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Date : 20111201


Dossiers : T-1640-10

T-1641-10

 

Référence : 2011 CF 1397

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

 

MÖVENPICK HOLDING AG

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

EXXON MOBIL CORPORATION ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA (REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE)

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

MOTIFS DES JUGEMENTS

 

LE JUGE HARRINGTON

 

[1]               Un client s’arrête pour faire le plein dans une station d’essence Esso. Au cours de cet arrêt, il profite de la proximité d’un Marché Express pour aller y acheter un pain, un litre de lait, des couches pour bébé, le journal ainsi qu’un café et un muffin pour emporter. Est-il probable que cette personne penserait que ce sont les mêmes personnes qui exploitent les dépanneurs Marché Express et les restaurants Marché?

 

[2]               Ce n’est que l’une des trois questions de droit que soulève Mövenpick dans le présent appel de la décision de la registraire des marques de commerce qui rejetait son opposition à la demande d’enregistrement des mots et dessin « Marché Express » présentée par Exxon Mobil pour emploi en liaison avec « des services de dépanneur et de restauration rapide offerts dans les stations-service ».

 

[3]               Le membre de la Commission des oppositions des marques de commerce de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada qui a été chargé par la registraire d’entendre l’affaire (ci‑après la « registraire ») :

a.       a décidé que les marques ne donnaient pas une description claire de « dépanneurs » ni de « convenience stores ».

b.      a décidé que les marques ne créaient pas de confusion avec la marque de commerce « Marché » de Mövenpick employée en liaison avec l’exploitation de restaurants;

c.       n’a pas rejeté l’affirmation d’Exxon Mobil selon laquelle les marques étaient en usage au Canada depuis le 19 juillet 2001.

 

[4]               Les parties ont toutes deux invoqué l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce pour présenter une preuve additionnelle qui n’avait pas été fournie à la registraire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[5]               Le présent appel soulève les questions suivantes :

a.       la norme de contrôle;

b.      la raisonnabilité de la décision de la registraire compte tenu des preuves présentées;

c.       l’appréciation des nouvelles preuves;

d.      en outre, étant donné que les preuves ne sont pas complètes, le fardeau de la preuve est un aspect qui sous-tend les différents arguments des parties.

 

[6]               Il suffit que Mövenpick obtienne gain de cause sur un de ses trois moyens d’appel pour que les décisions de la registraire soient annulées. Aucun aspect de la présente demande ne porte sur le dessin. Tous les arguments concernent la marque nominale.

 

[7]               Comme dans toute affaire, la partie qui souhaite modifier le statu quo doit s’acquitter d’un fardeau initial. Ce fardeau incombe à Exxon Mobil (ci-après appelé « Esso », la marque de ses stations-service). La société Exxon Mobil doit convaincre la registraire qu’elle a le droit de faire enregistrer les mots et le dessin de sa marque de commerce « Marché Express ». Si elle obtient gain de cause, et en l’absence d’opposition, l’enregistrement s’opère automatiquement. Cependant, en cas d’opposition, comme c’est le cas ici, si une preuve prima facie a été apportée, il incombe alors à Mövenpick de produire des preuves suffisantes pour réfuter les arguments d’Esso, c’est-à-dire de convaincre la registraire que les motifs d’opposition sont fondés. Une fois toutes les preuves présentées, si la registraire ne peut arriver à une conclusion, il y a alors lieu de rejeter la demande (John Labatt Ltd c Molson Co (1990), 30 CPR (3d) 293, 36 FTR 70 (CF), conf. par (1992) 42 CPR (3d) 495, 144 NR 318 (CAF)).

 

[8]               En l’absence de preuve nouvelle, la norme de contrôle applicable à l’appel d’une décision de la registraire est la raisonnabilité (Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22, [2006] 1 RCS 772, paragraphes 36 et 37; et Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190).

 

[9]               Pour ce qui est d’une preuve nouvelle, comme l’a déclaré le juge Binnie dans Mattel, ci‑dessus, au paragraphe 37 :

37        […] L’admission d’un nouvel élément de preuve pourrait évidemment (selon sa nature) affaiblir le fondement factuel de la décision rendue par la Commission et lui enlever le poids que lui confère l’expertise de la Commission. Toutefois, le pouvoir dont dispose le juge des requêtes d’admettre et d’examiner un nouvel élément de preuve n’empêche pas en soi que l’expertise de la Commission constitue un facteur pertinent : Lamb c. Canadian Reserve Oil & Gas Ltd., [1977] 1 R.C.S. 517, p. 527‑528.

 

[10]           La Cour doit décider si la preuve nouvelle est substantielle ou ne fait qu’étayer la décision dont appel. Si elle est substantielle, il convient d’examiner la décision de la registraire à la lumière de l’ensemble des preuves, tant nouvelles qu’anciennes, et la Cour doit arriver à sa propre conclusion. Dans Shell Canada Ltd c P.T. Sari Incofood Corp, 2008 CAF 279, 380 NR 317, le juge Marc Noël a expliqué cet aspect de la façon suivante :

[22]      En ce qui a trait à la première question, la norme de preuve, le juge de la Cour fédérale devait décider si la preuve nouvelle qui lui avait été soumise aurait eu un effet concret sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (arrêt John Labatt Ltée, précité). Dans l’affirmative, le juge de la Cour fédérale devait réévaluer la décision de la registraire à la lumière de l’ensemble de la preuve et tirer sa propre conclusion (Accessoires d’autos Nordiques Inc. c. Société Canadian Tire, 2007 CAF 367, 62 C.P.R. (4th) 436 (au paragraphe 30)) […]

 

L’arrêt John Labatt Ltée renvoie à l’arrêt John Labatt Ltée et al. c Brasseries Molson, [2000] 3 CF 145, 5 CPR (4th) 180 (CAF).

 

[11]           Les moyens d’appel seront examinés dans l’ordre dans lequel ils ont été débattus, à la fois à la lumière des preuves présentées à la registraire et à celle de l’ensemble des preuves qui me sont maintenant soumises.

