives pour régler les problèmes de gouvernance et de reddition de comptes signalés dans le rapport.

 

[31]           Le modèle d’autoréglementation retenu en 2004 n’empêchait pas – et n’empêche toujours pas en 2011 – les consultants en immigration du Canada et d’ailleurs d’adhérer à d’autres associations professionnelles. À l’époque où la SCCI est devenue l’organisme chargé de réglementer les consultants en immigration, l’Association canadienne des conseillers professionnels en immigration (l’ACCPI) avait été créée par suite de la fusion des deux organismes susmentionnés, l’OPIC et l’ACCI, qui s’étaient auparavant prononcés en faveur de la création d’un organisme d’autoréglementation, la SCCI.

 

[32]           L’ACCPI est une association à adhésion libre composée de professionnels en immigration dont la mission consiste à défendre les intérêts des conseillers professionnels en immigration, en participant notamment à des activités de pression politique. Les rapports entre l’ACCPI et la SCCI ont été marqués par de nombreuses frictions et ils sont particulièrement tendus depuis 2007, année où M. Philip Mooney est devenu président de l’ACCPI, ainsi que Keith Frank l’explique dans son affidavit et que la Cour en a pris connaissance d’office dans l’affaire Mooney c Société canadienne de consultants en immigration, 2011 CF 496 (Mooney). Il ressort à l’évidence de la preuve au dossier que l’ACCPI, et notamment M. Mooney lui‑même, a fait campagne contre la SCCI et qu’elle a activement préconisé son remplacement.

 

[33]           Il semble que, même s’ils n’étaient pas des lobbyistes agréés, des administrateurs de l’ACCPI aient rencontré en 2008 et 2009 M. Les Linklater, qui était alors directeur général de la Direction de l’immigration de CIC, ainsi que d’autres membres du personnel du ministère pour exercer des pressions en vue de remplacer la SCCI ou son conseil d’administration. À cet égard, les administrateurs en question de l’ACCPI, dont l’identité n’a pas été précisée, ont agi à titre consultatif en proposant au ministre des solutions de rechange au SCCI.

 

[34]           D’ailleurs, certains consultants en immigration qui ont été entendus en 2008 par le Comité permanent étaient des administrateurs de l’ACCPI (voire même des [traduction] « consultants fantômes » comme l’affirme le demandeur). Quoi qu’il en soit, dans le jugement Mooney, précité, au paragraphe 113, notre Cour a fait observer, en 2011, que « « [l]e rapport du Comité permanent et ses principales recommandations constituent de toute évidence une tentative légitime et sensée de suggérer des façons de réformer la SCCI pour l’aider à mieux remplir son mandat et à mieux respecter ses principes directeurs ».

 

            Le projet de loi C‑35

[35]           Le 8 juin 2010, le projet de loi C‑35, désigné par le gouvernement sous le nom de Loi sévissant contre les consultants véreux, a été présenté à la Chambre des communes par le ministre de l’Immigration et du multiculturalisme Jason Kenney.

 

[36]           Dans le communiqué de presse et les notes d’allocution du ministre, on peut lire :

Bien que la plupart des consultants en immigration travaillant au Canada exercent leur métier en toute légitimité et en respectant la déontologie de la profession, il est indéniable que la fraude en matière d’immigration demeure une menace répandue pour l’intégrité du système d’immigration du Canada, a affirmé le ministre Kenney. La Loi sévissant contre les consultants véreux permettra de mieux protéger les personnes contre les consultants sans scrupules et de défendre l’intégrité de notre système d’immigration contre la fraude et les mauvais traitements.

 

[…]

 

Le projet de loi prend en compte les recommandations que le Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de la Chambre des communes a unanimement adoptées à la suite de longues consultations.

 

[37]           Entre parenthèses, la demanderesse affirme que dans une entrevue télévisée réalisée le 12 juin 2010, le ministre a commis une erreur en citant les recommandations du Comité permanent du Parlement lorsqu’il a déclaré que [traduction] « de nombreux intervenants se sont dits préoccupés, et notamment le Comité permanent du Parlement sur l’immigration, dont les membres ont affirmé unanimement que le gouvernement devait créer un nouvel organisme réglementaire ». De plus, lorsqu’il a été interrogé au sujet du projet de loi C‑35 dans le cadre d’une entrevue diffusée sur la chaîne CPAC le 8 juin 2010, le ministre a laissé entendre que son objectif était [traduction] « d’y parvenir d’ici la fin de 2011 ».

 

[38]           Comme nous le verrons plus loin, la Cour a conclu que les allégations de partialité formulées contre le ministre ne sont pas déterminantes pour ce qui est de la légalité des textes contestés. La Cour accepte l’argument du défendeur suivant lequel les déclarations et les propos du ministre ont été cités hors contexte. Lors de son entrevue à la chaîne CPAC, le ministre Kenney faisait apparemment allusion à l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35 qu’il souhaitait se voir réaliser avant la fin de 2011 et non à la constitution d’un nouvel organisme de réglementation.

 

[39]           Cela étant dit, malgré les déclarations du ministre, il est évident que le gouvernement a choisi de ne pas donner suite à la recommandation du Comité permanent qui proposait « que le gouvernement du Canada présente une loi distincte pour établir la Société canadienne de consultants en immigration en qualité de société de société sans capital‑actions » et que « cette “Loi sur la Société de consultants en immigration” devrait traiter des mêmes aspects que ceux abordés dans les lois portant création des sociétés du barreau constituées en vertu de lois provinciales, notamment, mais sans s’y limiter : fonctions de la société, agrément des membres et déontologie, compétence professionnelle, interdictions et infractions, règlement des plaintes, fonds d’indemnisation et règlements administratifs ».

 

[40]           En fait, une fois adopté par le Parlement et proclamé en vigueur, le projet de loi C‑35 modifierait en profondeur la Loi sur limmigration et la protection des réfugiés en changeant la façon de réglementer les tiers qui interviennent dans le processus d’immigration. Le projet de loi C‑35 prévoit notamment :

         la création d’une nouvelle infraction en élargissant l’interdiction de représenter ou de conseiller une personne – ou d’offrir de le faire –, moyennant rétribution, de sorte qu’elle s’appliquera non seulement à toute étape d’une demande ou d’une instance prévue par cette loi, mais également avant la présentation de la demande ou l’introduction de l’instance, et l’imposition de peines en cas de contravention;

         une exception à cette interdiction pour :

         les membres du barreau d’une province ou les notaires de la Chambre des notaires du Québec, ainsi que pour les stagiaires en droit agissant sous leur supervision,

         les autres membres du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec, notamment les parajuristes,

         les membres d’un organisme désigné par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration,

         les entités et les personnes qui agissent en leur nom, lorsqu’elles agissent conformément à un accord ou à une entente conclus avec Sa Majesté du chef du Canada;

         la prolongation du délai pour intenter certaines poursuites par voie de procédure sommaire, qui passe de 6 mois à 10 ans;

         la faculté du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de prendre des règlements transitoires relativement à la désignation ou la révocation d’organismes;

         la surveillance de tout organisme désigné par ce ministre au moyen de règlements pris par le gouverneur en conseil obligeant l’organisme à fournir des renseignements pour permettre au ministre de vérifier s’il régit ses membres dans l’intérêt public;

         la simplification de l’échange d’information avec les organismes de réglementation en ce qui a trait à la conduite de leurs membres sur les plans professionnel et éthique.

 

[41]           Le 23 septembre 2010, le projet de loi C‑35 a franchi l’étape de la seconde lecture à la Chambre des communes et a été renvoyé au Comité permanent, qui a présenté son rapport le 24 novembre 2010. Une motion d’adoption a été présentée le 6 décembre 2010. Le projet de loi C‑35 a franchi l’étape de la troisième lecture le 7 décembre 2010.

 

[42]           Le même jour, au niveau du Sénat, le projet de loi C‑35 a fait l’objet d’une première lecture. Il a franchi l’étape de la deuxième lecture le 1er mars 2011 puis a été renvoyé au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie. Ce dernier a présenté son rapport (en y ajoutant ses observations) le 10 mars 2011. Le projet de loi C‑35 a franchi l’étape de la troisième lecture le 21 mars 2011.

 

[43]           Le projet de loi C‑35 a reçu la sanction royale le 23 mars 2011.

 

            Processus de sélection publique

[44]           Le 8 juin 2010, en même temps qu’il déposait le projet de loi C‑35 devant la Chambre des communes, le ministre annonçait qu’il prenait des mesures immédiates pour s’attaquer « au manque de confiance du public à l’égard de la réglementation des activités des consultants », ajoutant qu’un avis serait publié dans la Gazette du Canada pour annoncer l’intention de CIC de « lancer un processus concurrentiel et public visant à sélectionner un organisme qui assurera la réglementation des consultants en immigration, et ce, en vertu du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés en vigueur ».

 

[45]           Pour expliquer sa décision de lancer un processus de sélection publique, le ministre Jason Kenney a déclaré ce qui suit :

[…] D’après le rapport du Comité [permanent de la Chambre des communes], un certain nombre de consultants en immigration de toutes les régions du pays ont également formulé des plaintes, et un bon nombre d’entre eux ont fait part de leur grand mécontentement quant à la gestion actuelle de la Société canadienne de consultants en immigration (SCCI). C’est pourquoi j’ai immédiatement pris des mesures pour pallier ce problème, car il représente une importante menace pour le système d’immigration et a miné la confiance du public à l’égard de la réglementation des activités des consultants.

 

[…]

 

L’avis d’intention s’adressera également au public, lequel sera invité à formuler des commentaires relativement au processus de sélection proposé. Ce processus de sélection transparent permettra de désigner l’organisme le mieux à même de réglementer efficacement les consultants en immigration, ce qui permettra de maintenir la confiance des Canadiens à l’égard du système d’immigration.

 

[…]

 

Cet organisme devra efficacement réglementer les activités de ses membres, s’assurer qu’ils offrent leurs services avec professionnalisme et éthique, et leur rappeler qu’ils encourent de graves sanctions s’ils agissent autrement.

 

[46]           Effectivement, le 12 juin 2010, un avis d’intention a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada pour inviter la population à faire part de ses observations au sujet du projet de lancement d’un processus de sélection public visant à proposer un organisme de réglementation afin qu’il soit reconnu en tant qu’organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration. Plus particulièrement : « Un processus compétitif de sélection public sera lancé afin d’identifier l’entité susceptible de démontrer sa capacité à réglementer efficacement les consultants en immigration. Des facteurs de sélection seront établis afin de garantir que l’entité identifiée à titre d’organisme de réglementation des consultants en immigration a une capacité en matière de réglementation efficace ».

 

[47]           Suivant la demanderesse, avant le lancement du processus de sélection publique, M. Linklater aurait demandé à M. Mooney – qui est par la suite devenu président‑directeur général du CRCIC – de soumettre une liste de 19 ou 20 personnes susceptibles de prendre la relève de la SCCI en ce qui concerne ses fonctions d’organisme de réglementation. À cet égard, la Cour estime que la preuve versée au dossier n’est pas concluante et relève par ailleurs qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible qui lui permette de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le processus de sélection publique n’était pas équitable et transparent.

 

[48]           À la suite de l’avis d’intention publié le 12 juin 2010 et après examen des observations du public, des facteurs de sélection ont été établis « pour veiller à ce que tout organisme chargé de la réglementation des activités des consultants en immigration ait la capacité d’appuyer les objectifs d’immigration immédiats et à long terme du Canada en plus de maintenir la confiance du public dans le système d’immigration ». Ainsi qu’il ressort de l’avis du gouvernement publié dans la partie I de la Gazette du Canada le 28 août 2010 (l’Avis sollicitant des soumissions), CIC a énuméré cinq critères – la compétence, l’intégrité, la responsabilité, la bonne gouvernance et la viabilité – tout en précisant que le comité de sélection et le ministre pouvaient également tenir compte « d’autres facteurs pertinents ».

 

[49]           Dans son appel de soumissions, le ministre invitait les candidats intéressés à « indiquer, avec précision, en quoi ils satisfont aux facteurs de sélection », ajoutant que « [l]e présent appel de soumissions ne contraint en rien le ministre, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration ou le gouvernement du Canada, et ne les oblige pas à agir ». Cela étant dit, l’appel de soumissions précisait que « [u]n accord ou une entente pourrait être conclu entre l’organisme retenu et le gouvernement du Canada ». L’échéance pour la présentation des soumissions était fixée au 29 décembre 2010.

 

[50]           À cette fin, un Comité de sélection composé de quatre experts externes et de trois hauts fonctionnaires a été chargé d’examiner les soumissions reçues en réponse à l’appel de soumissions et de formuler des recommandations au ministre après avoir examiné les soumissions à la lumière des facteurs de sélection et d’« autres facteurs pertinents ».

