Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20111122


Dossier : IMM-925-11

Référence : 2011 CF 1336

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2011

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

 

RONILO VELASQUEZ PEREZ

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision, en date du 24 janvier 2011, par laquelle le consul J. Seyler, l’agent des visas, a refusé la demande de résident permanent présentée par le demandeur en raison de l’état de santé de son fils à charge, Carlos Niro Perez (Carlos). L’agent des visas, fort de l’opinion du médecin agréé, a conclu que Carlos, chez qui a été diagnostiquée une [traduction] « profonde surdité de perception », est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Par conséquent, il a été déclaré interdit de territoire au Canada aux termes du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Conformément à l’article 42 de la LIPR, l’interdiction de territoire au Canada frappant Carlos rend aussi les autres membres de sa famille interdits de territoire.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. L’agent des visas a commis une erreur dans son appréciation des services sociaux que l’état de santé de Carlos risque d’entraîner, et a aussi violé le droit du demandeur à l’équité procédurale en omettant de lui faire part de manière appropriée de ses préoccupations.

 

1. Contexte

[3]               Ronilo Velasquez Perez, le demandeur, est né le 15 octobre 1966 dans la ville de Quezon. Il est citoyen des Philippines. Le demandeur et son épouse, Arlene De Guzman Perez, ont quatre enfants, soit Carlos, Patricia, Francesca et Ronielene. Ils sont tous nés aux Philippines.

 

[4]               Le demandeur travaillait en qualité d’ingénieur aux Philippines. Actuellement, il est en train de terminer les formalités pour avoir le titre d’ingénieur au Canada. Il est arrivé au Canada en mars 2007 avec un permis de travail temporaire. Depuis, il travaille pour WorleyParsons, à Edmonton, entreprise qui se spécialise dans la prestation de services d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction. Le demandeur agit actuellement comme chef de l’unité de gestion responsable de la conception de tuyauterie pour WorleyParsons.

 

[5]               Le 8 mai 2009, M. Perez a présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des candidats des provinces au consulat général du Canada, au Centre régional de programmes de l’Immigration de Buffalo (New York). Sa demande visait également son épouse et ses quatre enfants.

 

[6]               M. Perez remplissait les critères de sélection, mais il devait, ainsi que les membres de sa famille, quand même satisfaire aux conditions de la LIPR en matière d’admissibilité. L’agent des visas a fait parvenir une lettre d’équité procédurale à M. Perez en date du 5 janvier 2010. Ladite lettre l’informait qu’il serait peut-être interdit de territoire parce qu’un membre de sa famille, à savoir Carlos, est visé au paragraphe 38(1) de la LIPR : en effet, l’état de santé de Carlos était susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Il s’est vu autorisé à soumettre dans les 60 jours des renseignements et des documents additionnels concernant l’état de santé de son fils ou le diagnostic. M. Perez a aussi été invité à [traduction] « soumettre des renseignements concernant la question du fardeau excessif », le cas échéant.

 

[7]               Dans son affidavit, M. Perez soutient que sa famille a d’abord appris que Carlos avait une déficience auditive lorsqu’ils sont arrivés au Canada en juin 2008. Une profonde surdité bilatérale de perception a été diagnostiquée. Le demandeur a discuté des traitements possibles pour Carlos avec une équipe de médecins et de spécialistes pluridisciplinaire de l’hôpital de réadaptation Glenrose, situé en Alberta, l’un des principaux centres au Canada qui procède à l’installation d’implants cochléaires. À Glenrose, l’équipe pluridisciplinaire de professionnels du domaine médical se compose d’orthophonistes, d’éducateurs de personnes sourdes, d’audiologistes, de psychologues, de travailleurs sociaux, d’otorhinolaryngologistes et de pédiatres. Carlos a plus tard été retenu comme candidat éventuel pour subir une intervention chirurgicale; le 28 mai 2009, il a subi une chirurgie qui s’est avérée un succès. Depuis, il a fait des progrès considérables et il est maintenant en mesure d’indiquer ses désirs et ses besoins, au moyen de mots utilisés seuls ou d’approximations de mots.

 

[8]               En réponse à cette première lettre, le demandeur a entre autres présenté une lettre de la Dre Gail Andrew, pédiatre spécialisée en développement et chef médicale du département de pédiatrie à l’hôpital de réadaptation Glenrose. Après avoir résumé la procédure liée à l’installation des implants cochléaires chez un patient atteint de surdité bilatérale, la chirurgie que Carlos a subie et ses progrès subséquents, voici ce qu’elle a indiqué :

[traduction] Carlos a déjà démontré qu’il a bénéficié de l’implant cochléaire et il est prévu qu’il continuera à en tirer avantage. Pour continuer à faire des progrès, il devra suivre un programme de réadaptation orale, qui est actuellement offert à l’hôpital de réadaptation Glenrose. Il existe d’autres centres de réadaptation au Canada en mesure d’offrir ce niveau de soutien. Il est peu probable qu’il sera en mesure de recevoir ce type de soin s’il retourne à Manille. Le coût associé à l’appareil et à la chirurgie de Carlos entourant sa déficience a déjà été assumé. Grâce à son intelligence moyenne non verbale, Carlos peut devenir un citoyen fonctionnel qui contribuera à la société. À l’heure actuelle, il ressort de la littérature sur l’installation précoce des implants cochléaires, que les enfants qui en ont sont bien placés pour poursuivre leur scolarité dans une classe régulière et ont une moins grande dépendance à l’égard des services de soutien en éducation spécialisée. En Alberta, les résultats des enfants qui ont été suivis par notre service d’implants cochléaires à l’hôpital de réadaptation Glenrose cadrent avec ceux de la littérature. Carlos et les autres enfants ayant des implants cochléaires ne peuvent être assimilés aux enfants n’ayant pas d’implants cochléaires qui ont des niveaux similaires de déficience auditive. Je vous saurais gré de bien vouloir examiner la demande d’immigration de Carlos en tenant compte du fait que la majeure partie des dépenses onéreuses de son traitement a déjà été assumée ici au Canada et il est peu probable qu’il recevra les services de réadaptation dont il a besoin pour pleinement profiter des bienfaits de l’appareil s’il ne vit pas dans un grand centre lui permettant d’avoir accès aux services tels que ceux offerts à l’hôpital de réadaptation Glenrose.

