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Cour fédérale

 

Federal Court

Date : 20111202


Dossier : IMM-2353-11

Référence : 2011 CF 1406

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

 

ROBIN CHOUDRY

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C., ch. 27 (la Loi), visant une décision rendue le 17 février 2011 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, dans laquelle la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi

LE CONTEXTE

[2]               Le demandeur n’est citoyen d’aucun pays. Il croit être d’origine bihari – un groupe ethnique de l’Inde. Il possède une lettre qui mentionne que ses parents sont Arshad Choudhary et Razia Begum, mais il ne se souvient pas d’eux et ne sait pas où ses parents sont nés. Il ne connaît pas non plus l’endroit de sa naissance, mais il croit être né en 1982. Il parle le bengali et un peu le grec. Le demandeur a une fille, mais il ne sait pas où elle se trouve.

[3]               Les parents du demandeur sont décédés lorsqu’il avait sept ans. Peu de temps après, un homme que le demandeur a appelé « oncle Rahim » (Rahim) l’a amené à Karachi, au Pakistan, et l’a laissé dans un orphelinat, où il a été maltraité. En 1999, un homme nommé Johnny Khan a amené le demandeur en Grèce en lui disant qu’il l’amènerait au Canada. Le demandeur a vécu illégalement en Grèce, mais il a trouvé du travail dans une usine de vêtements. Il a perdu son emploi lorsque les gestionnaires de l’usine ont décidé de se débarrasser de tous les employés illégaux. Le demandeur a par la suite commencé à vendre des articles dans la rue à Athènes.

[4]               Alors que le demandeur était vendeur ambulant en Grèce, la police grecque a harcelé le demandeur et d’autres vendeurs ambulants. Les policiers lui prenaient parfois des articles sans payer et demandaient des pots­de­vin. Le demandeur en a eu assez du harcèlement de la police et, parce qu’il pensait recevoir de l’aide au Canada, il a payé un passeur pour qu’il l’amène ici. Le passeur lui a fourni une fausse identité et un faux passeport, et le demandeur les a utilisés pour venir au Canada. Il est arrivé au Canada le 31 décembre 2008.

[5]               Le demandeur a demandé l’asile le 2 janvier 2009. La SPR a entendu la demande le 12 janvier 2011. Le commissaire de la SPR, le demandeur et l’avocat du demandeur étaient présents à l’audience. L’avocat a présenté des observations orales à l’audience et des observations écrites le 14 février 2011. La SPR a rendu sa décision le 17 février 2011 et a avisé le demandeur de sa décision le 16 mars 2011.

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

[6]               Après examen des renseignements dont elle disposait, la SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention suivant l’article 96 ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi. La SPR a affirmé que l’identité du demandeur était la question déterminante en l’espèce et que le demandeur n’avait pas été capable d’établir son identité. La SPR a aussi conclu que la crainte du demandeur d’être persécuté en Grèce n’était pas fondée; il s’agissait du bon pays de référence parce que le demandeur était apatride et parce que la Grèce était le dernier pays où il a eu sa résidence habituelle.

L’identité

[7]               La SPR a conclu que le demandeur était crédible et que son récit était véridique. Malgré cette conclusion favorable relativement à la crédibilité, la SPR a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve digne de foi établissant son identité. La SPR a noté que le demandeur n’avait aucune pièce d’identité délivrée par un gouvernement; la seule preuve documentaire dont il disposait pour établir son identité était une lettre de l’orphelinat à Karachi. La lettre mentionnait que le demandeur avait vécu à l’orphelinat de 1989 à 1996, et renfermait aussi les noms de ses parents, Arshad Choudhary et Razia Begum. La SPR a souligné qu’il n’y avait aucune information quant à savoir comment l’orphelinat avait obtenu les noms des parents du demandeur et la SPR a supposé que c’était Rahim qui avait donné leurs noms au personnel de l’orphelinat.