 

[51]           Dans son rapport final du 24 septembre 2010, Me John Scratch, consultant extérieur dont les services avaient été retenus au printemps 2010 par CIC, a répété ce qu’il avait déjà écrit dans son rapport provisoire de juillet 2010, c’est‑à‑dire que le processus de sélection de l’organisme de réglementation que retiendrait le ministre [traduction] « doit être ouvert, transparent et concurrentiel, et être perçu comme tel ». Dans son contre‑interrogatoire, la représentante du ministre a confirmé que le processus de sélection qui serait retenu posséderait toutes ces caractéristiques. De plus, le rapport préparé par le consultant externe [traduction] « se veut un instrument d’orientation générale dont le ministre peut se servir pour prendre une décision de ce qu’il entend recommander ». Il convient de se rappeler que le processus de sélection entrepris à l’été 2010 était assujetti aux dispositions de la Loi, dans sa rédaction en vigueur à l’époque, qui conféraient au gouverneur en conseil (au cabinet) le pouvoir de conserver ou de changer l’organisme de réglementation des consultants en immigration.

 

[52]           Indépendamment du fait que l’organisme choisi devait notamment avoir un code de déontologie, un mécanisme régissant le traitement des plaintes et les mesures disciplinaires, une assurance‑responsabilité, un fonds d’indemnisation, des services bilingues aux membres et au public, des exigences en matière de formation continue et des programmes destinés aux membres, M. Scratch a fait observer que [traduction] « bon nombre des problèmes que l’on impute à l’organisme de réglementation actuel ont trait à des questions de gouvernance, à savoir, la démocratie, l’obligation de rendre des comptes et la transparence. Par conséquent, on devrait obliger les candidats à démontrer qu’ils sont en mesure de mettre sur pied un organisme qui abordera ces questions et qui permettra à ses membres d’exercer un contrôle efficace sur le conseil d’administration ».

 

[53]           Dans son rapport final, M. Scratch a également expliqué qu’il avait du mal à donner des conseils précis sur un plan de mise en œuvre parce que, comme le processus de sélection n’était pas complété, on ne pouvait connaître avec certitude les problèmes qui se poseraient tant qu’un candidat n’aurait pas été retenu et qu’on n’aurait pas eu l’occasion d’échanger avec lui. Quoi qu’il en soit, le consultant externe a mentionné les options suivantes :

[traduction] 

[…]

Lorsque le candidat aura été choisi, CIC devra entamer des pourparlers avec lui pour savoir quand il sera en mesure d’assumer les fonctions d’organisme de réglementation. Si l’organisme de réglementation actuel n’est pas choisi, CIC devra également entamer des discussions avec la SCCI pour déterminer si elle agira comme organisme de réglementation en attendant que le candidat retenu soit en mesure d’assumer ses fonctions. Idéalement, CIC devrait amener la SCCI et le candidat retenu à la même table pour faciliter le transfert de pouvoir.

 

CIC devra également entamer des négociations avec l’organisme choisi comme organe de réglementation en vue de la conclusion d’une entente entre les deux parties. CIC devrait commencer à se préparer en vue de ses négociations en déterminant ce qu’il souhaite prévoir dans l’entente en question.

 

[…]

 

Au cours de la période de transition, CIC devra peut‑être aborder les questions suivantes pour éviter une interruption des activités de l’organisme de réglementation :

 

         Les consultants en immigration autorisés actuels conserveront‑ils leur autorisation au cours de la période de transition? Le projet de loi C‑35 permet au ministre de le prévoir par voie de règlement. Les dispositions transitoires contenues à l’article 6 du projet de loi C‑35 traitent également de cette question.

 

         Les membres en règle de la SCCI deviennent‑ils automatiquement membres de l’organisme qui sera choisi comme organe de réglementation? Il semble que le nouveau paragraphe 91(7) du projet de loi C‑35 traite de cette question.

 

         Au cours de la période de transition, est‑ce qu’il y aura encore un code de déontologie, une assurance‑responsabilité, un fonds d’indemnisation et un mécanisme de traitement des plaintes et d’imposition de mesures disciplinaires? Dans l’affirmative, qui en assumera le coût? Il s’agit d’une question particulièrement épineuse qui pourrait se poser si l’organisme de réglementation actuel n’est pas celui qui est retenu. On devra, au cours des pourparlers entamés avec la SCCI, tenter de résoudre ces questions. Il faudra consulter les services juridiques à ce sujet.

 

         Si le candidat retenu n’est pas l’organisme de réglementation actuel, qu’adviendra‑t‑il des cas faisant déjà partie du système des plaintes et de discipline? Là encore, CIC devra tenter de résoudre la question avec la SCCI et le candidat retenu. Il sera peut‑être nécessaire de prévoir des mécanismes provisoires de plainte et de discipline.

 

         Des problèmes peuvent également se présenter en ce qui concerne la liquidation de l’organisme de réglementation actuel au cours de la période de transition. CIC devra consulter les Services juridiques en ce qui concerne sa capacité de liquider l’organisme de réglementation actuel et de conserver l’assurance‑responsabilité et le fonds d’indemnisation qui existent présentement.

 

[54]           Le Comité de sélection a examiné en janvier 2011 quatre candidatures, dont celle soumise par la demanderesse et par l’Institut des conseillers agréés en immigration canadienne (ICAIC). La soumission de l’ICAIC avait en fait été préparée par l’ACCPI (plus particulièrement par Phil Mooney, Lynn Gaudet et Christopher Daw). L’ACCPI avait publiquement annoncé qu’elle n’était pas intéressée à devenir elle‑même un organisme de réglementation, mais qu’elle dirigerait un [traduction] « consortium de l’organisme intéressé ». Cette décision stratégique de l’ACCPI, qui est un groupe de pression militant, n’a rien d’étonnant compte tenu du fait que, dans son rapport final de septembre 2010, le consultant externe avait déjà signalé que [traduction] « l’organisme de réglementation devrait se contenter d’exercer des fonctions de réglementation et ne devrait pas agir comme représentant des consultants en immigration ».

 

[55]           Dans le rapport qu’il a soumis au ministre le 27 janvier 2011, le Comité de sélection arrivait à la conclusion que l’ICAIC et la demanderesse satisfaisaient toutes les deux aux facteurs de sélection qui avaient été antérieurement annoncés, à savoir l’intégrité, la compétence, la bonne gouvernance, la responsabilité et la fiabilité. La demanderesse n’avait toutefois pas saisi l’occasion qui lui avait été offerte de démontrer comment elle entendait répondre aux préoccupations que le Comité permanent avait exprimées dans son rapport du 8 juin 2008 à la Chambre des communes. En revanche, le Comité de sélection a souligné que l’ICAIC avait déployé de sérieux efforts pour démontrer comment elle entendait répondre entièrement aux préoccupations exprimées par le Comité permanent dans son rapport.

 

[56]           Le ministre a accepté la recommandation du Comité de sélection et a décidé de désigner en tant que nouvel organisme de réglementation des consultants en immigration l’ICAIC, qui a par la suite été constituée en personne morale sous l’appellation de CRCIC le 18 février 2011. Le 14 mars 2011, CIC a signé une entente de non‑divulgation avec le CRCIC au sujet de la possibilité de la prise du règlement proposé. Le 16 mars 2011, une nouvelle entente de contribution a été conclue avec le CRCIC.

 

[57]           Le 18 mars 2011, le ministre a publié un communiqué de presse annonçant la publication d’un avis proposant de modifier le Règlement de 2004 pour remplacer la demanderesse par le CRCIC, qui serait dès lors reconnu comme organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration. Le lendemain, le 19 mars 2011, le texte réglementaire proposé modifiant la définition de l’expression « représentant autorisé » (article 2 de la LIPR) a été publié dans la partie I de la Gazette du Canada. De plus, une disposition transitoire (le paragraphe 13.1(2) du RIPR) permettait aux membres en règle de la SCCI de pouvoir continuer à agir comme représentants autorisés pendant une période de 120 jours à la suite de l’entrée en vigueur du règlement proposé, lequel entrerait en vigueur le jour de son enregistrement.

 

[58]           Dans le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (le REIR de mars), il est expliqué que le projet de règlement « vise à mieux protéger les demandeurs engagés dans un processus d’immigration et à accroître la confiance du public dans le système d’immigration en reconnaissant un organisme ayant démontré qu’il possédait les compétences organisationnelles nécessaires pour réglementer efficacement l’activité des consultants en immigration ». Les intéressés étaient invités à présenter leurs observations au sujet du projet de règlement dans les trente jours suivant la date de publication de cet avis dans la partie I de la Gazette du Canada.

 

[59]           Le 23 mars 2011, quelques jours avant la dissolution de la Chambre, le projet de loi C‑35 a reçu la sanction royale, autorisant ainsi expressément le ministre à révoquer ou à désigner lui‑même l’organisme chargé de réglementer les consultants en immigration (le nouvel article 91 de la Loi). Toutefois, pour que ces dispositions aient force de loi, un décret du gouverneur en conseil était nécessaire. Ce décret n’a toutefois pas été pris au printemps 2011 (le décret de convocation des électeurs en vue de la 41e Élection générale canadienne du 2 mai 2011 n’a été pris par le gouverneur en général que le 26 mars 2011).

 

III.       LE LITIGE ACTUEL

[60]           Le 4 avril 2011, la demanderesse a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en vue d’obtenir un bref de certiorari annulant toute mesure visant à révoquer sa désignation, ainsi qu’une injonction interlocutoire maintenant le statu quo jusqu’à ce que la Cour ait rendu une décision définitive (dossier IMM‑2244‑11).

 

            La requête en sursis

[61]           En plus de déposer et de signifier sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, la demanderesse sollicitait une ordonnance de la Cour portant sursis de la décision du ministre de révoquer sa désignation en tant qu’organisme de réglementation des consultants en immigration.

 

[62]           En date du 12 avril 2011, la demanderesse comptait environ 1 910 membres en règle. De plus, 137 étudiants avaient suivi le programme auquel doivent obligatoirement s’inscrire les futurs professionnels en immigration et ils avaient présenté une demande en vue de devenir des membres en règle. En pratique, quelque 38 employés s’acquittaient des fonctions de réglementation déléguées à la demanderesse. La demanderesse traitait à ce moment‑là une centaine de plaines et s’occupait de 155 enquêtes publiques portant sur des consultants en immigration. Et il y avait 21 instances disciplinaires en cours.

 

[63]           La requête en sursis a été entendue le 7 juin 2001 et elle a été refusée par la juge Snider de notre Cour (la juge saisie de la requête) le 9 juin 2011. La juge a essentiellement conclu que l’allégation de préjudice irréparable était « de nature hypothétique », faisant notamment observer que « [i]l n’y a pas d’échéancier connu (sauf peut‑être du ministre et du gouverneur en conseil) » (Société canadienne des consultants en immigration c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 669, au paragraphe 28).

 

[64]           La juge saisie de la requête a vraisemblablement accepté la déclaration suivante que la représentante du ministre, Mme Mary Coulter, avait faite dans son affidavit du 30 mai 2011 :

[traduction]

Toute décision de prendre un règlement visant à changer l’organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration doit, suivant le régime législatif actuel, être prise au niveau exécutif soit par le ministre (après l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35), soit par le gouverneur en conseil. Nul ne sait pour le moment si un tel règlement sera pris. [Non souligné dans l’original.]

 

[65]           Or, sans que la juge saisie de la requête le sache et comme on ne l’a découvert que par la suite dans le cadre de la présente instance, le processus visant à révoquer la désignation de la demanderesse et de désigner le CRCIC comme nouvel organisme de réglementation était déjà bien enclenché :

a)      en date du 19 mai 2011, le Règlement de 2011 avait déjà été rédigé;

b)      en date du 25 mai 2011, le Décret avait déjà été rédigé;

c)      en date du 31 mai 2011, le ministre avait signé un document recommandant au gouverneur en conseil de supprimer la reconnaissance de la demanderesse comme organisme de réglementation et de fixer l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35 au 30 juin 2011.

 

[66]           D’ailleurs, quelques jours après le rejet de la requête en sursis, le gouvernement a agi rapidement et a pris et enregistré les textes contestés de manière à ce qu’ils entrent en vigueur en même temps que le projet de loi C‑35, le 30 juin 2011.

 

[67]           La Cour ouvre ici une parenthèse pour signaler qu’au cours des débats sur le fond de la présente demande de contrôle judiciaire, l’avocat de la demanderesse a souligné que la conduite adoptée par le ministre ou par ses représentants au cours de l’examen de la requête en sursis témoignait de la mauvaise foi du ministre ou de ses représentants, qui avaient omis de divulguer des renseignements clés de la preuve du défendeur (l’affidavit souscrit le 30 mai 2011 par Mme Coulter) et lors de l’instruction de la requête en sursis le 7 juin 2011.

 

[68]           La Cour ne tirera aucune conclusion de fait précise à cet égard, considérant que les allégations formulées par la demanderesse sont graves et qu’elles posent directement la question de savoir si les actions ou omissions présumées constituent une entrave à la bonne administration de la justice ou ont porté atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour. Le cas échéant, il est préférable, dans l’intérêt de la justice et de toutes les parties, que de telles questions litigieuses accessoires soient soulevées et examinées dans le cadre d’une instance distincte de la manière prévue aux articles 466 à 472 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, si la demanderesse – ou, peut‑être, la juge saisie de la requête – souhaite pousser l’affaire plus loin, le cas échéant.

