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 Date : 20111125


Dossier : IMM-1794-11

Référence : 2011 CF 1363

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

ELAINE MICHELLE RICHARDS

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

     MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Elaine Michelle Richards, est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines (Saint‑Vincent). En vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu qu’elle n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               L’ancien conjoint de Mme Richards, Keith, est policier à Saint­Vincent. La demanderesse allègue que Keith la maltraitait. Elle a porté plainte à un inspecteur de la police locale. L’inspecteur a refusé d’intervenir, qualifiant l’affaire de [traduction] « problème de famille ».

 

[4]               Mme Richard est venue au Canada en janvier 2001 et elle a essayé d’obtenir le statut de résident permanent en 2004 grâce au parrainage de son conjoint de fait de l’époque, un Canadien. Elle affirme que ce dernier a aussi commencé à la maltraiter, et leur relation a pris fin en 2009; sa demande de parrainage a avorté du même coup. Mme Richards a par la suite présenté une demande d’asile et une demande de dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

 

[5]               Mme Richards affirme avoir attendu avant de présenter sa demande d’asile parce qu’elle n’était pas au courant de la protection que le Canada offrait aux réfugiés; ce n’est que lorsque sa demande de parrainage a avorté que son consultant en immigration l’a informée de la possibilité de présenter une demande pour obtenir ce statut.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[6]               La Commission a conclu que la demanderesse était crédible. La conclusion déterminante concernait l’existence d’une protection de l’État adéquate. La Commission s’est fondée sur une décision rendue par le juge Mainville (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale), James c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 546, dans laquelle le juge Mainville avait tiré des conclusions défavorables en lien avec l’existence de la protection de l’État dont il était question dans le cartable national de documentation visant Saint­Vincent, notamment une réponse à une demande d’information sur la violence fondée sur le sexe.

 

[7]               La Commission a conclu que le cartable ne renfermait pas seulement des renseignements niant l’existence de la protection de l’État. La Commission a noté que le document sur la violence fondée sur le sexe auquel a renvoyé le juge Mainville dans la décision James a été mis à jour et elle a énuméré les lois, les recours et les services dont pouvaient bénéficier les victimes de violence à Saint­Vincent. Elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait réfuté la présomption de protection de l’État. Elle a conclu que la demanderesse aurait dû faire des démarches supplémentaires pour obtenir de la protection.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Dans ses observations écrites, la demanderesse a soutenu que son droit à une audience équitable devant la Commission avait été violé parce que son conseiller était incompétent. Elle a affirmé qu’on ne lui avait pas donné l’occasion d’être entendue parce que son avocat ne l’avait pas préparée adéquatement pour l’audience, et, vu que le commissaire ne lui avait posé que quatre questions, son avocat aurait dû faire en sorte qu’elle puisse raconter l’ensemble de son récit, ce qu’il n’a pas fait.

 

[9]               Lors de l’audition de la présente demande, j’ai avisé l’avocate que le dossier dont je disposais ne semblait pas renfermer d’éléments de preuve qui permettraient de réfuter la présomption selon laquelle la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable : R. c G.D.B., 2000 CSC 22, [2000] 1 RCS 520, paragraphe 27. Par conséquent, l’avocate a limité ses arguments au bien­fondé de la conclusion tirée par la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État à Saint­Vincent.

 

ANALYSE

 

[10]           Les décisions sur l’existence d’une protection de l’État adéquate soulèvent des questions mixtes de fait et de droit, et la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité : Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, paragraphe 38.

 

[11]           Dans le cadre du contrôle d’une décision où la norme de contrôle applicable est la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision ainsi que de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et elle doit décider si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Nouveau‑Brunswick (Conseil de gestion) c Dunsmuir, 2008 CSC 9, paragraphe 47.

 

[12]           En l’espèce, la demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en confondant les intentions de l’État aux pratiques de l’État, en ne tenant pas compte de la preuve selon laquelle les victimes de violence fondée sur le sexe à Saint­Vincent ne peuvent pas bénéficier de protection et en n’examinant pas la situation particulière de la demanderesse, notamment le fait que son agresseur allégué est un policier.

           

[13]           Le défendeur soutient que, puisque la demanderesse avait déposé sans succès sa plainte il y a plus de 10 ans, il était raisonnable que la Commission accorde davantage de poids aux documents sur la situation actuelle dans le pays. Le défendeur allègue aussi qu’il est faux de prétendre que la Commission n’a pas tenu compte du fait que l’agresseur de la demanderesse était un policier. Cependant, puisque l’incident s’est produit il y a plus de 10 ans, il était raisonnable que la Commission conclue que cet incident n’établissait pas l’incapacité de Saint­Vincent à protéger la demanderesse.