[8]               La SPR a accepté la prétention du demandeur selon laquelle il était d’origine bihari. Elle a conclu que le demandeur était né au Bangladesh parce que les noms de ses parents sont d’origine bengali et parce que le demandeur parle bengali. La SPR a examiné les documents sur la situation au Bangladesh. Elle a affirmé que ces éléments de preuve établissaient que seules les personnes nées au Bangladesh avant 1979 ou les enfants de parents nés au Bangladesh avant 1979 sont automatiquement citoyens de ce pays. La SPR a conclu que le demandeur ne pouvait pas être citoyen du Bangladesh de par sa naissance parce qu’il était né après 1979. Elle a aussi conclu que le demandeur ne pourrait par établir sa citoyenneté par filiation parce qu’il ne connaît pas ses parents. La SPR a souligné que le demandeur n’avait pas été capable d’obtenir des papiers d’identité des autorités du Bangladesh au Canada, et ce, même si le demandeur avait essayé de s’en procurer. Puisqu’il n’est pas citoyen de la Grèce, le demandeur est apatride.

[9]               La SPR a conclu que le demandeur n’avait établi ni son identité ni son nom et que sa demande devait donc être rejetée. Elle lui a souligné lors de l’audience que « Robin » était un nom « chrétien », ce qui serait inhabituel au Bangladesh et au Pakistan, des pays majoritairement musulmans. Le demandeur a affirmé lors de l’audience qu’il ne savait pas pourquoi il portait ce nom et que c’était Rahim qui lui avait appris son nom.

[10]           La SPR a affirmé que « le demandeur d’asile ne fait guère preuve d’assurance lorsqu’il décline son identité ». Elle a noté que le demandeur n’était pas lui­même certain de son nom, qu’il avait été placé à l’orphelinat alors qu’il était très jeune et qu’il « semble s’être vu donner un nom par simple commodité ». La SPR a conclu que le demandeur était loin d’avoir réussi à établir son identité.

Le pays de référence

[11]           La SPR a conclu que la Grèce était le bon pays de référence en fonction duquel il fallait examiner la demande d’asile du demandeur. Elle a estimé que le demandeur n’était ni citoyen ni ressortissant de la Grèce; cependant, la Grèce était le pays où le demandeur avait sa résidence habituelle. Puisque le pays de référence du demandeur était la Grèce, la SPR a examiné si la crainte du demandeur d’être persécutée dans ce pays était fondée.

La crainte fondée de persécution

[12]           La SPR a noté que le demandeur avait vécu illégalement en Grèce sans statut. Elle a conclu que le problème du demandeur en Grèce était le harcèlement de la police et que ce harcèlement était dû soit simplement au fait qu’il vivait de façon illégale dans ce pays, soit au fait qu’il vivait de façon illégale dans le pays et était un vendeur ambulant. Bien que la SPR ait conclu que le récit du demandeur était crédible, elle a estimé que les actions de la police à son égard ne constituaient simplement que du harcèlement et qu’elles n’équivalaient pas à de la persécution pour l’un des motifs prévus à la Convention. Elle a aussi conclu que, parce que le demandeur vivait de façon illégale dans ce pays, les autorités grecques avaient le droit de prendre des mesures à son égard.

[13]           Bien que l’avocat du demandeur ait plaidé à l’audience que les autorités grecques pourraient expulser le demandeur vers le Bangladesh s’il retournait en Grèce, la SPR a estimé qu’il s’agirait d’une mesure légitime parce que le demandeur n’avait aucun statut en Grèce. En outre, s’il était expulsé de la Grèce au Bangladesh, le problème principal du demandeur serait alors le fait qu’il est apatride. Les observations de l’avocat lors de l’audience donnaient à penser que les biharis vivaient généralement dans la pauvreté, mais la SPR a conclu que les biharis au Bangladesh sont exposés à de la discrimination généralisée et non à de la persécution.

[14]           La SPR a affirmé avoir examiné l’index sur la Grèce, soit une série de documents rédigés par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié grâce à des renseignements publics. L’index révélait que, comme l’avait affirmé le demandeur dans son témoignage, la police maltraitait les immigrants illégaux en Grèce. Il y était aussi noté que la Grèce était une démocratie, qu’elle avait des autorités civiles qui avaient la main mise sur les forces de sécurité et qu’elle possédait un appareil judiciaire équitable et indépendant. La SPR a noté que le demandeur aurait pu solliciter l’asile en Grèce parce que la Grèce avait signé la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et le Protocole de 1967 relatif au statut des réfugiés, mais qu’il ne l’avait pas fait.

