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Date : 20111125


Dossier : IMM-1915-11

Référence : 2011 CF 1364

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

 

EVELIN YOLANI MEZA VARELA

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

      MOTIFS DE JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Evelin Yolani Meza Varela, est une citoyenne du Honduras. En vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), la demanderesse sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que la demanderesse n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande sera accueillie.

 

LE CONTEXTE

 

[3]               Mme Valera est arrivée au Canada le 26 février 2009 et a demandé l’asile le jour suivant sur le fondement de son appartenance à un groupe social particulier, soit les femmes honduriennes victimes d’agressions sexuelles. Elle a aussi demandé l’asile en tant que personne exposée à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[4]               La demande d’asile découle d’un incident survenu le 26 septembre 2008 lorsque, après l’école, alors qu’elle retournait à la maison, Mme Varela a été battue et violée par trois membres d’un gang hondurien, les Maras Salvatrucha (les Maras). Mme Varela avait déjà été victime de voies de fait lors d’une attaque non liée à un gang. Lors de cette agression, Mme Valera avait vu que l’un de ses attaquants avait un tatouage propre aux Maras. Après le viol, Mme Varela a perdu connaissance. Elle a par la suite été soignée pour un coup de couteau au bras.

 

[5]               Le 27 septembre 2008, Mme Varela s’est présentée au poste de police avec ses parents pour porter plainte. Elle affirme que le policier qui a pris sa déclaration avait refusé de consigner au dossier que ses agresseurs appartenaient aux Maras. Quelques jours plus tard, elle a reçu une note anonyme la menaçant d’autres sévices. Le père de Mme Varela a apporté cette lettre à la police, et la demanderesse s’est rendue chez une tante dans une autre ville pour se protéger; elle y est restée jusqu’en janvier 2009. Pendant qu’elle vivait chez sa tante, son père a continué de faire des suivis auprès de la police, il a notamment communiqué avec le chef de police, mais ces suivis n’ont rien donné. Mme Valera affirme que d’autres menaces ont été proférées par la suite au téléphone en novembre 2009 et qu’une autre note de menace a été envoyée en mai 2010.

 

LA DÉCISION SOUMISE AU CONTRÔLE

 

[6]               Dans une décision rendue le 10 mars 2011 et dans des motifs prononcés le 28 février 2011, la Commission a conclu que Mme Varela n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante. Par conséquent, la Commission a rejeté la demande d’asile de Mme Valera présentée sur le fondement de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi. La Commission n’a tiré aucune conclusion défavorable relative à la crédibilité.

 

[7]               La Commission a conclu que Mme Varela pourrait bénéficier de la protection de l’État au Honduras. Elle a estimé que le Honduras était une démocratie électorale qui a pris des mesures pour pallier certaines lacunes de son appareil judiciaire – tels que les problèmes récurrents en lien avec les personnes qui se posent en justicier, la corruption et l’impunité – en réaffectant les forces armées et en mettre en place de nouveaux programmes de formation; d’autres mesures ont aussi été prises.

 

[8]               Bien que la violence perpétrée par les gangs soit « omniprésente » et « endémique » au Honduras, le gouvernement hondurien et des organismes non gouvernementaux ont déployé des efforts pour s’attaquer au problème. Bien que la preuve quant aux succès des initiatives allait dans divers sens, la Commission a conclu que « les mesures prises pour lutter contre la violence perpétrée par les gangs ont connu un certain succès ».

 

[9]               En ce qui a trait aux circonstances particulières de la demande de Mme Varela, la Commission a conclu que Mme Varela n’avait pas fait suffisamment de démarches pour obtenir de la protection au Honduras. Plus précisément, Mme Varela n’avait porté plainte qu’une seule fois à la police, après quoi elle avait quitté la ville. Bien que son père ait fait plusieurs suivis, Mme Varela elle­même n’en avait jamais fait, et ce, même si elle avait 22 ans à l’époque.

 

[10]           La Commission avait estimé que la police avait offert son aide à Mme Varela. Selon la Commission, le critère de protection de l’État n’exigeait pas que la police réussisse à arrêter les agresseurs. La Commission a noté que, dans sa décision, elle avait tenu compte des directives du président sur les Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (les directives concernant la persécution fondée sur le sexe).

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[11]           Les questions soulevées en l’espèce peuvent être résumées de la façon suivante :

a.       La Commission a­t­elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère dans son analyse de la protection de l’État?

b.      La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État a­t­elle été tirée sans tenir compte de la preuve?

 

ANALYSE

           

La norme de contrôle judiciaire

 

[12]           La question de la protection de l’État est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il s’agit de la raisonnabilité : Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, paragraphe 38. Dans le cadre du contrôle d’une décision où la norme applicable est la raisonnabilité, la Cour doit tenir compte de la justification de la décision ainsi que de la transparence et de l’intelligibilité du processus décisionnel, et elle doit décider si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Nouveau‑Brunswick (Conseil de gestion) c Dunsmuir, 2008 CSC 9, paragraphe 47.

 

La Commission a­t­elle commis une erreur en appliquant le mauvais critère dans son analyse de la protection de l’État?

 

[13]           La Commission a bien cerné les principes juridiques applicables aux demandeurs d’asile qui allèguent être victime de persécution aux mains d’acteurs non étatiques ainsi que la présomption de protection de l’État établis dans les arrêts Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carillo, 2008 CAF 94, [2008] ACF no 399 (Carillo). Le demandeur « doit produire une preuve pertinente, digne de foi et convaincante qui démontre au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État en question est insuffisante » (Carillo, précité, paragraphe 38). La protection de l’État n’a pas à être parfaite, mais elle doit être suffisante.