 

 

[9]               Les directeurs d’une école élémentaire ont écrit une autre lettre dans laquelle ils soutiennent qu’ils accueilleraient Carlos dans leur programme de prématernelle, dans le cadre duquel il bénéficierait du soutien d’un enseignant et d’un assistant pour répondre à ses besoins particuliers pour favoriser son apprentissage.

 

[10]           Après examen des documents que le demandeur a déposés, il appert qu’un autre médecin agréé a estimé que Carlos aurait probablement besoin d’une éducation spécialisée au cours des quelques années suivantes. À la lumière du document du  ministère de l’Éducation de l’Alberta intitulé Education Funding in Alberta (Kindergarten to Grade 12) 2010/11 School Year (Fonds destinés à l’éducation en Alberta (maternelle à 12e année) – année scolaire 2010-2011), il pourrait toujours se prévaloir d’un financement pour éducation spécialisée en vertu du code 45 (surdité-incapacité grave), malgré son implant cochléaire. Le médecin agréé a conclu que l’état de santé de Carlos est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux. Plus précisément, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il entraîne des coûts pour les services sociaux aux termes du financement offert sous le code 45 en Alberta (d’après le document susmentionné du ministère de l’Éducation de l’Alberta) de 24 560 $ pour une année de maternelle et de 16 465 $ par an pour les quatre années de l’enseignement élémentaire, soit 90 420 $ au total en cinq ans.

 

[11]           Étant donné la nouvelle expertise médicale, selon laquelle Carlos était interdit de territoire au Canada pour motifs sanitaires parce que son état de santé est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux, l’agent des visas a fait parvenir une autre lettre d’équité procédurale à M. Perez, datée du 9 juin 2010. Dans cette lettre, il est indiqué que Carlos peut être interdit de territoire en raison de son état de santé; de plus, M. Perez est invité à fournir d’autres renseignements au sujet de l’état de santé de son fils ou du diagnostic ainsi que de la question du fardeau excessif.

 

[12]           En réponse à cette seconde lettre, le demandeur a soumis d’autres documents, dont une nouvelle lettre de la Dre Gail Andrew. Dans cette lettre, cette dernière a réitéré les progrès réalisés par Carlos et son opinion que l’enfant serait en mesure de fréquenter une classe régulière inclusive, avec le soutien minime d’un aide‑enseignant et en recourant aux services d’un orthophoniste. Elle a aussi fait observer que le ministre de l’Éducation de l’Alberta avait examiné l’information au sujet de Carlos et fourni une lettre de soutien pour Carlos et sa famille dans le cadre de leur demande de résidence permanente. En conclusion, elle a déclaré ce qui suit :

[traduction] J’estime que Carlos ne constituera pas un fardeau pour les services de santé, les services d’éducation ou les services sociaux de la province d’Alberta. Ainsi qu’il est précisé précédemment, la plus grande partie des coûts des soins de santé ont déjà été engagés et le coût associé au suivi par les services d’audiologie est minime. Il a une excellente santé en général et, à moins de problèmes de santé imprévus dont quiconque peut être atteint au cours de sa vie, j’estime qu’il ne constituera pas un fardeau. En ce qui a trait aux coûts liés au système d’éducation, il sera apte à suivre des cours dans une classe régulière avec un soutien minime d’un intervenant comme un aide-enseignant et bénéficiera, comme tous les autres élèves, des outils technologiques. Pour ce qui est des coûts liés aux services sociaux, Carlos a une famille stable sur laquelle il peut compter. Son père exerce un emploi lucratif en Alberta et est stable financièrement. […] Si Carlos devait retourner aux Philippines, il ne pourrait avoir accès au niveau de suivi que nécessitent les implants cochléaires et aux services éducatifs appropriés. Il n’aura pas accès à un centre tel que l’hôpital de réadaptation Glenrose où nous avons une expertise en implants cochléaires. En raison de la réussite de sa chirurgie, Carlos ne peut être comparé à un enfant atteint de surdité similaire à la sienne mais n’ayant pas bénéficié d’un implant cochléaire.

 

 

[13]           M. Perez a aussi soumis une lettre du directeur de la garderie Southview, exploitant de services à la petite enfance du secteur privé, qui a contesté une affirmation de l’agent des visas selon laquelle Carlos est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé. Voici ce qui est entre autres indiqué dans la lettre :

[traduction] Cette déclaration est, à mon avis, inexacte, étant donné que Carlos ne souffre plus d’un problème médical. Il est maintenant un enfant entendant et, en dépit du fait qu’il aura besoin d’un suivi auditif à l’hôpital de réadaptation Glenrose, je crois fermement que Carlos ne nécessitera pas un soutien continu à titre d’élève, et plus tard, comme adulte. Il n’a pas d’autres problèmes de santé qui l’empêcheront de fréquenter l’école dans une classe régulière. Nos autorités scolaires recevront des fonds de l’unité des programmes pour Carlos à compter de septembre 2010 et peut‑être à l’automne de 2011. Grâce à ces fonds, notre école pourra offrir à Carlos des services d’appui, étant donné qu’il apprend à se servir de son implant, et l’aider à s’intégrer avec succès dans une classe. De par mon expérience au cours des vingt dernières années avec des enfants qui ont des implants cochléaires, ces enfants connaissent un succès considérable; par conséquent, Carlos n’entraînera pas un fardeau excessif pour les services de santé, les services d’éducation et les services sociaux et/ou nécessitera des services plus coûteux que le Canadien moyen.

