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Cour fédérale

 

Federal Court

 

 

Date : 20111129


Dossier : IMM-8265-11

Référence : 2011 CF 1381

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 29 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

 

JOZELLE MICHELLE JACKSON

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

[1]               La présente requête en sursis à l’exécution du renvoi de la demanderesse concerne un renvoi dont l’exécution est prévue pour le jeudi 1er décembre 2011.

 

[2]               Dans sa demande de contrôle judiciaire sous-jacente, la demanderesse conteste le refus de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire datée du 29 septembre 2011 par laquelle il a été jugé qu'aucune difficulté inhabituelle, injustifiée ou excessive ne serait causée à la demanderesse si sa demande n'était pas traitée depuis le Canada.

 

[3]               À la lecture du dossier de la requête de la demanderesse, il semblerait que celle-ci cherche également à démontrer qu'il existe une « question sérieuse » à juger (dans le dossier IMM‑8264‑11 portant sur le refus de sa demande d'examen des risques avant le renvoi [ERAR], à l’égard de laquelle aucune requête en sursis à l’exécution du renvoi n’a été déposée, mais qui a été « greffée » à la requête présentée dans le présent dossier [IMM‑8265-11]).

 

II. Contexte

[4]               La demanderesse, Mme Jozelle Michelle Jackson, n'est ni une résidente permanente du Canada ni une réfugiée au sens de la Convention. Par conséquent, elle fait l'objet d'une mesure de renvoi exécutoire, elle n'a aucun statut légal lui permettant de demeurer au Canada et, en vertu du paragraphe 48(2) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], elle doit quitter immédiatement.

 

[5]               Le 5 mars 2002, Mme Jackson est arrivée au Canada munie d'un visa de visiteur temporaire. Elle est demeurée illégalement au pays après l'expiration de son visa.

 

[6]               En septembre 2005, environ trois ans et demi après son arrivée au Canada, Mme Jackson a présenté une demande d'asile fondée sur sa crainte de son frère Allison, avec lequel elle avait habité à Saint‑Vincent et qui l'aurait agressée et menacée parce qu'elle avait dit à un voisin qu'il était l'homme masqué qui l'avait agressé.

 

[7]               Ses enfants, Krystal Jhanah, âgée de cinq ans, et Kamarrie Jovon, âgé de trois ans, sont tous les deux nés au Canada en 2006 et en 2008 respectivement.

 

[8]               Le 3 août 2006, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande de Mme Jackson au motif qu'elle n'avait pas réfuté la présomption suivant laquelle elle disposait à Saint‑Vincent d'une protection de l'État efficace et adéquate. Même si elle ne l'a jamais dénoncé aux autorités de son pays, son frère a été accusé, arrêté à plusieurs reprises et poursuivi par la police de Saint‑Vincent pour d'autres infractions. La SPR a également fait observer que le délai que Mme Jackson avait laissé s'écouler avant de demander l'asile laissait planer des doutes sur l'authenticité de sa crainte alléguée.

 

[9]               Le 16 août 2006, la Cour fédérale a refusé d'accorder l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de la décision défavorable de la SPR.

 

[10]           Le 29 janvier 2007, Mme Jackson a soumis une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sur la base des facteurs suivants : (1) son établissement et ses liens au Canada; (2) l'intérêt supérieur de ses enfants; (3) les mêmes allégations de risque que celles qu'elle avait exposées dans la demande qu’elle avait soumise à la SPR et dans sa demande d'ERAR.

 

[11]           Le 29 janvier 2011, Mme Jackson a présenté une demande d'ERAR fondée sur de nouvelles allégations de risque et de crainte de son ex‑petit ami, M. Kamal Baptiste, qui l'avait agressée au Canada, ainsi que sur les mêmes allégations de risque et de crainte que celles qui avaient déjà été soumises, évaluées et rejetées par la SPR en ce qui concerne son frère Allison.

 

 

[12]           La demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire et la demande d'ERAR ont été jugées par le même agent.

