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Date : 20111123


Dossier : IMM-4326-10

Référence : 2011 CF 1350

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2011

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

 

LASZLO HORVATH

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Laszlo Horvath sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile qu’il avait présentée, et il fait valoir qu’advenant son retour en Hongrie, il y serait persécuté en raison de son origine ethnique rom.

 

[2]               La SPR a conclu que M. Horvath n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, puisque le traitement auquel il serait exposé constituait de la discrimination, mais non de la persécution. La SPR a également conclu qu’une des agressions décrites par le demandeur n’était pas réellement survenue, puisque ses souvenirs étaient embrouillés quant à la date de cet incident. Aucune preuve médicale n’ayant été présentée en ce sens, la SPR n’a pas cru le demandeur lorsqu’il a invoqué des troubles de mémoire. La SPR a aussi conclu, finalement, que le demandeur pourrait se réclamer de la protection de l’État en Hongrie.

 

[3]               M. Horvath prétend que la SPR a commis une erreur en jugeant non crédible le récit de son agression. La SPR a aussi commis une erreur, selon lui, en concluant que le traitement auquel il serait confronté équivaudrait à de la discrimination, mais non pas à de la persécution. M. Horvath soutient, finalement, que la SPR a conclu erronément qu’il disposerait en Hongrie d’une protection adéquate de l’État.

 

[4]               J’en suis venu à la conclusion que la décision de la SPR était déraisonnable, quant à sa conclusion sur l’absence de persécution et quant à celle sur l’existence d’une protection de l’État adéquate. Je vais maintenant en exposer les motifs.

 

[5]               La demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Le contexte

 

[6]               Le demandeur, Laszlo Horvath, est d’origine ethnique rom et il est citoyen de la Hongrie. Il soutient avoir été victime de divers actes de violence et de harcèlement parce qu’il était Rom.

 

[7]               M. Horvath a déclaré qu’en 2005, un groupe de quatre ou cinq personnes l’avaient agressé et lui avaient infligé des blessures. On l’avait soigné à l’hôpital et il avait signalé l’agression à la police, qui toutefois avait simplement consigné l’incident comme ayant été commis par des [traduction] « agresseurs inconnus ». M. Horvath a fait état d’une deuxième agression, commise le 1er mai 2007 par des personnes en état d’ivresse, mais au cours de laquelle il n’avait pas été blessé. Il n’avait pas signalé cet incident à la police parce que, d’expérience, il estimait que cela ne servirait à rien. M. Horvath a déclaré avoir été victime d’une troisième agression en 2008 par un autre groupe d’individus, dont l’un était armé d’un couteau; il s’était défendu à l’aide d’une ceinture et il n’avait subi aucune blessure. M. Horvath n’avait toutefois pas signalé cet incident à la police. Il a également décrit une agression au cours de laquelle des bouteilles avaient été lancées dans sa direction. Il avait tenté de héler une auto-patrouille une fois l’incident survenu, mais celle-ci s’était éloignée.

 

[8]               M. Horvath a déclaré qu’il faisait fréquemment l’objet de violence verbale et de propos racistes.

 

[9]               M. Horvath a également fait valoir en preuve qu’on avait restreint sa capacité de gagner sa vie. Il avait obtenu un diplôme de travailleur qualifié en 1989 et il avait réussi à obtenir dans un restaurant un emploi correspondant à sa formation, mais pas de 2001 à 2003. Bien qu’il ait occupé un poste de cuisinier, on l’a rétrogradé à un poste de plongeur, parce que des clients du restaurant s’étaient plaints de la présence d’un Rom aux cuisines. Le demandeur n’a pas pu trouver ailleurs, selon son témoignage, un emploi dans son métier de cuisinier. En 2008, il a été licencié à l’occasion de la vente du restaurant.

 

[10]           M. Horvath est arrivé au Canada le 20 octobre 2008 et il a présenté une demande d’asile le 6 novembre de la même année.

