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Date : 20111122


Dossier : T-267-11

Référence : 2011 CF 1338

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2011

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MARTINEAU

 

 

ENTRE :

 

CLIC INTERNATIONAL INC.

 

 

 

demanderesse

 

et

 

 

 

CONVENIENCE FOOD INDUSTRIES (PRIVATE) LIMITED

et

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

 

 

défendeurs

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T‑13, modifiée (la Loi), d'une décision en date du 10 décembre 2010 par laquelle le registraire des marques de commerce (le registraire) a radié la marque de commerce LAZIZA et le dessin y afférent (la marque de commerce) enregistrée sous le numéro LCM323215 en liaison avec des « haricots fava en boîtes » à l’issue d’une instance en radiation introduite en vertu de l'article 45 par Convenience Food Industries (Private) Limited (la défenderesse) contre Clic International Inc (la demanderesse), laquelle était la propriétaire de la marque de commerce.

 

[2]               Une illustration de la marque de commerce est reproduite ci‑dessous :

 

[3]               Le 5 décembre 2010, le registraire a fait parvenir à la demanderesse un avis exigeant qu'elle fournisse un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, pour chacune des marchandises ou chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce avait été « employée » au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis (la période pertinente). L’article 4 de la Loi prévoit qu’une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

 

[4]               La décision souvent citée Philip Morris Inc v Imperial Tobacco Ltd, (1987), 13 CPR (3d) 289, 8 FTR 310 (C.F. 1re inst.), explique à la page 293 l'objet de l'article 45 et énonce les éléments de preuve exigés pour démontrer que la marque déposée est employée au sens de cette disposition :

Il est bien établi que le but et l'objet de l'article 44 [maintenant l’article 45] sont d'assurer une procédure simple, sommaire et expéditive pour radier du registre les marques de commerce qui ne sont pas revendiquées de bonne foi par leurs propriétaires comme des marques de commerce en usage. Cette procédure a été décrite avec justesse comme visant à éliminer du registre le « bois mort » [...] La décision du registraire ne se prononce pas définitivement sur les droits substantifs, mais uniquement sur la question de savoir si l'enregistrement de la marque de commerce est susceptible de radiation conformément à l'article 44. Si l'usager est fiable, la preuve déposée en réponse à l'avis doit « indiquer » que la marque est employée ou, du moins, se rapporter à des faits dont on peut déduire un tel emploi. Une simple démarche statutaire, sous forme de stricte déclaration stipulant que l'inscrivant employait couramment la marque de commerce, dans la pratique normale du commerce, en liaison avec les marchandises, ne suffit pas pour en établir l'usage, à moins qu'elle soit accompagnée de faits qui la corroborent d'une manière descriptive. La preuve d'une seule vente, en gros ou au détail, effectuée dans la pratique normale du commerce peut suffire, dans la mesure où il s'agit d'une véritable transaction commerciale et qu'elle n'est pas perçue comme ayant été fabriquée ou conçue délibérément pour protéger l'enregistrement de la marque de commerce. La preuve qui donne suite à l'avis de l'article 44 doit se fonder sur la qualité, non la quantité, et une preuve surabondante serait inutile et injustifiable.

 

 

[5]               En réponse à l'avis donné en vertu de l'article 45, la demanderesse a produit l'affidavit souscrit par M. Antoine Kassas, premier vice-président de la demanderesse, auquel étaient joints des échantillons des étiquettes apposées sur les boîtes de haricots au cours de la période pertinente. Une illustration de cet échantillon est reproduite ci‑dessous :

 

[6]               La demanderesse a admis sans peine devant le registraire que la marque de commerce employée présentait certaines modifications par rapport à la version originale de la marque de commerce contestée, laquelle se caractérise par la présence du mot LAZIZA (la partie nominale) et par un dessin illustrant des palmiers dans un cercle (la composante graphique), mais elle affirme qu’il ne s’agit que de modifications mineures qui ne devraient pas avoir d'incidences sur les droits qu’elle possède sur la marque de commerce contestée. La demanderesse soutient que la seule caractéristique dominante de la marque de commerce est sa composante nominale, LAZIZA, et que, comme il s'agit d'un mot d'une langue étrangère, tout risque de confusion dans l'esprit des consommateurs quant à l'origine des marchandises vendues en liaison avec la marque de commerce est inexistant.

 

[7]               Le registraire était toutefois d'un avis différent. L'agent d'audience a plutôt décidé que la composante graphique de la marque de commerce constituait également un « trait essentiel » et un « élément distinctif » de la marque de commerce. Il a par conséquent conclu que l'absence de ce trait essentiel, combinée aux modifications et aux ajouts que contenait la version modifiée de la marque de commerce, avait pour effet de modifier l'identité de la marque de commerce au point où l'emploi de la version modifiée de la marque de commerce ne pouvait constituer un emploi de cette marque. La marque de commerce a par conséquent été radiée du registre.