 

            Effet du règlement contesté

[69]           Le Règlement de 2011, qui a eu pour effet de mettre fin au rôle d’organisme de réglementation que jouait jusqu’alors la demanderesse, est considéré par le gouvernement comme ne renfermant que des [traduction] « dispositions techniques de coordination » ayant [traduction] « peu ou pas d’impact » sur la demanderesse. Cela étant dit, les règlements ministériels sont pris en vertu du pouvoir conféré au ministre par les nouveaux paragraphes 91(5) et 91(7) de la Loi :

         en premier lieu, en tant qu’organisme désigné, le CRCIC agit comme organisme de réglementation des consultants en immigration (sous réserve de tout régime réglementaire concurrent existant au Québec : nouveau paragraphe 91(7.1) de la Loi et alinéa 3.3k) à q) de la Loi sur l’immigration au Québec, LRQ, c I‑0.2).

         en second lieu, en tant que mesure transitoire, les membres de la demanderesse sont considérés comme des membres du CRCIC et ils ne sont pas tenus de payer des frais d’adhésion pendant une période de 120 jours suivant l’entrée en vigueur de la Loi (30 juin 2011).

 

[70]           Il s’ensuit en pratique que les membres de la SCCI qui ont régularisé leur situation en devenant des membres en règle et qui ont payé leurs frais d’adhésion au CRCIC en date du 29 octobre 2011 (date d’expiration du délai de 120 jours) ne sont pas autorisés à agir ou à continuer à agir comme « représentants autorisés » relativement à une instance ou une demande prévue par la Loi, à défaut de quoi ils pourraient être considérés avoir contrevenu à l’article 91 de la Loi et, s’ils sont reconnus coupables, seraient passibles d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement ou des deux. Les mesures de transition laissent toutefois en suspens bon nombre de questions.

 

[71]           Par exemple qu’arrive‑t‑il des cas faisant présentement l’objet d’une enquête et d’une procédure disciplinaire entamée par la demanderesse? La liste des membres et les dossiers sont‑ils transférés au CRCIC? Les membres de la demanderesse qui sont suspendus ou expulsés ont‑ils le droit de devenir membres du CRCIC? Qui contrôle le CRCIC et qui en sont les premiers dirigeants ou administrateurs? Quand aura lieu la première assemblée générale des membres de la CRCIC?

 

[72]           En l’espèce, le ministre et CIC ont préféré négocier directement avec le CRCIC et conclure une entente avant l’entrée en vigueur des dispositions contestées. En revanche, avant l’entrée en vigueur des dispositions contestées, le ministre et CIC ont préféré ne pas entamer de pourparlers avec la demanderesse au sujet des questions en suspens que ne sont pas réglées par le règlement ministériel (p. ex., la liquidation, le transfert des dossiers, les questions disciplinaires et les aspects financiers).

 

            Nouvelle requête en sursis et nouvelles demandes de contrôle judiciaire

[73]           Le 30 juin 2011, la demanderesse a déposé et signifié une nouvelle requête en sursis dans laquelle elle alléguait que les textes attaqués entraîneraient sa disparition à plus ou moins brève échéance. Dans l’intervalle, la demanderesse avait déposé et signifié trois autres nouveaux avis de demande (dossiers T‑1021‑11, T‑1068‑11 et IMM‑4256‑11) en vue de faire annuler les décisions prises par le ministre ou le cabinet avant l’entrée en vigueur des textes attaqués.

 

[74]           Le 13 juillet 2011, j’ai été saisi de la requête en sursis. J’ai fait observer, à l’audience, qu’aucun avis de demande déposé et signifié depuis avril 2011 ne contestait directement la légalité des dispositions contestées et qu’il était peut‑être théorique d’examiner les « décisions » antérieures du ministre ou du cabinet. Au lieu de poursuivre avec la requête en sursis, les avocats ont convenu qu’il était préférable de procéder rapidement sur le fond dès que la demanderesse se serait désistée de ses demandes précédentes et qu’elle aurait déposé et signifié une nouvelle demande visant à faire annuler les dispositions contestées.

 

[75]           À la suite du désistement, par la demanderesse, des demandes déjà introduites (dossiers IMM‑2244‑11, IMM‑4256‑11, T‑1021‑11 et T‑1068‑11) le 4 août 2011, de consentement, l’autorisation d’introduire la présente demande de contrôle judiciaire a été accordée (dossier IMM‑5039‑11). Les 6 et 7 octobre 2011, l’affaire a été entendue à Toronto devant le juge soussigné.

 

            Contestation, par la demanderesse, de la légalité des textes attaqués

[76]           La demanderesse conteste les décisions du gouverneur en conseil et du ministre qui ont été mises en œuvre par les textes réglementaires susmentionnés. Elle invoque à cet effet tant des moyens de fond que des moyens de procédure.

 

[77]           Sur le fond, la demanderesse affirme que le gouverneur en conseil et le ministre ont outrepassé leur compétence et ont débordé le cadre des pouvoirs de réglementation que leur confère la Loi en abusant de leur pouvoir discrétionnaire législatif, étant donné que les décisions contestées n’ont pas été prises de bonne foi et de façon impartiale, mais qu’elles reposaient plutôt sur des motifs non pertinents et sur des facteurs autres que ceux qui étaient précisés dans l’appel de soumissions.

 

[78]           La demanderesse affirme également que la décision du ministre de révoquer sa désignation, de même que les textes réglementaires qui ont mis en œuvre cette décision (y compris le règlement désignant le CRCIC comme un nouvel organisme de réglementation), sont invalides étant donné qu’ils sont viciés pour cause de manquement à l’équité procédurale, étant donné que le ministre n’a pas suivi le processus de sélection précisé dans l’appel de soumissions que la SCCI s’attendait légitimement que le ministre suive.

 

[79]           La demanderesse affirme également que la doctrine des attentes légitimes s’applique au pouvoir législatif délégué, ce qui a pour effet de créer des droits de participation. Il est donc interdit au ministre de ne pas se conformer au processus de sélection précédemment établi par le gouvernement dans ses orientations générales. À cet égard, la demanderesse affirme que le ministre n’avait pas le droit de tenir compte d’autres facteurs que ceux qu’avait déjà examinés le Comité de sélection. Le fait que le Comité de sélection n’était pas satisfait des réponses données aux préoccupations formulées par le Comité permanent du Parlement dans son rapport de 2008 n’est pas non plus pertinent.

 

[80]           La demanderesse affirme en outre que le ministre a choisi le CRCIC comme organisme de réglementation malgré le fait qu’il n’avait pas répondu à l’appel de soumissions conformément au processus de sélection. Suivant la demanderesse, même l’ICAIC (qui n’avait été constitué en personne morale qu’un mois avant d’être désigné sous l’appellation de CRCIC) n’était pas en fait l’organisme qui a présenté une soumission. D’ailleurs, l’ACCPI a déposé une soumission sous le nom d’ICAIC, qui n’était pas une entité juridique et n’avait aucun statut légal.

 

[81]           La demanderesse affirme également que les agissements et les commentaires du ministre avant, pendant et après le processus de sélection, ainsi que ceux des membres de son personnel soulèvent une crainte raisonnable de partialité. La demanderesse affirme que les administrateurs et le président‑directeur général actuels du CRCIC sont des membres de l’ACCPI qui ont exercé des pressions sur le ministre et CIC avant le dépôt du projet de loi C‑35 en vue de faire remplacer la SCCI.

 

[82]           La demanderesse souligne également le fait que c’est M. Linklater qui a retenu les services de Sussex Circle en 2009 pour procéder à un examen et pour fournir [traduction] « une analyse et une évaluation des conditions minimales à respecter pour pouvoir conclure de façon déterminante que le niveau de gouvernance de l’organisme sans but lucratif s’est détérioré au point où le gouvernement pourrait, sans courir trop de risques sur le plan légal, retirer son mandat au conseil d’administration ». La demanderesse affirme que Sussex Circle a reçu de M. Linklater l’instruction de recueillir des renseignements au sujet de la demanderesse auprès de fonctionnaires de CIC de la Direction générale de l’immigration (et non de la demanderesse elle‑même) et qu’en tout état de cause, CIC n’a pas tenu compte de sa recommandation de ne pas mettre fin aux activités de la demanderesse.

 

[83]           En ce qui concerne la seconde série de questions procédurales soulevées par la demanderesse, le décret par lequel le gouverneur en conseil a fixé au 30 juin 2011 la date d’entrée en vigueur du projet de loi C‑35 serait inopérant, étant donné qu’il n’a pas été enregistré dans les sept jours suivant sa prise, contrevenant ainsi à l’article 9 de la LTR. La demanderesse soutient par ailleurs que, même si le décret était valide, le règlement ministériel demeure invalide étant donné qu’il a été pris trois jours avant la date d’entrée en vigueur du projet de loi C‑35, qui conférait au ministre le pouvoir légal de prendre ce règlement.

 

[84]           Pour les motifs ci‑après exposés, la Cour doit rejeter les arguments de la demanderesse.

 

IV.       PORTÉE RESTREINTE DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

[85]           S’agissant du rôle constitutionnel que les juridictions supérieures sont appelées à jouer en ce qui a trait au maintien de la légalité (ou à la défense de la primauté du droit), le juge Beetz, qui écrivait au nom d’une Cour suprême du Canada unanime dans l’arrêt Union des employés de service, section locale 298 c Bibeault, [1988] 2 RCS 1048, au paragraphe 127, a exprimé de façon éloquente le caractère du contrôle judiciaire et son paradoxe :

[...] Quand un tribunal administratif excède sa compétence, l’illégalité de son acte est aussi grave que s’il avait agi de mauvaise foi ou avait ignoré les règles de la justice naturelle. Le rôle des cours supérieures dans le maintien de la légalité est si important qu’il bénéficie d’une protection constitutionnelle : Crevier c. Procureur général du Québec, [1981] 2 R.C.S. 220. Par ailleurs, l’importance du contrôle judiciaire implique qu’on ne devrait pas y avoir recours sans nécessité, sinon ce recours extraordinaire perdrait tout son sens.

 

[86]           Naturellement, dans les affaires portant sur l’exercice des pouvoirs conférés à l’exécutif, ce sont les Cours fédérales qui, en vertu de l’article 18 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, exercent ce rôle en matière de contrôle judiciaire et qui sont considérées comme ayant plénitude de compétence en la matière (Canada (Commission des droits de la personne) c Canadian Liberty Net, [1998] 1 RCS 626, aux paragraphes 35 et 36). La demanderesse affirme qu’en l’espèce les textes contestés sont ultra vires, qu’ils constituent un manquement à l’équité procédurale et qu’ils ont été pris en contravention de la LTR et sans pouvoir légal.

 

            La primauté du droit

[87]           L’accès aux tribunaux est un principe fondamental de la démocratie et, par extension, une expression du principe de la séparation des pouvoirs. Le contrôle judiciaire s’intéresse essentiellement à la légalité, que ce soit du point de vue constitutionnel, législatif ou administratif. À son niveau le plus élémentaire, le principe de la primauté du droit assure aux citoyens et résidents une société stable, prévisible et ordonnée au sein de laquelle ils peuvent mener leurs activités. Elle fournit aux personnes un rempart contre l’arbitraire de l’État (Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 RCS 217, au paragraphe 70).

 

[88]           En ce qui concerne la légalité d’une mesure législative adoptée par le législateur fédéral ou par une législature, le rôle que joue la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se borne à examiner sa conformité avec la Constitution, y compris avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et avec les principes constitutionnels non écrits. Un manquement au principe de la primauté du droit n’emporte pas invalidation de la loi, sauf dans les cas où cette dernière n’a pas été édictée conformément aux conditions légales de manière et de forme (Colombie‑Britannique c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2005 CSC 49, aux paragraphes 58 à 60 (Imperial Tobacco)).

 

Partage constitutionnel des pouvoirs en matière de réglementation des consultants en immigration

 

[89]           Dans notre système canadien de gouvernement responsable, il n’y a pas de séparation de pouvoirs entre les deux organes politiques du gouvernement (le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif) et, sous réserve de l’exception énoncée à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui concerne les législatures, il peut exister des lois ou des règlements conférant des pouvoirs législatifs, quasi‑judiciaires et administratifs et réglementaires à des organes investis de la fonction de réglementer une profession et d’accorder des permis d’exercice aux membres d’une profession, d’un métier ou d’une autre activité, sous réserve du partage constitutionnel des pouvoirs entre le Parlement et les législatures.