 

 

[14]           Enfin, M. Perez a aussi envoyé une lettre de son employeur, indiquant qu’il gagne 129 000 $ par année et qu’il bénéficie, de même que les membres de sa famille, d’un régime d’avantages sociaux complet offert par l’entreprise, qui prévoit un soutien considérable pour son fils.

 

[15]           Les documents du demandeur de même que les lettres en réponse à la lettre d’équité procédurale de juin 2010 ont été acheminés aux services médicaux de l’Immigration, à Ottawa, afin de permettre à un médecin agréé d’évaluer si cette information avait une incidence sur l’opinion médicale antérieure selon laquelle l’état de santé de Carlos entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux. Le médecin agréé a indiqué que Carlos peut toujours se prévaloir d’un financement pour éducation spécialisée en vertu du code 45 (surdité-incapacité grave), malgré son implant cochléaire. Le ministère de l’Éducation de l’Alberta définit un élève/enfant qui présente une déficience auditive profonde comme étant un élève/enfant qui présente une déficience auditive d’au moins 71 décibels dans la meilleure oreille sans le port d’un appareil, ou qui, avant l’implant cochléaire, présentait une déficience auditive de 71 décibels et nécessite des services de soutien en éducation spécialisée. Les rapports antérieurs figurant dans le dossier et les nouveaux rapports présentés confirment que Carlos devra recourir à des services de soutien en éducation spécialisée pendant plusieurs années pour acquérir des compétences linguistiques auditives et orales normales.

 

[16]           Les fonds de l’unité des programmes, mentionnés par le directeur de la garderie de Southview, sont accordés par le ministère de l’Éducation de l’Alberta aux autorités scolaires pour des services à l’intention des jeunes enfants atteints de déficiences graves qui nécessitent du soutien additionnel à celui qui est offert dans le cadre d’un programme d’éducation régulier. Le financement de l’unité des programmes est accordé à des fins de programmes individualisés qui respectent les besoins en éducation des enfants atteints de déficiences ou d’un retard graves âgés de moins de six ans; le financement peut être accordé pour une période maximale de trois ans pour chaque enfant admissible. Le directeur de l’école (Southview) qu’on réservait à Carlos a déclaré qu’il désirait obtenir ce financement pour Carlos en septembre 2010 et peut‑être à l’automne 2011.

 

[17]           Selon le médecin agréé, même si Carlos avait seulement besoin d’un soutien en éducation spécialisée en classe au cours des deux prochaines années, le financement de l’unité des programmes s’élèverait à 41 025 $ (24 560 $ pour la maternelle et 16 465 $ pour la première année). Ce montant est beaucoup plus élevé que le seuil de 27 525 $ en cinq ans au‑delà duquel il y a fardeau excessif. Le demandeur n’a présenté aucun plan visant à compenser le coût associé au soutien en éducation spécialisée des services sociaux. Par conséquent, le médecin agréé a conclu, à la lumière des résultats des visites médicales et de tous les rapports reçus, notamment l’information présentée par le demandeur en réponse à la lettre d’équité du 9 juin 2010, que la récente information ne change en rien l’opinion médicale antérieure selon laquelle Carlos est interdit de territoire au Canada pour motifs sanitaires aux termes du paragraphe 38(1) de la LIPR, parce que son état de santé est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé.

 

[18]           L’agent des visas a examiné le contenu du dossier, l’opinion médicale et tous les documents présentés en réponse à la lettre d’équité procédurale de juin 2010. Il a souligné que M. Perez n’a pas soumis de plan qui précise le soutien que pourrait apporter un établissement d’enseignement privé ou une école privée afin d’éviter le financement de l’unité des programmes de l’Alberta, auquel son établissement préscolaire (garderie Southview) désirait recourir à l’automne 2010 et peut‑être aussi à l’automne 2011. L’agent des visas a estimé que l’opinion du médecin agréé et l’évaluation de l’état de santé de Carlos étaient équitables et raisonnables, et qu’il était donc interdit de territoire en vertu du paragraphe 38(1) de la LIPR, ce qui, par ricochet, a rendu M. Perez et les autres personnes à sa charge interdits de territoire aux termes de l’alinéa 42a) de la LIPR. M. Perez s’est donc vu refuser sa demande en vertu du paragraphe 11(1) de la LIPR.

 

[19]           L’agent des visas a ensuite tenu compte des considérations d’ordre humanitaire (CH) dont M. Perez a fait mention dans sa lettre en date du 4 août 2010. Il est indiqué dans cette lettre que les implants cochléaires sont rares aux Philippines et que Carlos n’aurait pas accès à la formation et à la technologie pour le programme de réadaptation là-bas. L’agent des visas a toutefois conclu que M. Perez n’a pas fourni de détails, de documents de recherche ou d’autres éléments de preuve pour étayer ses allégations concernant les difficultés. Par conséquent, il n’était pas convaincu qu’il existait des considérations d’ordre humanitaire suffisantes pour justifier une dispense d’application des dispositions relatives à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires en vertu de la LIPR, et la demande CH a été rejetée.