La conclusion

[15]           La SPR a rejeté la demande d’asile présentée par le demandeur sur le fondement de sa crainte de persécution du fait de son absence de statut juridique en Grèce. La SPR a aussi rejeté sa demande parce que le demandeur n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisamment crédibles permettant d’établir son identité.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[16]           La seule question en litige soulevée par le demandeur est de savoir si la conclusion de la SPR selon laquelle la Grèce était le bon pays de référence était raisonnable.

LA NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[17]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. En fait, lorsque la norme de contrôle applicable à une question particulière est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

[18]           Dans la décision M.R.A. c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 207, le juge Konrad von Finkenstein a conclu au paragraphe 7 que la norme de contrôle applicable quant au choix d’un pays de référence était la décision manifestement déraisonnable. Dans la décision El Rafih c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 831, le juge Sean Harrington a noté au paragraphe 15 qu’une conclusion quant au pays de référence constituait une question mixte de fait et de droit. Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé au paragraphe 51 de l’arrêt Dunsmuir, précité, de telles questions commandent d’ordinaire l’application de la norme de la raisonnabilité. En outre, le juge Michael Phelan a adopté une approche similaire dans la décision El Karm c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 972, lorsqu’il a conclu, au paragraphe 7, que la norme de contrôle applicable à la conclusion quant au pays de résidence habituelle était la décision raisonnable simpliciter. La norme de contrôle applicable à la question soulevée par le demandeur est la raisonnabilité. Voir aussi Tarakhan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] ACF no 1525.

[19]           Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmuir, précité, paragraphe 47; et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, paragraphe 59. Autrement dit, la Cour devrait intervenir seulement si la décision est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

LES DISPOSITIONS LÉGALES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

[…]

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa

résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[…]

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political

opinion,

 

 

 

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in Need of Protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care

 

[…]

LES ARGUMENTS

Le demandeur

 

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que le Bangladesh n’était pas le pays de référence en fonction duquel sa demande devait être examinée. Il affirme que l’arrêt Permaul c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1983] ACF n1082 (CAF), a établi une présomption de véracité à l’égard du témoignage des demandeurs devant la SPR. En l’espèce, la SPR a cru le récit du demandeur et a conclu qu’il était né au Bangladesh. Le demandeur affirme que le bon pays de référence en ce qui concerne sa demande était le Bangladesh parce qu’il y était né et parce qu’il n’était le citoyen d’aucun pays, et ce, même s’il n’était pas citoyen du Bangladesh.

[22]           La SPR disposait d’éléments de preuve documentaire qui révélaient que le Bangladesh refusait d’accorder la citoyenneté aux personnes d’origine bihari comme le demandeur. Le demandeur affirme que, bien que son avocat ait fait état de la situation des biharis dans ses observations écrites, la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve invoqués.

[23]           Le demandeur note aussi qu’il avait vécu illégalement en Grèce pendant l’ensemble de son séjour dans ce pays et qu’il avait été maltraité par la police grecque parce qu’il était un immigrant clandestin. Il affirme que, s’il était renvoyé en Grèce, les autorités grecques le renverraient au Bangladesh parce qu’il n’a aucun statut en Grèce. Cependant, les autorités du Bangladesh refuseraient que le demandeur y entre parce qu’il n’est pas citoyen de ce pays. Il n’est pas citoyen du Bangladesh parce qu’il est d’origine bihari. Puisque la situation regrettable du demandeur découle du fait qu’il est d’origine bihari, la SPR aurait dû en tenir compte. La SPR n’a pas examiné l’incidence que pourrait avoir l’origine bihari du demandeur sur sa capacité d’obtenir la citoyenneté du Bangladesh, ce qui constitue une erreur susceptible de contrôle.

Le défendeur

[24]           Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à plus qu’un simple risque de persécution au Bangladesh ou en Grèce. Bien que le demandeur puisse être exposé à de la discrimination au Bangladesh, la conclusion de la SPR selon laquelle cette discrimination ne constituerait pas de la persécution était raisonnable tout comme l’était sa conclusion selon laquelle tout harcèlement auquel le demandeur pourrait être exposé en Grèce ne constituerait pas de la persécution. Le défendeur allègue que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité était aussi raisonnable. En outre, les conclusions de la SPR portant que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger étaient raisonnables et ne devraient pas être modifiées.