 

[14]           Bien que le commissaire ait reconnu que la preuve dont disposait la Commission était contradictoire et que les documents se trouvant dans le cartable national de documentation sur Saint­Vincent dressaient un tableau plutôt sombre de la protection de l’État offerte aux victimes de violence familiale, le commissaire ne s’est pas penché sur la preuve contraire et il n’a pas expliqué dans ses motifs pourquoi il privilégiait les éléments de preuve selon lesquels la protection de l’État serait offerte.

 

[15]           La plus grande partie de la décision de la Commission est directement fondée sur le document 5.3 du cartable national de documentation. Ce document énumère les lois en vigueur à Saint­Vincent, les mesures légales proposées et les intentions du gouvernement à l’égard des services offerts aux victimes de violence familiale. On y met donc davantage l’accent sur les bonnes intentions et sur les mesures qui pourraient être prises à l’avenir que sur la protection véritablement offerte. La jurisprudence est claire : les conclusions relatives à la protection de l’État ne peuvent pas être uniquement fondées sur les intentions du gouvernement et sur des lois envisagées : Clyne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1670, paragraphe 8; Mitchell c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 133, paragraphes 9 et 10). La Commission n’a pas non plus mentionné dans sa décision les nombreux documents au dossier qui montrent l’inefficacité des mesures qui ont été résumées dans les documents cités.

 

[16]           Par exemple, le document 5.3 du cartable mentionne ce qui suit :

De plus, lorsque les femmes maltraitées souhaitent déposer une plainte, elles sont accueillies par de jeunes policiers grossiers, irrespectueux et sexistes qui estiment que la victime est responsable de son sort.

 

[…]

 

La victime se sent souvent vulnérable même si une ordonnance de protection est rendue, celle-ci n’ayant aucune valeur pratique en raison de l’absence de refuges […].

 

 

 

[17]           Le document 5.8 mentionne ce qui suit :

[traduction]

 

Dans ces situations [dans les affaires de violence familiale], on incite parfois fortement les femmes à ne pas donner suite à leur plainte présentée au titre de la Loi sur la violence conjugale (poursuite sommaire), et les femmes sont même de temps à autre traitées avec mépris et hostilité par les policiers.

 

 

[18]           La Commission n’a pas examiné la preuve à l’appui de la demande de la demanderesse. En outre, le commissaire n’a pas expliqué pourquoi il avait conclu que les éléments favorables dans la preuve l’emportaient sur les renseignements qui contredisaient sa décision.

 

[19]           Comme le défendeur le soutient, la Commission a effectivement examiné le fait que l’agent de persécution allégué était un policier et que la demanderesse avait essayé sans succès de porter plainte à l’inspecteur de police. La Commission a toutefois conclu que, puisque ces faits s’étaient produits il y a plus de dix ans, la situation à Saint­Vincent pourrait avoir changé et que la police serait peut­être prête à protéger la demanderesse aujourd’hui.

 

[20]           Bien qu’il était loisible à la Commission de conclure que les circonstances avaient changé avec le temps, un examen de l’ensemble de la preuve aurait peut­être incité la Commission a tiré une conclusion différente. À cet égard, les directives du président sur les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe mentionnent que la Commission devrait tenir compte de l’ensemble des éléments de preuve pertinents quant à la persécution fondée sur le sexe. Je souligne qu’il est mentionné ce qui suit au point C­3 des directives :

Un changement dans la situation d’un pays qui est considéré, de façon générale, comme une amélioration peut n’avoir aucune incidence ou même avoir une incidence défavorable sur la crainte d’une femme d’être persécutée du fait de son sexe. Si la crainte d’une femme est liée aux lois sur le statut personnel ou que ses droits fondamentaux sont violés par de simples citoyens, un changement dans la situation du pays pourrait ne rien changer à sa situation, ces secteurs étant souvent les derniers à évoluer. Il faut apprécier la crainte de la revendicatrice et déterminer si les changements sont suffisamment importants et réels pour rendre sans fondement sa crainte. [Souligné dans l’original.]

 

 

[21]           En conclusion, je suis convaincu que la décision de la Commission ne satisfait pas à la norme liée à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, parce que le commissaire n’a pas expliqué comment il était arrivé à sa conclusion selon laquelle la demanderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État malgré les nombreux éléments preuve contraires.

 

[22]           Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune n’est donc certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1794-11

 

INTITULÉ :                                       ELAINE MICHELLE RICHARDS

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 1ER NOVEMBRE 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Erin Christine Roth

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Veronica Cham

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ERIN CHRISTINE ROTH

Bellissimo Law Group

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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