 

2. Questions à trancher

[20]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève les trois questions suivantes :

a)  L’agent des visas a-t-il omis d’effectuer une appréciation individualisée du fils du demandeur?

b)  Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

c)  L’évaluation CH était‑t‑elle raisonnable?

 

3. Le cadre législatif

[21]           Le paragraphe 38(1) de la LIPR prévoit qu’un étranger est interdit de territoire pour motifs sanitaires si son état de santé « risqu[e] d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé ». L’article 42 de cette même loi applique cette interdiction de territoire à d’autres membres de la famille :

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

 

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

 

 

 

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non-accompanying family member is inadmissible; or

 

 

(b) they are an accompanying family member of an inadmissible person.

 

[22]           Conformément à l’article 20 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], l’agent chargé du contrôle conclut à l’interdiction de territoire de l’étranger pour motifs sanitaires si, à l’issue d’une évaluation, l’agent chargé de l’application des dispositions relatives aux visites médicales a conclu que l’état de santé de l’étranger constitue vraisemblablement un danger pour la santé ou la sécurité publiques ou risque d’entraîner un fardeau excessif.

 

[23]           Quant au « fardeau excessif », il a été défini comme suit au paragraphe 1(1) du RIPR :

a) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé dont le coût prévisible dépasse la moyenne, par habitant au Canada, des dépenses pour les services de santé et pour les services sociaux sur une période de cinq années consécutives suivant la plus récente visite médicale exigée par le présent règlement ou, s’il y a lieu de croire que des dépenses importantes devront probablement être faites après cette période, sur une période d’au plus dix années consécutives;

 

b) de toute charge pour les services sociaux ou les services de santé qui viendrait allonger les listes d’attente actuelles et qui augmenterait le taux de mortalité et de morbidité au Canada vu l’impossibilité d’offrir en temps voulu ces services aux citoyens canadiens ou aux résidents permanents.

(a) a demand on health services or social services for which the anticipated costs would likely exceed average Canadian per capita health services and social services costs over a period of five consecutive years immediately following the most recent medical examination required by these Regulations, unless there is evidence that significant costs are likely to be incurred beyond that period, in which case the period is no more than 10 consecutive years; or

 

 

(b) a demand on health services or social services that would add to existing waiting lists and would increase the rate of mortality and morbidity in Canada as a result of an inability to provide timely services to Canadian citizens or permanent residents.

 

[24]           La disposition en vigueur relativement à l’interdiction de territoire vise à éviter les effets négatifs sur les systèmes canadiens de services sociaux et de santé qui sont financés à l’aide des fonds publics, en interdisant le territoire aux immigrants éventuels dont l’état de santé entraînerait un fardeau excessif pour les services sociaux et de santé au Canada, tout en faisant en sorte que certains groupes d’immigrants qui disposent de motifs d’ordre humanitaire impérieux justifiant leur admission au Canada ne soient pas interdits de territoire pour motifs sanitaires. Les dispositions relatives à l’interdiction de territoire pour motifs sanitaires figurant dans l’ancienne Loi sur l’immigration et la version antérieure de la LIPR visaient à faire en sorte que les ressources limitées et onéreuses du système canadien de soins de santé n’aient pas à faire face à des fardeaux excessifs, de manière à assurer sa viabilité pour les années à venir (voir Résumé de l’étude d’impact de la réglementation, Gazette du Canada, Partie II, Édition spéciale vol. 136, no 9, p. 202).

 

4. Analyse

[25]           Les parties s’entendent quant à la norme de contrôle applicable pour ce qui est à tout le moins des deux premières questions. Ainsi qu’il est précisé dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir], la première étape dans le cadre d’une analyse visant à établir la norme de contrôle applicable consiste à vérifier si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Les avocates des deux parties s’entendent pour dire que la première question fait intervenir une décision largement tributaire des faits ainsi qu’une opinion spécialisée d’un médecin agréé et une évaluation d’un agent des visas, questions qui, selon la jurisprudence, sont susceptibles de contrôle selon la norme du caractère raisonnable (voir Hilewitz c Canada (MCI), 2005 CSC 57, au paragraphe 117, [2005] 2 RCS 706 [Hilewitz]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Abdul, 2009 CF 967, aux paragraphes 20 à 22, 353 FTR 307 [Abdul]; Vashishat c Canada (MCI), 2008 CF 1346, 77 Imm LR (3d) 230; Airapetyan c Canada (MCI), 2007 CF 42; Gao c Canada (MEI) (1993), 61 FTR 65 (CFPI), 38 ACWS (3d) 777).

 

[26]           La Cour qui applique la norme de la décision raisonnable doit se demander si la décision contestée possède les attributs de la raisonnabilité, qui comprend à la fois le processus et l’issue. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (MCI) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 63, [2009] 1 RCS 389 [Khosa]).

 

[27]           J’estime aussi que la décision de rejeter la demande CH commande l’application de la norme de la décision raisonnable. L’avocate du demandeur a fait valoir que l’agent des visas n’a pas suffisamment tenu compte des motifs d’ordre humanitaire. Il s’agit là, tout simplement, d’une autre façon de dire que le demandeur ne souscrit pas à la conclusion de l’agent des visas, étant donné que les arguments d’ordre humanitaire ont été examinés, mais rejetés faute d’éléments de preuve à l’appui. La Cour doit évidemment évaluer un tel examen en faisant preuve de retenue.