La décision était raisonnable

[25]           Les conclusions de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger étaient raisonnables et fondées sur la preuve dont la SPR disposait. Bien qu’il puisse y avoir des points discutables dans la décision, la SPR a raisonnablement conclu que le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution au Bangladesh ou en Grèce. Ces conclusions font en sorte que tout autre point discutable n’a aucune importance. Le défendeur remarque que la SPR n’a peut­être pas tenu compte d’un rapport produit par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés en 2009 intitulé Note on the Nationality Status of the Urdu Speaking Community in Bangladesh [Note sur la nationalité des membres de la communauté parlant urdu au Bangladesh] (le rapport de 2009 d’UNHCR), lequel rapport donne à penser que, en tant que Bihari apatride, le demandeur pourrait obtenir la citoyenneté du Bangladesh. La SPR aurait peut­être aussi omis de considérer le Pakistan comme pays de référence. Ces erreurs ne remettent pas en question la raisonnabilité des conclusions portant que le demandeur n’avait pas présenté des éléments de preuve établissant qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. Vu que ces conclusions suffisent pour trancher la demande, la décision devrait être maintenue malgré les erreurs techniques.

[26]           Le défendeur soutient aussi que la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi son identité, bien que son analyse pût être incomplète, était une conclusion incidente. La SPR a fondé sa décision en l’espèce sur le fait que le demandeur n’était pas exposé à de la persécution au Bangladesh ou en Grèce, la question de son identité n’avait donc aucune importance. La SPR semble avoir conclu que le demandeur n’avait pas établi son identité parce qu’il n’avait fourni aucune pièce d’identité. Il pourrait s’agir d’une erreur suivant l’article 106 de la Loi, mais cet argument n’est pas défendable en l’espèce parce que la demande a été tranchée sur un autre fondement.

Les conclusions de la SPR relatives à la persécution étaient raisonnables

[27]           Le défendeur allègue que les conclusions de la SPR portant que le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution étaient raisonnables parce qu’elles étaient fondées sur la preuve dont la SPR disposait. Le demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à un risque grave de persécution au Bangladesh ou en Grèce, la demande doit donc être rejetée.

Le fait d’être apatride n’équivaut pas à de la persécution

[28]           Le meilleur argument qu’aurait pu présenter le demandeur reposait sur sa qualité de bihari apatride au Bangladesh, et la SPR a tranché la demande du demandeur sur ce fondement. Cependant, le fait d’être apatride en soi ne peut pas justifier l’octroi du statut de réfugié. Le défendeur invoque l’arrêt Thabet c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n629 (CAF), dans lequel la Cour d’appel fédérale a écrit ce qui suit aux paragraphes 27 et 28 :

[S]i le revendicateur a résidé dans plus d’un pays, il n’est pas nécessaire qu’il prouve qu’il a été persécuté dans chacun de ces pays. Il doit toutefois démontrer que l’un d’eux l’a persécuté et qu’il ne peut ou ne veut retourner dans aucun des pays où il a eu sa résidence habituelle. L’imposition de cette obligation à tous les revendicateurs apatrides peut sembler exigeante mais, en regard de l’arrêt Ward, nous devons dûment tenir compte des situations dans lesquelles les revendicateurs ont la possibilité de se réfugier ailleurs.

Les apatrides doivent être traités le plus possible de la même façon que les personnes qui ont plus d’une nationalité. Il faut maintenir la symétrie entre ces deux groupes, dans la mesure du possible. Il ne suffit pas de démontrer que l’intéressé a été persécuté dans l’un de ses pays de résidence habituelle - il doit en outre établir qu’il ne peut ou ne veut retourner dans aucun de ces pays. Bien que le Canada accepte avec fierté et de bon coeur son obligation de recevoir les réfugiés et de leur offrir un refuge, cette obligation n’existe pas dans le cas où l’intéressé peut, de façon réaliste et en toute sécurité, se réfugier ailleurs. Ce principe respecte le libellé de la définition et il est compatible avec les règles établies par la Cour suprême dans l’arrêt Ward. Une personne n’est pas un réfugié lorsqu’elle pourrait vraisemblablement retourner dans un pays où elle a eu sa résidence habituelle et s’y trouver à l’abri de la persécution. Le revendicateur aurait donc le fardeau, comme dans d’autres contextes, de démontrer, selon la probabilité la plus forte, qu’il ne peut ou ne veut retourner dans aucun des pays où il a eu sa résidence habituelle. Ce fardeau n’est pas déraisonnable. Il exprime simplement de façon expresse un principe qui est implicite dans l’arrêt Ward et dans la philosophie du droit applicable aux réfugiés en général. […]