 

[12]           En bref, l’argument d’Esso est qu’elle exploite des services de dépanneur et de restauration rapide depuis juillet 2001 sous le nom commercial « Marché Express ». Elle exploite une soixantaine de magasins au Québec et un à Ottawa. Dans les autres provinces, Esso utilise le nom commercial « On the Run ». La marque de commerce « Marché Express » n’est peut-être pas aussi connue que Pink Panther ou Barbie Dolls (deux affaires qui traitent de marques de commerce célèbres), mais elle est néanmoins bien connue grâce aux ventes et à la publicité.

 

[13]           Mövenpick soutient que la marque « Marché Express » est descriptive des services qu’offre Esso, c’est-à-dire « des services de dépanneur », et qu’elle ne peut donc être enregistrée aux termes de la Loi sur les marques de commerce. Elle crée également de la confusion avec sa propre marque de commerce bien connue « Marché » employée en liaison avec l’exploitation de restaurants. Enfin, la preuve présentée par Esso au sujet de la date de premier emploi de la marque de commerce n’est pas satisfaisante.

 

CHRONOLOGIE

 

[14]           Différentes questions étant liées à des dates différentes; j’estime utile de fournir une chronologie générale :

a.                      Mai 1992 : ouverture du premier restaurant « Marché » Mövenpick à Toronto;

b.                     1er décembre 1994 : date de production de l’enregistrement de la marque de commerce « Marché »; les services offerts étant l’exploitation de restaurants;

c.                      12 juillet 1996 : date d’enregistrement de « Marché »;

d.                     18 juillet 2001 : ouverture du premier « Marché Express » à St-Hubert, une banlieue de Montréal;

e.                      4 décembre 2001 : Esso produit sa demande d’enregistrement du mot et du dessin « Marché Express », fondée sur son emploi au Canada depuis le 19 juillet 2001;

f.                       17 septembre 2003 : annonce de la demande aux fins d’opposition dans le Journal des marques de commerce, avec renonciation au droit à l’usage exclusif des mots « Marché » et « Express » en dehors de la marque de commerce;

g.                      16 novembre 2004 : production d’une déclaration d’opposition par Mövenpick;

h.                      3 août 2010 : décision de la registraire rejetant l’opposition.

 

[15]           Nous allons maintenant examiner les trois motifs d’opposition invoqués dans le présent appel.

 

DESCRIPTION CLAIRE

 

[16]           Une marque de commerce ne doit pas donner une description claire de la nature ou de la qualité des services en liaison avec lesquels elle est ou sera employée. Par exemple, on ne pourrait pas enregistrer comme marque de commerce indépendante les mots « restaurant », « convenience store » ou « dépanneur », étant donné qu’il s’agit là de services qu’offrent déjà des commerçants sur le marché.

 

[17]           L’alinéa 12(1)b) de la Loi énonce qu’une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

b) qu’elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l’égard desquels on projette de l’employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d’origine de ces marchandises ou services;

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

 

[18]           La registraire a jugé, tout à fait correctement, que la date à laquelle il y avait lieu d’évaluer si « Marché Express » était une description claire des « dépanneurs » était celle de la production de la demande, le 4 décembre 2001 (Fiesta Barbeques Ltd c General Housewares Corp, 2003 CF 1021, 28 CPR (4th) 60).

 

[19]           Elle avait reçu un grand nombre de preuves concernant l’emploi généralisé du mot « Marché » en liaison avec des dépanneurs. Certaines de ces marques étaient enregistrées, d’autres ne l’étaient pas. Les enregistrements visaient également des épiceries, des magasins de vente d’aliments au détail, des restaurants et des services de traiteur.

 

[20]           La registraire a estimé qu’il n’était pas possible de dire que la marque proposée donnait une description claire en langue anglaise des dépanneurs. Mövenpick s’est davantage attaché aux définitions en français. Une des définitions de « marché » dans Le Petit Robert était « [l]ieu public de vente de biens et de services », alors qu’« express » était défini comme « qui assure un déplacement ou un service rapide ». Les preuves présentées indiquaient que le mot « marché » était utilisé par de nombreux autres commerçants pour décrire des « dépanneurs », mais que les mots combinés n’avaient pas un sens précis pour ce qui est de la nature des services de dépanneur. Il n’existait aucune preuve relative à l’emploi de « Marché Express » par d’autres commerçants. Elle a estimé que la marque suggérait tout au plus qu’il était facile d’acheter certains articles dans un dépanneur et que cela pouvait faire gagner du temps aux consommateurs. Elle a conclu que la marque n’était pas une description claire que ce soit en langue française ou anglaise.

 

[21]           À mon avis, la décision de la registraire, fondée sur les preuves qui lui étaient présentées, était raisonnable.

 

DESCRIPTION CLAIRE – NOUVELLE PREUVE

 

[22]           Les deux parties ont fourni une preuve additionnelle au sujet de l’emploi du mot « marché ». C’est un mot qui est largement utilisé et qui n’est aucunement limité aux dépanneurs. Le mot est couramment utilisé en liaison avec des épiceries et en fait, les marchés en général, par ex. Marché Métro, Marché Loblaws Design, Marché Richelieu & Dessin, Place de Marché (exploitation de cliniques médicales, restaurants et services de café, magasins de détail, section épicerie dans un magasin de vente au détail, etc.).

 

[23]           Les deux parties ont produit des affidavits préparés par des linguistes, lesquels ont été contre-interrogés. Leur témoignage concerne à la fois les aspects relatifs à la description claire et à la confusion dans la présente affaire. À mon avis, ils n’ajoutent pas grand-chose au débat et n’auraient pas convaincu la registraire de changer d’idée. En l’espèce, il s’agit d’évaluer le sens des mots « marché express » dans la langue française, tel que perçu à la première impression par un utilisateur ordinaire des services; les témoignages d’experts qui consistent principalement à fournir une analyse des règles de grammaire, de la sémantique et des construits linguistiques concernant l’interprétation de ces mots ne sont pas nécessaires ni particulièrement utiles.

