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Date : 20111202


Dossier : T-53-11

Référence : 2011 CF 1401

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

 

NEIL SMITH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur, Neil Smith, a exercé les fonctions de maître‑chien à l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’ACIA), puis à l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) qui l’a remplacée, plus ou moins sans interruption de décembre 2003 à mars 2009, après quoi il a été affecté à d’autres fonctions. En 2009, l’ASFC a annoncé qu’elle était à la recherche de personnes désireuses d’exercer les fonctions de maître‑chien. Le demandeur n’a pas posé sa candidature, car il croyait qu’il avait peu de chances d’obtenir le poste. Une autre personne, Mme Simoneau, a été choisie par l’ASFC pour exercer les fonctions de maître‑chien. Le demandeur a déposé une plainte en vertu des articles 74 et 77 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (la LEFP), relativement à la nomination de Mme Simoneau et au fait que sa propre nomination avait été révoquée. Dans une décision écrite datée du 13 décembre 2010 (2010 TDFP 0022), le Tribunal de la dotation de la fonction publique a rejeté la plainte pour défaut de compétence. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie et l’affaire est renvoyée au Tribunal pour qu’une décision soit rendue sur le fond.

 

LES FAITS

[2]               Les faits pertinents ont été décrits dans un exposé conjoint des faits présenté au Tribunal.

 

[3]               Le 1er mai 2003, le demandeur a été nommé à un poste de maître‑chien (PM‑02) à l’ACIA. De manière générale, il était chargé des soins, du nourrissage et de l’exercice quotidiens d’un chien détecteur – Bella – qui lui était assigné. Il devait aussi patrouiller dans les zones d’arrivée des passagers et des marchandises dans les aéroports internationaux canadiens.

 

[4]               Le 12 décembre 2003, certains services de l’ACIA, de l’Agence des douanes et du revenu du Canada et de Citoyenneté et Immigration Canada ont fusionné pour former l’ASFC. Par suite de cette fusion, le demandeur a été muté au poste de maître‑chien (PM‑02) à l’ASFC.

 

[5]               Le 8 février 2005, l’ASFC a annoncé l’établissement d’une nouvelle description de travail pour le poste d’agent des services frontaliers national (ASF). L’annonce contenait un addendum qui décrivait les fonctions de maître‑chien et indiquait que les postes de maître‑chien devenaient des postes PM‑03.

 

[6]               À la suite de cette reclassification, le demandeur s’est vu offrir une nomination pour une période indéterminée au poste d’ASF (PM‑03) entrant en vigueur le 1er avril 2005. Le demandeur craignait de devoir renoncer à ses fonctions de maître‑chien s’il acceptait cette offre. Le 20 avril 2006, il a reçu un courriel du chef régional intérimaire de l’ASFC, dans lequel ce dernier affirmait que l’ASFC n’avait pas l’intention de le retirer de ses fonctions de maître‑chien s’il acceptait la nomination. Le chef régional intérimaire reconnaissait que le poste du demandeur exigeait une formation spécialisée et que ce dernier avait été embauché précisément pour ce travail :

 

[traduction] Neil, je confirme par la présente que nous n’avons pas l’intention de vous retirer de vos fonctions de maître‑chien dans le secteur de l’agriculture si vous acceptez le poste d’agent des services frontaliers (PM‑03) faisant suite à la reclassification. Bien que ce poste regroupe/regroupera les postes d’agent des douanes, d’agent d’immigration et d’inspecteur aux PDE de l’ACIA, nous reconnaissons que votre rôle de maître‑chien dans le secteur de l’agriculture exige une formation spécialisée et que vous avez été embauché par l’ACIA précisément pour exercer cette fonction.

 

 

[7]               Le 30 janvier 2007, l’ASFC a présenté une nouvelle description de travail pour le poste d’ASF (PM‑03). Cette description détaillée comprenait de nombreuses fonctions, notamment les deux références précises suivantes aux fonctions de maître‑chien :

 

[…] Connaître aussi le cas échéant les principes, les méthodes et les techniques associés au dressage et à la conduite des chiens détecteurs pour trouver les marchandises de contrebande ou réglementées.

