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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20111205


Dossier : IMM-2767-11

Référence : 2011 CF 1409

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2011

En présence de monsieur le juge Near

 

 

ENTRE :

 

KINGSLEY NOGHEGHASE

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 17 mars 2011. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera rejetée.

 

I.          Les faits

 

[3]               Le demandeur est un citoyen du Nigeria. Il a refusé de prendre le rôle de grand prêtre et de sorcier dans son village, comme son père le lui demandait. Il craint d’être persécuté par des membres de sa famille et les aînés du village qui lui ont dit que sa mort était la seule façon de briser la malédiction générationnelle causée par son refus.

 

[4]               Le demandeur s’est enfui à Kaduna, mais il soutient que les agents de persécution présumés l’ont retrouvé. Il s’est alors enfuit à Lagos où, selon lui, les policiers ont refusé d’intervenir lorsqu’il leur a demandé de l’aide. Le demandeur a réussi à quitter le Nigeria avec l’aide de son pasteur.

 

II.         La décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[5]               La Commission a reconnu que les personnes qui cherchaient le demandeur croyaient que les prêtres seraient en colère et cherchaient à l’effrayer pour qu’il accepte le rôle qu’on souhaitait lui donner, mais elle n’a pas été convaincue que ces personnes étaient prêtes à mettre leurs menaces à exécution. Certains rapports montrent qu’on croit au Nigeria qu’une personne qui brise un serment souffrira, alors que d’autres rapports expliquent qu’on n’a jamais vu une personne être forcée à devenir prêtre. Les aînés ont peut-être cru qu’une [traduction] « colère divine » s’abattrait sur leur collectivité et ils ont menacé de tuer le demandeur. Cependant, on ne lui a jamais fait de mal.

 

[6]               La Commission a aussi examiné la disponibilité d’une possibilité de refuge intérieur (PRI) et de la protection de l’État. Le demandeur a soutenu que les aînés avaient été en mesure de le retrouver à Kaduna et à Lagos grâce à l’oracle. La Commission a conclu que cette explication n’était pas plausible et elle n’a pas été persuadée que le demandeur ne pouvait pas trouver de PRI au Nigeria.

 

[7]               Malgré son récit, le demandeur n’a pas pu prouver qu’il avait approché les policiers à Lagos et que ces derniers avaient refusé de l’aider. Bien que les policiers nigérians hésitent à s’immiscer dans les traditions locales, il est possible qu’ils croient simplement que les personnes qui refusent des rôles traditionnels, tels que la prêtrise, ne seront pas réellement en danger.

 

III.       Les questions en litige

 

[8]               Les questions suivantes sont soulevées en l’espèce :

 

a)         Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution?

 

b)         La conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de l’existence d’une protection de l’État était-elle raisonnable?

 

c)         Était-il raisonnable que la Commission se fonde sur l’existence d’une PRI?

 

IV.       La norme de contrôle applicable

 

[9]               Le demandeur a soulevé des questions mixtes de fait et de droit et la décision raisonnable est la norme de contrôle applicable (voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 43).

 

[10]           Le caractère raisonnable « tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

V.        Analyse

 

Question A : Crainte de persécution

 

[11]           Le demandeur conteste la façon sélective dont la Commission a traité la preuve documentaire. Il souligne des passages qui mentionnent que les serviteurs du sanctuaire pouvaient forcer une personne à jouer le rôle de prêtre et qu’ils peuvent tuer ou blesser les personnes qui font offense au sanctuaire. Selon le demandeur, cela jette le doute sur la conclusion défavorable de la Commission selon laquelle, même si des individus pouvaient l’effrayer afin de le forcer à accepter la prêtrise, elle n’était pas convaincue que ces individus mettraient leurs menaces à exécution.

 

[12]           Cependant, la Commission « est présumé[e] avoir pesé et considéré toute la preuve dont [elle] est saisi[e] jusqu'à preuve du contraire » (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF), au paragraphe 1). La Commission a reconnu que certains chercheurs croient qu’on pourrait faire du mal à une personne qui refuse la prêtrise. Cela a été évalué en fonction de l’opinion d’autres chercheurs, selon lesquels le fait de refuser le rôle de prêtre ne serait pas perçu comme une offense.