 

[24]           Mövenpick se fonde également sur le nouveau témoignage du spécialiste de marketing d’Esso, Alain D’Astous, qui, au cours de son contre-interrogatoire au sujet de son affidavit, a appliqué les principes de la Gestalt pour interpréter le sens de « Marché Express ». Cependant, pour les mêmes raisons que pour le témoignage des linguistes, j’estime que ce genre de témoignage n’est pas utile.

 

[25]           Mövenpick a toutefois découvert certains emplois de « Marché Express » par des tiers et s’appuie également sur les résultats d’une enquête effectuée pour le compte d’Esso par Robert Klein, un responsable d’études de marché. Esso a produit cette enquête qui a porté sur plus de 2 000 consommateurs de Toronto, Ottawa et Montréal pour montrer qu’il n’existait pas de risque de confusion. Mövenpick affirme que l’enquête est insuffisante pour étayer cette affirmation, mais qu’elle démontre néanmoins que « Marché Express » est une description claire du service.

 

[26]           Mövenpick souligne les réponses fournies par certains des répondants qui estimaient que « Marché Express » faisait référence à un « convenience store », « dépanneur », « pour moi, c’est un peu comme une combinaison d’un restaurant et d’un magasin populaire », « un genre de dépanneur où on trouve les produits de base, lait, pain », « c’est un endroit où on peut se procurer rapidement les produits essentiels ou de dernières minutes, etc. Une réponse particulièrement intéressante était qu’“à cause du nom ça dit tout ».

 

[27]           À mon avis, ces nouvelles preuves ne font qu’appuyer la décision de la registraire. Elle a accepté que le mot « marché » était utilisé par d’autres commerçants pour décrire les dépanneurs. Toutefois, la marque demandée ne vise pas uniquement le mot « marché », mais la combinaison de mots « Marché Express », qui n’est pas une construction linguistique qui découle naturellement de la langue française. Elle a estimé que cette combinaison de mots n’avait pas un sens précis pour ce qui est de la nature des services offerts par un dépanneur. Elle a conclu que la marque ne faisait que suggérer le résultat susceptible d’être obtenu et qu’elle n’était pas intrinsèquement liée aux services eux-mêmes.

 

[28]           Cette conclusion est tout à fait conforme à la jurisprudence. L’alinéa 12(1)b) de la Loi interdit que la marque donne une description claire. (Non souligné dans l’original.) Le mot « marché » – la version française du mot anglais « market » – a un sens large qui, lorsqu’il est combiné à « express », ne se limite pas aux « dépanneurs » ou aux « convenience stores ».

 

[29]           Les tribunaux ont jugé que le mot « clair » veut dire « facile à comprendre, évident ou simple » et vise à préserver la possibilité d’enregistrer les marques de commerce suggestives. La Loi interdit uniquement l’enregistrement des marques qui donnent une description claire. Les tribunaux ont régulièrement reconnu qu’une marque de commerce suggestive ou même descriptive peut être enregistrée. Les tribunaux ont même autorisé une allusion subtile à une caractéristique des marchandises ou services reliés à son emploi (Kelly Gill & R. Scott Jolliffe, Fox on Canadian Law of Trade-marks and Unfair Competition, 4e éd., Toronto, Carswell, 2002, p. 5-26; Canadian Innovatch Inc c Burnbrae Farms Ltd (2004), 31 CPR (4th) 151 à la p. 158, [2003] COMC no 79 (QL); GWG Ltd c Canada (Registraire des marques de commerce) (1981), 55 CPR (2d) 1, p. 7, 9 ACWS (2d) 68 (CF); Thomas J Lipton Ltd c Salada Foods Ltd (No 3), [1980] 1 CF 740, la p. 743, [1979] 3 ACWS 431).

 

[30]           Après avoir déployé beaucoup d’efforts, Mövenpick a découvert quelques emplois possibles de « Marché Express » par des tiers. Les dates sont toutefois vagues et ces preuves sont loin d’être satisfaisantes.

 

[31]           Il existe, ou a existé, un dépanneur « Marché Express » à St-Lambert, au Québec. C’est le nom qui figure sur un reçu de caisse enregistreuse. Toutefois, le nom qui figure sur la devanture est « Alimentation Diana Dépanneur ». Il y a également un « Dépanneur Marché Express 2000 », même s’il n’est pas clair que ce magasin ait déjà été exploité sous ce nom. Il y avait en outre un « Marché Express Tabagie et Dépanneur Enr. » et enfin, « Au Vieux Duluth Marché Express ». Si « Marché Express » dit tout, pourquoi utiliser le mot « dépanneur »? Il aurait été tout aussi facile de dire « Au Vieux Duluth Dépanneur ».

 

[32]           Encore une fois, j’estime que les preuves nouvelles n’apportent aucun élément qui aurait pu inciter la registraire à changer d’idée. Si je me trompe, et considérant l’ensemble des preuves, j’estime que « Marché Express » n’est pas et n’a jamais été une description claire des services qui ont été ou auraient pu être offerts dans les stations-service Esso.

 

CONFUSION

 

[33]           L’objet de la Loi sur les marques de commerce est d’empêcher la confusion dans le marché. La Cour suprême nous a rappelé qu’« elles [les marques de commerce] ont toujours pour objet, sur le plan juridique, selon les termes mêmes de l’art. 2 de la Loi sur les marques de commerce, R.S.C. 1985, ch. T-13) leur emploi par la personne qui en est propriétaire ‘de façon à distinguer […] les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d’autres’. Il s’agit d’une garantie d’origine et, implicitement, d’un gage de la qualité que le consommateur en est venu à associer à une marque de commerce en particulier […] » (Mattel, ci-dessus, par le juge Binnie, au par. 2).