 

[…] Interpréter le cas échant les réactions d’un chien détecteur afin de déterminer un plan d’action pour les examens […]

 

 

[8]               Sauf pendant une brève période de congé, le demandeur a travaillé comme maître‑chien de 2007 jusqu’à ce que la retraite de son chien, Bella, en mai 2009.

 

[9]               Le 15 mai 2009, le chef des opérations à l’ASFC a écrit la lettre suivante au demandeur :

 

[traduction] Je vous écris au sujet du poste de maître‑chien auprès d’un chien détecteur de produits alimentaires, végétaux et animaux à l’aéroport d’Ottawa.

 

La conversion en un poste FB a été terminée en février 2007. Cette conversion a fait en sorte que tous les postes d’agent de la catégorie PM existants sont devenus des postes d’agent des services frontaliers (FB-03). Dans le cadre de ce processus de conversion, tous les postes qui étaient à ce niveau, notamment ceux de maître‑chien, sont devenus des postes d’agent des services frontaliers. Dans le cas des maîtres‑chiens, les postes ont été convertis en postes d’agent des services frontaliers, les fonctions de maître‑chien étant considérées comme une affectation.

 

Dans le district d’Ottawa, il a été décidé que les fonctions de maître‑chien seraient exercées à tour de rôle afin d’assurer une répartition équitable des possibilités de carrière ainsi que l’efficacité du programme.

 

Plusieurs facteurs sont pris en compte pour affecter une personne aux fonctions de maître‑chien : les évaluations de rendement, les objectifs de carrière du maître‑chien, la durée du service à titre de maître‑chien, la durée de service du chien et l’expérience globale au sein du district.

 

Comme vous le savez, l’administration centrale, de concert avec le personnel de la formation du centre d’apprentissage, a décidé de mettre Bella à la retraite après de nombreuses années de service productif. Vous êtes actuellement le maître‑chien comptant le plus d’années de service au sein du district. Étant donné que Bella est mis à la retraite et sera remplacé, nous avons décidé que le temps était venu de laisser à un autre ASF la possibilité d’exercer les fonctions de maître‑chien.

 

Je sais que vous quitterez des fonctions qui vous passionnent et j’aimerais vous remercier pour le dévouement que vous avez démontré dans le cadre de ce programme utile.

 

Nous nous pencherons bientôt sur la question des plans d’apprentissage individuels. Je vous encourage à évaluer vos plans de carrière afin de faire en sorte d’atteindre votre prochain objectif professionnel.

 

 

[10]           Peu de temps après, l’ASFC a annoncé une « possibilité d’affectation » à l’intention des ASF (FB‑03) occupant un poste à durée indéterminée dans le district d’Ottawa. Les personnes [traduction] « intéressées par une affectation à des fonctions de maître‑chien auprès d’un chien détecteur de produits alimentaires, végétaux et animaux » étaient visées. Le document donnait des détails concernant un cours de présélection de deux jours sur les chiens détecteurs qui [traduction] « pourrait être utilisé comme outil d’évaluation ». Le candidat retenu serait tenu de suivre une formation de dix semaines.

 

[11]           Le demandeur n’a pas répondu à cette invitation. Il dit qu’il était clair dans son esprit, à la lecture de la lettre du 15 mai, qui est reproduite ci‑dessus, que l’ASFC n’examinerait pas sa candidature. Sept personnes ont posé leur candidature et Mme Simoneau a été choisie; elle a suivi la formation de dix semaines et s’est acquittée des tâches de maître‑chien exercées auparavant par le plaignant.