 

La décision faisant l’objet du contrôle

 

[11]           Le 16 juin 2010, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur.

 

[12]           La SPR a relevé que le demandeur avait donné des réponses incohérentes lorsqu’on lui avait demandé à quelle période de l’année était survenue l’agression de 2005. La SPR a fait remarquer que, bien que l’avocat du demandeur ait tenté d’établir que son client avait des troubles de mémoire, aucun certificat médical n’avait été déposé au soutien de cette prétention. La SPR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que l’incident de 2005 n’était jamais survenu. Elle n’a tiré aucune conclusion de fait quant aux autres agressions mentionnées par le demandeur.

 

[13]           La SPR a conclu que, bien que le demandeur ait prétendu que les Roms n’obtenaient pas l’occasion de travailler dans leur métier et devaient occuper des emplois subalternes, lui-même avait terminé ses études, avait reçu, en 1989, un diplôme de travailleur qualifié et, sauf de 2001 à 2003, avait travaillé comme cuisinier jusqu’en 2008. La SPR a toutefois reconnu que, de 2001 à 2003, le demandeur n’avait pu cuisiner au restaurant, parce que des clients ne voulaient pas d’un cuisinier rom, et qu’on l’avait obligé à travailler comme plongeur.

 

[14]           La SPR a examiné si la discrimination subie par le demandeur constituait de la persécution. Elle a passé en revue la définition donnée à la persécution dans la jurisprudence, et conclu que la question juridique à trancher était de savoir si « la persécution alléguée par le demandeur mena[çait] de façon importante ses droits fondamentaux de la personne ». La SPR a conclu que le demandeur avait subi de la discrimination et du harcèlement d’une manière n’équivalant pas à de la persécution. Elle a aussi conclu qu’aucune preuve convaincante n’avait été présentée d’une violation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne qui aurait démontré l’absence de la protection de l’État.

 

[15]           La SPR a conclu de manière subsidiaire que, s’il devait retourner en Hongrie, M. Horvath pourrait se réclamer de la protection de l’État.

 

[16]           La SPR a relevé que le demandeur n’avait signalé comme agression à la police que celle où il avait tenté de faire s’arrêter, en vain, une auto-patrouille. La SPR a conclu             que le demandeur n’avait pas établi qu’il ne pourrait disposer en Hongrie de la protection de l’État.

 

[17]           La SPR a fait remarquer que la Hongrie était un pays démocratique où se déroulaient des élections libres et équitables, et qu’elle était dotée d’un pouvoir judiciaire relativement indépendant et impartial. La SPR a tenu compte des observations du conseil du demandeur selon lesquelles la protection des Roms par l’État s’avérait inefficace en Hongrie. La SPR a également reconnu qu’il y avait un passé de discrimination contre les Roms en Hongrie; elle a toutefois souligné que le gouvernement hongrois tentait de corriger cette situation et avait pris nombre d’initiatives pour mettre un terme à la discrimination et au racisme, notamment en adoptant des lois et en agissant sur le plan social.

 

[18]           La SPR a fait remarquer qu’on pouvait recourir à diverses dispositions du droit pénal hongrois pour contrer les crimes haineux et que des mesures avaient été prises pour améliorer le traitement des minorités par les forces policières. La SPR a conclu que l’essentiel de la preuve documentaire sur la situation régnant en Hongrie donnait à croire que la protection de l’État y était adéquate et que, pour s’attaquer au problème du racisme, le gouvernement hongrois consentait des efforts réels et considérables.

 

[19]           La SPR a conclu que le demandeur n’était ni un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger.

 

Les dispositions législatives

 

[20]           La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR) prévoit notamment ce qui suit :

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country…

 

Les questions en litige

 

[21]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur

a)         en n’appréciant pas de manière raisonnable la preuve dans son ensemble,

 

b)         en jugeant la preuve non crédible, sans que rien ne corrobore cette conclusion,

 

c)         en ne prenant pas en compte l’importante documentation sur le pays présentée,

 

d)         en tirant des conclusions de fait erronées et

 

e)         en rendant une décision fondée sur des conclusions de fait erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire.