 

 

[13]           Le 22 septembre 2011, la demande d'ERAR de Mme Jackson a été rejetée parce que l'agent chargé de l'ERAR estimait que, même si la violence conjugale demeure un problème grave à Saint‑Vincent, le gouvernement cherche activement à s'attaquer à ce problème et les femmes disposent, à Saint‑Vincent, de plusieurs recours raisonnables pour obtenir la protection de l'État. L'agent chargé de l'ERAR a conclu que les éléments de preuve présentés par Mme Jackson n'étaient pas suffisants pour réfuter la présomption suivant laquelle l'État de Saint‑Vincent ne pouvait pas ou ne voulait pas la protéger surtout à la lumière du fait que : (1) des accusations criminelles avaient été portées contre M. Baptiste au Canada, ce qui aiderait Mme Jackson à convaincre les autorités de Saint‑Vincent de l’authenticité des menaces dont elle faisait l'objet; (2) que la demanderesse avait un ami qui était un policier à Saint‑Vincent et qui pouvait l'aider à obtenir une protection.

 

 

[14]           En ce qui concerne la crainte que Mme Jackson avait de son frère Allison, l'agent chargé de l’ERAR a fait observer que Mme Jackson n'avait soumis aucun nouveau fait ou « nouveaux éléments de preuve » au sens de l'alinéa 113a) de la LIPR depuis la décision de la SPR. L'agent chargé de l'ERAR ne pouvait donc pas tirer d'autres conclusions que celles de la SPR.

 

[15]           Le 29 septembre 2011, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de Mme Jackson a été rejetée au motif que l'agent chargé de l'ERAR estimait, compte tenu des éléments de preuve limités qui lui avaient été soumis, que : (1) la demanderesse ne s'était pas établie au Canada au point où le fait de retourner à Saint‑Vincent lui causerait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives; (2) elle n'avait pas démontré que le fait de se réinstaller à Saint‑Vincent aurait des incidences défavorables sur l'intérêt supérieur de ses enfants, compte tenu du fait qu’ils étaient encore très jeunes, de la présence de leur mère et de la famille élargie à Saint‑Vincent et du fait qu'ils conserveraient leur citoyenneté canadienne, ce qui leur permettrait de revenir au Canada à leur gré; (3) compte tenu de la possibilité de bénéficier de la protection de l'État et des autres services offerts à la demanderesse, celle‑ci ne serait pas exposée à des difficultés fondées sur les facteurs de risque allégués.

 

[16]           Le 14 novembre 2011, Mme Jackson a déposé des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire visant à la fois la décision rendue à la suite de l’ERAR (IMM‑8264‑11) et celle visant la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (IMM‑8265‑11).

 

[17]           Le 18 novembre 2011, l’exécution du renvoi de Mme Jackson du Canada a été fixée au 1er décembre 2011.

 

III. Question en litige

[18]           La demanderesse a‑t‑elle satisfait au critère à trois volets énoncé dans l'arrêt Toth c Canada (Ministre d’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 NR 302 (CAF)?

 

[19]           La Cour se rallie sans réserve à la thèse du défendeur.

 

[20]           La demanderesse n'a pas droit à un sursis à l'exécution de la mesure de renvoi. Elle n'a pas démontré qu'elle satisfaisait à l'un des trois volets cumulatifs du critère applicable, à savoir :

(1) elle n'a invoqué aucune question sérieuse dans la demande sous-jacente;

(2) elle n'a pas démontré qu'elle subirait un préjudice irréparable;

(3) la prépondérance des inconvénients favorise le ministre.

 

[21]           L'octroi d'un sursis est une mesure exceptionnelle, ainsi que l'a expliqué le juge François Lemieux dans le jugement Jordan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1076 (QL/Lexis) (CF 1re inst.), et l’octroi de cette mesure ne dépend pas de considérations relatives à l'equity :

 

[22]      Notre Cour ne possède pas une compétence d'equity en première instance qui lui permettrait de décider, d'une façon générale, s'il est équitable ou non de renvoyer quelqu'un du Canada. Notre Cour ne peut intervenir que dans des cas précis en fonction de principes juridiques qui, en l'espèce, imposent aux demandeurs le fardeau d'établir le critère à trois volets qui permet d'accorder une suspension.

[Non souligné dans l’original.]

