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 Date : 20111129


Dossier : IMM-3060-11

Référence : 2011 CF 1388

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 29 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

 

GIORDANA MOSQUEDA COSTA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne du Mexique. Elle est arrivée au Canada en avril 2009 à titre de visiteuse et a demandé l'asile en mai 2009. Cette demande a été jugée par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Le 6 avril 2011, une commissaire a rendu une décision par écrit par laquelle elle rejetait la demande d'asile de la demanderesse. La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, je conclus que la demande doit être accueillie et que l'affaire doit être renvoyée devant la Commission pour être réexaminée par un autre commissaire.

 

[2]               La demanderesse se représentait elle-même à l'audience de la Commission. Il a fallu recourir à l'assistance d'un interprète espagnol-anglais pour la plus grande partie de son témoignage.

 

[3]               La demande reposait essentiellement sur la crainte que la demanderesse éprouvait à l'égard de deux personnes différentes à la suite de deux événements distincts. Le premier incident concerne le décès de son père, qui est survenu alors qu'elle était une jeune adolescente. D’après un article de journal, son père avait trouvé la mort à l’occasion d'une tentative avortée de détourner le camion qu’il conduisait. La demanderesse affirme que ce décès s'explique par un triangle amoureux. Elle explique que son père avait une maîtresse qui avait elle-même un autre amant qui était un policier de haut rang et c'est ce dernier qui a assassiné son père. La demanderesse craint que ce policier se mette à sa recherche et lui fasse du mal si elle devait retourner au Mexique.

 

[4]               L'autre personne qu'elle craint est un oncle qui vit avec sa famille au Mexique. Cet oncle, qui serait invalide, serait sujet à des accès de violence.

 

[5]               Après avoir entendu le témoignage de la demanderesse, la commissaire l’a estimé pour l’essentiel non crédible. La commissaire a également conclu que la demanderesse n'avait pas réfuté la présomption de protection de l'État. Elle a par conséquent rejeté sa demande d'asile.

 

[6]               La demanderesse est maintenant représentée par un avocat. Son avocat soulève les trois questions suivantes dans la présente demande :

 

1.                  La demanderesse a‑t‑elle eu droit à une audience équitable ou la commissaire l'a‑t‑elle interrompue et harcelée au point de l’empêcher de présenter sa preuve convenablement?

 

2.                  La commissaire a‑t‑elle bien analysé la question de la protection de l'État ou s'est-elle contentée de répondre à la question sans justifier convenablement sa conclusion?

 

3.                  La commissaire a‑t‑elle empêché de façon irrégulière la demanderesse de soumettre des éléments de preuve pertinents à l'audience ou après celle‑ci?

 

[7]               S'agissant de la première question, il est difficile pour la Cour, à partir uniquement d'une transcription, de se faire une idée précise de ce qui s'est déroulé à l'audience. Bien qu'en l'espèce, la transcription montre que la commissaire est intervenue fréquemment, il est difficile de savoir si elle cherchait à aider la demanderesse ou si, comme l'affirme l'avocat de la demanderesse, elle était brusque et a interrompu la demanderesse.

 

[8]               Quant à la deuxième question, au paragraphe 8 de ses motifs, la commissaire mentionne la protection de l'État en la confondant avec les conclusions qu’elle a tirées à l’égard de la crédibilité sur le fondement de la preuve. Les motifs se terminent par la phrase suivante, au paragraphe 11 : « En outre, elle a omis de réfuter la présomption de protection de l'État à l'aide d'éléments de preuve clairs et convaincants ». La commissaire n'a pas analysé comme elle le devait la question de la protection de l'État.

 

[9]               C'est principalement à cause de la façon dont la commissaire a répondu à la troisième question que la présente affaire sera renvoyée à la Commission pour réexamen. Il s’agit de savoir si la commissaire aurait dû, à l'audience ou après celle‑ci, accorder à la demanderesse la possibilité de présenter d'autres éléments de preuve au sujet des dénonciations qu'elle avait faites aux autorités mexicaines relativement aux personnes qui, selon ce qu'elle affirmait, lui en voulaient. Voici ce que la commissaire écrit au paragraphe 11 de ses motifs :

 

[11]      La commissaire a demandé à la demandeure d’asile si elle avait déjà déposé des dénonciations nommant l’un ou l’autre des deux hommes qu’elle dit craindre du fait que la SPR n’a jamais reçu quoi que ce soit décrivant les problèmes qu’elle a eus avec Jose ou Gamalier Guillen. La seule dénonciation concernant Jose a été déposée par la mère de la demandeure d’asile, comme il a été expliqué précédemment. Les seules autres dénonciations, fournies à la SPR, ont été déposées par la demandeure d’asile soit en juin 2007, soit en juin 2008 (les deux dates apparaissent sur le document) et en avril 2009. Elles portaient sur le fait qu’elle avait reçu de grossiers appels de menaces sur son téléphone cellulaire et qu’un homme l’avait abordée et l’avait brusquement menacée. Aucun nom n’avait été donné à la police par la demandeure d’asile. Elle a dit qu’il existait un certain nombre de ces documents. Elle s’est vu demander d’expliquer pourquoi, si ce genre de documents existait, elle ne les avait pas produits à la place de ceux faisant référence à des appels anonymes. Elle a répondu qu’elle pensait que ceux qu’elle avait produits étaient suffisants pour justifier sa demande d’asile. Le tribunal n’est pas d’accord. J’estime que la demandeure d’asile manque de crédibilité et qu’elle a omis de produire suffisamment d’éléments de preuve crédibles et dignes de foi démontrant que, si elle retournait au Mexique, elle serait raisonnablement exposée à un risque de persécution pour un motif énoncé dans la Convention et qu’elle serait personnellement exposée, selon la prépondérance des probabilités, à une menace à sa vie ou au risque de traitements et peines cruels et inusités. En outre, elle a omis de réfuter la présomption de protection de l’État à l’aide d’éléments de preuve clairs et convaincants.