 

[12]           Le 30 juin 2009, le demandeur a présenté une plainte au Tribunal en vertu de l’article 74 et de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP. Il alléguait, en ce qui concerne l’article 74, que sa nomination avait été révoquée et, en ce qui concerne l’article 77, que l’affectation de Mme Simoneau aux fonctions de maître‑chien constituait une nomination et qu’il y avait eu abus de pouvoir dans le processus de nomination.

 

[13]           L’ASFC a cherché à faire rejeter la plainte au motif que le Tribunal n’avait pas compétence pour instruire la plainte puisque les fonctions de maître‑chien faisaient partie de la description de travail d’un ASF par suite de la reclassification; il n’y avait donc eu ni nomination, ni révocation.

 

[14]           L’audience du Tribunal a eu lieu du 8 au 10 septembre 2010. Le demandeur et l’ASFC ont assigné des témoins. Les deux parties ont déposé des observations écrites et des arguments ont été présentés au Tribunal en leur nom.

 

[15]           Le Tribunal a rendu une décision par écrit en date du 13 décembre 2010. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle. Le Tribunal a examiné deux questions :

 

Question 1 :      L’affectation de Mme Simoneau constituait-elle une nomination au sens de l’art. 77(1) de la LEFP?

 

Question 2 :      La nomination du plaignant [le demandeur] a-t-elle été révoquée au sens de l’art. 74 de la LEFP?

 

 

[16]           En ce qui concerne la première question, le Tribunal a conclu, au paragraphe 46 de ses motifs, qu’« il n’a pas compétence pour trancher cette question, car il n’a pas été démontré qu’une nomination a eu lieu ».

 

[17]           Pour ce qui est de la deuxième question, le Tribunal a conclu, au paragraphe 52 de ses motifs, qu’« il n’y a pas eu révocation d’une nomination au sens de l’art. 74 [de la LEFP]. Les préoccupations du plaignant ne relèvent pas de la compétence du Tribunal ».

 

[18]           Le Tribunal a donc statué, aux paragraphes 53 et 54 de ses motifs, qu’il n’avait pas compétence pour instruire la plainte, et il l’a rejetée pour défaut de compétence.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]           Le présent contrôle judiciaire soulève deux questions relativement à la décision du Tribunal datée du 13 décembre 2010 :

 

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable?

 

2.                  Le Tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour instruire la plainte du demandeur?

 

[20]           Une lettre de Mme Simoneau dans laquelle celle‑ci déclare qu’elle n’a aucun intérêt particulier dans l’affaire a été produite à l’audience.

 

QUESTION 1 :          Quelle est la norme de contrôle applicable?

[21]           Les parties s’entendent sur le fait que la raisonnabilité est la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce. La Cour d’appel fédérale a récemment accepté cette norme dans une affaire similaire : Kane c Canada (Procureur général), 2011 CAF 19, au paragraphe 36 (autorisation de pourvoi à la Cour suprême accordée le 1er décembre 2011).

 

QUESTION 2 :          Le Tribunal a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en concluant qu’il n’avait pas la compétence nécessaire pour instruire la plainte du demandeur?

 

[22]           Il est important de rester concentré sur la question, laquelle peut être reformulée comme suit :

La décision du Tribunal de ne pas se reconnaître compétent dans les circonstances de l’espèce était‑elle raisonnable?

 

[23]           Aux termes de l’article 74 de la LEFP, le Tribunal a compétence pour instruire une plainte lorsque la nomination d’une personne a été révoquée :

 

74. La personne dont la nomination est révoquée par la Commission en vertu du paragraphe 67(1) ou par l’administrateur général en vertu des paragraphes 15(3) ou 67(2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle la révocation n’était pas raisonnable.

 

74. A person whose appointment is revoked by the Commission under subsection 67(1) or by the deputy head under subsection 15(3) or 67(2) may, in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations, make a complaint to the Tribunal that the revocation was unreasonable.