 

[28]           Quant à la deuxième question, il est bien établi qu’un tribunal n’a pas à déterminer la norme de contrôle qui s’applique. La cour de révision doit plutôt décider si les règles d’équité procédurale et l’obligation d’équité ont été respectées, en appréciant les circonstances particulières desquelles découle l’allégation et en déterminant quelles procédures et garanties étaient nécessaires dans les circonstances pour respecter l’obligation d’agir avec équité. Aucune retenue n’est requise (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, au paragraphe 100, [2003] 1 RCS 539; Dunsmuir, précité, aux paragraphes 129 et 151; Khosa, au paragraphe 43; Ha c Canada (MCI), 2004 CAF 49, au paragraphe 44, [2004] 3 CF 195).

 

a) L’agent des visas a-t-il omis d’effectuer une appréciation individualisée du fils du demandeur?

 

[29]           Le demandeur fait valoir que le médecin agréé et l’agent des visas ont omis de procéder à une appréciation individualisée du fardeau excessif que l’état de santé de Carlos risque d’entraîner pour les services sociaux du Canada. Pour étayer cette affirmation, il renvoie à l’arrêt Hilewitz, précité, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué que les médecins agréés appelés à se prononcer sur la question du « fardeau excessif » pour les services sociaux doivent nécessairement tenir compte de la disponibilité, de la rareté ou du coût des services financés par l’État, ainsi que de la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services visés. Cette décision est fondée sur le sous-alinéa 19(1)a)(ii) de l’ancienne Loi sur l’immigration, mais la Cour suprême du Canada a clairement indiqué que la même analyse vaut pour le paragraphe 38(1) de la LIPR, dont le libellé est suffisamment semblable à la disposition qu’il remplace. Les paragraphes suivants, tirés du jugement majoritaire rédigé par la juge Abella, rendent compte de l’essence de cette décision :

54. Le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario. Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services.

 

55. Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.

 

56. Cela exige, me semble‑t‑il, des appréciations individualisées. Il est impossible, par exemple, de déterminer la « nature », la « gravité » ou la « durée probable » d’une maladie sans le faire à l’égard d’une personne donnée. Si le médecin agréé s’interroge sur les services susceptibles d’être requis en se fondant uniquement sur la classification de la maladie ou de l’invalidité, et non sur la façon précise dont elle se manifeste, l’appréciation devient générique plutôt qu’individuelle. L’évaluation des coûts est alors faite en fonction de la déficience plutôt qu’en fonction de l’individu. Toutes les personnes atteintes d’une déficience donnée sont alors automatiquement exclues, même celles dont l’admission n’entraînerait pas, ou ne risquerait pas d’entraîner, un fardeau excessif pour les fonds publics.

 

[30]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que l’évaluation du médecin agréé, sur laquelle l’agent des visas s’est fondé pour déterminer l’admissibilité de Carlos au Canada, est loin de correspondre à l’appréciation individualisée qui est exigée dans l’arrêt Hilewitz, précité. D’après les raisons données par le médecin agréé, il semble que Carlos n’a pas fait l’objet d’une appréciation individuelle, qui tient compte de sa situation particulière, mais plutôt d’une appréciation générique visant les personnes atteintes de surdité. Il ressort d’une lecture attentive des deux lettres de la Dre Gail Andrew que le demandeur a présentées en preuve que Carlos ne devrait plus être considéré comme étant une personne atteinte de surdité, et qu’il a subi avec succès l’intervention chirurgicale. Plus précisément, Dre Gail Andrew déclare ce qui suit :

            [traduction]

            (i) des études scientifiques révèlent que les enfants qui subissent l’installation d’implants cochléaires en bas âge possèdent un potentiel auditif similaire aux enfants normaux non atteints de surdité;

            (ii) le coût du soutien en éducation dont a besoin un enfant qui a subi avec succès une chirurgie d’implants cochléaires en bas âge ne peut être comparé à celui d’un enfant ayant le même niveau de surdité, qui n’a pas eu recours à ce type de technologie;

            (iii) le développement auditif de Carlos, dans les six mois suivant la stimulation initiale de son implant, correspondait un développement de 12 mois;

            (iv) il ressort de la littérature actuelle sur les implants cochléaires installés chez des enfants en bas âge que ces enfants seront très probablement en mesure de poursuivre leur scolarité dans une classe régulière et ont une moins grande dépendance à l’égard des services de soutien en éducation spécialisée;

            (v) après l’installation d’implants cochléaires, bon nombre d’individus sont en mesure de poursuivre des études postsecondaires avec le concours des outils technologiques qui sont maintenant courants dans toutes les salles de classe, tels que les claviers tactiles et les ordinateurs portables;

            (vi) Carlos possède de grandes habiletés sociales et des compétences avancées pour résoudre des problèmes non verbaux; il est bien adapté et a la volonté voulue pour acquérir des compétences; il ne constituera pas un fardeau pour la classe.

 

[31]           Le médecin agréé a toutefois insisté sur la déclaration de la Dre Andrew selon laquelle [traduction] « Carlos sera en mesure de fréquenter une classe régulière inclusive, avec le soutien d’un aide-enseignant et en recourant aux services d’un orthophoniste ». Il a aussi décidé de mettre l’accent sur cette partie du rapport du directeur de l’établissement scolaire que fréquenterait Carlos, selon laquelle l’école recevrait des fonds de l’unité des programmes pour Carlos à compter de septembre 2010 et peut‑être à l’automne de 2011, ce qui permettrait à l’école d’offrir à Carlos des services d’appui, étant donné qu’il apprend à se servir de son implant, et aider l’enfant à s’intégrer dans une classe. À la lumière de ces renseignements, il a conclu que Carlos peut toujours se prévaloir d’un financement en vue d’une éducation spécialisée, accordé en Alberta aux personnes aux prises avec des problèmes de surdité et une incapacité grave, lequel s’élèverait à 41 025 $ pour deux ans.