 

[34]           Plus tôt cette année, dans Masterpiece Inc c Alavida Lifestyles Inc, 2011 CSC 27, [2011] 2 RCS 387, le juge Rothstein, parlant au nom de la Cour, a déclaré au paragraphe 1 :

Au Canada, les marques de commerce sont un outil très utile aux consommateurs et aux entreprises. Ainsi, toute entreprise appose une marque sur les marchandises ou les services qu’elle vend afin d’en indiquer la provenance, ce qui permet aux consommateurs d’en connaître l’origine. Les marques de commerce font donc en quelque sorte« office de raccourci qui dirige les consommateurs vers leur objectif », comme l’a dit le juge Binnie dans Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, [2006] 1 R.C.S. 772, par. 21. Dans les cas où les marques de commerce de différentes entreprises sont similaires, le consommateur peut ne pas savoir quelle société offre les marchandises ou les services qui l’intéressent. La confusion entre les marques de commerce nuit à l’objectif qui consiste à fournir aux consommateurs une indication fiable de l’origine des marchandises ou des services. […]

 

[35]           Dans le présent appel, Mövenpick sollicite un jugement déclarant que « Marché Express », quand cette expression est employée « en liaison avec des services de restauration rapide offerts dans les stations-service » crée de la confusion avec sa marque enregistrée « Marché » employée en liaison avec « l’exploitation de restaurants ». Notons que cet argument a pour effet de scinder la demande d’Esso qui vise « les services de dépanneur et de restauration rapide offerts dans les stations-service », et non simplement les « services de restauration rapide ». Je reviendrai sur ce point.

 

[36]           Devant la registraire, Mövenpick a soutenu que « Marché Express » créait de la confusion au sens des articles 12 et 16 de la Loi. Cette marque crée de la confusion au sens de l’alinéa 12(1)d) avec une marque de commerce déposée, et de la confusion au sens des alinéas 16(1)a) et c) avec des marques antérieurement employées au Canada par Mövenpick, et avec un nom commercial qui avait été antérieurement employé au Canada. Les motifs fondés sur l’article 16 ne sont pas toutefois sérieusement invoqués dans le présent appel et ne reposent de toute façon sur aucun fondement probatoire.

 

[37]           Dans Masterpiece, le juge Rothstein décrit le critère de la confusion de la façon suivante :

[40]      Il est utile, en commençant l’analyse relative à la confusion, de se rappeler le critère prévu dans la Loi. Dans Veuve Clicquot Ponsardin c Boutiques Cliquot Ltée, 2006 CSC 23, [2006] 1 R.C.S. 824, par. 20, le juge Binnie a reformulé la démarche traditionnelle de la façon suivante :

 

Le critère applicable est celui de la première impression que laisse dans l’esprit du consommateur ordinaire plutôt pressé la vue [de la marque], alors qu’il n’a qu’un vague souvenir des marques de commerce [antérieures] et qu’il ne s’arrête pas pour réfléchir à la question en profondeur, pas plus que pour examiner de près les ressemblances et les différences entre les marques.

 

[38]           Le paragraphe suivant de Masterpiece a servi de fondement pour le premier paragraphe des présents motifs :

[41]      En l’espèce, la question est de savoir si, à partir de sa première impression, le « consommateur ordinaire plutôt pressé » qui voit la marque de commerce d’Alavida alors qu’il n’a qu’un vague souvenir de l’une ou l’autre des marques de commerce ou du nom commercial de Masterpiece Inc. serait vraisemblablement confus, c’est-à-dire s’il est probable que ce consommateur considérerait qu’Alavida et Masterpiece Inc. constituent un seul et même fournisseur de services de résidence pour personnes âgées.

 

[39]           Il convient de faire preuve de prudence lorsqu’on invoque les arrêts Veuve Clicquot, Mattel et Masterpiece. Les deux premiers concernaient ce que l’on est bien obligé d’appeler des marques de commerce célèbres. Ni Esso, ni Mövenpick n’affirment que les marques « Marché Express » et « Marché » sont aussi fameuses que le champagne Veuve Clicquot ou les Barbie Dolls. Dans Masterpiece, une action en radiation, il y avait risque de confusion entre une marque de commerce non déposée qui avait été employée et une marque déposée par la suite en vue d’un emploi proposé. Autrement dit, l’analyse portait sur l’article 16 de la Loi, et non pas sur l’article 12.

 

[40]           Néanmoins, le critère en matière de confusion, quelle que soit la forme de litige, est précisé à l’article 6 de la Loi. Il est important de ne pas oublier qu’il n’est pas nécessaire que les marchandises et les services fassent partie de la même catégorie générale.

 

[41]           La disposition essentielle est le paragraphe 6(5) qui énonce :

 (5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l’espèce, y compris :

 

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

 

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

 

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

 

d) la nature du commerce;

 

 

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu’ils suggèrent.

 

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

 

 

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

 

 

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

 

 

 

(c) the nature of the wares, services or business;

 

 

(d) the nature of the trade; and

 

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

 

 

[42]           Les cinq alinéas ne décrivent pas toutes les circonstances susceptibles d’être pertinentes.

 

[43]           La registraire connaissait manifestement fort bien le critère à appliquer en matière de confusion. Elle a estimé que la marque de Mövenpick possédait un certain caractère distinctif lorsqu’elle était utilisée en liaison avec l’« exploitation de restaurants ». Elle a estimé que « Marché Express » avait un caractère distinctif inhérent moindre étant donné que « Marché » suggérait fortement les services offerts. Elle a toutefois poursuivi en disant que la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues peuvent en accroître le caractère distinctif. En se fondant sur les preuves rapportées par Esso, dont les chiffres en matière de ventes et de publicité, elle a estimé que la marque « Marché Express » était devenue connue jusqu’à un certain point.

 

[44]           Par contre, elle a jugé que le témoignage du représentant de la société Mövenpick, Robert Staub, était vague et imprécis. Les chiffres des ventes associés aux cinq marques de commerce Mövenpick étaient imprécis et il a été impossible de savoir lesquelles étaient effectivement employées. Elle a conclu qu’elle ne pouvait préciser la mesure dans laquelle la marque « Marché » était devenue connue au Canada.