 

 

[22]           Les nombreuses questions soulevées par le demandeur mettent en cause l’appréciation des faits et reviennent à demander si la décision de la SPR était ou non raisonnable.

 

[23]           Le défendeur soutient pour sa part que la question en litige est la suivante : [traduction] « Le demandeur a-t-il démontré que la décision de la SPR était entachée d’une erreur susceptible de contrôle »?

 

[24]           Je formulerais les questions en litige tout simplement ainsi :

a)         Était-il raisonnable pour la SPR de conclure que le traitement subi par le demandeur en Hongrie constituait de la discrimination et du harcèlement, plutôt que de la persécution?

b)         Était-il raisonnable pour la SPR de conclure de manière subsidiaire que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État?

 

 

La norme de contrôle

 

[25]           La norme de contrôle applicable aux conclusions mixtes de fait et de droit tirées par la SPR dans une décision est la raisonnabilité (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 53). Pour être raisonnable, une décision de la SPR doit appartenir aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, paragraphe 59).

 

[26]           Les questions concernant le caractère adéquat de la protection étatique sont des « questions mixtes de fait et de droit habituellement susceptibles de contrôle selon la norme de la raisonnabilité » (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, paragraphe 38).

 

Analyse

 

La crédibilité

 

[27]           Le demandeur conteste la décision de la SPR de rejeter les troubles de mémoire qu’il avait invoqués pour expliquer ses souvenirs incohérents quant à la date à laquelle, en 2005, était survenue l’agression où il aurait été blessé et qu’il aurait signalée à la police. Selon le demandeur, la SPR aurait dû apprécier sa crédibilité en tenant compte de sa faible scolarisation ainsi que des troubles cognitifs occasionnés par ses blessures, et ses troubles de mémoire auraient d’ailleurs dû être manifestes, tel qu’en atteste la transcription de l’audience.

 

[28]           Lorsqu’un demandeur jure que certaines allégations sont vraies, selon le demandeur, cela créé une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter (Maldonado c Canada, [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (CAF), paragraphe 5).

 

[29]           Il est établi par la jurisprudence qu’il convient d’accorder le bénéfice du doute au demandeur si son récit semble crédible, à moins de motifs valables d’en décider autrement (Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, 128 DLR (4th) 213, paragraphe 47). Le demandeur fait valoir que la SPR a omis de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de sa crédibilité (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236, 15 Imm LR (2d) 199 (CA); Almasy c Canada, 2001 CFPI 701, paragraphe 7). Dans les décisions citées par le demandeur, la Cour n’avait pu trouver de motifs permettant à la SPR de douter de la véracité des allégations faites. Elle avait néanmoins insisté sur l’obligation pour la SPR de clairement justifier ses doutes quant au récit du demandeur.

 

[30]           En l’espèce, la SPR a tiré sa conclusion après avoir relevé des incohérences quant à la date exacte où serait survenu l’incident de 2005, entre ce que le demandeur avait écrit dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et ce qu’il avait déclaré à l’audience. La SPR n’a pas cru le demandeur lorsqu’il a prétendu avoir des pertes de mémoire, parce que cela n’était pas corroboré par une preuve médicale objective. Si une telle prétention peut être étayée par une preuve de nature non médicale, elle ne suffit pas à démontrer, à elle seule, l’existence de pertes de mémoire en raison d’un problème de santé. La SPR n’a pas mis en cause les autres agressions rapportées par le demandeur et, à ce titre, on doit considérer qu’elle a prêté foi à leur existence.

 

[31]           Je conclus, la SPR ayant justifié sur le fondement de la preuve dont elle était saisie sa conclusion selon laquelle l’agression de 2005 n’avait pas eu lieu, en l’appartenance de cette conclusion aux issues possibles acceptables.