 

IV. Analyse

A. Question sérieuse à trancher

[22]           Madame Jackson est en désaccord avec l’appréciation des faits et de la preuve réalisée par l’agent chargé de l’ERAR. Toutefois, la façon dont cet agent a apprécié les faits, les risques, les facteurs applicables à sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et la preuve ne permet pas à la Cour d'intervenir (Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 471, au paragraphe 4).

 

    (1) Risque en cas de retour

[23]           Le fait que Mme Jackson ne soit pas d'accord avec l'appréciation des faits de l'agent chargé de l'ERAR et qu'elle reprend des explications qui ont déjà été rejetées, à savoir [traduction] « elle craint sérieusement pour sa vie et son bien‑être [...] de la part de son frère et de son petit ami » ne justifie pas l'intervention de notre Cour. L'agent chargé de l'ERAR avait compétence pour apprécier la valeur probante, le poids, la pertinence ou la suffisance à accorder aux éléments de preuve documentaire dont il disposait.

[24]           Il est de jurisprudence constante qu’il incombait à Mme Jackson de démontrer le bien-fondé de sa demande d’ERAR ou de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[25]           Madame Jackson avait l’obligation de démontrer qu’elle serait personnellement exposée à un risque à Saint-Vincent pour pouvoir obtenir le droit d’asile (en rapport avec sa demande d'ERAR) ou pour qu’on puisse conclure qu’elle subirait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (dans le cadre de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire) (Maichibi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 138, au paragraphe 21).

[26]           Les risques invoqués par Mme Jackson sont les mêmes que ceux que la SPR n’a pas retenus. Malgré cela, l'agent chargé de l'ERAR s'est fondé sur des documents à jour. Pour les besoins de son analyse, l'agent chargé de l'ERAR n'a constaté l'existence d'aucun nouveau fait ou risque auquel Mme Jackson serait exposée en cas de retour dans son pays et les éléments de preuve présentés par Mme Jackson à l'appui de ses allégations de risque ne permettaient pas à l'agent chargé de l'ERAR de tirer une conclusion différente de celle de la SPR.

[27]           Les éléments de preuve soumis à l'agent chargé de l'ERAR à l'appui des allégations de risque de Mme Jackson présentent incontestablement de graves lacunes.

 

(2) Intérêt supérieur des enfants

[28]           Madame Jackson soutient essentiellement que l’agent chargé de l’ERAR a commis une erreur en ne se montrant pas « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de ses enfants nés au Canada, lesquels [traduction] « ont droit à tous les services, droits et avantages reconnus aux Canadiens, notamment dans le domaine de l’éducation et de la santé ».

 

[29]           Madame Jackson ajoute par ailleurs ce qui suit : [traduction] « En l'espèce, compte tenu du fait que l'enfant n'a pas été en mesure d'achever son année scolaire ou même le semestre en cours, l'agent d'immigration aurait dû tenir compte de ce facteur et reporter l'expulsion. »

 

[30]           Madame Jackson ne peut, dans le cadre d'une requête en sursis greffée à une demande sous-jacente d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision rendue au sujet de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, à laquelle « se greffent » déjà des arguments visant à attaquer sa demande d'ERAR, en profiter pour attaquer de façon indirecte le refus de l'agent chargé d'exécuter les mesures de renvoi de reporter l'exécution de son renvoi.

 

[31]           Hormis le fait que l'enfant de cinq ans de Mme Jackson va actuellement à la maternelle à temps partiel (dans un « programme d’une demi‑journée » et que son autre enfant de trois ans n'a pas encore atteint l'âge scolaire, la jurisprudence de notre Cour confirme que le fait d'avoir à retirer leur enfant de son école ne cause pas un préjudice irréparable et « est un incident ordinaire, encore que douloureux, propre à tout renvoi » (Selliah c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261).

 

[32]           Contrairement à ce que Mme Jackson prétend, pour déterminer si les difficultés qu’entraînerait pour elle le fait de devoir quitter le Canada seraient habituelles ou excessives, l’agent chargé d’examiner sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire s’est de toute évidence montré « réceptif, attentif et sensible » à l’intérêt supérieur de l’enfant et il a bien identifié et défini cet intérêt conformément aux critères énoncés dans les arrêts Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Legault, 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358.