 

 

[29]           Pour que la demande d’asile d’un apatride soit accueillie, il doit établir tant la persécution que l’absence de solution de rechange sécuritaire. Le demandeur n’a pas établi qu’il serait exposé à de la persécution, il ne peut donc pas avoir qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

L’absence de persécution en Grèce

 

[30]           Le défendeur souligne que la SPR a estimé que le demandeur n’avait pas montré qu’il avait été persécuté en Grèce. La Cour d’appel fédérale, au paragraphe 3 de l’arrêt Sagharichi c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 796 (CAF), a conclu que la « ligne de démarcation entre la persécution et la discrimination ou le harcèlement est difficile à tracer » et qu’il incombe à la SPR de tracer cette ligne. En l’espèce, la SPR a conclu que le demandeur pourrait être expulsé au Bangladesh par les autorités grecques et qu’il s’agirait d’un recours légitime à des lois d’application générale. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable qui ne devrait pas être modifiée.

[31]           Le défendeur affirme aussi que le fait qu’une personne n’ait pas, suivant la loi, le droit d’entrer dans son pays de résidence habituelle n’équivaut pas à de la persécution à moins que ce refus découle d’un motif prévu à la Convention ou d’une intention de le persécuter. Voir Altawil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF no 986, et Maarouf c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1993] ACF no 1329. Bien que le demandeur n’ait pas, suivant la loi, le droit d’entrer en Grèce, cela n’équivaut pas à de la persécution et ne peut pas justifier l’octroi de sa demande.

 

L’absence de persécution au Bangladesh

[32]           Le défendeur note que la SPR a examiné la demande du demandeur au regard du Bangladesh, et ce, même si elle n’y était pas tenue. La seule discrimination que le demandeur a alléguée contre le Bangladesh est le refus de lui accorder la citoyenneté. Le demandeur n’a fourni aucune preuve de persécution ou de risque auquel il serait exposé s’il retournait au Bangladesh. Ce n’est pas parce qu’il était victime de persécution ou exposé à des risques que le demandeur a quitté le Bangladesh avec Rahim. En outre, s’il est effectivement en droit d’obtenir la citoyenneté du Bangladesh, comme le rapport de 2009 d’UNHCR le donne à penser, sa crainte reposant sur le fait qu’il est apatride n’a aucun fondement.

[33]           Bien que le demandeur, pour établir le bien­fondé de sa demande, eût pu se fonder sur des personnes se trouvant une situation semblable à la sienne au Bangladesh, il ne l’a pas fait. Se sont les personnes qui ont vécu toute leur vie dans des camps de réfugiés biharis au Bangladesh qui sont visées par la situation des Biharis dont le demandeur a fait état dans ses observations présentées à la SPR. Le demandeur, qui ne s’est pas rendu au Bangladesh depuis plus de 20 ans, ne se trouve pas une situation semblable à celle de ces personnes. Même si le demandeur pourrait être victime de discrimination en tant que Bihari s’il retournait au Bangladesh, le défendeur affirme que la conclusion de la SPR selon laquelle cela n’équivaudrait pas à de la persécution était raisonnable et que la décision devrait être maintenue.

ANALYSE

[34]           Le demandeur soulève une seule question en litige. Il affirme que la SPR, dans sa décision, aurait dû utiliser le Bangladesh comme pays de référence plutôt que la Grèce parce qu’il est né au Bangladesh et parce qu’il n’était ni citoyen ni résident permanent d’un autre pays. Il affirme aussi que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’elle n’a pas tenu compte de l’incidence qu’aurait son origine bihari sur sa capacité à obtenir la citoyenneté du Bangladesh et n’a pas examiné la situation générale des Biharis au Bangladesh. Le demandeur semble laisser entendre qu’il a droit à la protection offerte par l’article 96 parce qu’il a été [traduction] « victime de discrimination officielle dans son propre pays [c’est­à‑dire le Bangladesh], où on lui a notamment refusé la citoyenneté parce qu’il est Biharis ».