 

La discrimination ou la persécution

 

[32]           Le demandeur a déclaré ce qui suit à son arrivée au Canada le 6 novembre 2008, en plus d’avoir mentionné sa crainte de subir des agressions physiques :

[traduction]

 

Je suis victime de discrimination parce que je suis Rom. J’ai été embauché comme cuisinier, mais, en fait, j’ai uniquement lavé la vaisselle et le plancher. Les clients ne voulaient pas manger dans un restaurant ayant un cuisinier rom, et la propriétaire m’a donc demandé de ne pas cuisiner. Je ne pouvais obtenir aucun emploi de cuisinier ailleurs dans la ville.

 

 

Le demandeur a déclaré la même chose dans son FRP et lors de son témoignage à l’audience.

 

 

 

[33]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant que seuls les [traduction] « chômeurs chroniques » et les personnes [traduction] « systématiquement victimes de discrimination », sans éducation ou peu avisées pouvaient être considérées subir de la discrimination en Hongrie. Il prétend à cet égard que la SPR a mal interprété la question de la persécution telle qu’elle avait été exposée par la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 NR 129 (CA), au paragraphe 14 :

La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si le requérant craint d’être persécuté. La définition de réfugié au sens de la Convention contenue dans la Loi sur l’immigration ne comprend pas une définition du mot « persécution ». Par conséquent, on peut consulter les dictionnaires à cet égard. Le « Living Webster Encyclopedic Dictionary » définit [traduction] « persécuter » ainsi :

 

[traduction] « Harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit, tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier. »

 

Le « Shorter Oxford English Dictionary » contient, entre autres, les définitions suivantes du mot « persécution » :

 

[traduction] « Succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une (religion) particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine. »

 

 

[34]           Selon le demandeur, la norme de preuve à appliquer pour établir si ce critère a été respecté est la « possibilité raisonnable » (Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680, 7 Imm LR (2d) 169 (CAF)).

 

[35]           Le demandeur soutient que la SPR a appliqué le critère erroné de la persécution systématique que le juge Nadon avait rejeté dans la décision Saad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 FTR 262 (1re inst.). Le juge Nadon y a estimé que la SPR avait commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas eu persécution dans le cas où un agent avait torturé une personne, mais n’avait eu aucune intention de la persécuter systématiquement.

 

[36]           La SPR a conclu en l’espèce que le demandeur avait achevé ses études, avait obtenu un diplôme de travailleur qualifié et avait travaillé comme cuisinier. La SPR a également fait remarquer que le demandeur n’avait jamais signalé les nombreuses agressions dont il avait fait l’objet. La SPR a conclu, au vu de la preuve dont elle était saisie, que le traitement subi équivalait à du harcèlement et à de la discrimination, plutôt qu’à de la persécution. Selon le défendeur, cette conclusion appartient aux issues possibles acceptables et est donc raisonnable.

 

[37]           Compte tenu de la conclusion tirée précédemment, il ne reste au demandeur que les autres agressions dont il a fait le récit. Selon la jurisprudence sur les demandes d’asile des Roms, la Cour semble disposée, lorsqu’un demandeur a dit avoir été victime d’agressions physiques, à maintenir la conclusion de la SPR selon laquelle il s’agissait là de discrimination, et non de persécution (Orban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 559; Balla c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1436; Szucs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 100 ACWS (3d) 650). Dans ces affaires, la Cour fédérale a conclu que les demandeurs étaient uniquement exposés à de la discrimination, et non à de la persécution, bien qu’ils aient eu des antécédents d’agressions physiques violentes. Les agressions étaient d’un degré moindre en l’espèce, et le demandeur n’a pas sérieusement tenté de les signaler à la police. Il y avait cohérence entre un tel comportement et la conclusion de la SPR selon laquelle les agressions étaient de la nature d’un harcèlement, plutôt que d’une persécution.

