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Date : 20111128


Dossier : IMM-1007-11

Référence : 2011 CF 1372

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

 

OMAR FERNANDO RICO ESPEJO
CHRISTOPHER DAN RICO
ANGELICA BEBEL RICO

 

 

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire de la décision d’une agente d’examen des risques avant renvoi (ERAR) relevant du défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du Canada. L’agente a conclu que les demandeurs n’avaient pas satisfait à l’alinéa 113a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et a donc rejeté leur demande d’ERAR. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

Les faits

 

[2]               Le demandeur principal est M. Omar Fernando Rico Espejo, un Colombien âgé de 34 ans. M. Espejo a deux enfants, un fils âgé de 14 ans et une fille âgée de 9 ans, qui sont tous deux citoyens des États-Unis. La demande d’asile de M. Espejo a été instruite en même temps que celle de son beau-frère, M. Alfonso Pardo Espinosa, le 26 janvier 2010. Au soutien de sa demande d’asile, M. Espejo s’est fondé sur la preuve produite par M. Espinosa lors de l’audition de la demande d’asile de celui-ci. M. Espejo n’a, pour sa part, produit aucune preuve.

 

[3]               La demande d’asile de M. Espinosa était fondée sur le fait qu’il craignait d’être ciblé par les Autodéfenses unies de Colombie (les AUC), pour avoir refusé de se soumettre aux ordres de son commandant, un capitaine, qui aurait coopéré avec les AUC en 2004. M. Espinosa avait présenté au lieutenant-colonel du quartier général de son bataillon un rapport qui donnait le détail des ordres de ce capitaine de ne pas détruire certaines cultures de coca. M. Espinosa écrivait aussi dans son rapport qu’il avait personnellement vu le capitaine se faire remettre de l’argent liquide par les AUC. M. Espinosa prétendait que le fait de déposer le rapport contre son commandant faisait de lui une cible des AUC et des autres officiers du bataillon.

 

[4]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a refusé d’ajouter foi aux prétentions de M. Espinosa, car sa preuve, tant orale qu’écrite, contenait un certain nombre de contradictions. Sa demande d’asile a donc été rejetée le 12 février 2010, et, donc, celles de M. Espejo et de ses deux enfants l’ont été également. La Cour a rejeté le 17 août 2010 leur demande d’autorisation d’introduire une procédure de contrôle judiciaire.

 

[5]               M. Espejo a prétendu devant l’agente d’ERAR qu’il avait été extorqué par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC) en 2007 et qu’il craignait que lui et ses enfants soient enlevés par cette organisation s’ils retournaient en Colombie. Il affirme avoir déjà cédé à leurs exigences en leur versant la somme de 10 000 000 de pesos colombiens, après quoi les FARC avaient exigé de lui un autre paiement de 20 000 000 pesos colombiens. Plutôt que de se plier à la deuxième demande, M. Espejo est retourné aux États-Unis. Il affirme que les FARC sont encore à sa recherche, et il dit craindre qu’elles ne cherchent à enrôler ses enfants dans l’organisation.

 

[6]               L’agente d’ERAR a rejeté la demande d’ERAR de M. Espejo, au motif qu’il n’avait pas satisfait à l’alinéa 113a) de la LIPR, parce que la preuve produite au soutien de la demande d’ERAR aurait pu être présentée à l’audition de sa demande d’asile. En outre, l’agente d’ERAR a estimé qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que M. Espejo soit persécuté en cas de renvoi en Colombie et, pareillement, qu’il n’existait pas plus qu’une simple possibilité que ses enfants connaissent la persécution en cas de renvoi aux États‑Unis. L’agente d’ERAR a estimé qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de croire que l’un des demandeurs serait exposé à une menace pour sa vie ou à des peines cruelles et inusitées s’il était renvoyé en Colombie, dans le cas de M. Espejo, ou aux États‑Unis, dans le cas de ses enfants. L’agente d’ERAR n’a accordé aucun poids à la preuve documentaire produite au soutien de la demande, parce qu’aucun des éléments de preuve n’était un original et qu’aucun n’était accompagné d’un affidavit de traduction établi par le traducteur.