 

[14]           En l’espèce, la Commission semble avoir adopté une norme moins stricte en ce qui a trait au caractère suffisant de la protection de l’État : à deux reprises dans ses motifs, la Commission a mentionné qu’il existait « une certaine forme » de protection de l’État au Honduras. On ne sait pas vraiment ce que la Commission a voulu dire par « une certaine forme », parce qu’elle n’a pas défini cette notion. Le défendeur soutient qu’il s’agit seulement d’une norme que la Commission a employée pour apprécier la preuve et que les motifs, dans leur ensemble, révèlent que la Commission a appliqué le bon critère. Je suis d’accord pour affirmer que la Commission a énoncé les bons principes juridiques, soit ceux établis dans les arrêts Ward et Carillo, précités. Cependant, je ne suis pas convaincu que ces principes ont été correctement appliqués en l’espèce.

 

[15]           La Commission était tenue de justifier, de façon transparente et intelligible, sa conclusion selon laquelle Mme Varela n’avait pas réfuté la présomption (Hazime c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2011 CF 793, [2011] ACF no 996, paragraphe 17). La Commission n’a pas respecté cette norme de la raisonnabilité.

 

[16]           La Commission n’a fourni aucune analyse quant au caractère satisfaisant des efforts concrets déployés par le gouvernement du Honduras et par les acteurs internationaux pour améliorer la protection de l’État au Honduras. Bien que les efforts déployés par un État soient effectivement pertinents quant à l’analyse de la protection de l’État, ils ne sont ni déterminants ni suffisants (Jaroslav c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 634, [2011] ACF n816, paragraphe 75). Les efforts doivent avoir, dans les faits, « véritablement engendré une protection adéquate de l’État » (Beharry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 111, paragraphe 9).

 

[17]           En l’espèce, bien que la Commission ait reconnu que la police n’avait pas réussi à protéger Mme Varela, elle n’a pas examiné comment les efforts déployés pour lutter contre la violence perpétrée par les gangs avaient engendré une protection dont pouvaient bénéficier les femmes qui sont la cible d’agressions sexuelles; la Commission a seulement mentionné que la preuve révélait que les membres de gang essayaient de passer inaperçus en changeant leur façon de se vêtir et leur apparence.

 

[18]           Les nombreux éléments de preuve auxquels a renvoyé la Commission témoignent de l’ampleur colossale du problème des gangs au Honduras. La preuve portant sur ce problème, qualifié par l’avocate de [traduction] « peu encourageant, sinistre, endémique et omniprésent », appuie la position de Mme Varela selon laquelle les femmes qui sont la cible d’agression sexuelle par des membres de gangs ne bénéficient pas de la protection de l’État. Le fait que le Honduras a besoin de s’adresser à la communauté internationale afin d’obtenir de l’aide pour régler ses problèmes – ce qui a été invoqué par la Commission pour montrer que le Honduras avait pris des mesures pour lutter contre ce problème – étaye l’allégation de Mme Varela selon laquelle le Honduras même ne peut pas offrir une protection suffisante.

 

[19]           Dans la mesure où la Commission a fondé ses conclusions sur le fait que le Honduras est un pays où la démocratie fonctionne, la Commission n’a pas non plus tenu compte de la situation au pays dans les mois qui ont suivi l’agression de Mme Varela. Le Honduras se trouvait dans une situation politique tendue qui s’est conclue par un coup d’État orchestré par les militaires en juin 2009. Bien que la Commission eût pu se demander si la situation avait changé d’une telle façon que la protection de l’État était de nouveau offerte – le Honduras aurait pu se rétablir après les élections tenues en novembre 2009, par exemple – la Commission ne l’a pas fait.

 

La conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse pourrait bénéficier de la protection de l’État a­t­elle été tirée sans tenir compte de la preuve?

 

[20]           La conclusion de la Commission selon laquelle Mme Varela n’avait pas fait suffisamment de démarches pour obtenir la protection de l’État au Honduras a été tirée sans tenir compte de l’ensemble de la preuve et est déraisonnable.

 

[21]           La Commission ne s’est pas penchée sur le témoignage de Mme Varela selon lequel la police ne voulait pas consigner au dossier que les agresseurs étaient membres des Maras. Ce témoignage contredisait la théorie de la Commission selon laquelle l’omission de la police était attribuable au fait qu’il était en soi difficile d’arrêter un agresseur dont la seule caractéristique était qu’il avait un tatouage propre aux Maras. Il était aussi déraisonnable que la Commission fonde son appréciation des efforts déployés par Mme Varela pour obtenir la protection de l’État sur le fait que c’était son père qui avait fait les suivis auprès de la police. La Commission a ainsi fait abstraction du témoignage de Mme Varela selon lequel elle avait dû quitter la ville pour se réfugier chez sa tante. On ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que Mme Valera fasse les suivis elle­même.

 

[22]           Bien que la Commission ait noté avoir tenu compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle n’a pas clairement mentionné dans ses motifs la situation précise des femmes victimes de violence fondée sur le sexe au Honduras. Par exemple, alors que la Commission a souligné qu’il y a eu une amélioration générale en ce qui concerne le taux de meurtre, elle n’a pas constaté que le nombre de meurtres de femmes au Honduras avait en fait augmenté.

 

[23]           En conclusion, la décision de la Commission était déraisonnable, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question grave de portée générale n’a été proposée, et aucune ne sera donc certifiée.

 

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1998-11

 

INTITULÉ :                                       FEI ZHENG

 

                                                            et

 

                                                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 20 octobre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mosley

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Elyse Korman

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jocelyne Epejo Clarke

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ELYSE KORMAN

Otis and Korman

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

MYLES J. KIRVAN

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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