 

[45]           Quant à la période pendant laquelle chaque marque de commerce a été en usage, elle a retenu les preuves apportées par Esso en matière d’usage de cette marque depuis 2001. L’enregistrement de Mövenpick était fondé sur un emploi remontant à mai 1992, mais faute de preuve indiquant que la marque a effectivement été employée, la date alléguée du premier enregistrement ne permet pas de conclure à l’existence d’un emploi continu important. Elle a également mentionné le fait que le licencié de Mövenpick avait demandé la protection contre les créanciers.

 

[46]           Pour ce qui est des alinéas 6(5)c) et d), le genre de services ou entreprises et la nature du commerce, elle s’est fondée sur des décisions antérieures à Masterpiece, dans lesquelles les tribunaux ont également jugé que c’est l’emploi proposé dans la demande d’enregistrement et l’enregistrement qui importe et non pas l’emploi réel. Elle s’est conformée au paragraphe 56 de Masterpiece, où la Cour dit que « [l]e tribunal appelé à statuer sur la probabilité de confusion entre une marque de commerce déposée et une autre marque — déposée ou non déposée, mais utilisée antérieurement à la première — doit faire porter son analyse sur la marque de commerce projetée dont l’enregistrement a finalement été obtenu ». Toutefois, comme l’indique le paragraphe 59 de Masterpiece : « L’examen de l’emploi réel de la marque n’est certes pas dénué de pertinence, mais il ne doit pas non plus remplacer complètement l’examen d’autres emplois qui pourraient être faits en conformité avec l’enregistrement. »

 

[47]           Les preuves qui lui avaient été présentées démontraient que les dépanneurs « Marché Express » situés dans les stations-service vendaient divers articles comme des cigarettes, des friandises et des collations salées ainsi que des aliments prêts à manger, comme des sandwiches, des beignes, du café et des boissons gazeuses. Elle a pensé qu’il était improbable que les commerces des parties se chevauchent parce que « si je comprends bien, les services offerts par la requérante ne sont pas des services de restaurant-minute, mais plutôt des dépanneurs de stations-service où l’on vend un nombre limité de produits alimentaires ». Toutefois, l’état déclaratif des services de Mövenpick ne contenait aucune restriction et rien ne l’empêcherait d’ouvrir des points de restauration rapide dans les stations-service. Dans ce cas, il pourrait effectivement y avoir recoupement entre les services de restauration rapide offerts par Esso et les services de restaurant offerts par Mövenpick.

 

[48]           Pour ce qui est de l’alinéa 6(5)e), elle a jugé qu’il y avait un certain degré de ressemblance dans la présentation des marques de commerce, parce que toutes deux comportaient l’élément commun « Marché », mais que le mot « Express » différenciait les marques dans le son ou dans les idées qu’elles suggèrent.

 

[49]           Une des circonstances de l’espèce qu’elle a prise en considération était l’état du registre et l’existence d’exemples d’entreprises utilisant le mot « Marché », seul ou en combinaison.

 

[50]           Elle a conclu que le mot « Marché » était couramment utilisé dans l’industrie des aliments, ce qui signifie que les consommateurs ont l’habitude de voir ce mot dans les magasins. Elle a déclaré : « Quand un commerçant emploie comme marque de commerce un mot ordinaire couramment utilisé dans l’industrie, il ne peut s’attendre à ce que ce mot jouisse d’une protection étendue. Dans de tels cas, des différences relativement mineures entre les marques suffiront à les distinguer. » Elle a par conséquent rejeté l’opposition fondée sur l’alinéa 12(1)d) de la Loi. 

 

[51]           Là encore, d’après les preuves au dossier, j’estime que la registraire a compris les règles de droit et les a appliquées aux faits de l’espèce. Il faut trancher la question en se plaçant à la date de sa décision (Tradition Fine Foods Ltd c Groupe Tradition’l Inc, 2006 CF 858 au par. 15, 51 CPR (4th) 342; Park Avenue Furniture Corp c Wickes/Simmons Bedding Ltd (1991), 37 CPR (3d) 413 à la p. 422, 130 NR 223 (CAF)). Le fait que « Marché » soit couramment utilisé dans l’industrie alimentaire incite les consommateurs à accorder davantage d’importance aux autres aspects de la marque (Kellogg Salada Canada Inc c Maximum Nutrition Ltd (1992), 43 CPR (3d) 349 at 359-60, 145 NR 131 (CAF)).

 

CONFUSION – NOUVELLE PREUVE

 

[52]           Une bonne partie des nouvelles preuves étaient des preuves du même genre, à savoir des annuaires téléphoniques, des enregistrements de marque de commerce, des photographies sur le terrain de divers établissements. Il n’y a rien dans ces preuves qui auraient, d’après moi, incité la registraire à modifier son opinion. Il en va de même des linguistes. Il paraît difficile de les qualifier de consommateurs ordinaires un peu pressés. Leurs témoignages n’ont pas été très utiles à la Cour et n’auraient pas été non plus utiles pour la registraire. Mövenpick s’est basée sur son propre expert en commercialisation dans ses observations écrites, mais elle a déclaré à l’audience qu’elle ne se fondait pas sur son témoignage pour ce qui est de la confusion.

 

[53]           Mövenpick a fait témoigner Afzal Hamid, le contrôleur actuel de Mövenpick qui était antérieurement le directeur de la vérification interne du licencié canadien de Mövenpick, Richtree Markets Inc. Il a parlé des critiques faites par la registraire au sujet du témoignage de Robert Staub en tentant de ventiler entre les cinq marques de commerce de Mövenpick les données financières qui lui avaient été soumises, et en fournissant certaines preuves de l’emploi indépendant de la marque de commerce « Marché », par opposition aux autres marques de commerce de Mövenpick comme « Restaurant Marché ».

 

[54]           Si elle avait disposé de ces preuves, la registraire n’aurait pu affirmer, comme elle l’a fait : « Par conséquent, en l’absence de preuve documentaire corroborant l’emploi de la marque de l’Opposante, je suis incapable de déterminer la mesure dans laquelle la marque pertinente « Marché » de l’Opposante est devenue connue au Canada. » Je dois donc évaluer les nouvelles preuves, dans cette mesure.