 

[32]           Je souscris à l’opinion du demandeur qui estime que cette évaluation n’est pas raisonnable. Elle repose sur deux extraits pris hors contexte. Essentiellement, les lettres rédigées par la Dre Andrew et le directeur de la garderie Southview établissent que les capacités auditives et orales de Carlos se sont beaucoup améliorées depuis l’installation de son implant cochléaire, et qu’il aura besoin d’un soutien minime en ce qui a trait aux aides-enseignants et aux outils technologiques. D’ailleurs, le directeur de Southview n’a jamais dit qu’ils obtiendraient le plein montant des fonds de l’unité des programmes de la province, ni qu’ils l’obtiendraient pour les deux années. En tenant pour acquis que l’école demandera des fonds équivalant au montant maximum permis, soit 41 025 $, le médecin agréé n’a pas vraiment tenu compte des observations formulées au nom de Carlos, de ses besoins réels et du soutien en éducation spécialisée dont il pourrait avoir besoin. Le médecin agréé, en mettant l’accent sur l’admissibilité de Carlos à ces fonds, l’a considéré non pas en tant qu’individu, mais en tant qu’individu appartenant à un groupe donné, ce contre quoi une mise en garde est faite par la Cour suprême dans l’arrêt Hilewitz.

 

[33]           Je suis aussi d’accord avec le demandeur lorsqu’il soutient que le médecin agréé a omis de tenir compte des critères non médicaux, tels que les besoins éventuels de services sociaux et la volonté de la famille de lui prêter main-forte. De fait, rien n’indique que le médecin agréé a porté beaucoup d’attention à l’évaluation de la Dre Andrew et aux propos du directeur de la garderie Southview selon lesquels Carlos aura probablement besoin de seulement très peu de soutien en éducation. Il est vrai que le demandeur n’a présenté aucun plan détaillé sur la façon dont il prévoyait compenser tout fardeau excessif qui serait imposé aux fonds publics. Il a toutefois fourni de l’information sur son salaire annuel et son régime d’avantages sociaux, de même qu’une Déclaration de capacité et d’intention dûment signée. Ni le médecin agréé ni l’agent des visas n’ont précisé quoi que ce soit au sujet de la capacité et de la volonté du demandeur à assumer les coûts des services sociaux au lieu d’avoir recours aux fonds publics. Il est donc impossible d’affirmer que la décision reposait sur tous les renseignements pertinents disponibles et qu’il s’agissait d’une décision raisonnable.

 

b) Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

 

[34]           Il est bien établi en droit que l’obligation d’équité exige que le demandeur soit informé des doutes qu’entretient l’agent des visas et qu’il lui soit accordé une véritable possibilité de les dissiper en produisant une preuve susceptible de le faire (Rukmangathan c Canada (MCI), 2004 CF 284, au paragraphe 22, 247 FTR 147; Sapru c Canada (MCI), 2011 CAF 35, aux paragraphes 31 et 32, 330 DLR (4th) 670 [Sapru]).

 

[35]           Pour pouvoir participer utilement à un processus décisionnel, il faut être clairement informé de la situation, avoir l’occasion de présenter des éléments de preuve et des observations se rapportant à la décision à prendre et que le dossier soit examiné de façon approfondie : Hersi c Canada (M.C.I.) (2000), 198 FTR 120, au paragraphe 20 (CAF).

 

[36]           À la lumière des principes énoncés notamment dans l’arrêt Hilewitz, Citoyenneté et Immigration Canada a publié, le 24 septembre 2008, le bulletin opérationnel intitulé « Évaluation du fardeau excessif pour les services sociaux » (Bulletin opérationnel 063). Le 29 juillet 2009, le Bulletin opérationnel 063B est venu le compléter; celui-ci ne modifie pas considérablement les procédures que doivent respecter les agents d’immigration lorsqu’ils évaluent le fardeau excessif qui risque d’être entraîné pour les services sociaux. Ces lignes directrices n’ont pas force de loi, mais il s’agit néanmoins d’outils précieux pour l’évaluation des obligations des agents d’immigration; elles reflètent l’expression de l’opinion du défendeur quant aux mesures à prendre pour atteindre un résultat équitable et elles peuvent certainement créer des attentes quant à ce qu’il faudra respecter (Frank c Canada (MCI), 2010 CF 270, au paragraphe 21, [2010] ACF no 304 (QL); Firouz-Abadi c Canada (MCI), 2011 CF 835, au paragraphe 21, [2011] ACF n1036 (QL) [Firouz-Abadi]).

 

[37]           Cette politique vise à clarifier les rôles du médecin agréé, de l’agent des visas ou de l’immigration et du demandeur dans les cas où le médecin agréé a indiqué que l’état de santé du demandeur ou d’un membre de la famille à charge est susceptible d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada. Selon cette politique, les agents d’immigration doivent faire parvenir des lettres d’équité invitant les personnes concernées à fournir de l’information additionnelle nécessaire pour réfuter les conclusions d’interdiction de territoire, de même que les articles pertinents de la LIPR et une Déclaration de capacité et d’intention que le demandeur doit signer. Cette déclaration vise à informer les demandeurs que leur demande de résidence permanente pourrait être rejetée, à moins qu’ils ne soumettent un plan détaillé à un agent d’immigration visant à garantir que leurs personnes à charge n’imposeront pas un fardeau excessif aux services sociaux canadiens.

 

[38]           En l’espèce, l’agent des visas a utilisé une procédure manifestement déficiente. Le demandeur a reçu deux lettres d’équité procédurale en réponse à sa demande de résidence permanente. Dans les deux lettres en question, l’agent des visas a essentiellement adopté et reproduit l’évaluation du médecin agréé, sans jamais dire au demandeur qu’il s’attendait à recevoir un plan détaillé exposant comment il comptait compenser le fardeau excessif susceptible d’être imposé aux services sociaux canadiens.