 

[90]           À cet égard, le Parlement et les législatures possèdent, en vertu de l’article 95 de la Loi constitutionnelle de 1867, une compétence partagée en matière d’immigration, tandis que la réglementation des professions relève du pouvoir législatif exclusif des provinces. Or, le législateur fédéral a notamment le pouvoir, en vertu de la Constitution, d’autoriser les consultants en immigration à donner des conseils ou à représenter les personnes qui font l’objet d’une instance ou d’une demande sous le régime de la Loi.

 

[91]           D’ailleurs, il a été jugé que le gouverneur en conseil pouvait légalement établir un « système de délivrance de permis » pour les personnes souhaitant agir comme représentants dans une affaire d’immigration ou un dossier de réfugié, en vertu de l’alinéa 114(1)v) de l’ancienne Loi sur l’immigration, LRC 1985, c I‑2 (Law Society of British Columbia c Mangat, 2001 CSC 67 (Mangat)). Cela étant dit, notre Cour n’est pas appelée en l’espèce à réexaminer des aspects de l’arrêt Mangat.

 

            La présente contestation

[92]           Dans une large mesure, la demanderesse conteste la sagesse et l’efficacité des modifications législatives introduites par le projet de loi C‑35, et elle reproche notamment au ministre de ne pas avoir donné suite à la recommandation du Comité permanent, qui proposait que la SCCI soit « rétablie » en vertu d’une loi distincte tout en citant à de nombreuses reprises et de façon délibérée les propos du Comité permanent hors contexte. Toutefois, le rôle des tribunaux « n’est pas [...] d’appliquer seulement le droit qu’ils approuvent. Il ne s’agit pas non plus pour eux de rendre des décisions simplement à la lumière de ce qu’ils (plutôt que le droit) estiment juste ou pertinent » (Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 52).

 

[93]           De toute évidence, le pouvoir exécutif a pris une décision d’orientation générale que le Parlement a au bout du compte reprise à son compte en choisissant de ne pas donner suite à la recommandation du Comité permanent qui proposait que le gouvernement adopte une loi distincte pour rétablir la demanderesse en tant que société sans capital‑actions. La question de savoir si cette décision était le fruit des pressions exercées par l’ACCPI est sans incidence en ce qui concerne la légalité du projet de loi C‑35, lequel relève nettement des pouvoirs législatifs du Parlement et n’est pas contraire à la Constitution et notamment à la Charte et aux principes constitutionnels non écrits.

 

[94]           Cela étant dit, la demanderesse affirme que le projet de loi C‑35 n’est pas entré légalement en vigueur le 30 juin 2011 et qu’il n’a pas force de loi au Canada actuellement. Cette affirmation repose sur l’hypothèse que les conditions énumérées à l’article 9 de la LTR n’ont pas été respectées dans le cas de la prise et de l’enregistrement du Décret et qu’en conséquence, le nouvel article 91 de la Loi et le règlement ministériel sont inopérants. À titre subsidiaire, la demanderesse affirme que le règlement ministériel qui aurait été pris en vertu des pouvoirs conférés par le nouvel article 91 de la Loi est par ailleurs invalide parce qu’il a été pris et enregistré avant l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35.

 

[95]           La demanderesse affirme par ailleurs que les dispositions révoquant le Règlement de 2011 et le règlement ministériel sont ultra vires et qu’elles vont au‑delà du pouvoir de réglementation prévu par (l’ancien ou le nouveau) article 91 de la Loi pour cause d’abus de pouvoir discrétionnaire, de mauvaise foi et de prise en compte de facteurs dénués de pertinence. La demanderesse affirme également que la prise du Règlement de 2011 et du règlement ministériel est contraire aux attentes légitimes de la demanderesse et à son droit d’être entendue, et que les agissements du ministre et de son personnel de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) soulèvent une crainte raisonnable de partialité.

 

            Qu’entend‑t‑on par « juridictionnel »?

[96]           Les questions juridictionnelles comme l’étendue des pouvoirs conférés au gouverneur en conseil et au ministre, les questions d’équité procédurales (y compris les allégations de mauvaise foi et de partialité) et celles concernant la conformité avec les exigences procédurales énoncées dans la LTR sont assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte. Quoi qu’il en soit, l’analyse pragmatique et fonctionnelle ne s’applique pas aux mesures législatives; une telle démarche ne s’impose que dans le cas où est exercée une fonction juridictionnelle ou une fonction de prise de décisions de principe (United Taxi Drivers’ Fellowship of Southern Alberta c Calgary (Ville), 2004 CSC 19, au paragraphe 5).

 

[97]           Pour avoir force de loi au Canada, les modifications apportées par le projet de loi C‑35 et par les textes réglementaires connexes doivent être légalement en vigueur, ce qui suppose que toutes les exigences procédurales prévues par la LTD ont été respectées. Toutefois, lorsqu’il s’agit de l’exercice de pouvoirs législatifs conférés au gouverneur en conseil et au ministre, on peut se demander si l’argument de l’inconstitutionnalité invoqué par la demanderesse soulève une « question touchant véritablement à la compétence » au sens de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 59.

 

[98]           Ce qui est véritablement contesté en l’espèce, c’est l’exercice, par « règlement », d’un pouvoir décisionnel discrétionnaire qui, selon la demanderesse, peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire, du moins en cas de mauvaise foi ou de motif illégitime. Comme les textes contestés ont porté atteinte à ses droits, privilèges ou intérêts, la demanderesse affirme en outre qu’il existait une obligation d’agir avec équité dans le cadre du processus de révocation de sa désignation et du choix d’un nouvel organisme de réglementation. Comment la Cour devrait‑elle contrôler ces questions, si tant est qu’elles soient effectivement susceptibles d’un contrôle judiciaire?

 

[99]           En premier lieu, le contrôle judiciaire des décisions prises par l’exécutif suppose que l’on examine à la fois la forme de la décision et la nature des fonctions du décideur à la lumière de la loi habilitante pour déterminer si le décideur est assujetti à une obligation d’équité procédurale. Il est entendu que la qualification d’un acte ou d’une décision du gouvernement ou de l’un de ses ministres de mesure législative, quasi‑judiciaire ou administrative aura de toute évidence une certaine influence sur la portée du contrôle judiciaire, bien qu’en pratique, il puisse être difficile de tracer une ligne de démarcation.

 

[100]       Deuxièmement, ainsi que Sara Blake le suggère dans son ouvrage Administrative Law in Canada, 4e éd. (Butterworths, 2006), à la page 217 : [traduction] « il serait plus logique d’établir une distinction entre, d’une part, les décisions juridictionnelles et, d’autre part, les décisions législatives et d’orientation générale ». Les véritables décisions d’orientation générale sont habituellement influencées par des facteurs financiers, économiques, sociaux et politiques. Lorsqu’elle prend des décisions de cette nature, l’autorité publique s’efforce d’établir un équilibre entre l’efficacité et l’économie, dans le cadre de la planification et de la détermination préalable des limites de ses engagements et de leur mise en œuvre réelle (Brown c Colombie‑Britannique (Minister des Transports et de la Voirie), [1994] 1 RCS 420, au paragraphe 38, et R c Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, aux paragraphes 72 à 91).

 

[101]       Troisièmement, il est bien connu que le gouverneur en conseil (le cabinet) et le ministre prennent des décisions d’orientation générale au niveau le plus élevé du gouvernement et qu’ils doivent rendre des comptes au Parlement. Toutefois lorsqu’ils exercent un pouvoir conféré par une loi fédérale (y compris un pouvoir législatif), la légalité de leurs actes n’est pas automatiquement à l’abri du contrôle judiciaire (Procureur général du Canada c Inuit Tapirisat et autres, [1980] 2 RCS 735, à la page 748). Le gouvernement doit toujours se conformer au principe de la primauté du droit, lequel [traduction] « constitue un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » (Roncarelli c Duplessis, [1959] RCS 121, à la page 142). D’ailleurs, il est toujours loisible aux tribunaux d’intervenir « dans un cas flagrant ou lorsque la preuve établit l’absence de bonne foi » (Canada (Commission du blé) c Canada (Procureur général), 2009 CAF 214, au paragraphe 37; Thorne’s Hardware Ltd et autres c La Reine et autre, [1983] 1 RCS 106, à la page 111).

 

[102]       Quatrièmement, en supposant que la primauté du droit s’applique à la prise de règlements – en principe, elle ne s’applique pas à l’adoption de lois par le Parlement ou par une législature –, cela pourrait expliquer pourquoi le pouvoir de prendre des règlements ne peut être utilisé à une fin complètement dénuée de pertinence, rendant ainsi un règlement déterminé ultra vires parce qu’il excède la portée des pouvoirs délégués par le Parlement ou gouverneur en conseil ou au ministre. Naturellement, il incombe à celui qui attaque le règlement de démontrer la mauvaise foi ou de faire la preuve de l’objectif illicite en question (Association canadienne des importateurs réglementés c Canada (Procureur général), [1994] 2 CF 247, aux paragraphes 11 à 24; Jafari c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 2 CF 595, à la page 602).

 

[103]       Cinquièmement, les règlements et les orientations générales du gouverneur en conseil et du ministre ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire sauf en cas d’excès de compétence ou de défaut de se conformer à des exigences législatives ou réglementaires. En d’autres termes, il n’appartient pas au tribunal de juger de la sagesse d’un règlement ou d’une décision d’orientation générale ni d’en apprécier la validité en se fondant sur ses préférences personnelles (Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, au paragraphe 57, et Canada (Procureur général) c Mercier, 2010 CAF 167, au paragraphe 78 et 80). Cette démarche s’accorde parfaitement avec le traitement réservé dans le cas des mesures législatives adoptées par le Parlement ou par une législature (Imperial Tobacco, précité, aux paragraphes 58 à 60).

 

[104]       Sixièmement, l’exercice du pouvoir de prendre des règlements risque de s’avérer périlleux lorsque les droits d’un particulier peuvent être en jeu ou qu’une entité est ciblée et fait l’objet d’un traitement défavorable. On ne saurait donc tout simplement qualifier de « règlement » une mesure visant à supprimer ou à restreindre les droits d’un citoyen à une protection procédurale, ce qui pourrait être le cas par exemple d’un règlement municipal visant les droits de propriété des propriétaires fonciers sur le territoire d’une municipalité lorsqu’il existe un droit d’être « entendu » par le conseil municipal (Homex Realty & Development Co c Wyoming (Village), [1980] 2 RCS 1011, aux pages 1026, 1030 et 1050).

 

[105]       Un autre exemple concerne la révocation de la citoyenneté par le pouvoir exécutif. Le fait que la citoyenneté soit accordée à une personne par voie législative (par une loi fédérale) et que la citoyenneté puisse par la suite être révoquée en vertu d’un décret (qui constitue une mesure législative subordonnée) n’empêche pas la Cour d’examiner la légalité de ce décret ou de le traiter comme une « décision » au motif qu’il porte atteinte aux droits de la personne en question, à condition que le gouverneur en conseil soit convaincu que la citoyenneté a été obtenue par fraude ou au moyen d’une « fausse déclaration ou de la dissimulation intentionnelle de faits essentiels » (Oberlander c Canada (Procureur général), 2004 CAF 213).

 

[106]       Les décisions, politiques et règlements qui sont susceptibles d’influencer directement le statut des consultants en immigration qui agissent en tant que « représentants autorisés » en vertu de la Loi se rapprochent davantage des exemples précités. Il est utile de se rappeler, d’entrée de jeu, que l’attribution d’un permis d’exercice d’une profession est essentiellement la prérogative de l’organisme de réglementation chargé de décider à qui doit être reconnue la possibilité de gagner sa vie en exerçant une profession déterminée : Ontario, Royal Commission Inquiry into Civil Rights (Rapport no 1, vol. 3), le commissaire James Chalmer McRuer (imprimeur de la Reine, Toronto, 1968‑1971), 1163 (le rapport McRuer). À cet égard, la Cour suprême du Canada a déclaré dans le Renvoi relatif à la Public Service Employee Relations Act (Alberta), [1987] 1 RCS 313, à la page 368, que « [l]e travail est l’un des aspects les plus fondamentaux de la vie d’une personne, un moyen de subvenir à ses besoins financiers et, ce qui est tout aussi important, de jouer un rôle utile dans la société ».

 

[107]       En pratique, le pouvoir de délivrer un permis dans le cadre d’une instance ou d’une demande visée par la Loi a été sous‑délégué à l’organisme désigné par règlement. Cette sous‑délégation a été jugée valide par la Cour d’appel fédérale (Barreau du Haut‑Canada, précité, aux paragraphes 72 à 80). En revanche, les décisions prises par la SCCI (ou le CRCIC) en ce qui concerne les conditions à remplir pour pouvoir devenir membre et en ce qui concerne les questions disciplinaires sont susceptibles de contrôle judiciaire par notre Cour (Onuschak, précité, aux paragraphes 33 et 34, et Mooney, précité, au paragraphe 83). Les décisions des organismes de réglementation doivent satisfaire aux critères de la raisonnabilité et respecter les règles d’équité. Il n’y a rien d’étonnant à cela, étant donné que le pouvoir d’un organisme d’autoréglementation d’infliger des sanctions disciplinaires à ses membres est manifestement un « pouvoir judiciaire » et que [traduction] « l’exercice de ce pouvoir devrait être à l’abri de toute influence politique » (rapport McRuer, à la page 1181).