 

La question en litige

 

[7]               La question à trancher dans la présente affaire est donc de savoir si la preuve de tels faits constituait une preuve nouvelle au sens de l’alinéa 113a), selon l’interprétation qui a été donnée à cette expression dans la décision Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, et de savoir si, en refusant de tenir compte de cette preuve parce qu’elle ne laissait pas apparaître un [traduction] « nouveau risque », l’agente d’ERAR a interprété erronément l’alinéa 113a) de la LIPR et a donc commis une erreur de droit.

 

Analyse

 

[8]               L’alinéa 113a) de la LIPR est ainsi formulé :

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

 

 

[9]               La jurisprudence de la Cour concernant le sens de l’alinéa 113a) est sans ambiguïté. Comme l’écrivait la juge Judith Snider dans la décision Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, au paragraphe 5 :

 

Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR […] Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision.

 

 

 

[10]           Cette manière de voir a été suivie dans d’autres décisions de la Cour, par exemple Mehesa c Canada, 2011 CF 338; Selduz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 583; Narany c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 155, au paragraphe 7, pour n’en signaler que trois.

 

[11]           Pour savoir si la preuve accompagnant une demande d’ERAR remplit les conditions d’une preuve nouvelle, il faut considérer davantage que la date de cette preuve. L’agente d’ERAR peut se demander si la preuve renferme de nouveaux renseignements essentiels. Ainsi que l’écrivait le juge Mosley dans la décision Raza:

[…] Lorsqu’il évalue les « nouvelles informations », ce n’est pas seulement la date du document qui est importante, mais également la question de savoir si l’information est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment : Selliah, précitée, au paragraphe 38. Lorsque des renseignements [traduction] « récents » (c.‑à‑d. des renseignements postérieurs à la décision initiale) font simplement écho à des renseignements produits antérieurement, il est peu probable que l’on conclut que la situation dans le pays a changé. La question est de savoir s’il y a de nouveaux renseignements « essentiels » […]

 

 

[12]           Rejetant l’appel formé contre la décision du juge Mosley, la Cour d’appel fédérale a souscrit à son analyse. La juge Sharlow s’exprimait ainsi dans l’arrêt Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385 :

 

L’un des arguments étudiés par le juge Mosley dans la présente affaire est le point de savoir si un document qui est apparu après l’audition de la demande d’asile constitue, pour cette unique raison, une « preuve nouvelle ». Il est arrivé à la conclusion que le caractère nouveau ou non d’une preuve documentaire ne saurait dépendre uniquement de la date à laquelle le document a été établi. Je partage cet avis. Ce qui importe, c’est le fait ou les circonstances que l’on cherche à établir par la preuve documentaire.

 

L’avocat de M. Raza et de sa famille a fait valoir que les preuves que l’on entend présenter au soutien d’une demande d’ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles [traduction] « concernent le même risque » que celui qu’a évalué la SPR. Je partage cet avis. Cependant, l’agent d’ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR.

 

 

 

[13]           L’avocat de M. Espejo fait valoir que, lorsqu’on applique l’alinéa 113a), il faut faire la distinction entre le fait d’alléguer un [traduction] « nouveau risque » et le fait de présenter une [traduction] « preuve nouvelle » à l’agent d’ERAR. À mon avis, cependant, il est difficile d’admettre l’existence d’un [traduction] « nouveau risque » allégué auquel serait exposé un demandeur d’ERAR s’il devait être renvoyé dans son pays d’origine, à moins que ne soit produite aussi une [traduction] « preuve nouvelle » au soutien de ce [traduction] « nouveau risque » allégué. La preuve nouvelle et le nouveau risque sont, dans une certaine mesure, nécessairement interdépendants, comme le faisait observer le juge Michael Kelen dans la décision Kaybaki c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 32.