 

[39]           Dans la première lettre, le demandeur a pu raisonnablement comprendre que la principale inquiétude de l’agent des visas (qui reposait sur l’évaluation du médecin agréé) était que Carlos devrait fréquenter une école spéciale pour les personnes atteintes de surdité, dont le coût annuel se situerait entre 35 000 $ (pour un élève externe) et 70 000 $ (pour un élève en pension). Pour apporter réponse à cette préoccupation, le demandeur a soumis des documents permettant de démontrer que Carlos pouvait entendre, qu’il était un enfant en bonne santé et qu’il n’était pas nécessaire qu’il fréquente une école spéciale pour personnes atteintes de surdité.

 

[40]           En réponse à la seconde lettre, selon laquelle le coût engendré pour les besoins de Carlos en matière d’éducation spécialisée (selon le financement accordé en Alberta aux enfants atteints de surdité) s’élèverait à 90 420 $ pour les cinq prochaines années, le demandeur a encore une fois soumis d’autres documents visant à démontrer que Carlos n’est plus sourd, et qu’il aura uniquement besoin d’un soutien minime en classe pour lequel le demandeur était désireux et en mesure d’assumer les coûts.

 

[41]           Malgré les observations détaillées du demandeur, sa demande a finalement été rejetée parce que l’agent des visas était très préoccupé par l’absence d’un plan détaillé visant à permettre de compenser le fardeau excessif susceptible d’être imposé aux services sociaux canadiens :

[traduction] Dossier passé en revue, y compris tous les documents reçus en réponse à ma lettre d’équité procédurale de juin 2010. Je constate que le demandeur n’a pas soumis de plan qui précise quelque soutien qui soit d’un établissement d’enseignement privé ou d’une école privée visant à permettre de ne pas avoir recours au financement de l’unité des programmes de l’Alberta, auquel son établissement préscolaire (Garderie Southview) désirait recourir à l’automne 2010 et peut‑être aussi à l’automne 2011. En l’absence de renseignements précis sur la façon dont ils prévoient utiliser les services sociaux privés au lieu des services publics dont il a déjà été fait mention, je ne suis pas convaincu que la documentation soumise représente un plan crédible pour compenser le fardeau excessif susceptible d’être imposé aux services sociaux.

 

Dossier du demandeur, onglet 3, à la page 12 (Notes du STIDI).

 

[42]           L’agent des visas a omis de faire part de sa préoccupation au demandeur. Tant dans la première lettre d’équité procédurale que dans la seconde, il n’a pas indiqué au demandeur qu’il lui fallait soumettre un plan précis. Voici des extraits de la lettre type qui est proposée dans le Bulletin opérationnel :

Avant que je prenne une décision définitive, vous avez la possibilité de présenter des renseignements supplémentaires sur un ou plusieurs des points suivants :

 

•   l’état médical indiqué;

•  les services sociaux requis au Canada pour la période précisée ci-dessus;

• votre plan personnalisé visant à garantir qu’aucun fardeau excessif ne sera imposé sur les services sociaux canadiens pendant toute la période précisée ci-dessus, ainsi que votre Déclaration de capacité et d’intention dûment signée.

 

[…]

                      

Afin de prouver que vous-même ou le membre de votre famille n’imposerez pas un fardeau excessif sur les services sociaux si vous êtes autorisé à immigrer au Canada, vous devez établir la preuve, à la satisfaction de l’agent d’évaluation, que vous disposez d’un plan raisonnable et viable, ainsi que des moyens financiers et l’intention de mettre ce dernier en œuvre, afin de compenser le fardeau excessif qu’autrement vous imposeriez sur les services sociaux après avoir immigré au Canada. Les articles du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés qui définissent les « services sociaux » et le « fardeau excessif » sont fournis à titre de référence.

 

 

[43]           Les deux lettres d’équité envoyées au demandeur ne renfermaient pas ces propos ou l’équivalent. La seule référence à d’autres renseignements pouvant être communiqués par le demandeur est quelque peu sibylline; il est simplement mentionné ce qui suit :

[traduction] Avant que je prenne une décision définitive, vous pouvez soumettre d’autres renseignements au sujet de cet état de santé ou du diagnostic. Vous pouvez aussi soumettre des renseignements au sujet de la question du fardeau excessif, le cas échéant.

 

[44]           Ces indications sont loin d’être suffisamment explicites et ne permettent pas au demandeur de comprendre que l’agent des visas était préoccupé par son omission de soumettre un plan détaillé. L’avocate du défendeur a fait valoir que ce serait accorder plus d’importance à la forme qu’au fond que d’exiger que la lettre d’équité reprenne la formulation qui se trouve dans la lettre type jointe au Manuel des opérations. J’en conviens, pourvu que les termes choisis par l’agent des visas expriment convenablement sa préoccupation au demandeur. Ici, le demandeur n’a pas été avisé de ce qu’il devait faire exactement pour répondre aux préoccupations de l’agent des visas sur la question du fardeau excessif. Le problème est aggravé par le fait que l’agent des visas n’a pas acheminé de Déclaration de capacité et d’intention au demandeur que celui‑ci aurait eue à signer et à retourner. Si le demandeur avait reçu une telle déclaration, son attention aurait été attirée sur la nécessité de présenter un plan détaillé pour éviter d’imposer un fardeau excessif aux services sociaux canadiens.