 

            Et dans le cas présent...

[108]       Qu’en est‑il des décisions d’orientation générale et des règlements révoquant le pouvoir d’un organisme de réglementation de délivrer des permis à des personnes physiques et transférant ce pouvoir à un autre organisme de réglementation choisi par l’exécutif à la suite d’un appel de soumissions?

 

[109]       En l’espèce, la demanderesse soutient que la décision du gouvernement de révoquer sa désignation comme organisme de réglementation et les textes qui ont mis cette décision en œuvre étaient assujettis à l’obligation d’agir avec équité, étant donné que la demanderesse est expressément visée par les textes en question et que ceux‑ci la désavantagent. Les motifs allégués ont trait aux attentes légitimes et à la partialité.

 

[110]       L’obligation d’agir avec équité et la doctrine des attentes légitimes ne s’appliquent pas aux faits de l’espèce, du moins pas de la façon suggérée par la demanderesse. La demanderesse semble considérer la révocation de sa désignation par règlement comme une sorte de « décision » prise par le gouvernement qui porterait atteinte aux droits d’une personne physique qui gagne sa vie en exerçant une profession (ou d’une personne morale qui exerce des activités économiques). Ce n’est cependant pas le cas en l’espèce. En effet :

         la demanderesse n’agit pas en tant que représentante (à l’instar d’une association professionnelle ou d’un syndicat), mais bien comme un organisme chargé de réglementer les consultants en immigration;

         en date du 30 juin 2011, les membres en règle de la demanderesse étaient réputés, aux termes du règlement ministériel, être des membres du CRCIC, de sorte qu’ils ne sont pas privés de la possibilité de « gagner leur vie en exerçant une profession déterminée », tant et aussi longtemps qu’ils demeurent membres du CRCIC, qu’ils payent leur cotisation et qu’ils ne sont pas expulsés par le CRCIC;

         en tant que société sans capital‑actions constituée sous le régime de la Loi sur les corporations canadiennes, la demanderesse n’a aucun pouvoir réglementaire sur quelque profession que ce soit;

         tout monopole réglementaire accordé à la demanderesse (ou au CRCIC) est un pouvoir conféré exclusivement à l’organisme désigné par règlement du gouverneur en conseil ou du ministre. Ainsi, ce monopole peut toujours être retiré de la même manière par l’autorité qui l’a conféré, c’est‑à‑dire, dans le cas qui nous occupe, par le Règlement de 2011 dans le cas de la demanderesse;

         hormis les cas d’objectif illégitime ou de mauvaise foi – ce qui n’a, suivant la Cour, pas été démontré –, le fait que le ministre ou CIC ait eu des opinions préconçues ou ait exprimé une préférence est normal dans le cas d’une décision axée sur une orientation générale. La Cour ne devrait pas intervenir pour cause de crainte raisonnable de partialité (Association des résidents du Vieux St‑Boniface Inc. c Winnipeg (Ville), [1990] 3 RCS 1170).

 

[111]       Il faut se rappeler que le législateur fédéral a plénitude de pouvoir pour créer des offices fédéraux investis des pouvoirs quasi‑judiciaires ou réglementaires qui leur sont conférés par la loi. Ces organismes ou tribunaux administratifs ne sont pas des cours de justice et, par contraste, ils ne sont pas constitutionnellement séparés de l’exécutif. Il appartient à bon droit au Parlement de déterminer la composition et l’organisation qui permettront aux tribunaux administratifs de s’acquitter des attributions qui leur sont dévolues (Ocean Port Hotel Ltd c Colombie‑Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), [2001] 2 RCS 781, aux paragraphes 23 et 24).

 

[112]       Ainsi que l’expliquent d’éminents auteurs : [traduction] « un des rôles essentiels des sociétés démocratiques est de trouver un juste équilibre entre d’un côté, la liberté et, de l’autre, l’ordre ». Il découle donc de ce principe général des gouvernements démocratiques que [traduction] « la question de la réglementation des professions suppose que le gouvernement concilie les intérêts spéciaux des membres de la profession avec les préoccupations générales du public » (Alex Bryson et Morris M. Kleiner, « The Regulation of Occupations » (2010) 48 British Journal of Industrial Relations, 670 à 675, à la page 670). Dans le cas des consultants en immigration, le gouvernement a de toute évidence pris une décision d’orientation générale en optant pour la formule de l’organisme autoréglementé par voie de décret du gouverneur en conseil (le Règlement de 2004) de préférence à l’option consistant à permettre à un organisme créé par la loi de délivrer directement des permis. La question de savoir s’il aurait été préférable de créer un régime d’autoréglementation professionnelle fondé sur une loi fédérale est une question d’orientation générale qui déborde le cadre du contrôle judiciaire (Barreau du Haut‑Canada, précité, au paragraphe 62).

 

[113]       La Cour estime que la décision de mettre fin au mandat réglementaire jusqu’alors exercé par la SCCI sur les consultants en immigration (le Règlement de 2011) au moyen d’un règlement pris par le gouverneur en conseil et de désigner à sa place le CRCIC par un règlement pris par le ministre (le Règlement ministériel) constitue essentiellement une mesure « législative » (qu’elle découle d’une loi fédérale ou d’un règlement pris par le pouvoir exécutif). Cela étant dit, bien que l’obligation d’agir avec équité et la doctrine des attentes légitimes ne s’appliquent pas dans le cas de l’exercice de pouvoir législatif, on peut s’interroger sur la question de savoir si un règlement peut licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.‑B.), [1991] 2 RCS 525, aux pages 557 à 560 (Régime d’assistance publique du Canada); Apotex Inc c Canada (Procureur général), [2000] 4 CF 264, aux paragraphes 22 à 24 (jugement majoritaire), et 100, 102, 105 et 115 (jugement minoritaire) (Apotex)).

 

[114]       Pour clore la question de la portée restreinte du contrôle judiciaire, notre acceptation du principe de la primauté du droit, dont la teneur peut varier d’une société à l’autre, suppose que les agissements de l’État sont compatibles avec les valeurs fondamentales de la société qui le compose, telles que l’égalité, la justice, la transparence, la responsabilité, la cohérence et la prévisibilité. Si l’on suppose que le principe de la primauté du droit s’applique à la prise de règlements – ce qui peut être matière à débat –, la question qui se pose est celle de savoir si la procédure qui a conduit à la prise des textes contestés en l’espèce était juste et transparente. Pour les motifs qui ont été exposés, la Cour estime que les textes contestés étaient autorisés par la loi, que les conditions préalables à leur prise ont été respectées et qu’aucun motif ou mobile illégitime n’a influencé la révocation de la désignation de la demanderesse comme organisme chargé de réglementer les consultants en immigration et la désignation du CRCIC comme nouvel organisme de réglementation. De plus, il ne s’agit pas d’un « cas flagrant » dans lequel l’intervention de la Cour serait justifiée pour protéger la primauté du droit et, dans la mesure où l’obligation de consulter entrait en jeu, la Cour estime que cette obligation a été respectée en l’espèce.

 

V.        LES TEXTES CONTESTÉS ÉTAIENT AUTORISÉS PAR LA LOI ET NE VISAIENT PAS UN OBJECTIF OU DES MOBILES ILLÉGITIMES

 

[115]       L’« optique dans laquelle la loi est censée s’appliquer » est le point de départ de toute analyse, par la Cour, de l’allégation que le décideur a tenu compte de facteurs non pertinents et a agi dans le but de réaliser un objectif illégitime; en d’autres termes, l’« optique » est une autre façon de décrire l’orientation générale et les objets de la loi et, le cas échéant, d’un règlement déterminé (SCFP c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, aux paragraphes 92 à 95).

 

[116]       Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que les textes attaqués sont autorisés par la loi et qu’ils n’ont pas été pris dans le but de réaliser un objectif ou des mobiles illégitimes.

 

            Loi‑cadre et régime réglementaire

[117]       La Loi est une « loi‑cadre », en ce sens qu’elle énonce les principes généraux et les grandes orientations du régime législatif et que, compte tenu de la complexité et de l’ampleur du sujet traité, elle est relativement concise. Les lois‑cadres prévoient la délégation d’une partie importante de la compétence législative. Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a fait observer dans l’arrêt De Guzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, au paragraphe 23 : « [l]es politiques et principes secondaires, la mise en œuvre des politiques et principes clés, y compris les exemptions, et les détails opérationnels cruciaux sont prescrits dans des règlements, qui peuvent être modifiés assez rapidement lorsque de nouveaux problèmes et d’autres changements se présentent ».

 

[118]       Les articles 4 et 5 de la Loi définissent la compétence générale du ministre et du gouverneur en conseil. Sauf disposition contraire de l’article 4, le ministre est chargé de l’application de la Loi. D’autre part, le gouverneur en conseil peut, sous réserve des autres dispositions de la Loi, prendre des règlements d’application de la Loi et toute autre mesure d’ordre réglementaire prévue par la Loi. Autrement dit, il existe de multiples façons dont les activités des consultants en immigration prévues par la Loi peuvent être réglementées par le Parlement et, par extension, par le gouverneur en conseil ou le ministre.

 

[119]       L’octroi d’une licence directement par l’autorité fédérale est une des options possibles. Par exemple, le syndic désigné pour agir en matière de faillite sous le régime de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, LRC 1985, c B‑3, doit être titulaire d’une licence délivrée par le surintendant et ce, qu’il soit ou non déjà membre d’un organisme d’autoréglementation (par ex. un organisme réglementant les comptables agréés). De même, le consultant en immigration qui souhaite conseiller ou représenter une personne relativement à une demande présentée en vertu de la Loi sur l’immigration au Québec, LRQ, c I‑0.2, doit présenter une demande pour être reconnu à titre de consultant en immigration et payer les droits prescrits (Règlement sur les consultants en immigration, RRQ, c I‑0.2, art 0.1).

 

[120]       Une autre solution consiste à permettre aux membres d’une profession ou d’un métier déterminé comme les avocats, les techniciens juridiques et les consultants en immigration, de conseiller ou de représenter une personne s’ils sont membres d’un organisme d’autoréglementation désigné. C’est l’option que les autorités fédérales ont retenue en 2004. De même, le ministre des Communautés culturelles et de l’Immigration du Québec reconnaît notamment à titre de consultant en immigration la personne qui est membre en règle d’un organisme, autre que le barreau d’une province ou la Chambre des notaires du Québec, et qui est désignée comme représentant autorisé en vertu de la réglementation fédérale (article 4 du Règlement sur les consultants en immigration).

 

            Ancien article 91 de la Loi et dispositions connexes du Règlement

[121]       L’ancien article 91 de la Loi prévoyait expressément que « [l]es règlements peuvent prévoir qui peut ou ne peut représenter une personne, dans toute affaire devant le ministre, l’agent ou la Commission, ou faire office de conseil ». Les règlements en question étaient pris par le gouverneur en conseil et permettaient aux membres de la SCCI d’agir comme « représentants autorisés », au sens de l’article 2 du RIPR, modifié par le Règlement de 2004.

 

[122]       L’objectif fondamental du Règlement de 2004 pris en application de l’ancien article 91 de la Loi consistait à empêcher les consultants en immigration incompétents ou malhonnêtes de représenter des clients. Le Règlement de 2004 visait également à améliorer la confiance du public envers le système canadien du droit d’asile et de l’immigration. Le projet de loi C‑35, qui modifie l’article 91 de la Loi, de même que le Règlement de 2011 et le règlement ministériel, qu’il faut interpréter comme un tout, visent les mêmes objectifs déclarés.

 

[123]       En date du 30 juin 2011, le Règlement de 2011 pris par le gouverneur en conseil a abrogé les anciennes dispositions réglementaires qui définissaient les personnes autorisées à agir dans les affaires d’immigration et de droit d’asile et a conféré à la demanderesse le monopole en ce qui concerne la réglementation des consultants en immigration agissant comme « représentants autorisés » en vertu de la Loi et de ses règlements d’application. Le Règlement de 2011 a été pris en vertu du pouvoir conféré au gouverneur en conseil par le paragraphe 5(1), l’article 14 et l’ancien article 91 de la Loi.

 

[124]       L’article 4 du Règlement de 2011 dispose :

4. Le présent règlement entre en vigueur à la date d’entrée en vigueur de l’article 1 de la Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, chapitre 8 des Lois du Canada (2011), ou, si elle est postérieure, à la date de son enregistrement.

4. These Regulations come into force on the day on which section 1 of An Act to amend the Immigration and Refugee Protection Act, chapter 8 of the Statutes of Canada, 2011, comes into force, but if they are registered after that day, they come into force on the day on which they are registered.