 

[33]           La Cour d'appel fédérale a confirmé, dans l'arrêt Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 38, [2004] 2 RCF 635, qu'il incombe au demandeur de soumettre des éléments de preuve convaincants au sujet de l'intérêt supérieur des enfants.

 

[34]           Dans ce contexte, l’agent qui a examiné la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a conclu de façon raisonnable qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir conclure que les enfants ne seraient pas en mesure de s’adapter ou qu’ils seraient exposés à un risque s’ils suivaient leur mère dans le pays de la citoyenneté de cette dernière.

 

[35]           Ainsi qu'il a été déclaré dans l'arrêt Legault, précité, les ressortissants étrangers ne peuvent invoquer l'existence de leurs enfants nés au Canada pour retarder l'exécution de leur renvoi licite du Canada ou pour y faire échec :

 

[12]      […] Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (1995), 184 N.R. 230 (C.A.F.), permission d’Appel refusée, CSC 24740, 17 août 1995). [Non souligné dans l’original.]

 

 

[36]           Dans ces conditions, l'agent chargé d'examiner la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n'a pas ignoré l’intérêt des enfants et il n'a par conséquent commis aucune erreur justifiant notre intervention lorsqu'il a examiné leur intérêt.

 

[37]           Il est de jurisprudence constante que l’agent chargé de l’ERAR n'a pas compétence pour tenir compte des facteurs relatifs à une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire pour trancher une demande d'ERAR comme celle de Mme Jackson. Ces facteurs ont déjà été pris en compte lors de l'analyse de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

 

[38]           Il y a également lieu de signaler que, dans une demande fondée sur des motifs humanitaires, « le risque devrait être considéré comme un des facteurs pertinents à la question de savoir si le demandeur aurait à surmonter des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives » (Sahota c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 651). Il ne s'agit pas d'un facteur permettant de conclure à l'existence de motifs d'ordre humanitaire. Il en va de même de l’établissement et de l’intégration d’un demandeur au Canada, ainsi que de l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[39]           Compte tenu du fait que Mme Jackson n'a pas contesté les conclusions tirées par l’agent chargé de l’ERAR au sujet de son établissement et de son intégration, ces conclusions sont réputées admises et bien fondées.

 

[40]           En réalité, Mme Jackson demande à la Cour de réévaluer les éléments de preuve soumis à l'agent chargé de l’ERAR; toutefois, l'appréciation qu'a effectuée l'agent était à la fois exhaustive et bien motivée.

 

[41]           Par conséquent, les arguments formulés par Mme Jackson ne peuvent servir à contester la décision rendue au sujet de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ni la décision prise par l’agent chargé de l'ERAR.

 

B. Préjudice irréparable

[42]           Madame Jackson n'a invoqué aucun argument ou élément de preuve précis sur la question du préjudice irréparable.

 

[43]           L'argument invoqué par Mme Jackson au sujet du volet portant sur le préjudice irréparable dans le critère à trois volets énoncé dans l'arrêt Toth, précité, se rapporterait à ses allégations de risque fondées sur sa crainte de son frère et de son ex‑petit ainsi que sur les difficultés auxquelles ses enfants seraient exposés s'ils devaient aller s’installer à Saint‑Vincent.

 

[44]           Il ne suffit pas pour Mme Jackson d'alléguer, dans ses observations écrites, qu'elle ou ses enfants subiront un préjudice irréparable sans étayer ses allégations d'autres démonstrations ou éléments de preuve.

[45]           Un préjudice irréparable ne peut être hypothétique ni se fonder sur une série de possibilités et, par conséquent, il est nécessaire de présenter des éléments de preuve objectifs et non hypothétiques au sujet du préjudice irréparable (Atakora c Canada (Ministre d’Emploi et de l’Immigration), 1993, 68 FTR 122). Or, aucun élément de preuve de ce genre n'a été présenté en l'espèce.

[46]           Aux fins d'un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi, le « préjudice irréparable » constitue un critère très strict et suppose l'existence d'une probabilité sérieuse que la vie ou la sécurité du demandeur soit mise en péril. Le préjudice irréparable doit être plus qu'un fâcheux inconvénient tel qu'une dissolution ou un bouleversement de la famille :

[21]      […] pour que l’expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au‑delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L’expulsion s’accompagne de séparations forcées et de cœurs brisés […]

 

(Melo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 FTR 39).