 

[45]           On ne peut établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Firouz‑Abadi, dans laquelle mon collègue le juge Barnes a estimé que le demandeur n’avait pas été avisé correctement des préoccupations de l’agente des visas dans des circonstances similaires. Dans la décision Abdul, précitée, le juge Kelen a aussi conclu, au paragraphe 26, qu’il manquait un tel avis. L’avocate du défendeur a tenté de faire valoir que ces décisions vont à l’encontre de l’arrêt Sapru, précité, dans lequel la Cour d’appel a statué que le médecin agréé n’est pas tenu de rechercher activement des renseignements à propos de la capacité et de l’intention d’un demandeur d’atténuer le fardeau excessif pour les services sociaux dès le début de l’examen, pourvu qu’une lettre d’équité lui accorde une véritable possibilité de répondre aux préoccupations. Cependant, la Cour a apporté une importante réserve : la lettre d’équité doit exposer clairement toutes les préoccupations pertinentes et accorder une véritable possibilité de répondre utilement à toutes les préoccupations du médecin agréé. Dans cette affaire, la lettre d’équité suivait étroitement la lettre type prévue dans le Bulletin opérationnel du défendeur.

 

[46]           Pour tous les motifs susmentionnés, j’estime donc que les lettres d’équité ne suffisaient pas à satisfaire aux exigences énoncées dans l’arrêt Sapru, précité, et ne précisaient pas adéquatement les renseignements que désirait obtenir l’agent des visas. Ainsi, il est impossible de dire que le demandeur a reçu des renseignements clairs et complets sur les éléments qu’il devait établir ni qu’il s’est fait accorder la possibilité complète et équitable de présenter les éléments de preuve pertinents qui permettraient à l’agent des visas de procéder à une évaluation individualisée de son cas. Ces manquements équivalent clairement à une violation du droit du demandeur à l’équité procédurale.

 

            c) Y a-t-il eu manquement à l’obligation d’équité procédurale?

[47]           Ayant conclu que la décision rendue par l’agent des visas doit être annulée parce qu’elle est déraisonnable et aussi parce qu’elle n’a pas respecté les règles d’équité procédurale, je ne suis pas tenu de répondre à cette troisième question. Je désire cependant formuler brièvement des commentaires sur les observations du demandeur à cet égard, ne serait-ce que pour donner des indications à propos d’une autre évaluation de sa demande.

 

[48]           M. Perez fait valoir que l’agent des visas n’a pas tenu suffisamment compte des considérations d’ordre humanitaire et n’a pas accordé suffisamment de poids aux commentaires formulés par la pédiatre de Carlos et le directeur de la garderie selon lesquels Carlos n’aura pas accès aux mêmes services et à la même technologie aux Philippines.

 

[49]           Cet argument est, selon moi, sans fondement. D’abord, l’agent des visas a expressément examiné les considérations d’ordre humanitaire que M. Perez a invoquées, plus précisément, que les implants cochléaires sont rares aux Philippines et que Carlos n’aurait pas, dans ce pays, accès à la technologie, à la réadaptation et à la formation qui lui permettraient de jouir pleinement de son intervention chirurgicale. Il a néanmoins rejeté les difficultés alléguées par le demandeur au motif que celui-ci n’a pas fourni de renseignements détaillés ou de documents de recherche pour les étayer.

 

[50]           Il incombe à la personne qui présente une demande CH de convaincre l’agent d’immigration qu’il est justifié d’accorder une dispense de l’application des exigences de la LIPR, dans ses circonstances, pour des considérations humanitaires. À cet égard, de simples affirmations laissant supposer que les services sociaux et de soins de santé ne sont pas disponibles aux Philippines ne permettaient pas de s’acquitter de ce fardeau. Le fait que ces simples affirmations reposent sur des renseignements fournis par sa pédiatre canadienne et le directeur de garderie ne donne pas plus de poids à sa demande. Ni l’un ni l’autre de ces professionnels n’ont fourni de renseignements à l’appui de leur croyance que les programmes de réadaptation et de formation à l’intention des personnes ayant des implants cochléaires ne sont pas disponibles aux Philippines.

 

[51]           M. Perez n’a fourni aucune information provenant d’une source fiable et compétente quant aux programmes, installations et formation disponibles aux Philippines. Il n’a présenté aucun élément de preuve qui donne à penser qu’il s’est renseigné aux Philippines pour savoir quels étaient les programmes, les installations et la formation disponibles aux Philippines. Il a toutefois effectivement présenté certains éléments de preuve à cet égard dans l’affidavit qu’il a déposé à l’appui de la présente demande de contrôle judiciaire, mais l’agent des visas et le médecin agréé ne disposaient pas de cette preuve. La Cour ne peut donc pas en tenir compte. Il est bien établi en droit que, dans une demande de contrôle judiciaire, les seules pièces qui doivent être considérées sont celles dont disposait le décideur (McConnell c Commission canadienne des droits de la personne, 2004 CF 817, au paragraphe 68, 132 ACWS (3d) 106, confirmé par 2005 CAF 389, 143 ACWS (3d) 1066; Lalane c Canada (MCI), 2009 CF 5, aux paragraphes 14 à 20, 338 FTR 238).

 

[52]           M. Perez ne s’est pas acquitté de sa responsabilité quant au fardeau de la preuve. Par conséquent, l’agent des visas pouvait raisonnablement rejeter la demande CH de M. Perez.

 

5. Conclusion

[53]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie. Les avocates n’ont présenté aucune question aux fins de certification et aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’est certifiée.

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-925-11

 

INTITULÉ :                                       RONILO VELASQUEZ PEREZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 septembre 2011

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 22 novembre 2011

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Phebe Chan

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Fraser Milner Casgrain LLP

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (C.-B.)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.