 

 

[24]           Aux termes de l’alinéa 77(1)a) de la LEFP, le Tribunal a compétence lorsqu’une personne se plaint de ne pas avoir été nommée en raison d’un abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général :

 

77. (1) Lorsque la Commission a fait une proposition de nomination ou une nomination dans le cadre d’un processus de nomination interne, la personne qui est dans la zone de recours visée au paragraphe (2) peut, selon les modalités et dans le délai fixés par règlement du Tribunal, présenter à celui-ci une plainte selon laquelle elle n’a pas été nommée ou fait l’objet d’une proposition de nomination pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

 

a) abus de pouvoir de la part de la Commission ou de l’administrateur général dans l’exercice de leurs attributions respectives au titre du paragraphe 30(2);

 

77. (1) When the Commission has made or proposed an appointment in an internal appointment process, a person in the area of recourse referred to in subsection (2) may — in the manner and within the period provided by the Tribunal’s regulations — make a complaint to the Tribunal that he or she was not appointed or proposed for appointment by reason of

 

(a) an abuse of authority by the Commission or the deputy head in the exercise of its or his or her authority under subsection 30(2);

 

 

[25]           Le terme « nomination » n’est pas défini dans la LEFP, ce qui a amené la Cour suprême du Canada, dans des affaires relatives à la loi antérieure à la LEFP, ainsi que d’autres tribunaux, à préciser ce qui constitue ou non une « nomination ».

 

[26]           En l’espèce, le Tribunal a examiné un certain nombre de décisions rendues par ces tribunaux. Ses conclusions concernant la plainte fondée sur l’article 74 de la LEFP sont résumées aux paragraphes 51 et 52 de sa décision :

 

51        Toutefois, en l’espèce, il n’y a aucune preuve démontrant que l’administrateur général ou la CFP ont révoqué la nomination du plaignant. Au contraire, il est établi que le plaignant a accepté une nomination à un poste d’ASF pour une période indéterminée en avril 2006, et qu’en mai 2009, il a été affecté à d’autres fonctions dans le cadre de la description de travail du poste d’ASF. Cette nouvelle affectation s’expliquait par un certain nombre de facteurs, notamment la répartition des possibilités de carrière, les objectifs de carrière des employés, la durée du service à titre de maître‑chien et l’expérience globale au sein du district. Dans les circonstances, le fait de confier au plaignant d’autres fonctions figurant dans la description de travail d’un ASF ne constitue pas une révocation au sens de la LEFP.

 

52        Ainsi, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas eu révocation d’une nomination au sens de l’art. 74. Les préoccupations du plaignant ne relèvent pas de la compétence du Tribunal.

 

 

[27]           En ce qui concerne la plainte fondée sur l’article 77 de la LEFP, les conclusions du Tribunal sont résumées aux paragraphes 40 et 41 de sa décision :

 

40        Le Tribunal estime que les faits en l’espèce diffèrent de ceux de l’affaire Brault.

 

41        Premièrement, les fonctions de maître‑chien ne sont pas nouvelles; elles figurent dans la description de travail d’un ASF. L’évolution de ces fonctions, d’un poste distinct à leur incorporation dans la description de travail d’un ASF, est bien documentée dans la preuve. Il est erroné d’affirmer que cette plainte porte sur une nomination à un nouveau poste. La description de travail définit les fonctions et les responsabilités du poste; elle fournit une certaine souplesse dans l’attribution des tâches pour le poste d’ASF. Les fonctions de maître‑chien sont clairement énoncées dans la description de travail.