 

[13]           Bien que la Commission n’ait pas mentionné les parties exactes que le demandeur a citées, cela ne mine pas la conclusion finale de la Commission. Elle a mentionné la preuve contradictoire et il lui était loisible de conclure que les personnes qui souhaitaient que le demandeur devienne prêtre ne lui feraient aucun mal.

 

[14]           Bien que le demandeur eût une crainte subjective d’être persécuté, il devait tout de même établir une crainte objective (voir Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCD 689, [1993] ACS no 74, au paragraphe 47). Comme c’est le cas en l’espèce, lorsqu’une protection suffisante de l’État est disponible, un demandeur ne pourra pas établir que sa crainte de persécution est objectivement fondée (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, 2007 CarswellNat 950, au paragraphe 42).

 

[15]           Je note aussi que la Commission peut tirer des conclusions négatives en raison de l’invraisemblance du récit (voir Alizadeh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] ACF no 11, 38 ACWS (3d) 361, au paragraphe 1 (CAF)). Les critères pour une conclusion fondée sur l’invraisemblance ont été décrits dans Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7 :

[7]        Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu'il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l'invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c'est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s'attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu'il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu'on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu'on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

 

[16]           Bien que les critères pour rendre une conclusion d’invraisemblance semblent lourds, il ne s’ensuit pas qu’il était déraisonnable pour la Commission de rejeter l’explication du demandeur selon laquelle les agents de persécution avaient été guidés à Lagos par l’oracle. La preuve documentaire n’indiquait pas clairement qu’on ferait nécessairement du mal à une personne qui refusait la prêtrise. La Commission n’a simplement pas été convaincue que le demandeur avait été suivi à un deuxième endroit.

 

[17]           Par conséquent, il était possible et acceptable pour la Commission de douter de la crainte objective de persécution du demandeur.

 

Question B : Protection de l’État

 

[18]           Le demandeur a soulevé des préoccupations semblables au sujet de la façon dont la Commission a traité la preuve documentaire au sujet de la protection de l’État. Il soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle il était plus probable pour une personne qui est poursuivie par les serviteurs d’un sanctuaire de demander l’aide de l’église plutôt que l’aide de la police. Dans Okafor c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1108, [2002] ACF no 1471, au paragraphe 8, le juge Douglas Campbell a conclu que le fait de prendre sérieusement hors contexte la preuve documentaire portant sur le Nigeria constituait une erreur.

 

[19]           Cependant, je ne vois pas comment le même principe est directement applicable en l’espèce. Okafor, précitée, portait sur une situation factuelle et une demande totalement différentes au Nigeria.

 

[20]           Il est peut-être plus important de noter que le demandeur n’a jamais fondé sa demande sur le fait qu’il ne voulait pas demander l’aide de la police et qu’il souhaitait seulement obtenir l’aide de l’église. En fait, il a insisté sur le fait qu’il avait parlé à des policiers à Lagos, mais que ceux-ci n’étaient pas intervenus. C’est cet argument selon lequel le demandeur avait demandé la protection de la police que la Commission a officiellement examiné. Le demandeur n’a fourni aucune preuve à l’appui du fait qu’il avait communiqué avec la police au Nigeria et qu’on avait refusé de l’aider.

 

[21]           Pour réfuter la présomption de l’existence de la protection de l’État, le demandeur doit fournir une preuve claire et convaincante que la protection de l’État est inadéquate ou inexistante (Carillo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 FCA 94, 2008 CarswellNat 605, au paragraphe 38). Même si la Commission avait été convaincue que le demandeur avait communiqué une fois avec les policiers à Lagos, cela n’aurait pas nécessairement été suffisant (Carillo, précité, aux paragraphes 32 à 36). Il était raisonnable pour la Commission de demander des preuves de la communication avec les policiers ou d’insister sur le fait qu’une seule tentative de demander la protection de l’État n’était pas suffisante.

 

[22]           Je reconnais que la Commission a fait un commentaire incident conjectural lorsqu’elle a laissé entendre que les policiers nigérians ne souhaitaient peut-être pas intervenir parce qu’ils croyaient simplement qu’aucun mal ne serait fait aux personnes qui refusaient la prêtrise. Bien que la Commission ait souligné des éléments de preuve à l’appui de l’argument selon lequel certaines personnes ne croyaient pas que quelqu’un puisse être forcé à devenir prêtre, rien ne liait cet argument à une attitude généralisée chez les policiers.