 

[55]           Esso a fourni le témoignage de Ryan Levins, gérant d’un magasin de vente au détail d’Imperial Oil, un licencié d’Exxon Mobil. L’essentiel de son témoignage avait pour but de renforcer des preuves antérieures indiquant que les marques avaient été utilisées dans les stations-service Esso depuis le 19 juillet 2001, mais il a également fourni des données et des chiffres sur la mesure dans laquelle « Marché Express » était devenu connue, principalement dans le marché québécois. Il n’est pas possible d’examiner le témoignage de M. Hamid sans prendre également en compte celui de M. Levins.

 

[56]           Comme cela a été mentionné plus haut, Esso a également fourni de nouvelles preuves par l’intermédiaire de Robert Klein, un responsable d’études de marché, sous la forme d’une enquête portant sur plus de 2 000 consommateurs de Toronto, Ottawa et Montréal. Il en ressort qu’il n’y a pas de risque de confusion entre « Marché Express » d’Esso et « Marché » de Mövenpick. Mövenpick n’a pas présenté de requête en vue de faire radier l’affidavit parce qu’elle s’appuie sur celui-ci pour étayer des observations relatives à « la description claire des services », mais elle critique la méthode utilisée lorsqu’il s’agit pour la Cour d’en apprécier la valeur pour déterminer le risque de confusion. J’aborderai un peu plus loin le témoignage de M. Klein.

 

[57]           Comme cela est mentionné dans Masterpiece, lorsque la Cour analyse les divers éléments du paragraphe 6(5) de la Loi pour apprécier le risque de confusion, il est souvent préférable de commencer par examiner l’alinéa 6(5)e), le degré de ressemblance. J’estime qu’aucune des nouvelles preuves n’aurait pu modifier l’opinion de la registraire. Il est vrai que le premier mot d’une marque de commerce peut être plus important que les autres, mais en l’espèce « Marché » est une marque faible parce qu’elle est largement utilisée et que, par conséquent, les consommateurs sont plus disposés à remarquer de légères différences. En l’espèce, comme l’a déclaré la registraire, « [l]e mot EXPRESS distingue les marques quant au son et aux idées qu’elles suggèrent ».

 

[58]           Pour ce qui est de l’alinéa 6(5)a), aucune nouvelle preuve n’a été apportée au sujet du caractère distinctif inhérent des marques de commerce. Pour ce qui est de la mesure dans laquelle elles sont devenues connues, si je me fonde sur l’ensemble des preuves, je ne peux que conclure que la marque « Marché » de Mövenpick est devenue connue dans une certaine mesure. J’estime toutefois que « Marché Express » est beaucoup plus connu. Il n’y a que quelques restaurants « Marché » exploités de façon sporadique. Les magasins « Marché Express » sont beaucoup plus nombreux, leurs ventes sont bien plus importantes et ils ont fait l’objet de nombreuses annonces publicitaires. Il suffit de mentionner les affiches « Marché Express » sur les bandes de la patinoire du Centre Bell de Montréal, d’où sont diffusées les parties de hockey des Canadiens de Montréal. Encore une fois, je ne pense pas que les nouvelles preuves auraient amené la registraire à modifier sa décision, pour ce qui est de cette circonstance, ou de la période pendant laquelle les marques ont été en usage. On pourrait peut-être dire que M. Hamid a fourni un meilleur témoignage au sujet de la période pendant laquelle la marque de commerce « Marché » a été en usage au Canada, mais j’estime que son témoignage est insuffisant.

 

[59]           Comme la registraire, je vais examiner ensemble le genre de marchandises, services ou entreprises, et la nature du commerce.

 

[60]           Mövenpick admet qu’à l’heure actuelle, les marques ne créent pas réellement une confusion. Le critère est le risque de confusion et non pas la confusion réelle, mais c’est un facteur à prendre en compte (Mattel au par. 89; Masterpiece au par. 59).

 

[61]           Mövenpick soutient que les services offerts réellement dans les magasins « Marché Express » sont des services de dépanneur et non pas des services de restauration rapide. Il n’y a pas de compartiments étanches qui différencient les dépanneurs des services de restauration rapide, des restaurants de restauration rapide et des restaurants. Si on se fonde sur Masterpiece, qui exige que l’on prenne en considération l’emploi projeté de la marque de commerce en fonction des termes de la demande et non d’après son emploi réel, Esso pourrait facilement ouvrir des points de restauration rapide tout comme Mövenpick pourrait ouvrir des points de restauration rapide dans des stations-service.

 

[62]           Il existe une marque déposée qui pourrait être invoquée à l’appui de la proposition selon laquelle les services de restauration rapide offerts par les magasins « Marché Express » tombent dans la catégorie des dépanneurs, de sorte que la référence à ces services dans la demande est tout simplement redondante. L’enregistrement de la marque « Marché Mainway & Design », appartenant à Irving Oil Marketing G.P., décrit les services offerts comme comprenant des pompes à essence, un lave-auto, les produits dérivés du pétrole, « les services de vente au détail d’articles de dépanneur » et « les services de vente au détail d’articles de dépanneur, à savoir services de restauration rapide et d’aliments à emporter ». Dans les observations soumises à la registraire, Mövenpick a affirmé que le genre de services offerts par les parties se chevauchait [traduction] « dans la mesure où [Esso] n’avait pas exclu les « services de restauration » de son état déclaratif de services […] » Mövenpick a affirmé qu’il serait possible d’éviter tout risque de confusion en radiant « et de restauration rapide » de la description des services offerts.