 

[8]               Il est acquis aux débats en l'espèce qu'aucun élément de preuve complémentaire n'a été soumis à la Cour, et les deux parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Les avocats des parties font valoir que la question à trancher est celle de savoir si la décision contestée du registraire repose sur des motifs qui sont susceptibles de résister à un examen « assez poussé » et qu'elle n'est pas « manifestement erronée » pour reprendre la formule employée par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Mattel Inc c 3894207 Canada Inc, [2006] 1 RCS 772, au paragraphe 40, citant et approuvant l’arrêt Brasseries Molson, une société de personnes c John Labatt Ltd, [2000] ACF 159, au paragraphe 51.

 

[9]               La Cour signale que, depuis l'arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 62, la norme de contrôle appropriée dans le cas d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi est celui de la décision raisonnable, ce que la Cour d'appel fédérale a confirmé dans l'arrêt Scott Paper Limited c Smart & Bigger et autres, 2008 CAF 129, au paragraphe 11 (voir également les jugements Matol Biotech Laboratories Ltd c Jurak Holdings Ltd, 2008 CF 1082, aux paragraphes 6 à 8, Advance Magazine Publishers Inc c Wise Gourmet Inc, 2009 CF 1208, aux paragraphes 34 à 40, et Fasken Martineau Dumoulin sencrl, srl c Laboratoires Bio-Santé Inc, 2011 CF 802, au paragraphe 18).

 

[10]           La demanderesse affirme que la preuve d'emploi exigée dans le cas de l’instance prévue à l'article 45 est peu exigeante et qu'il suffit de convaincre le registraire que la marque déposée est toujours employée. La demanderesse soutient que les modifications illustrées dans la version modifiée de la marque de commerce ne sont rien de plus que des « modifications prudentes » qui sont autorisées par la jurisprudence dans la mesure où les caractéristiques dominantes de la marque de commerce sont préservées et que les différences sont si insignifiantes qu'elles ne sauraient tromper l'acheteur non averti (Promafil Canada Ltee c Munsingwear Inc, [1992] ACF 611 (CAF)).

 

[11]           Suivant la demanderesse, le registraire a commis une erreur en décidant que l'absence de dessin de palmiers dans un cercle modifie l'identité de la marque de commerce. À cet égard, la demanderesse invoque notamment le jugement Alibi Roadhouse Inc c Grandma Lee’s International Holdings Ltd, [1997] ACF 1329, dans lequel notre Cour a jugé que l'emploi du mot ALIBI souligné d'un trait gras constituait un emploi de la marque déposée et dessin ALIBI BAR & Grill et que le terme « Alibi » constituait le principal élément figurant dans les deux marques. La demanderesse cite également le jugement Eva Gabor International Ltd c 1459243 Ontario Inc, [2011] ACF 27, dans lequel notre Cour a jugé que l’emploi des mots XTS – VIRTUAL REALITY sans le carré encadrant la marque constituait effectivement un emploi de la marque déposée et dessin VIRTUAL REALITY.

 

[12]           La défenderesse affirme que, dans le cas des marques complexes combinant des mots et un dessin, il ne suffit pas d'établir l’emploi de la partie nominale pour démontrer qu’il s’agit d’un emploi de la marque de commerce déposée. En conséquence, le registraire a agi de façon raisonnable en décidant que l'enregistrement de la demanderesse ne protégeait que la marque de commerce comprenant à la fois la composante nominale et la composante graphique. Selon la défenderesse, cette décision est conforme à la jurisprudence et notamment à la décision Bierrsdorf AG c Becton, Dickinson and Co, (1992), 44  CPR (3d) 151, dans laquelle il a été décidé qu'une marque de commerce composée des lettres « B‑D » entourée d'un carré constituait un emploi de la marque de commerce déposée, laquelle consistait à l'origine en les lettres « B‑D » intégrées au dessin d'une feuille d'érable.

 

[13]           Après avoir examiné la décision contestée en tenant compte de l'ensemble de la preuve, j'estime que les conclusions et la décision du registraire ne sont pas déraisonnables. Je ne décèle aucune erreur de droit de la part de l'agent d'audience et j'estime que les motifs exposés dans la décision contestée sont transparents, qu'ils fournissent un fondement rationnel qui justifie la radiation de la marque de commerce et qu’ils constituent une issue acceptable et justifiable. Il n'appartient pas à notre Cour de soupeser de nouveau la preuve soumise au registraire. La conclusion tirée par l'agent d'audience suivant laquelle la composante graphique de la marque de commerce en constituait également un trait essentiel est une conclusion de fait qui reposait sur la preuve et qu'il était raisonnablement loisible à l'agent d'audience de tirer et ce, que l'échantillon reproduit dans la décision du registraire soit rogné ou non.