 

[38]           La prétention de persécution du demandeur recouvre toutefois davantage que les seules agressions dont il a fait l’objet. Le demandeur soutient également que les Roms sont persécutés en raison de leur race et que lui-même a subi un pareil traitement, notamment en étant rétrogradé de son poste de cuisinier à un poste de plongeur parce qu’il était Rom. Il a aussi déclaré qu’il ne pouvait trouver nulle part ailleurs un emploi de cuisinier.

 

[39]           À mon avis, la SPR ne s’est pas penchée de manière satisfaisante sur cet élément important de la demande d’asile du demandeur. La SPR a bien reconnu que le demandeur n’avait pu exercer le métier de cuisinier pour lequel il avait été formé. Mais prendre acte ne suffit pas. La SPR devait examiner tant les restrictions visant l’emploi du demandeur que ses perspectives d’emploi futures lorsqu’elle s’est demandée « si la persécution alléguée par le demandeur d’asile mena[çait] de façon importante ses droits fondamentaux de la personne ».

 

[40]           Lorsqu’elle a dû examiner si elle avait affaire à des cas de discrimination ou de persécution, la Cour fédérale a jugé utile de renvoyer au Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés du HCNUR (réédité, Genève, 1992 (Gorzsas c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2009 CF 458). Le Guide prévoit ce qui suit à son paragraphe 54 :

Dans de nombreuses sociétés humaines, les divers groupes qui les composent font l’objet de différences de traitement plus ou moins marquées. Les personnes qui, de ce fait, jouissent d’un traitement moins favorable ne sont pas nécessairement victimes de persécutions. Ce n’est que dans des circonstances particulières que la discrimination équivaudra à des persécutions. Il en sera ainsi lorsque les mesures discriminatoires auront des conséquences gravement préjudiciables pour la personne affectée, par exemple de sérieuses restrictions du droit d’exercer un métier, de pratiquer sa religion ou d’avoir accès aux établissements d’enseignement normalement ouverts à tous.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[41]           Le demandeur a dit qu’on l’avait rétrogradé au poste de plongeur parce qu’il était Rom et qu’il n’avait pu travailler nulle part comme cuisinier. Une preuve documentaire atteste en outre du chômage sévissant chez les Roms en Hongrie, de manière conforme à ce que le demandeur a déclaré avoir vécu.

 

[42]            La SPR devait tenir compte de la preuve documentaire en plus de la situation personnelle du demandeur pour déterminer si les faits démontraient que celui-ci avait été persécuté en raison de son origine rom (Bors c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1004, 94 Imm LR (3d) 112, paragraphe 80). En l’espèce, on relevait dans le rapport de 2009 sur les droits de la personne en Hongrie du Département d’État américain que, selon les ONG spécialisées dans les droits de la personne, les Roms faisaient l’objet de discrimination dans ce pays dans pratiquement tous les domaines, notamment celui de l’emploi, et que le taux de chômage des Roms était apprécié à 40% dans l’ensemble de la Hongrie et à plus de 90% dans les régions sous‑développées.

 

[43]           La SPR a mentionné dans ses motifs, mais n’a pas analysé, les restrictions visant l’exercice du métier du demandeur. La SPR n’a pas traité non plus de la preuve documentaire étayant les prétentions du demandeur à ce sujet. Comme pouvoir exercer un métier est d’une si grande importance, la SPR ne devait pas simplement faire état des restrictions en cause dans son analyse. La SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en ne poussant pas plus loin son analyse.

 

La protection de l’État

 

[44]           Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en faisant abstraction de l’inefficacité des mesures prises par l’État hongrois pour s’attaquer aux problèmes vécus par les Roms. Il souligne que le fait, pour cet État, de consentir des efforts n’équivaut pas nécessairement à offrir une protection adéquate. Le simple fait que le gouvernement hongrois prenne des mesures ne suffit pas.

 

[45]           La SPR a bien relevé que la preuve documentaire faisait état de nombreux problèmes rencontrés par les Roms dans la société hongroise. Elle a toutefois conclu de la preuve documentaire que le gouvernement hongrois consentait de sérieux efforts pour régler la question. Cela suffisait, selon le défendeur, comme la protection de l’État n’a pas à être toujours parfaite, ni même toujours efficace (Kovacs c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1003).