 

[23]           Cependant, le commentaire ne mine pas la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait demandé l’aide de la police une fois et qu’on lui avait refusé. Il s’agissait là du fondement principal de la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’avait pas réfuté la présomption de l’existence de la protection de l’État.

 

Question C : Possibilité de refuge intérieur (PRI)

 

[24]           Le demandeur a soulevé des préoccupations au sujet du fait que la Commission n’aurait pas précisé où au Nigeria il pouvait se prévaloir d’une PRI. Il se fonde sur la décision Nosakhare c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 772, [2001] ACF no 1120, au paragraphe 13, où il est écrit qu’une PRI « n’est pas quelque chose de spéculatif ou de théorique, c’est une option réelle ». Dans cette décision, il a été conclu que la Commission avait commis une erreur en ne précisant pas dans quelle partie du pays il serait objectivement raisonnable pour le demandeur d’habiter.

 

[25]           Le demandeur soutient que, comme la Commission a conclu qu’une protection de l’État adéquate existait, on ne pouvait lui tenir rigueur du fait qu’elle n’avait pas précisé où se trouvait la PRI. Cet argument est fondé sur la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73, [2007] ACF no 115, au paragraphe 7, où la Cour a déterminé qu’il ne serait pas conclu qu’une décision fondée sur l’existence de la protection de l’État était déraisonnable si le lieu de la PRI n’était pas précisé. D’une façon semblable à l’espèce, la Commission avait effectué une analyse combinée sous le titre « Possibilité de refuge intérieur/Protection de l’État ».

 

[26]           Comme la protection de l’État était une question déterminante, la Cour ne devrait pas intervenir simplement en raison du défaut de la Commission de préciser où se trouvait la PRI au Nigeria.

 

[27]           Je dois aussi examiner l’assertion du demandeur selon laquelle la Commission s’est éloignée de la situation particulière du demandeur parce qu’elle n’a pas tenu compte des difficultés auxquelles il faisait face à Kaduna et à Lagos, compte tenu du fait que les agents de persécution allégués pouvaient le retrouver.

 

[28]           Avant de tirer une conclusion au sujet d’une PRI, la Commission doit être convaincue qu’il n’y a aucune possibilité sérieuse de persécution dans la PRI et que dans toutes les circonstances, y compris les circonstances particulières du demandeur, il ne serait pas déraisonnable de chercher à s’y réfugier (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256).

 

[29]           Le demandeur a été incapable de prouver que, dans sa situation, une PRI n’était pas raisonnable. La Commission n’était pas persuadée que les agents de persécution allégués l’avaient retrouvé à Lagos dans la maison de son pasteur grâce aux pouvoirs divins de l’oracle.

 

[30]           Par conséquent, je conclus que la conclusion de la Commission au sujet de la PRI était raisonnable. Malgré son défaut de préciser le lieu de la PRI, comme elle avait conclu qu’il existait une protection de l’État, la Commission pouvait raisonnablement tirer une conclusion au sujet de la PRI. La Commission n’était pas convaincue que la situation particulière du demandeur l’empêchait de chercher à se réfugier ailleurs au Nigeria.

 

VI.       Conclusion

 

[31]           Comme la Commission a tenu compte de la preuve contradictoire, elle pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas une crainte fondée de persécution au Nigeria en raison des menaces proférées par les personnes qui souhaitaient le voir devenir prêtre. La Commission pouvait aussi conclure que le manque de preuve et la seule communication avec les policiers ne réfutaient pas la présomption de l’existence de la protection de l’État. Comme sa conclusion au sujet de la protection de l’État était déterminante, la Commission n’avait pas à préciser le lieu de la PRI.

 

[32]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« D. G. Near »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice‑conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2767-11

 

INTITULÉ :                                       KINGSLEY NOGHEGHASE c. MCI

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 15 NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE NEAR

 

DATE DES MOTIFS

DU JUGEMENT :                             LE 5 DÉCEMBRE 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kingsley Jesuorobo

 

POUR LE DEMANDEUR

Leanne Briscoe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kingsley Jesuorobo

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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