 

[47]           Les risques invoqués par Mme Jackson dans sa requête reposent sur les mêmes incidents allégués et récit circonstancié que ceux qui ont été considérés comme non fondés par la SPR, l'agent chargé de l'ERAR et l'agent qui a évalué sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Il est de jurisprudence constante que les allégations de risque jugées insuffisantes pour servir de fondement à une demande d'asile ne peuvent être invoquées pour démontrer l'existence d'un « préjudice irréparable » dans le cadre d'une demande de sursis. Dans le jugement Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 145, le juge Yves de Montigny a déclaré ce qui suit :

 

[14]      Quant à l'exigence d'un préjudice irréparable, le demandeur n'a pas démontré qu'il serait réellement en danger s'il devait être renvoyé en Inde. Comme la Cour l'a décidé dans un certain nombre de cas, lorsque tant la Section du statut de réfugié qu'un agent d'ERAR ont conclu que le récit du demandeur n'était pas crédible, ce même récit ne peut servir de fondement à un argument de préjudice irréparable dans le cadre d'une demande de sursis : Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1182; Saibu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 151; Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 751; Ahmed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 1 C.F. 483 (1re inst.).

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[48]           Le préjudice irréparable allégué par Mme Jackson est « inhérent aux conséquences habituelles d’une expulsion », et correspond aux types de préjudice que la Cour d’appel a expressément considéré comme insuffisant pour satisfaire au critère du préjudice irréparable (Atwal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427).

 

[49]           Compte tenu de la situation personnelle de Mme Jackson et de l'absence d'éléments de preuve personnalisés, toute allégation de préjudice irréparable n'est que pure conjecture.

 

C. Prépondérance des inconvénients

[50]           Madame Jackson n'a pas le droit de demeurer au Canada étant donné qu'elle n'a pas démontré que la prépondérance des inconvénients commande de ne pas appliquer la loi.

[51]           Le défendeur a l'obligation légale d'exécuter les mesures de renvoi dès que possible (article 48 de la LIPR). Dans une affaire comme la présente, dans laquelle la demanderesse n'a pas démontré qu'il existait une question sérieuse à trancher ou un préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients favorise sans conteste le défendeur.

[52]           L'intérêt public commande que les mesures de renvoi soient exécutées de manière efficace, rapide et équitable et que l'on appuie les efforts des personnes responsables de leur exécution. Ce n'est que dans des cas exceptionnels que l'intérêt d'un individu l'emportera sur l'intérêt public (Aquila c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 36 (QL/Lexis) (CF 1re inst.); Kerrutt c Canada (Ministre d’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 FTR 93 (CF 1re inst.); Dugonitsch c Canada (Ministre d’Emploi et de l’Immigration) (1993), 53 FTR 314 (CF 1re inst.)).

[53]           Le fait que la personne qui demande un sursis à l'exécution d'une mesure de renvoi a pu bénéficier d'une série de recours dans le cadre du système d'immigration ne peut être pris en compte lorsqu'il s'agit de décider si la prépondérance des inconvénients favorise l'application de la loi par le ministre (Selliah, précité).

 

[54]           Madame Jackson a fait analyser à trois reprises ses allégations de risque (par la SPR, par l'agent chargé de l'ERAR et par l'agent chargé d'examiner sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire); or, il a été jugé qu'aucune protection n'était justifiée et qu'il n'existait pas de difficultés excessives compte tenu des risques et des autres éléments de preuve.

 

[55]           Le fait que la personne qui demande un sursis à l'exécution d'une mesure n'ait pas de casier judiciaire, ne soit pas une menace pour la sécurité et soit financièrement établie et socialement intégrée au Canada ne signifie pas pour autant que la prépondérance des inconvénients favorise l'octroi d'une ordonnance de sursis. Pour rejeter la requête en sursis dans l'arrêt Selliah, précité, la Cour fédérale a déclaré ce qui suit :

 

[21]    L'avocate des appelants dit que, puisque les appelants n'ont aucun casier judiciaire, qu'ils ne sont pas une menace pour la sécurité et qu'ils sont financièrement établis et socialement intégrés au Canada, l'équilibre des inconvénients milite en faveur du maintien du statu quo jusqu'à l'issue de leur appel.