 

[46]           Il y a lieu de présumer qu’un État est en mesure de protéger ses citoyens; le demandeur doit confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer sa protection (Ward c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 2 RCS 689, 103 DLR (4th) 1, paragraphes 50 et 51). En outre, le fardeau de preuve incombant au demandeur quant à la disponibilité de la protection d’un État est directement proportionnel au degré de démocratie prévalant dans cet État (Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 DLR (4th) 532, 124 FTR 160 (CAF), paragraphe 5).

 

[47]           La SPR est présumée avoir examiné toute la preuve (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF. n° 598 (CAF); Ramirez Chagoya c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 721). La SPR doit toutefois traiter de la preuve contraire à ses conclusions présentée par un demandeur et expliquer pourquoi elle a choisi de l’écarter (Cedepa-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF n° 1425, 157 FTR 35).

 

[48]           Il ne suffit pas pour la SPR de formuler une déclaration générale. La Commission doit faire référence à la preuve contraire et expliquer pourquoi elle ne lui accorde aucun poids (Sanchez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1336, [2008] ACF n° 1673; Aguirre v Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 916, [2010] ACF n° 1116).

 

[49]           Trois prétentions principales au sujet de la persécution ressortent de la preuve du demandeur. Comme d’autres Roms, premièrement, ce dernier a subi des agressions physiques. Il affirme, deuxièmement, que la situation générale des Roms a empiré en Hongrie, en raison de la présence notamment de groupes xénophobes de droite qui manifestent contre les Roms et qui recherchent l’affrontement avec eux. Enfin, le demandeur soutient avoir subi d’autres formes de persécution, en ayant ainsi été victime de propos racistes et d’hostilité ainsi qu’en ayant vu restreinte sa capacité d’exercer un métier.

 

Les agressions physiques

 

[50]           Le demandeur n’a pas présenté de preuve claire et convaincante quant à la capacité de l’État de le protéger d’agressions physiques, étant donné que sa seule tentative pour obtenir cette protection avait consisté à s’approcher une fois d’une auto-patrouille. Le défaut du demandeur de demander la protection de l’État n’est pas inhabituel. Selon l’Enquête de l’Union européenne sur les minorités et la discrimination de 2009 portant sur les Roms, 85 p. 100 des répondants roms hongrois n’avaient pas signalé les crimes ayant pu être perpétrés contre eux dans les 12 mois qui avaient précédé. Quoi qu’il en soit, je conclus que le demandeur n’a pas démontré par sa preuve pourquoi il craignait la police de telle manière qu’il ne lui avait pas signalé les agressions commises contre lui. Le mécontentement ou la méfiance à l’endroit de la police n’est pas en soi un motif suffisant.

 

La situation générale

 

[51]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas pris en compte la preuve documentaire relative aux agressions racistes, aux meurtres de Roms et aux incendies survenus depuis 2008. Il fait valoir plus particulièrement que la SPR a fait abstraction de tous les éléments de preuve contraires à ses conclusions, en citant, à titre d’exemple, le passage suivant du rapport de 2010 sur les droits de la personne en Hongrie du Département d’État américain :

[traduction]

 

Parmi les atteintes aux droits de la personne, il y a eu usage de force excessive par la police contre les suspects, particulièrement les suspects roms, la corruption au sein du gouvernement, la violence sociétale envers les femmes et les enfants, le harcèlement sexuel des femmes ainsi que la traite de personnes. D’autres problèmes ont pris de l’ampleur, comme la rhétorique extrémiste et antagoniste contre les minorités ethniques et religieuses. Les extrémistes s’en sont pris de plus en plus aux Roms, de sorte que quatre d’entre eux ont été tués et de nombreux autres ont été blessés. Les Roms ont continué d’être victimes de discrimination dans les domaines de l’éducation, du logement, de l’emploi et de l’accès aux services sociaux.

 

[Souligné dans les observations du demandeur.]