 

[125]       Comme nous l’avons déjà expliqué, certains des pouvoirs de réglementation conférés au gouverneur en conseil par l’ancien article 91 de la Loi ont été transférés au ministre à la suite de l’entrée en vigueur de l’article 1 du projet de loi C‑35. Par suite de la prise et de l’enregistrement du Décret, le projet de loi C‑35 est censé être entré en vigueur le 30 juin 2011.

 

            Le nouvel article 91 de la Loi

[126]       Les dispositions les plus pertinentes en ce qui concerne la présente demande sont les paragraphes 91(1), (2), (5), (5.1) et (7) de la Loi, qui sont ainsi libellées :

 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, commet une infraction quiconque sciemment, de façon directe ou indirecte, représente ou conseille une personne, moyennant rétribution, relativement à une demande ou à une instance prévue par la présente loi, ou offre de le faire.

 

(2) Sont soustraites à l’application du paragraphe (1) les personnes suivantes :

 

a) les avocats qui sont membres en règle du barreau d’une province et les notaires qui sont membres en règle de la Chambre des notaires du Québec;

 

 

b) les autres membres en règle du barreau d’une province ou de la Chambre des notaires du Québec, notamment les parajuristes;

 

 

c) les membres en règle d’un organisme désigné en vertu du paragraphe (5).

 

[…]

(5) Le ministre peut, par règlement, désigner un organisme dont les membres en règle peuvent représenter ou conseiller une personne, moyennant rétribution, relativement à une demande ou à une instance prévue par la présente loi, ou offrir de le faire.

 

(5.1) Il est entendu que le paragraphe (5) autorise le ministre à révoquer, par règlement, toute désignation faite sous son régime.
[…]

 

(7) Le ministre peut, par règlement, prévoir des mesures à l’égard de toute question transitoire soulevée par l’exercice du pouvoir que lui confère le paragraphe (5), notamment des mesures :

 

a) donnant à toute personne – individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie déterminée – le statut de membre d’un organisme désigné en vertu de ce paragraphe pour la période prévue par règlement;

 

b) permettant à tout membre – individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie déterminée – d’un organisme qui a cessé d’être un organisme désigné visé au même paragraphe de continuer d’être soustrait à l’application du paragraphe (1) pour la période prévue par règlement.

 

[Non souligné dans l’original.]

91. (1) Subject to this section, no person shall knowingly, directly or indirectly, represent or advise a person for consideration – or offer to do so – in connection with a proceeding or application under this Act.

 

 

 

(2) A person does not contravene subsection (1) if they are:

 

(a) a lawyer who is a member in good standing of a law society of a province or a notary who is a member in good standing of the Chambre des Notaries du Québec;

 

(b) any other member in good standing of a law society of a province or the Chambre des Notaries du Québec, including a paralegal; or

 

(c) a member in good standing of a body designated under subsection (5).


[…]


(5) The Minister may, by regulation, designate a body whose members in good standing may represent or advise a person for consideration – or offer to do so – in connection with a proceeding or application under this Act.

 

(5.1) For greater certainty, subsection (5) authorizes the Minister to revoke, by regulation, a designation made under that subsection.


[…]

(7) The Minister may, by regulation, provide for measures respecting any transitional issues raised by the exercise of his or her power under subsection (5), including measures

 

(a) making any person or member of a class of persons a member for a specified period of a body that is designated under that subsection; and

 

 

 

(b) providing that members or classes of members of a body that has ceased to be a designated body under that subsection continue for a specified period to be authorized to represent or advise a person for consideration – or offer to do so – in connection with a proceeding or application under this Act without contravening subsection (1).

 

[127]       Par ailleurs, outre les pouvoirs réglementaires déjà conférés par le paragraphe 5(1) et l’article 14 de la Loi, le gouverneur en conseil se voit attribuer le pouvoir de prendre des « règlements » pour exiger de l’organisme désigné par le ministre qu’il fournisse certains renseignements clés au sujet de ses membres et de ses activités, aux termes du nouveau paragraphe 91(6) de la Loi, qui dispose :

(6) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, exiger que l’organisme désigné fournisse au ministre les renseignements réglementaires, notamment des renseignements relatifs à sa régie interne et des renseignements visant à aider le ministre à vérifier si l’organisme régit ses membres dans l’intérêt public de manière que ces derniers représentent ou conseillent les personnes en conformité avec les règles de leur profession et les règles d’éthique.

[Non souligné dans l’original.]

(6) The Governor in Council may make regulations requiring the designated body to provide the Minister with any information set out in the regulations, including information relating to its governance and information to assist the Minister to evaluate whether the designated body governs its members in a manner that is in the public interest so that they provide professional and ethical representation and advice.

 

[128]       Le gouverneur en conseil n’a pas encore pris de règlement en vertu du nouveau paragraphe 91(6) de la Loi. Par conséquent, comment le ministre peut‑il évaluer si l’organisme désigné régit ses membres dans l’intérêt public ou, inversement, comment un organisme désigné peut‑il effectivement régir ses membres s’il n’est pas au courant des règles sur lesquelles le ministre peut se fonder pour évaluer sa régie interne?

 

[129]       Quoi qu’il en soit, il n’est pas nécessaire de répondre à cette question dans le cadre de la présente instance, étant donné que le ministre n’a pas, au sens de la Loi, été appelé à exercer son pouvoir de révoquer une désignation en vertu des nouveaux paragraphes 91(5) et 91(5.1) de la Loi. C’est le gouverneur en conseil qui a effectivement révoqué, en vertu de l’ancien article 91 de la Loi, la désignation de la demanderesse comme organisme chargé de réglementer les consultants en immigration. Il n’y avait rien d’illégal ou de répréhensible à procéder de cette manière et rien ne permet non plus de conclure à l’existence d’un objectif illégitime.

 

            Le Règlement de 2011 est un texte modificateur visant une harmonisation technique

[130]       La Cour accepte le fait qu’il était nécessaire de modifier les dispositions du RIPR compte tenu de l’entrée en vigueur du nouvel article 91 de la Loi.

 

[131]       Suivant le REIR de juillet, le Règlement de 2011 a eu pour effet de modifier le RIPR pour faciliter le traitement des demandes et améliorer l’intégrité du programme en permettant aux agents de CIC de disposer du numéro de membre ainsi que des coordonnées de la personne qui conseille ou représente le demandeur moyennant rétribution à toute étape du processus, y compris pendant la période précédant la présentation de la demande ou l’introduction de l’instance devant le ministre ou la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

 

[132]       Les modifications apportées par le Règlement de 2011 font également en sorte que le libellé du RIPR s’accorde avec celui de la Loi. Plus particulièrement, les modifications techniques d’harmonisation suivantes ont été apportées :

         suppression de la définition de l’expression « représentant autorisé » à l’article 2 du RIPR. Les entités qui étaient autorisées dans cette définition se retrouvent maintenant dans l’exception à l’interdiction générale énoncée au paragraphe 91(2) de la Loi, modifiée;

         suppression de la section 4 de la partie 2 du RIPR concernant l’interdiction de représenter moyennant une rétribution et les exceptions dont cette interdiction était assortie. On trouve des dispositions semblables aux nouveaux paragraphes 91(1) et 91(3) de la Loi, modifiée;

         remplacement des alinéas 10(2)c.1) et 10(2)c.2) du RIPR en ce qui concerne les conditions applicables aux demandes des personnes qui recourent au service d’un représentant, et remplacement de ces dispositions par les nouvelles exigences suivantes :

         le nom, l’adresse postale, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique, le cas échéant, de toute personne ou entité – ou personne agissant en son nom – qui représente le demandeur, moyennant rétribution ou non;

         le nom de l’organisme et le numéro de membre de toute personne qui a donné des conseils ou qui représente le demandeur moyennant rétribution au sens du paragraphe 91(2) de la Loi, y compris tout membre de la Chambre des notaires du Québec, tout membre d’un organisme désigné par le ministre ou membre d’un Barreau provincial, ce qui comprend les membres du Barreau et les techniciens juridiques;

         le nom, l’adresse postale, le numéro de téléphone, le numéro de télécopieur et l’adresse électronique, le cas échéant, de toute entité – ou personne agissant en son nom – qui a donné des conseils moyennant rétribution au sens du paragraphe 91(4) de la Loi.

 

[133]       Le gouvernement a envisagé diverses solutions avant de prendre le règlement contesté. D’ailleurs, le REIR de mars explique que « [l]a possibilité de reconstituer la SCCI par une loi, comme le Comité permanent de la Chambre des communes l’avait suggéré, a été rejetée de peur que la mise en œuvre d’un tel projet ne nécessite un temps et des ressources par trop considérables. S’il n’effectue pas les changements recommandés par le Comité permanent, CIC souhaite néanmoins apporter à la LIPR les modifications prévues par le projet de loi C‑35. Ces modifications permettraient au gouvernement de surveiller plus étroitement l’organisme et de soumettre ses membres à une meilleure discipline grâce à la disposition sur l’échange d’information ».

 

            Absence d’objectifs ou de mobiles illégitimes

[134]       Examinons maintenant la question de savoir si le ministre a agi légalement en exerçant le nouveau pouvoir réglementaire que lui confère le paragraphe 91(5) de la Loi et qui lui permet de désigner un organisme dont les membres en règle peuvent représenter ou conseiller une personne, moyennant rétribution, relativement à une demande ou à une instance prévue par la Loi, ou offrir de le faire.

 

[135]       Suivant la preuve versée au dossier, le Décret, le Règlement de 2011 et le règlement ministériel ont été coordonnés de façon à donner suite à l’annonce publique que le ministre avait déjà faite le 18 mars 2011 en annonçant son intention de remplacer la demanderesse par le CRCIC à titre d’organisme de réglementation. Ainsi que le représentant du ministre l’a expliqué dans son contre‑interrogatoire :

[traduction]

Les modifications réglementaires en question devaient être examinées ensemble dans la foulée des modifications réglementaires proposées qui avaient déjà été publiées et qui portaient essentiellement sur la même question, en l’occurrence, le choix d’un nouvel organisme de réglementation des consultants en immigration [...]

 

Les modifications réglementaires en question […] étaient censées s’harmoniser les unes avec les autres.

 

[136]       D’entrée de jeu, il convient de rappeler que l’autoréglementation est un privilège accordé aux membres d’un organisme reconnu de professionnels, d’hommes de métier ou d’autres groupes professionnels. L’autoréglementation impose d’importantes obligations à l’organisme de réglementation. En sa qualité d’organisme chargé de réglementer les consultants en immigration, la demanderesse a, pour reprendre la métaphore employée par James T. Casey dans The Regulation of Professions of Canada (Carswell, Toronto, 1994), aux pages 1 à 3, [traduction] « un intérêt évident à débarrasser la profession des individus incompétents ou malhonnêtes et à veiller au bon fonctionnement de l’organisation ».

 

[137]       De plus, ainsi que la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Pharmascience Inc c Binet, 2006 CSC 48, au paragraphe 36 :

 

Le privilège d’autoréglementation d’une profession soumet donc les personnes chargées de la mise en œuvre de la discipline professionnelle à une obligation onéreuse. La délégation des pouvoirs de l’État s’accompagne de la charge de s’assurer de la protection adéquate du public. L’arrêt Finney confirme l’importance de la bonne exécution de cette obligation et la gravité des conséquences de sa violation.  

 

[138]       Comme nous l’avons déjà mentionné, le projet de loi C‑35 a été déposé devant la Chambre des communes par le ministre Kenney le 8 juin 2010. En même temps que le dépôt du projet de loi, le ministre annonçait qu’il prenait des mesures immédiates pour s’attaquer « au manque de confiance du public à l’égard de la réglementation des activités des consultants ». Par suite de ces déclarations et de ces mesures, l’avis d’intention a été publié le 12 juin 2010 dans la partie I de la Gazette du Canada et l’appel de soumissions a été lancé le 28 août 2010. Il s’agissait de toute évidence d’une décision d’orientation du ministre. Malgré ce que prétend la demanderesse, rien ne permet de conclure à l’existence d’objectifs ou de mobiles illégitimes.

 

[139]       Les tribunaux, et notamment notre Cour, recourent fréquemment aux REIR pour déterminer l’objectif d’un règlement et son application prévue et ce, dans une foule de contextes d’interprétation (Brystol‑Myers Squibb Co c Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, au paragraphe 157, et Saputo Inc c Canada (Procureur général), 2009 CF 1016, au paragraphe 31, confirmé par 2011 CAF 69 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée)). En l’espèce, la Cour estime que le REIR constitue une source de renseignements crédible et fiable en ce qui concerne les intentions du ministre.

 

[140]       Le REIR de mars et celui de juillet font tous les deux observer que les griefs formulés devant le Comité permanent en 2008 semblaient indiquer que le cadre actuel de gouvernance et de reddition de comptes dans lequel la SCCI exerce ses activités ne garantit pas que les consultants en immigration sont réglementés de façon adéquate dans l’intérêt du public en ce qui concerne la fourniture de leurs services professionnels de consultation, de représentation et de conseil. Le fait que les griefs en question ne soient pas fondés n’est pas pertinent suivant la demanderesse. Ce qui compte en l’espèce, c’est la perception qu’avait le gouvernement. L’exercice des pouvoirs législatifs et réglementaires n’est pas assujetti aux règles de procédure des tribunaux comme dans le cas d’une personne accusée d’un crime, mais est largement influencé par le discours politique et les débats qui ont lieu au Parlement, dans la presse et sur d’autres tribunes publiques.