 

[63]           Je ne peux retenir cet argument. Une marque de commerce ne limite pas le commerce. Le droit n’exige pas qu’une partie offre tous les services visés par sa marque de commerce. En outre, la registraire était sensible au risque de chevauchement entre les marques. Elle s’est toutefois abstenue de limiter les services proposés en se fondant sur le risque de confusion. Les arrêts Mattel et Masterpiece faisaient référence à l’arrêt antérieur de la Cour suprême dans l’affaire Benson & Hedges (Canada) Ltd c St. Regis Tobacco Corp, [1969] RCS 192, où la Cour a déclaré à la page 200 :

À mon avis, il faut attribuer beaucoup de poids à la décision du registraire sur la question de savoir si une marque de commerce crée de la confusion et la conclusion d’un fonctionnaire qui, au cours de son travail quotidien, doit rendre des décisions sur ce point et sur d’autres questions connexes en vertu de la Loi ne doit pas être rejetée à la légère […]

 

 

[64]           La personne qui demande l’enregistrement d’une marque de commerce n’a pas à suivre un modèle précis. Le requérant dispose d’une liberté considérable sur le plan du choix des mots. Esso, tout comme Irving, aurait pu choisir de définir les services de dépanneur comme comprenant les services de restauration rapide. Elle ne l’a pas fait et le registraire qui possède une grande expérience dans ce domaine, n’a pas posé de question à ce sujet. Je ne vois pas pourquoi j’agirais différemment.

 

[65]           À mon avis, l’enquête Klein, que la méthodologie utilisée ait été raisonnable ou non, n’aurait pas modifié la décision de la registraire. Elle montre l’existence d’une confusion minime qui, si elle est pertinente, ne pourrait qu’étayer l’opinion de la registraire. Ce que montre cette enquête, combinée aux preuves soumises par Esso à la registraire, ainsi que celles qui ont été déposées pour le compte de Mövenpick, est qu’il est difficile, voire impossible, qu’un consommateur voie le signe « Marché Express » sans voir en même temps le signe Esso, et pour un client d’un restaurant Mövenpick de voir « Marché » sans voir en même temps « Mövenpick ».

 

LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

 

[66]           La registraire a pris en compte l’état du registre. Comme cela a été mentionné ci-dessus, les nouvelles preuves sont de même nature que les anciennes et ne changent rien.

 

[67]           Une autre circonstance dont traitent les nouvelles preuves, qui vient simplement étayer la décision de la registraire, est que les enquêteurs embauchés par Mövenpick ont déclaré que dans la catégorie « Marché Express dépanneurs » il pouvait fort bien y avoir les « Tim Hortons », des commerces bien connus. Par exemple, Yves Lefebvre a visité quatre « Marché Express dépanneurs » qu’il appelle, comme je le ferais, « Esso/Marché Express dépanneurs ». Il a rappelé qu’à chacun de ces emplacements, il y avait un comptoir Tim Hortons qui était distinct à la fois sur le plan du nom et sur celui de l’uniforme porté par le personnel. Il n’était pas possible de payer la marchandise prise dans le « Marché Express dépanneur » au comptoir Tim Hortons, et le contraire n’était pas non plus possible. Cet élément permet de déterminer le type probable d’activité ou de commerce que recherchait Esso et non tous les services commerciaux susceptibles d’être fournis par elle (McDonald’s Corp c Coffee Hut Stores Ltd (1996), 68 CPR (3d) 168, 199 NR 106 (C.A.F.). Si Mövenpick ouvrait un Marché pour les pâtisseries et les beignes dans des stations-service, elle ferait concurrence, au moins dans certains endroits, à Tim Hortons, et non pas à Marché Express.

 

[68]           Une autre circonstance connexe, qui n’est pas déterminante, est que les services « Marché Express » sont fournis en association avec des stations-service alors que les restaurants Mövenpick sont des établissements situés dans les centres-villes (Hermes S.A. c Fletcher Golf Enterprises Ltd (1984), 78 CPR (2d) 134, à la page 146, 24 ACWS (2d) 396 (CF)). Le contexte commercial est un élément pertinent.

 

[69]           Pour conclure cette analyse de la « confusion », les seules nouvelles preuves d’importance concernent le témoignage de M. Hamid qui a fourni des éléments concernant l’emploi de la marque de commerce « Marché » au Canada. Cependant, si l’on apprécie ce témoignage par rapport aux preuves apportées par Esso, la registraire n’aurait pas été amenée à changer d’idée. Par contre, si je me trompe sur ce point, après examen de l’ensemble des preuves concernant toutes les circonstances de l’espèce, y compris celles qui sont expressément énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi, j’estime qu’il n’y a pas de risque de confusion, dans la mesure où le consommateur mythique ne penserait probablement pas que les services « Marché Express » et « Marché » proviennent de la même source.

 

DATE DE PREMIER EMPLOI

 

[70]           L’alinéa 30b) de la Loi exige que la demande mentionne la date à compter de laquelle la marque de commerce a été employée au Canada. Les seules preuves dont disposait la registraire étaient l’affidavit de Barry Murphy, le prédécesseur de M. Levins dans le poste de gestionnaire des ventes au détail d’Imperial Oil. Il n’a pas assisté personnellement à l’ouverture du premier « Marché Express » le 18 juillet 2001. Il s’est fondé sur des renseignements commerciaux pour préciser la date de premier emploi, le nombre des magasins « Marché Express » existant au Québec à la date de son affidavit, le volume total des ventes et les montants des sommes dépensées en annonces publicitaires.

 

[71]           Mövenpick n’a pas apporté de preuve sur ce point.

 

[72]           La registraire a estimé que Mövenpick pouvait se fier aux preuves présentées par Esso, mais qu’elle devait établir que ces preuves étaient manifestement incompatibles avec les allégations contenues dans la demande (Labatt Brewing Co c Molson Breweries, société en nom collectif (1996), 68 CPR (3d) 216, 113 FTR 39 (CF); York Barbell Holdings Ltd c ICON Health & Fitness Inc, 13 CPR (4th) 156, [2001] COMC no 55 (QL)).

 

[73]           Elle a estimé que Mövenpick n’avait pas soulevé de doute au sujet de la véracité de la demande d’Esso.