 

 

[52]           Le demandeur affirme que la SPR a fait abstraction de tous les documents qu’il avait produits et de tous ceux qu’elle avait obtenus de ses propres sources, y compris le rapport du Département d’État américain confirmant que la discrimination par la police persistait contre les Roms. C’était là une erreur fatale selon le demandeur, qui a mis l’accent sur la violence à l’endroit des Roms et sur l’accroissement des activités xénophobes de la droite.

 

[53]           Contrairement à ce que prétend ainsi le demandeur, la SPR a fait état des documents produits par ce dernier, par exemple les rapports sur les pratiques des droits de la personne publiés en 2009 par le Département d’État américain qui mentionnent le long passé de discrimination contre les Roms en Hongrie, ainsi que d’autres documents décrivant le mauvais traitement réservé aux Roms.

 

[54]           La SPR a particulièrement fait mention du rapport du 20 juin 2008, adopté par la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance, et déclaré ce qui suit à son sujet :

Le rapport fait état de nombre d’initiatives entreprises par le gouvernement de la Hongrie afin d’éradiquer la discrimination et le racisme dans ce pays. Bien que les organisations politiques de droite se fixant des objectifs xénophobes font partie du processus démocratique, le gouvernement de la Hongrie a pris diverses mesures pour restreindre et interdire leurs activités.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[55]           L’examen de la documentation plus récente sur le pays, postérieure à 2008, révèle que bien qu’une organisation politique de droite et xénophobe ait gagné du terrain en Hongrie, elle ne fait pas partie du gouvernement.

 

[56]           Je conclus que la SPR n’a pas fait abstraction de la situation générale régnant en Hongrie, car elle a pris en compte la preuve contraire à ses propres conclusions, et a tiré celles-ci en se fondant sur l’ensemble de la preuve documentaire.

 

Le moyen de subsistance

 

[57]            La SPR doit procéder à une analyse individualisée qui tienne compte de la situation personnelle du demandeur lorsqu’elle doit apprécier si celui‑ci a démontré ou non qu’il ne pouvait se réclamer de la protection de son État. La conclusion de la SPR relative à la protection de l’État doit être individualisée et porter sur le demandeur en cause (Raja c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1335; Khilji c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] ACF n° 811, 2004 CF 667 (1re inst.)).

 

[58]           La SPR a traité de la situation générale des Roms en Hongrie et des mesures prises par le gouvernement pour améliorer la situation. Elle a fait mention de la résolution adoptée par le Parlement hongrois sur le Plan stratégique relatif au programme de la Décennie pour l’intégration des Roms pour 2007-2015. La SPR a relevé qu’on énonçait dans la résolution un ensemble de tâches devant être accomplies sur le plan social, notamment en matière d’emploi. La SPR en a toutefois fait état dans le cadre d’une analyse générale. Une telle analyse peut suffire lorsqu’un demandeur fait valoir la situation générale qui prévaut, mais davantage est requis lorsque celui-ci a produit une preuve qui est directement liée à sa situation personnelle.

 

[59]           En appréciant la preuve documentaire, la SPR n’a pas tenu compte des restrictions empêchant le demandeur d’exercer le métier pour lequel il a été formé.

 

[60]           Je conclus que l’appréciation par la SPR de la disponibilité de la protection de l’État n’a pas pris en compte la situation individuelle du demandeur. Je conclus donc qu’était déraisonnable l’analyse ayant conduit la SPR à conclure que le demandeur pouvait se réclamer de la protection de l’État.

 

Conclusion

 

[61]           La demande de contrôle judiciaire sera accueillie, et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

[62]           Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale en vue de sa certification, et je ne certifie aucune question.

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Juriste-traducteur et traducteur-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4326-10

 

INTITULÉ :                                       LASZLO HORVATH c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 14 AVRIL 2011

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS ET

DU JUGEMENT :                             LE 23 NOVEMBRE 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Peter Ivanyi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Ladan Shahrooz

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rochon Genova LLP

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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