 

[141]       Suivant le REIR de juillet, la décision du ministre de désigner le CRCIC comme nouvel organisme de réglementation était fondée sur les résultats du processus de sélection publique entamé par suite de la publication de l’avis d’intention du 12 juin 2010 et de l’appel de soumissions du 28 août 2010 par lequel tous les intéressés et le public en général étaient invités à participer et à faire valoir leur point de vue.

 

[142]       En réponse à l’invitation de mars 2011, 207 membres du public ont soumis leurs observations. De ce nombre, 149 appuyaient le projet de modification du gouvernement de supprimer la reconnaissance de la SCCI et 39 s’y opposaient. Parmi les observations reçues se trouvait une pétition signée par 479 membres de la SCCI qui étaient en faveur de la désignation du CRCIC comme organisme de réglementation. À la suite des résultats de l’examen du comité de sélection, le CRCIC a été proposé et il a été choisi par le ministre comme organisme chargé de réglementer la profession de consultant en immigration.

 

[143]       À la suite du processus de sélection et de la publication préalable en mars 2011 de son intention de remplacer la SCCI par le CRCIC, le ministre était‑il mal avisé lorsqu’il a mis sa confiance en un intervenant inexpérimenté dont les dirigeants n’étaient pas véritablement indépendants du CAPIC et dont les membres pouvaient compter parmi ses rangs des « consultants fantômes », comme l’affirme la demanderesse?

 

[144]       La demanderesse a également soulevé des doutes au sujet de l’entente de contribution conclue avec le CRCIC avant l’enregistrement et la publication des textes contestés. Rappelons, entre parenthèses, que ce type d’entente relève manifestement du pouvoir discrétionnaire du ministre et de son ministère. D’ailleurs, une entente semblable avait été conclue avec la SCCI en 2003 avant l’enregistrement et la publication du Règlement de 2004. Le fait que l’analyse des coûts et des avantages du CIC repose, sans aucun fondement, sur la présomption que le CAPIC/CRCIC adopterait l’infrastructure, le personnel et les services de la SCCI est sans intérêt pour ce qui est de la légalité du règlement ministériel.

 

[145]       Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a fait observer : « [l]’une des marques d’une société libre est l’indépendance du barreau face à un État de plus en plus envahissant. En conséquence, la réglementation des membres du barreau par l’État, doit, dans la mesure où cela est humainement possible, être exempte de toute ingérence politique dans la fourniture de services aux citoyens, surtout dans les domaines du droit public et du droit pénal » (PG Can c Law Society of BC, [1982] 2 RCS 307, aux pages 335 et 336). La demanderesse a soulevé la question corollaire de savoir si l’organisme qui réglemente la conduite des consultants en immigration devrait jouir de la même indépendance que celle dont bénéficient les barreaux des provinces par rapport à l’intervention de l’État.

 

[146]       À ce propos, la demanderesse signale que, suivant le règlement intérieur du CRCIC, CIC doit désigner trois dirigeants chargés de représenter l’intérêt du public. Cette disposition semble être en corrélation directe avec l’une des options de contrôle envisagées par Sussex Circle, le cabinet de consultants embauché en 2009, pour que le nouvel organisme de réglementation agisse dans l’intérêt du public et demeure responsable envers le ministre. La question de savoir si la désignation de dirigeants chargés de représenter l’intérêt du public allait à l’encontre des avertissements servis tant par le comité consultatif (2003) que par le Comité de sélection (2010), qui recommandaient que l’organisme de réglementation soit indépendant du gouvernement, est une autre question secondaire que la Cour s’abstient d’examiner aujourd’hui. Cet aspect n’a aucun rapport avec la sélection de l’organisme retenu par le ministre et il est préférable que toute contestation de l’indépendance institutionnelle du CRCIC soit jugée dans le cadre d’une instance judiciaire distincte.

 

[147]       Pour ce qui est des raisons pour lesquelles le CRCIC a été choisi comme nouvel organisme de réglementation des consultants en immigration, on trouve le raisonnement suivant dans le REIR de juillet :

Comme il remplit les critères établis (en ce qui concerne les membres, les compétences et la conformité, les plaintes et les enquêtes ainsi que la discipline), le CRCIC a démontré qu’il a la capacité d’acquérir les compétences organisationnelles qui correspondent aux facteurs de sélection de ce processus. Le CRCIC a également démontré qu’il saisit son rôle en ce qui concerne la protection du public et la vulnérabilité de sa principale clientèle : les utilisateurs éventuels des programmes d’immigration du Canada.

 

[148]       Le maintien de la confiance du public envers le système d’immigration était une considération valable, et cette considération est suffisante pour disposer des allégations d’objectifs ou de mobiles illégitimes. Là encore, il y a lieu de se demander si la demanderesse peut contester devant la Cour les raisons d’orientation générale qui ont conduit à la désignation du CRCIC comme nouvel organisme chargé de réglementer les consultants en immigration, et il est hors de propos de savoir si le ministre a été conduit à agir en raison de l’opinion publique ou d’autres considérations (Begg c Canada (Ministre de l’Agriculture), 2005 CAF 362, au paragraphe 37). Au bout du compte, le ministre et le gouvernement devront rendre des comptes au Parlement et ultimement, à l’électorat canadien, au sujet des présumés avantages et efficacité des textes contestés et ils devront répondre de tout échec ou inconvénient résultant de leurs choix d’orientations générales.

 

VI.       PROCESSUS DE SÉLECTION IMPARTIAL ET TRANSPARENT

[149]       La demanderesse affirme également que la doctrine des attentes légitimes s’applique en principe aux pouvoirs législatifs délégués ayant pour effet de créer des droits de participation. La demanderesse soutient que le ministre n’a pas suivi le processus de sélection prévu dans l’appel de soumissions que la SCCI s’attendait légitimement à ce qu’il suive, de sorte que le ministre était irrecevable à ne pas se conformer au processus de sélection déjà précisé dans les orientations gouvernementales.

 

[150]       Dans l’arrêt Centre hospitalier Mont‑Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 RCS 281, la Cour suprême a expressément rejeté l’argument que la doctrine des attentes légitimes pouvait donner lieu à des droits substantiels que l’on pouvait faire reconnaître en justice et, comme nous l’avons déjà précisé, on peut s’interroger sur la question de savoir si un règlement peut licitement être pris en violation d’une assurance catégorique précise de consultation préalable (Régime d’assistance du Canada, précité, et Apotex, précité). Cela étant dit, dans l’arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c Vancouver (Ville), [2006] 1 RCS 227, la Cour suprême a expliqué que le décideur peut devoir traiter une attente légitime comme un facteur dont il faut tenir compte pour exercer un pouvoir discrétionnaire.

 

[151]       En tout état de cause, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’attente légitime de la demanderesse et qu’il ne s’agit pas d’un « cas flagrant » dans lequel l’intervention de la Cour est justifiée pour défendre la primauté du droit. L’obligation de consulter qui pouvait exister en l’espèce a été respectée.

 

[152]       À cette fin, un Comité de sélection (composé de quatre experts externes et de trois hauts fonctionnaires) a été chargé d’examiner les observations reçues en réponse à l’appel de soumissions et de formuler des recommandations au ministre après les avoir examinées à la lumière des facteurs de sélection et « d’autres facteurs pertinents ». Bien que le Comité de sélection ait été appelé à examiner les observations à la lumière de cinq facteurs de sélection, en l’occurrence la compétence, l’intégrité, la responsabilité, la viabilité et la bonne gouvernance, on a également bien pris soin de préciser que « [l]e présent appel de soumissions ne contraint en rien le ministre, le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration ou le gouvernement du Canada, et ne les oblige pas à agir ».

 

[153]       Le Comité de sélection a examiné quatre mémoires, y compris celui dans lequel la demanderesse se proposait de continuer à agir comme organisme de réglementation. Dans un rapport soumis au ministre le 27 janvier 2011, le Comité de sélection est arrivé à la conclusion que l’ICAIC (par la suite constitué en personne morale sous le nom de CRCIC, le 18 février 2011) et la demanderesse satisfaisaient toutes les deux aux facteurs de sélection déjà annoncés. Le Comité a toutefois également fait observer que la demanderesse « a manqué l’occasion de démontrer comment elle entend répondre aux préoccupations exprimées dans le rapport du Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration de juin 2008 et qui ont donné lieu à la publication de l’avis dans la Gazette du Canada ». En revanche, l’ICAIC avait [traduction] « déployé de sérieux efforts pour démontrer comment elle entendait répondre entièrement aux préoccupations exprimées par le Comité permanent dans son rapport ». Il s’agissait certainement de considérations valables de l’avis de la Cour.

 

[154]       Le 7 février 2011, le ministre a reçu une note de service préparatoire dans laquelle le sous‑ministre recommandait de proposer au gouverneur en conseil de modifier le règlement de manière à reconnaître le CRCIC comme nouvel organisme chargé de réglementer les consultants en immigration. L’autre option – qui ne faisait pas l’objet d’une recommandation – consistait à maintenir le statu quo en conservant la SCCI comme organisme de réglementation. Le sous‑ministre a également fait observer qu’en tant qu’autorité chargée de prendre la décision finale, le ministre avait le droit de tenir compte d’autres facteurs pertinents et valables que ceux qu’avaient déjà examinés et évalués le Comité de sélection et le Comité permanent du Parlement. La Cour est du même avis.

 

[155]       En ce qui concerne la partialité, la demanderesse cite les propos de Mme Sandra Harder, directrice générale par intérim, qui déclarait dans l’avis d’intention du 12 juin 2010 que le rapport du Comité permanent du Parlement, « appuyé en 2009 par un autre rapport intitulé Les travailleurs migrants et les consultants fantômes, indique qu’il existe un manque de confiance du public envers l’organisme qui réglemente actuellement les consultants en immigration. Un tel manque de confiance pose une menace sérieuse au système d’immigration, étant donné l’importance du rôle d’organisme de réglementation eu égard à l’intégrité de l’ensemble du système.» La demanderesse s’indigne du fait que, malgré son parti pris manifestement défavorable à la SCCI, Mme Harder a ensuite été désignée pour siéger au Comité de sélection.

 

[156]       La Cour estime qu’une personne bien informée n’arriverait pas à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de Mme Harder. Dans l’avis d’intention, Mme Harder se contente d’affirmer qu’il existe des éléments de preuve, dans le rapport du Comité permanent, suivant lesquels il y avait un manque de confiance du public envers l’organisme de réglementation et que ce manque de confiance du public risquait de compromettre sérieusement le système d’immigration. CIC aurait peut‑être dû chercher à vérifier le bien‑fondé des reproches adressés à la demanderesse, mais, pour des raisons de principe, elle a refusé d’intervenir pour contrôler directement l’organisme de réglementation et a plutôt décidé de le remplacer.

 

[157]       La demanderesse soulève plusieurs autres questions non pertinentes en ce qui concerne la légalité des textes contestés. Par exemple, la demanderesse cite un article publié le 26 mai 2010


dans le National Post, intitulé « Cleaning the sleaze out of immigration consulting » [« Enrayer les pratiques peu scrupuleuses de certains consultants en immigration »], faisant valoir que le fait que CIC avait publié cet article sur son site Internet et avait refusé de l’enlever malgré la demande de la SCCI soulève une crainte raisonnable de partialité. Toutefois, suivant la preuve, l’article du National Post n’a jamais été publié comme tel sur le site Internet de CIC. Il figurait plutôt dans une section dans laquelle se trouvaient des liens se rapportant au projet de loi C‑35, ainsi que de nombreux autres articles et reportages tirés de divers journaux et sites Internet.

 

[158]       En dernière analyse, la Cour estime que la sélection d’un organisme unique chargé de réglementer les consultants en immigration en fonction de critères de sélection, et notamment celui du mérite, constituait un choix d’orientation générale légitime reposant sur des pouvoirs législatifs délégués lorsque le règlement ministériel a été pris en juin 2011. On pouvait également légitimement consulter d’autres documents publics au cours du processus de sélection, tel que le rapport du Comité permanent. En tout état de cause, à plusieurs reprises, la demanderesse a eu l’occasion de faire valoir son point de vue et d’intervenir dans le processus décisionnel qui s’est soldé par son remplacement. La demanderesse a notamment comparu devant le Comité permanent, a participé au processus de sélection mis sur pied par CIC et a répondu à la publication préalable des modifications proposées aux règlements. Ces éléments sont suffisants pour nous permettre de rejeter les allégations de manquement à l’équité procédurale formulées par la demanderesse.