 

 

 

[28]           Il est utile d’examiner la situation particulière du demandeur/plaignant, M. Smith. Ce dernier a commencé à travailler comme maître‑chien à l’ACIA. Ses fonctions avaient trait principalement au dressage et à la conduite d’un chien à des fins précises relatives aux objets entrant au Canada. L’ACIA a fusionné avec un autre organisme pour devenir l’ASFC. Les fonctions de M. Smith sont cependant demeurées les mêmes. Une reclassification a eu lieu. M. Smith a demandé et obtenu l’assurance que son rôle [traduction] « exige[ait] une formation spécialisée » et que l’ASFC [traduction] « n’[avait] pas l’intention de [le] retirer de [ses] fonctions de maître‑chien dans le secteur de l’agriculture ». L’ASFC a ensuite procédé à une reclassification majeure des fonctions attribuées aux ASF – dont M. Smith – dans le but de mettre en place une description générale d’une grande variété de fonctions, dont la conduite d’un chien. On ne prétendait pas que chaque agent serait ou devrait être en mesure d’exercer chacune des fonctions. La conduite d’un chien reste une tâche spécialisée exigeant une formation particulière. Le chien de M. Smith, Bella, a ensuite été « mis à la retraite ». M. Smith a reçu une lettre reconnaissant son travail, mais indiquant de façon très explicite qu’il allait être affecté à d’autres fonctions. D’autres personnes ont été invitées à poser leur candidature. L’une d’entre elles a été choisie et a dû suivre une formation intensive de dix semaines pour être en mesure d’exercer suffisamment bien les fonctions de maître‑chien pour remplacer M. Smith.

 

[29]           La qualité du travail de M. Smith a toujours été saluée. M. Smith a reçu l’assurance qu’il continuerait d’exercer les fonctions de maître‑chien. L’ASFC a créé une nouvelle description de travail générale comportant un grand nombre de fonctions, notamment celles de maître‑chien. À un moment opportun pour elle, l’ASFC a dit à M. Smith que ses services de maître‑chien n’étaient plus requis. Une autre personne a suivi la formation nécessaire et a obtenu le poste.

 

[30]           Le Tribunal n’a pas considéré l’affaire du point de vue de M. Smith, mais seulement du point de vue de l’ASFC. Celle‑ci souhaite être libre de réaffecter, de fusionner, de reclassifier – et que sais‑je encore – les fonctions d’un agent. Ce n’est pas cette question qui est en litige en l’espèce, mais plutôt celle de savoir si, en conséquence, la personne – M. Smith en l’occurrence – est, selon les termes de l’article 74 de la LEFP, « [une] personne dont la nomination est révoquée » et si, selon les termes de l’alinéa 77(1)a), la nomination d’une autre personne qui exercera les mêmes fonctions est un « abus de pouvoir ».

 

[31]           Les arrêts Doré c Canada, [1987] 2 RCS 503, et Canada (Procureur général) c Brault, [1987] 2 RCS 489 (qui concerne un maître‑chien), de la Cour suprême du Canada sont très pertinents. Ils ont trait à la loi qui a précédé la LEFP, mais ils portent sur la même question : qu’est‑ce qu’une « nomination »? Les deux arrêts ont été rendus à l’unanimité et ont été rédigés par le juge Le Dain.

 

[32]           Dans Doré, précité, la Cour a écrit au paragraphe 7 :

 

En réalité, c’est ce que le Ministère a objectivement fait et non ce qu’il a, en droit, eu l’intention de faire ou l’interprétation qu’il en avait qui doit déterminer l’application du principe du mérite et du droit d’appel.

 

 

[33]           Au paragraphe 9 de Doré, précité, la Cour a reconnu qu’un ministère devrait disposer d’une marge de manœuvre raisonnable, mais aussi qu’une personne devrait pouvoir exercer un recours lorsque sa situation change de façon importante en conséquence.

 

[34]           La Cour a formulé les mêmes principes dans Brault, précité. Le juge Le Dain a écrit au paragraphe 8 :

 