 

[14]           Le registraire a appliqué le bon critère, en l'occurrence celui de la capacité de l'acheteur non averti d'identifier des marchandises ayant la même origine (Canada (Registraire des marques de commerce) c Cie Internationale pour l’informatique CII Honeywell Bull SA, (1985) 4 CPR (3d) 523 [CII Honeywell]). Il était raisonnablement loisible au registraire de décider qu'outre le mot LAZIZA, le dessin du palmier constituait également un trait essentiel de la marque de commerce qui permettait de reconnaître cette dernière et que ce dessin ne pouvait plus être protégé si au cours de la période pertinente il n'était plus employé au sens du paragraphe 45(1) de la Loi.

 

[15]           La marque de commerce qui a été employée par la demanderesse et la marque de commerce déposée présentent des différences appréciables qu'on ne saurait guère qualifier de « négligeables ». En l'espèce, la preuve présentée par la demanderesse démontre à l'évidence qu'au cours de la période pertinente, la marque de commerce n'a été employée que dans une version modifiée qui non seulement ne comportait pas les palmiers encerclés du dessin original, mais qui se caractérisait aussi par la présence de caractères arabes inscrits dans un dessin ovale sous le mot LAZIZA, lui donnant ainsi une apparence différente. La police de caractères utilisée dans les échantillons pour écrire le mot LAZIZA est également très différente de celle employée pour la véritable marque de commerce. Il n'était donc pas déraisonnable de la part du registraire de conclure que cette modification ne pouvait être considérée comme une « modification prudente » de la marque de commerce.

 

[16]           La demanderesse conteste également l'affirmation du registraire suivant laquelle « Clic a pris la décision d’obtenir la protection du mot LAZIZA jumelé à un dessin de palmiers », en faisant valoir que le registraire s’est trompé lorsqu’il a estimé que la demanderesse aurait pu déposer une demande pour faire protéger la version nominale de sa marque de commerce si elle avait souhaité protéger ses droits sur l'emploi du mot LAZIZA. Suivant la demanderesse, le registraire a débordé le cadre de la question qu'il était appelé à trancher s’agissant d'une demande prévue à l'article 45. Cet argument n'est pas convaincant. Ainsi qu'il ressort de la décision contestée (notamment de son paragraphe 26), ce n'est pas le critère que l'agent d'audience a concrètement appliqué pour décider si la marque de commerce était employée au cours de la période pertinente. L'agent d'audience a simplement formulé ce commentaire en exposant son raisonnement pour justifier ou expliquer sa conclusion raisonnable suivant laquelle c'était uniquement en combinaison avec le dessin des palmiers, et non isolément, que le demandeur avait obtenu une protection pour le mot LAZIZA tel qu'il figurait dans la marque de commerce contestée.

 

[17]           La demanderesse soutient enfin que, malgré les modifications, les consommateurs continuent à reconnaître la marque de commerce et à l'associer à ses marchandises (affidavit de M. Antoine Kassas). Dans l'arrêt CII Honeywell, précité, au paragraphe 408, le juge Pratte a expressément déclaré, au sujet des demandes fondées sur l'article 45, qu' « il ne s'agit pas de déterminer si CII a trompé le public quant à l'origine de ses marchandises. Elle ne l'a manifestement pas fait. La seule et véritable question qui se pose consiste à se demander si, en identifiant ses marchandises comme elle l'a fait, CII a employé sa marque de commerce “Bull” . Il faut répondre non à cette question sauf si la marque a été employée d'une façon telle qu'elle n'a pas perdu son identité et qu'elle est demeurée reconnaissable malgré les distinctions existant entre la forme sous laquelle elle a été enregistrée et celle sous laquelle elle a été employée ». En l'espèce, le registraire n'a pas commis d'erreur en répondant par la négative à cette question.

 

[18]           Vu ce qui précède, le présent appel devrait être rejeté. À l'audience, les avocats ont convenu que les dépens devaient suivre l'issue de la cause et qu'un montant forfaitaire de 3 000 $ devait être adjugé à titre de dépens à la partie qui obtiendrait gain de cause.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que l'appel est rejeté. Les dépens, qui sont établis à 3 000 $, sont adjugés en faveur de la défenderesse Convenience Food Industries (Private) Limited.

 

« Luc Martineau »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-267-11

 

INTITULÉ :                                      CLIC INTERNATIONAL INC c

                                                            CONVENIENCE FOOD INDUSTRIES (PRIVATE) LIMITED et REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L'AUDIENCE :             Le 7 novembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 22 novembre 2011

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mitchell Charness

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Cindy Bélanger

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ridout & Maybee SRL

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Heenan Blaikie SRL

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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