 

[14]           En l’espèce, cependant, l’agente d’ERAR a eu raison de conclure que M. Espejo savait et croyait qu’il était, semble-t-il, une cible des FARC avant et durant l’audition de sa demande d’asile. On se souviendra que l’alinéa 113a) oblige le demandeur d’un ERAR à produire « des éléments de preuve survenus depuis le rejet [de sa demande d’asile] ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet ». En l’espèce, la preuve produite par M. Espejo n’était pas nouvelle, elle n’était pas survenue depuis le rejet de sa demande d’asile, elle ne lui était pas normalement inaccessible, et il n’était pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’il la présente le jour de l’audition de sa demande d’asile ou le jour où sa demande d’asile a été rejetée.

 

[15]           L’agente d’ERAR écrivait, d’une manière appropriée :

 

[TRADUCTION]

 

Les difficultés qu’a connues le demandeur principal avec les FARC ont surgi en 2007, bien avant l’audition de sa demande d’asile en janvier 2010. Je reconnais que sa demande d’asile a été instruite en même temps que celle de son beau-frère, mais le demandeur aurait pu soulever la question au cours de l’audience. Il n’a pas expliqué suffisamment pourquoi il s’était abstenu d’évoquer, durant l’audition de sa demande d’asile, les démêlés de sa famille avec les FARC.

 

Par ailleurs, je relève que son conseil a évoqué le fait que le beau‑frère du demandeur pouvait être une personne d’intérêt pour les FARC. Le demandeur principal aurait alors pu raisonnablement évoquer les difficultés que connaissait sa famille à cause des FARC, en 2007, lorsqu’il était en Colombie. En outre, le risque découlant de la crainte d’être enlevé et enrôlé ne date pas d’aujourd’hui en Colombie, et, donc, sans égard à l’âge des demandeurs mineurs, le demandeur principal devait en avoir connaissance et aurait pu soumettre la question pour examen.

 

Les risques que posent les FARC auraient pu raisonnablement être évoqués lorsque les demandes d’asile ont été examinées. Le simple fait, pour le demandeur principal, de présenter une demande d’asile devant la SPR me donne à penser qu’il devait savoir que c’était là l’occasion pour lui d’obtenir la protection du Canada en exposant tous les risques auxquels il se disait exposé.

 

 

 

[16]           L’agente a analysé d’une manière conforme à l’arrêt Raza la preuve qui lui avait été présentée. Elle n’a commis aucune erreur de droit. Dans la mesure où elle a tiré des conclusions de fait, ces conclusions appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[17]           Pour conclure, j’observe que l’agente a néanmoins analysé la substance de la preuve présentée au soutien de la demande d’ERAR et que, selon elle, cette preuve ne répondait pas aux conditions de l’article 96, ni et à celles de l’article 97 de la LIPR. J’observe aussi que, alors que l’avis de demande est établi au seul nom d’Omar Espejo, tous les documents ultérieurs déposés devant la Cour le désignent comme le demandeur principal et désignent ses deux enfants comme demandeurs. La Cour ordonne donc, de sa propre initiative, la modification de l’intitulé par l’ajout de Christopher Dan Rico et d’Angelica Bebel Rico en tant que demandeurs, afin de refléter les documents qui ont été déposés et les procédures qui se sont déroulées.

 

[18]           Pour les motifs susmentionnés, la demande sera rejetée.

 

[19]           Aucune question susceptible d’être certifiée n’a été proposée, et aucune n’est certifiée.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question susceptible d’être certifiée, et aucune n’est certifiée.

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1007-11

 

 

INTITULÉ :                                       OMAR FERNANDO RICO ESPEJO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 4 octobre 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :
                              LE JUGE RENNIE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 28 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Clifford Luyt

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt
Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan,

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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