8     Le second comité d’appel a en outre jugé, à l’instar du premier, que la nomination au poste de maître‑chien n’avait pas été faite selon une sélection établie au mérite conformément aux normes de sélection applicables, comme le requièrent les art. 10 et 12 de la Loi et l’art. 5 du Règlement, précités, parce que, comme l’a reconnu le Ministère, les candidats n’avaient pas été évalués relativement aux exigences cotées en matière de connaissances, de compétences et de qualités personnelles pour le poste d’inspecteur des douanes, ainsi que d’aptitude à exercer la fonction de maître‑chien, compte tenu des qualifications particulières requises pour cette fonction. D’après le premier comité d’appel, la raison pour laquelle le Ministère n’avait pas évalué le mérite des candidats en ce qui concerne leurs qualifications pour le poste d’inspecteur des douanes, de même que celles pour la fonction de maître‑chien, était sa crainte qu’une telle évaluation démontre que certains candidats n’étaient pas qualifiés pour occuper le poste d’inspecteur des douanes, ce qui nécessiterait leur congédiement. Quoi qu’il en soit, le Ministère reconnaît que si l’affectation des mis en cause comme maîtres‑chien constitue une nomination au sens de l’art. 21 de la Loi sur l’emploi dans la Fonction publique, elle n’a pas été faite selon une sélection établie au mérite.

 

 

[35]           La LEFP offre un recours sous la forme de la présentation d’une plainte au Tribunal, aux articles 74 et 76. Le Tribunal devrait, comme le juge Lemieux l’a dit dans Baur c Canada (Procureur général), 2004 CF 725, au paragraphe 47, « […] considérer la totalité des circonstances […] ». Le Tribunal ne l’a pas fait en l’espèce. Il n’a considéré qu’un point de vue, celui de l’ASFC, et n’a pas tenu compte de celui de M. Smith. En conséquence, sa décision était déraisonnable. Un tribunal administratif devrait reconnaître sa compétence de manière impartiale et transparente. La compétence sert à quelque chose; le Tribunal devrait accepter son mandat et instruire les plaintes comme celle de M. Smith.

 

[36]           Je m’écarte du sujet pour traiter d’une question à laquelle le Tribunal ne s’est pas intéressé et qui n’a vraisemblablement pas été soulevée devant lui à la lumière de son dossier. L’avocat des défendeurs a certifié à la Cour que, dans sa plaidoirie, il a soutenu que M. Smith avait fait l’objet d’une « mutation », de sorte que le recours à sa disposition était la présentation d’un grief en vertu des articles 208 et suivants de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 2. À mon avis, même si cette question avait été soulevée devant le Tribunal, elle n’était pas pertinente. D’abord, le paragraphe 51(6) de la LEFP interdit la mutation d’un employé sans son consentement, sauf si le consentement à la mutation fait partie des conditions d’emploi ou s’il y a harcèlement. Or, le dossier du Tribunal ne révèle pas que l’une de ces exceptions s’appliquait ou que M. Smith avait donné son consentement. Ensuite, les articles 208 et suivants de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique prévoient qu’une personne « peut » présenter un grief. Ni cette loi ni la LEFP ne renferment une disposition prévoyant qu’un grief « doit » être présenté ou que le droit de saisir le Tribunal d’une plainte en vertu de la LEFP n’existe pas si le droit de présenter un grief est accordé. Par conséquent, je rejette l’argument de la « mutation », même s’il a été invoqué de manière appropriée.

 

[37]           En conséquence, la demande est accueillie. Le Tribunal a compétence pour instruire les plaintes. L’affaire est renvoyée au Tribunal pour qu’il rende une décision sur le fond. Les parties se sont entendues pour que des dépens de 3 500 $ soient adjugés à celle qui a gain de cause en l’espèce, à savoir M. Smith.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS, LA COUR STATUE :

 

1.      La demande est accueillie.

 

2.      L’affaire est renvoyée au Tribunal pour qu’il rende une décision sur le fond.

 

3.      Le demandeur a droit à des dépens de 3 500 $.

 

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                T-53-11

 

INTITULÉ :                                              NEIL SMITH c.

                                                                   PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                      Le 30 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                    LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                             Le 2 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrew Raven

Michael Fisher

 

                       POUR LE DEMANDEUR

 

Martin Desmeules

                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP

Ottawa (Ontario)

 

                        POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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