 

[22]    Je ne partage pas ce point de vue. Ils ont reçu trois décisions administratives défavorables, qui ont toutes été confirmées par la Cour fédérale. Il y a bientôt quatre ans qu'ils sont arrivés ici. À mon avis, l'équilibre des inconvénients ne milite pas en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de leur obligation, en tant que personnes visées par une mesure de renvoi exécutoire, de quitter le Canada immédiatement, ni en faveur d'un nouveau report de l'accomplissement de l'obligation du ministre de les renvoyer dès que les circonstances le permettront […] Il ne s'agit pas simplement d'une question de commodité administrative, il s'agit plutôt de l'intégrité et de l'équité du système canadien de contrôle de l'immigration, ainsi que de la confiance du public dans ce système.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[56]           On ne saurait affirmer que Mme Jackson s'est mieux établie au Canada que tout autre réfugié bénéficiant des mêmes possibilités qu’elle au Canada pendant la période de traitement de sa demande d'asile. Elle a passé beaucoup de temps au Canada (depuis 2002), a vécu au Canada illégalement et a défié les lois sur l'immigration canadienne.

 

[57]           Comme le juge Pierre Blais l’a fait observer dans le jugement Lee c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 413 :

 

[9]        À mon avis, l'agent n'a pas commis d'erreur lorsqu'il a indiqué que le temps passé au Canada par les demandeurs et leur établissement dans la communauté étaient des facteurs importants, mais non déterminants. Si la durée du séjour au Canada devait devenir le principal facteur dont il faut tenir compte dans le cadre de l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, cela encouragerait les gens à tenter leur chance et à revendiquer le statut de réfugié en croyant que, s'ils peuvent rester au Canada suffisamment longtemps pour démontrer qu'ils sont le genre de gens que le Canada recherche, ils seront autorisés à rester (Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. n1906).

 

 

[58]           L'établissement de Mme Jackson ne saurait être attribué à des circonstances indépendantes de sa volonté. Il serait à l'encontre de l'objet de la loi de prétendre que plus un demandeur reste longtemps au Canada en situation illégale, meilleures sont ses chances d'être autorisé à s'établir de manière permanente, et ce, même si ce demandeur ne satisfait pas aux critères lui permettant d'obtenir le statut de réfugié ou de résident permanent. Le demandeur qui se voit refuser le statut de réfugié est parfaitement en droit d'épuiser tous les recours mis à sa disposition par la loi, mais il doit savoir que ce faisant, son éventuel renvoi en sera d'autant plus pénible. Par ailleurs, même si Mme Jackson considère le Canada comme un endroit plus agréable pour vivre que Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines, ce facteur n'est pas déterminant sur l'issue de sa demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire et elle ne reflète pas l'intention qu'avait le législateur en promulguant l'article 25 de la LIPR (Serda c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 356, aux paragraphes 21, 23 et 31).

 

[59]           Enfin, l'expulsion de personnes alors qu'elles ont présenté des demandes d'autorisation et/ou engagé d'autres instances devant la Cour ne constitue ni une question sérieuse ni un préjudice irréparable. Madame Jackson peut poursuivre son litige depuis l'étranger. Rien ne permet de penser que l'expulsion de Mme Jackson aura des conséquences néfastes sur sa demande d'autorisation et, si celle‑ci est accueillie, sur le contrôle judiciaire. Le renvoi n'a aucune incidence défavorable sur une demande d'autorisation et elle n'a pas pour effet de rendre théorique une demande d'autorisation (Akyol c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, au paragraphe 11).

 

[60]           Madame Jackson est parvenue au terme de son processus d'immigration. La prépondérance des inconvénients favorise nettement le ministre.

 

V. Conclusion

[61]           Pour tous les motifs qui ont été exposés, la demande de sursis de la demanderesse est rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la requête présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-8265-11

 

INTITULÉ :                                      JOZELLE MICHELLE JACKSON c

MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 28 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 29 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Harry Blank

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Leticia Mariz

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Harry Blank

Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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