 

DATE DE PREMIER EMPLOI – NOUVELLES PREUVES

 

[74]           Comme cela a été mentionné plus haut, Esso a déposé l’affidavit de Ryan Levins, qui avait succédé à M. Murphy comme gestionnaire des ventes au détail d’articles de dépanneur d’Imperial Oil. À la différence de M. Murphy, il a été contre-interrogé. Encore une fois, Mövenpick n’a pas présenté de preuve sur ce point.

 

[75]           J’estime là aussi que les nouvelles preuves portant sur cet aspect ne font que renforcer les preuves qui étaient au dossier lorsque la registraire a rendu sa décision, qui était raisonnable. S’il demeure quelque doute que ce soit, M. Levins a présenté un rapport essentiel indiquant que le magasin de St-Hubert avait ouvert le 18 juillet 2001, qui précisait le chiffre d’affaires, ainsi que le rapport annuel d’Esso pour 2001, qui mentionne expressément l’ouverture de « Marché Express » et d’« On the Run », des magasins appartenant à cette société. Mövenpick n’a pas réussi à soulever des doutes au sujet de la véracité de l’allégation faite par Esso au sujet de la date de premier emploi.

 

[76]           Mövenpick soutient que les affidavits de Murphy et Levins constituent une violation de l’article 81 des Règles des Cours fédérales, et ne peuvent être utilisés par la Cour puisqu’il n’est pas possible de savoir quels sont les faits qui sont fondés sur une connaissance personnelle et ceux qui découlent de documents commerciaux. D’un côté, Esso soutient que ces preuves sont tout à fait compatibles avec son allégation selon laquelle « Marché Express » est utilisé au Canada depuis le 19 juillet 2001, et que ses dossiers de société constituent des pièces commerciales non contestées, admissibles en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada.

 

[77]           Je ne suis pas convaincu par l’argument de Mövenpick. La Cour est maintenant invitée à se placer du point de vue de la registraire, et les règles de preuve doivent par conséquent refléter celles qu’applique la Commission des oppositions des marques de commerce. Pour reprendre les mots du juge Décary dans Austin Nichols & Co c Cinnabon Inc, [1998] 4 CF 569, [1998] ACF no 1352 (QL) :

13        Les derniers mots du paragraphe 56(5) font clairement ressortir que la Cour siège en appel d’une décision du registraire. En donnant à la Cour toute la discrétion "dont la registraire est investi", le législateur reconnaît que la Cour qui siège en appel devrait être en mesure de trancher les questions en litige comme si elles lui étaient soumises pour la première fois. Selon moi, l’interprétation de ce paragraphe donne à croire qu’il est tout aussi loisible au propriétaire inscrit de produire en appel les éléments de preuve qu’il pouvait fournir au registraire.

 

 

[78]           Les tribunaux canadiens ont jugé que les tribunaux administratifs n’étaient pas tenus d’appliquer les règles de preuve applicables aux instances judiciaires. Comme l’a expliqué le juge Sopinka dans Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, au paragraphe 46 : « En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l’absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l’équité et, dans l’exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. »

 

[79]           La Cour d’appel fédérale a également abordé cette question dans Association canadienne de l’industrie canadienne de l’enregistrement c La Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique du Canada, 2010 CAF 322, 413 NR 176. Le juge Pelletier a écrit au paragraphe 20 :

20          Quoi qu’il en soit, la Commission n’est pas un tribunal judiciaire, mais un tribunal administratif. Bien qu’un grand nombre de tribunaux administratifs sont expressément dispensés de l’obligation de se conformer aux règles de preuve, la jurisprudence indique que même en l’absence d’une telle disposition, ils ne sont pas tenus par exemple de se conformer à la règle du ouï-dire. […]

 

Voir également l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta dans Alberta (Workers’ Compensation Board) v Alberta (Workers’ Compensation Board Appeals Commission), 2005 ABCA 276, [2005] AJ No 1012 (QL), aux paragraphes 63 et 64.

 

[80]           Dans les circonstances, il n’était pas nécessaire qu’Esso donne avis de son intention d’utiliser ses dossiers commerciaux comme l’exige la Loi sur la preuve au Canada. L’affidavit de Murphy contenait du ouï-dire, mais la registraire a estimé qu’il avait une valeur probante et je suis d’accord avec elle.

 

[81]           Le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce, qui autorise les parties à produire une preuve additionnelle, dispose que la Cour fédérale peut exercer toute discrétion dont la registraire est investie. Par conséquent, s’il est nécessaire d’examiner l’affidavit de Levins sur ce point, conformément à la discrétion dont je suis investi, je l’accepte et je suis convaincu qu’Esso a utilisé « Marché Express » en liaison avec « des services de dépanneur et de restauration rapide offerts dans les stations-service ».

 

DÉPENS

 

[82]           Les dépens sont accordés à Esso. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre, elles en informeront le greffe de la Cour fédérale dans les 30 jours suivant les présentes. Dans un tel cas, un appel conférence sera organisé pour élaborer un protocole d’entente.

 

[83]           Étant donné que le procureur général, pour le compte du registraire, n’a pas participé au présent appel, il n’aura ni à verser ni à recevoir de dépens.

 

[84]           Une copie des présents motifs de jugements sera déposée dans les dossiers numéro T‑1640-10 et T-1641-10.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 1er décembre 2011

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      T-1640-10

                                                            T-1641-10

 

INTITULÉ :                                       MÖVENPICK HOLDING AG v

                                                            EXXON MOBIL CORPORATION ET AL

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :             LES 1er ET 2 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DES JUGEMENTS :        LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 1er DÉCEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Bayo Odutola

Mme Hala Tabl

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

M. Christopher Van Barr

M. Michael O’Neil

M. Michel A. Chartrand

 

POUR LA DÉFENDERESSE

EXXON MOBIL CORPORATION

None

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

OLLIP Professional Corporation

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gowlings Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

EXXON MOBIL CORPORATION

 

Aucun

POUR LE DÉFENDEUR,

LE PROCUREUR GÉNÉRAL

 

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