 

VII.     LÉGALITÉ DU PROJET DE LOI C‑35 ET DES TEXTES CONTESTÉS

[159]       Ainsi que la Cour d’appel fédérale l’a déclaré dans l’arrêt Conseil canadien pour les réfugiés c Canada, 2008 CAF 229, [2009] 3 RCF 136, au paragraphe 56:

La contestation de la légalité d’un texte réglementaire, fondée sur le fait que les conditions préalables établies par le législateur n’étaient pas remplies au moment de la prise du règlement, reste ce qu’elle a toujours été : une contestation du règlement en soi et non de la «décision » de le prendre.

 

[160]       Le 23 mars 2011, le projet de loi C‑35 a reçu la sanction royale. Les modifications apportées à l’article 91 de la Loi par l’article 1 du projet de loi C‑35 sont censées être entrées en vigueur par suite de l’édiction du Décret fixant au 30 juin 2011 la date d’entrée en vigueur du chapitre 8 des lois du Canada 2011 (TR/2011‑731) (le Décret).

 

[161]       Ainsi que la professeure Ruth Sullivan l’explique dans son ouvrage Sullivan on the Construction of Statutes, 5e éd. (Markham (Ontario), LexisNexis, 2008), à la page 644 :

[traduction] 

Le législateur peut choisir de retarder l’entrée en vigueur d’un texte de loi pour diverses raisons, notamment pour attendre la suite des événements, pour donner le temps à l’Administration de mettre en place les rouages nécessaires, pour aviser suffisamment le public ou encore pour atteindre un objectif politique. En pareil cas, le délai fixé pour l’entrée en vigueur est prévu ou mentionné dans la Loi, ou le législateur accorde au pouvoir exécutif, habituellement au gouverneur général ou au lieutenant gouverneur en conseil, le pouvoir de fixer la date d’entrée en vigueur de la Loi à sa discrétion.

 

[162]       Le Décret fixe au 30 juin 2011 la date d’entrée en vigueur du projet de loi C‑35 (à l’exception de l’article 6, qui est entré en vigueur à la date de la sanction). Le Décret a en réalité été pris le 23 juin 2011 et a été enregistré le 6 juillet 2011. Le Règlement de 2011 a été pris et enregistré le 23 juin 2011 et le règlement ministériel a été pris et enregistré le 27 juin 2011.

 

[163]       À l’instar de tout autre pouvoir conféré par le Parlement, le pouvoir du gouverneur en conseil de fixer la date d’entrée en vigueur d’une mesure législative est assujetti au contrôle judiciaire (Renvoi sur la Loi modifiant le droit pénal, [1970] RCS 777). Le Décret aurait été pris en vertu de l’article 7 du projet de loi C‑35, dont voici le libellé :

7. Les dispositions de la présente loi, à l’exception de l’article 6, entrent en vigueur à la date fixée par décret.

7. The provisions of this Act, other than section 6, come into force on a day to be fixed by order of the Governor in Council.

 

[164]       La demanderesse affirme que le Décret est inopérant parce qu’il n’a pas été enregistré dans les sept jours suivant sa prise et qu’il tombe par conséquent sur le coup de l’article 9 de la LTR, qui dispose :

9. (1) L’entrée en vigueur d’un règlement ne peut précéder la date de son enregistrement sauf s’il s’agit:

 

a) d’un règlement comportant une disposition à cet effet et enregistré dans les sept jours suivant sa prise;

 

b) d’un règlement appartenant à la catégorie soustraite à l’application du paragraphe 5(1) aux termes de l’alinéa 20b). Sauf autorisation ou disposition contraire figurant dans sa loi habilitante ou édictée sous le régime de celle‑ci, il entre alors en vigueur à la date de sa prise ou à la date ultérieure qui y est indiquée.

 

[Non souligné dans l’original.]

9. (1) No regulation shall come into force on a day earlier than the day on which it is registered unless

 

 

(a) it expressly states that it comes into force on a day earlier than that day and is registered within seven days after it is made, or

 

(b) it is a regulation of a class that, pursuant to paragraph 20(b), is exempted from the application of subsection 5(1), in which case it shall come into force, except as otherwise authorized or provided by or under the Act pursuant to which it is made, on the day on which it is made or on such later day as may be stated in the regulation.

 

[165]       Le défendeur rétorque que les exigences de l’article 9 de la LTR ne s’appliquent pas à un décret du gouverneur en conseil qui a tout simplement pour effet de fixer la date d’entrée en vigueur d’un texte de loi, étant donné qu’il ne s’agit pas d’un « règlement ». Cela étant dit, la demanderesse et le défendeur s’entendent tous les deux pour dire que le Décret constitue un « texte réglementaire » au sens de l’article 2 de la LTR :

« texte réglementaire »

 

a) Règlement, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle, règlement administratif, résolution, instruction ou directive, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat ou autre texte pris :

 

(i) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale, avec autorisation expresse de prise du texte et non par simple attribution à quiconque – personne ou organisme – de pouvoirs ou fonctions liés à une question qui fait l’objet du texte,

 

 

(ii) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité, mais non dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

 

 

 

b)  la présente définition exclut :

[...]

 

[Non souligné dans l’original.]

statutory instrument

 

(a) means any rule, order, regulation, ordinance, direction, form, tariff of costs or fees, letters patent, commission, warrant, proclamation, by‑law, resolution or other instrument issued, made or established

 

 

(i) in the execution of a power conferred by or under an Act of Parliament, by or under which that instrument is expressly authorized to be issued, made or established otherwise than by the conferring on any person or body of powers or functions in relation to a matter to which that instrument relates, or

 

(ii) by or under the authority of the Governor in Council, otherwise than in the execution of a power conferred by or under an Act of Parliament,

 

but

 

(b) does not include

 

 

[166]       La question qui se pose est donc celle de savoir si le Décret répond à la définition de « règlement » que l’on trouve à l’article 2 de la LTR :

« règlement » Texte réglementaire :

 

a) soit pris dans l’exercice d’un pouvoir législatif conféré sous le régime d’une loi fédérale;

 

[...]

 

Sont en outre visés par la présente définition les règlements, décrets, ordonnances, arrêtés ou règles régissant la pratique ou la procédure dans les instances engagées devant un organisme judiciaire ou quasi judiciaire constitué sous le régime d’une loi fédérale, de même que tout autre texte désigné comme règlement par une autre loi fédérale.

 

[Non souligné dans l’original.]

“regulation” means a statutory instrument

 

(a) made in the exercise of a legislative power conferred by or under an Act of Parliament, or

 

 

and includes a rule, order or regulation governing the practice or procedure in any proceedings before a judicial or quasi‑judicial body established by or under an Act of Parliament, and any instrument described as a regulation in any other Act of Parliament;

 

[167]       La Cour estime que l’interprétation proposée dans les deux paragraphes qui suivent est la bonne.

 

[168]       En premier lieu, le Décret n’établit pas de « règle de conduite ». Le défendeur affirme donc que le Décret ne saurait être qualifié de « texte de nature législative ». Bien que cet arrêt n’ait pas été rendu dans le contexte de la LTR, le défendeur invoque par analogie les critères énumérés dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, [1992] 1 RCS 212, aux paragraphes 19 et 20 et visant à déterminer si un décret est « de nature législative » (de sorte que, dans cette affaire, l’exigence relative au bilinguisme constitutionnel s’appliquerait). Ces critères sont les suivants : le texte comprend une règle de conduite, le texte a force de loi et le texte s’applique à un nombre indéterminé de personnes.

 

[169]       En second lieu, en vertu de l’alinéa 6b) de la Loi sur les textes réglementaires, le greffier du Conseil privé enregistre les textes réglementaires – à l’exclusion des règlements – qui doivent être publiés dans la Gazette du Canada sous le régime d’une loi fédérale et le sont effectivement (non souligné dans l’original). L’alinéa 11(3)g) du Règlement sur les textes réglementaires, CRC, c 1509, « exige que les « décrets fixant la date ou les dates d’entrée en vigueur d’une loi ou de telle de ses dispositions » doivent être publiés dans la Partie II de la Gazette du Canada ». Par conséquent, pour être enregistré, le Décret, en tant que « texte réglementaire autre qu’un règlement » devait d’abord être publié, ce qui s’est produit en l’espèce le 6 juillet 2011, comme l’affirme le défendeur.

 

[170]       En conséquence, la Cour estime que, contrairement à ce que prétend la demanderesse, les exigences procédurales prévues par la LTR ont été respectées en l’espèce dans le cas du Décret pris le 23 juin 2011, qui a été publié et a été enregistré le 6 juillet 2011.

 

[171]       À titre subsidiaire, la demanderesse fait valoir que, même si le Décret est valide, le règlement ministériel demeure invalide étant donné qu’il a été pris et enregistré le 27 juin 2011, c’est‑à‑dire trois jours avant la date de l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35, qui confère maintenant au ministre le pouvoir légal de prendre des « règlements ».

 

[172]       En ce qui concerne le règlement ministériel, le défendeur affirme que l’article 7 de la Loi d’interprétation prévoit que le pouvoir de prendre un règlement peut s’exercer avant l’entrée en vigueur du texte habilitant « dans la mesure nécessaire pour permettre au texte de produire ses effets dès l’entrée en vigueur ». La demanderesse conteste en l’espèce ce pouvoir en faisant valoir que le pouvoir conféré au ministre par l’article 91(5) de la Loi de désigner un nouvel organisme de réglementation est un pouvoir discrétionnaire de sorte qu’il n’est pas nécessaire que le règlement ministériel soit pris avant l’entrée en vigueur de la Loi pour permettre au « texte » de produire ses effets dès l’entrée en vigueur.

 

[173]       L’article 7 de la Loi d’interprétation est ainsi libellé :

 Le pouvoir d’agir, notamment de prendre un règlement, peut s’exercer avant l’entrée en vigueur du texte habilitant; dans l’intervalle, il n’est toutefois opérant que dans la mesure nécessaire pour permettre au texte de produire ses effets dès l’entrée en vigueur.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[Non souligné dans l’original.]

7. Where an enactment is not in force and it contains provisions conferring power to make regulations or do any other thing, that power may, for the purpose of making the enactment effective on its commencement, be exercised at any time before its commencement, but a regulation so made or a thing so done has no effect until the commencement of the enactment, except in so far as may be necessary to make the enactment effective on its commencement.

 

[174]       L’article 7 de la Loi d’interprétation oblige la Cour à déterminer si le pouvoir de prendre des règlements a été exercé par le ministre avant l’entrée en vigueur de l’article « pour permettre au texte de produire ses effets dès l’entrée en vigueur ».

 

[175]       La Cour convient avec le défendeur que le pouvoir conféré au ministre par le nouvel article 91 de la Loi pouvait être exercé avant l’entrée en vigueur de la Loi en vue de permettre au règlement ministériel de produire ses effets dès l’entrée en vigueur. En fait, une lecture attentive de la version anglaise et de la version française de l’article 7 de la Loi d’interprétation montre bien que le mot « texte » à cet article [« enactment » dans la version anglaise] ne vise pas nécessairement la loi habilitante en son entier, mais également les dispositions qui confèrent le pouvoir de prendre un règlement ce qui comprend le présumé règlement lui‑même.

 

[176]       Bien que la désignation du CRCIC était certainement une décision discrétionnaire du ministre, il n’en demeure pas moins que le règlement ministériel aurait été pris en vertu du pouvoir conféré par les nouveaux paragraphes 91(5) et 91(7) de la Loi de manière à rendre la désignation du CRCIC et les mesures transitoires applicables aux membres de la SCCI efficaces dès l’entrée en vigueur du projet de loi C‑35. La Cour conclut donc que le règlement ministériel a été autorisé par l’article 7 de la Loi d’interprétation et qu’il n’est par ailleurs pas invalide, contrairement à ce que prétend la demanderesse.

 

VIII.    DISPOSITIF

[177]       Pour les motifs qui ont été exposés, la Cour conclut qu’il n’y a aucune raison d’invalider les textes contestés. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La Cour ne se prononce pas pour le moment sur l’existence d’une question certifiée et invite les deux parties à lui soumettre par écrit, dans les dix jours des présents motifs, toute question de portée générale qu’elles souhaitent proposer à la Cour. La partie adverse pourra soumettre à la Cour toute objection ou observation à ce sujet par écrit dans les dix jours suivants.

 


JUGEMENT

            LA COUR :

REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire;

 

            NE SE PRONONCE PAS pour le moment sur l’existence d’une question certifiée et invite les deux parties à lui soumettre par écrit, dans les dix jours des présents motifs, toute question de portée générale qu’elles souhaitent proposer à la Cour. La partie adverse pourra soumettre à la Cour toute objection ou observation à ce sujet par écrit dans les dix jours suivants.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑5039‑11

 

INTITULÉ :                                                  SOCIÉTÉ CANADIENNE DE CONSULTANTS EN IMMIGRATION c
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 6 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                       LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 8 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Callaghan

Benjamin Na

Guy Regimbald

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Marianne Zoric

Catherine Vasilaros

Neal Samson

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Myles J. Kirvan,

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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