 

 

[10]           Si l'on consulte la transcription de l'audience, on constate que la demanderesse a offert à la commissaire de lui soumettre des éléments de preuve complémentaires au sujet des dénonciations en question, mais que la commissaire lui a répondu qu'il ne lui était pas possible de le faire. On trouve des passages en ce sens à divers endroits dans la transcription, par exemple aux pages 19 et 25. Je cite à titre d'exemple l'extrait suivant des pages 26 et 27 de la transcription où l’on trouve l'échange suivant entre la commissaire et la demanderesse :

                        [traduction]

LA COMMISSAIRE : Avez-vous déposé des dénonciations contre M. [X]?

 

LA DEMANDERESSE : Non, pas vraiment, je n'ai jamais mentionné son nom parce que j'avais peur.

 

LA COMMISSAIRE : Je suppose donc qu'il serait au courant, n'est‑ce pas? Il aurait été facile pour lui de découvrir si une dénonciation avait été déposée contre lui. C'est le genre de choses qu'un policier peut trouver, n'est‑ce pas?

 

LA DEMANDERESSE : Oui, bien sûr.

 

LA COMMISSAIRE : Et il n'y en a pas.

 

LA DEMANDERESSE : Non il n'y a pas de dénonciation dans laquelle [...] j'aurais mentionné explicitement son nom.

 

LA COMMISSAIRE : Bon, j'ai terminé mes questions. Je voulais m'assurer de vous avoir remis les originaux. Est-ce qu'il y a autre chose que vous aimeriez me dire? J'ai terminé mes questions.

 

LA DEMANDERESSE : Permettez-moi d'y penser un instant. Non, je crois que j'ai déjà expliqué les raisons. Je crois que j'ai expliqué la situation qui existe au Mexique. Si vous estimez, Madame la Présidente, que je devrais obtenir d'autres documents…

 

LA COMMISSAIRE : Non.

 

LA DEMANDERESSE : C'est tout ce que je peux vous dire.

 

LA COMMISSAIRE : Très bien. Merci de votre présence. Je tiens à remercier l'interprète pour son aide. Je ne vais pas rendre ma décision à l'audience. Vous serez donc informée par écrit. Nous avons votre adresse et la décision et les motifs de la décision vous y seront envoyés. D'accord. Merci.

 

LA DEMANDERESSE : D'accord.

 

LA COMMISSAIRE : L'audience est levée.

 

 

[11]           L'article 37 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, prévoit dans les termes les plus nets que le demandeur peut transmettre, après l'audience, un document complémentaire en en faisant la demande à la Section :

37. (1) Pour transmettre, après l’audience, un document à la Section pour qu’elle l’admette en preuve, la partie en fait la demande à la Section.

Forme de la demande

(2) La partie fait sa demande selon la règle 44 et y joint une copie du document, mais elle n’a pas à y joindre d’affidavit ou de déclaration solennelle.

Éléments à considérer

(3) Pour statuer sur la demande, la Section prend en considération tout élément pertinent. Elle examine notamment :

a) la pertinence et la valeur probante du document;

b) toute preuve nouvelle qu’il apporte;

c) si la partie aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, le transmettre selon la règle 29.

 

[12]           En rejetant ce qui constituait une tentative faite par la demanderesse, qui se présentait elle-même, de soumettre un document complémentaire, sans informer la demanderesse de l'article 37 des Règles ou tenir compte de celles‑ci, la commissaire a commis une erreur de droit et a manqué à son obligation d'appliquer la loi de façon régulière. Il ressort à l'évidence des motifs de la commissaire que les dénonciations constituaient un facteur décisif en ce qui concerne sa décision. En refusant, en négligeant ou en oubliant d'accorder à la demanderesse la possibilité de fournir ces documents, la commissaire a commis une erreur justifiant l'infirmation de sa décision.

 

[13]           La demande est accueillie et l'affaire est renvoyée à la Commission pour être réexaminée par un autre commissaire. Comme il s'agit d'un cas d'espèce, il n'y a pas de question à certifier. Il n'y a pas non plus de raison spéciale justifiant une adjudication de dépens.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI ONT ÉTÉ EXPOSÉS, LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie;

 

2.                  L'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle soit réexaminée par un autre commissaire;

 

3.                  Aucune question n’est certifiée;

 

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

   « Roger T. Hughes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


 

 


 

Cour fédérale

 

Federal Court

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3060-11

 

INTITULÉ :                                       GIORDANA MOSQUEDA COSTA c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :               Le 29 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 29 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Neil Cohen

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Neil Cohen

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Myles J. Kirvan

Procureur général du Canada Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

                                                                                                                       

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