[35]           Au paragraphe 11 de sa décision, la SPR a expressément conclu que le demandeur ne serait pas capable d’établir qu’il est citoyen du Bangladesh en raison de l’époque où il est né et du fait qu’il était incapable d’identifier ses parents :

Pour savoir si le demandeur d’asile est un citoyen du Bangladesh, le tribunal a examiné la pièce R/A‑1. Le point 3.1 fournit des informations à cet égard, mais le tribunal ne peut en conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile est un citoyen du Bangladesh. Ce document indique qu’en général, seules les personnes nées au Bangladesh en 1971 ou avant – de même que leurs descendants – sont réputées avoir la citoyenneté de ce pays. Le demandeur d’asile, qui a indiqué qu’il croyait être né en 1982, ne serait donc pas un citoyen du Bangladesh de par sa naissance. Comme le demandeur d’asile ignore l’identité de ses parents, le tribunal estime qu’il ne serait pas en mesure de prouver qu’il est un citoyen du Bangladesh. Cette conclusion est corroborée par les déclarations du demandeur d’asile, qui a affirmé avoir été incapable d’obtenir des documents de citoyenneté auprès des autorités bangladaises au Canada, ainsi que par les observations du conseil selon lesquelles les Biharis ne sont pas des citoyens du Bangladesh.

 

 

[36]           Un élément de preuve au dossier, lequel avait aussi été déposé auprès de la SPR (soit le rapport de 2009 d’UNHCR), donne à penser que la SPR a commis une erreur de fait grave sur cette question. Le rapport fait état d’une décision rendue en 2003 par la Cour suprême du Bangladesh qui semble affirmer que les personnes parlant l’urdu (soit les Biharis) étaient toujours considérées comme des ressortissants du Bangladesh suivant la loi de ce pays.

[37]           Le défendeur a admis que la SPR avait commis cette erreur, ce qui veut dire que la demande du demandeur aurait dû être examinée en fonction du Bangladesh. Le défendeur est par contre d’avis que cette erreur n’a aucune incidence parce que la SPR examine bien la situation au Bangladesh au paragraphe 13 de sa décision. Le défendeur affirme que, quoi qu’il en soit, la SPR ne disposait d’aucune preuve de persécution qui aurait pu justifier que la SPR octroie l’asile au demandeur à l’égard du Bangladesh.

[38]           L’approche à adopter à cet égard a été établie par la Cour d’appel fédérale aux pages 9 et 10 de l’arrêt Thabet, précité. Puisque le défendeur admet que la SPR a commis une erreur en l’espèce, je ne citerai pas de grands passages de l’arrêt Thabet.

[39]           Selon mon examen de la preuve dont disposait la SPR quant au traitement des Biharis au Bangladesh, y compris le rapport de 2009 d’UNHCR qui donne à penser que leur situation pourrait s’être améliorée, la SPR était tenue d’examiner et d’apprécier la preuve pertinente ainsi que de tirer une conclusion motivée à cet égard. Parce que la SPR a commis l’erreur de mettre l’accent sur la Grèce, aucun examen adéquat de la situation à laquelle le demandeur serait exposé au Bangladesh n’a été mené. Il ne ressort pas clairement des motifs que la SPR a examiné l’ensemble de la preuve dont elle disposait à l’égard du Bangladesh. Même si c’était le cas, les motifs exposés au paragraphe 13 ne permettent pas d’appuyer la conclusion selon laquelle le demandeur ne serait pas exposé à de la persécution au Bangladesh du fait qu’il est Bihari. À mon avis, la décision est déraisonnable et contraire aux règles d’équité procédurale.

[40]           Puisque la SPR a clairement mentionné dans sa décision qu’elle avait mis l’accent sur la Grèce, je pense qu’il serait imprudent de ne pas permettre au demandeur d’obtenir un examen exhaustif de sa demande d’asile à l’égard du Bangladesh. Par conséquent, pour les motifs exposés ci­dessus, je pense que l’affaire devrait être renvoyée pour nouvel examen.

[41]           Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier, et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

1.                  La demande est accueillie. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la SPR pour qu’il procède à un nouvel examen.

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2353-11

 

INTITULÉ :                                       ROBIN CHOUDRY

  

                                                            - et -

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION      

   

                         

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 novembre 2011

   

 

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Russell

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 2 décembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mark Rosenblatt                                                                       POUR LE DEMANDEUR

        

Jessica Norman                                                                        POUR LE DÉFENDEUR   

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Mark Rosenblatt                                                                       POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)

        

Myles J. Kirvan, c.r.                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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